Le 17 janvier 2013 Les Arts de l’Islam au Louvre : genèse d’un projet, du politique au culturel d’après la conférence de Sophie Makariou, ancienne élève de l’Ecole du Louvre et de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, conservateur au musée du Louvre, chargée du nouveau département des Arts de l’Islam. Vingt ans après le grand chantier de la pyramide du Louvre, la création du nouveau département des Arts de l’Islam illustre que le palais, institution culturelle issue de la Révolution et de l’Europe des lumières, est en constant devenir. Sous un toit évoquant un tapis volant, ce nouveau département est un des plus beaux au monde pour les Arts de l’Islam avec le Metropolitan Museum de New York. On peut parler à son égard de véritable projet d’une vie car il a emmené pendant dix ans tout le musée du Louvre, pas seulement le département, mais une nombreuse équipe. Ce projet a eu un coût maîtrisé puisque les 100 millions d’euros ont été financés à hauteur de 58% par un apport de mécénat (dont plusieurs souverains des régions concernées) ce qui est une donne nouvelle dans le paysage culturel et économique, les 1000 personnes employées au projet ayant constitué un incontestable moteur. Comment un tel projet a-t-il vu le jour ? I/ D’une idée ancienne à un projet contemporain Avant d’aboutir à cette merveilleuse réalisation parfois appelée libellule ou dune de sable, qu’on observe aujourd’hui des toits du palais, il faut rappeler que le Louvre a connu plusieurs étapes d’aménagements. Le bâtiment est un grand corps sans tête avec deux bras, un le long de la Seine et l’autre le long de la rue de Rivoli, percé de deux cours principales : la Cour carrée et la Cour Napoléon. La réalisation de la pyramide de Pei en 1989, structure rationnelle et puits lumineux, a donné une entrée centralisée au Louvre et a réinventé la circulation du musée avec un bâtiment du XXe siècle. Le nouveau projet du XXIe siècle a un point commun avec le précédent : la recherche de transparence, cette fois-ci dans la cour Visconti. Ouvert en 1793, le Louvre a accueilli l’Union des Arts décoratifs en 1877. Malgré son immensité et des sorties régulières de collections (arts 1 Les Arts de l’Islam asiatiques partis au musée Guimet et départ du musée de la Marine), il avait une forte tendance accumulatrice. Le palais avait donc besoin de s’étendre. Il fallait trouver 4000 m2 supplémentaires ! A/ Le rôle éminent de Paris Les Arts de l’Islam n’étaient, jusqu’à présent, qu’une section rattachée aux Antiquités orientales, dont on ne percevait pas toute la richesse. Le directeur du musée d’Art moderne de New York se fit ambassadeur pour en vanter la valeur et une enquête confirma rapidement la complexité et la profondeur historique de ces collections qui méritaient d’être sorties des réserves. Henri Loyrette, directeur du musée du Louvre, en confirma aussi le caractère fondamental. Paris brillait déjà depuis le XIXe dans ces disciplines qui avaient leurs spécialistes. Dès 1903, est organisée une exposition fondamentale sur les « Arts musulmans », où les collectionneurs mis à l’honneur font des dons au musée. Mais la présentation de l’époque est dense et mal classifiée. On tâtonne encore sur les plans géographique (pièces égyptiennes et iraniennes mêlées) et chronologique. Les céramiques sont présentées en tableaux encadrés, mêlant les styles et les provenances : islamiques et espagnoles. Dès 1922, la présentation s’allège et les collections sont installées dans le Pavillon de l’Horloge dans des espaces dotés d’ascenseurs. En 1945, nouveau déménagement dans la chapelle avec toujours un souci d’allègement qui permet de mettre en valeur des objets comme le baptistère de saint Louis ou le tapis de la collégiale de Mantes. Mais les espaces sont convoités et les collections sont remisées en 1977 pour de longues années. En 1993, de nouvelles salles sont ré-ouvertes dans l’aile Richelieu, espaces compliqués, tout en lumières artificielles et doté de vitrines murales très basses. Mais la collection apparaît cependant comme la plus importante d’Europe et le Metropolitan Museum, en travaux, n’hésite pas à prêter certaines de ses œuvres à Paris ! En 2003, le président Chirac annonce officiellement la création d’un département des Arts de l’Islam au Louvre. Le projet va mettre dix ans à s’incarner compte tenu de l’énormité de la conception et de la masse de compétences en jeu. B/ La sélection du projet architectural Faire un projet, c’est l’écrire. Comment intégrer un nouveau projet contemporain autour de façades historiques ornées avec deux lignes de corniches distantes d’un étage ? Il fallait trouver le bon matériau maîtrisant une semi transparence et laissant deviner les façades et le ciel changeant, ce que l’un des architectes, Rudy Ricciotti, a appelé « la complexité dans un mouchoir de poche ». Une réflexion fut menée sur les options fondamentales. Des rencontres des directeurs de différents musées internationaux (Londres, New York, Copenhague, Le Caire, Doha) et des échanges d’idées émergea une floraison de projets qui permirent d’affiner celui du Louvre. Musée de la nation, il se devait de raconter une histoire universelle dont celle du monde islamique avec sa complexité et son étendue. Le projet muséographique et l’architecture devaient aussi transmettre l’idée qu’il n’y a pas d’isolat géographique mais des interactions artistiques d’une partie du monde islamique à l’autre, sans cloisonnement dans l’espace. Quarante dossiers furent envoyés à des architectes et sept furent sélectionnés pour concourir. Trois émergèrent rapidement dont un projet de verrière techniquement difficile car les façades ne l’auraient pas supporté et un vide de 30 mètres de haut aurait écrasé les collections. Un autre projet de tour à 6 niveaux semblait tout aussi difficile à réaliser et peu élégant. C’est le projet des architectes Mario Bellini et Rudy Ricciotti qui l’emporta car il ne reposait pas sur les murs des façades, ne couvrait pas la cour et limitait la construction à deux niveaux dont un en sous-sol. Chaque triangle de la toiture fut calculé au plus juste pour que les huit poteaux, en jeu de mikado, 2 Les Arts de l’Islam supportent l’ensemble de 130 tonnes. Le nouveau musée se joue de la lumière verticale venue de la toiture et horizontale renvoyée par les façades du Louvre. II/ Faire un état de la collection La difficulté du projet tenait à la mise en place d’une programmation précise pour un nombre d’objets qu’on ne connaissait pas précisément au départ, certains n’ayant jamais été répertoriés et photographiés. On envisageait de présenter 19.000 pièces. Les Arts décoratifs en représentaient en fait 700.000 que l’on découvrit au fur et à mesure, ce qui occasionna des phases d’ivresse intense et des changements de dernière minute. A/ Le listing des œuvres Le récolement était obligatoire ainsi que le constat d’état de toutes les œuvres. Le travail se décomposa en plusieurs étapes comme dans une chaine industrielle : mesurer (au pied à coulisse électronique), peser, démonter, nettoyer (quelquefois sur place), traiter, documenter, photographier (parfois de manière acrobatique !), numériser et poser une puce électronique pour alimenter une base de données et établir une fiche précise et une valeur d’assurance. Le travail nécessita de grandes précautions et l’intervention de prestataires extérieurs. En 2008, tous les objets étant enlevés et emballés, la section fut fermée. B/ La restauration Ce fut une période longue et minutieuse notamment pour les carreaux de céramiques ottomanes qui menaçaient d’éclater sous l’effet des barres de fer et du plâtre sur lesquels ils étaient montés. On identifia 556 familles de céramiques différentes. Des maquettes furent réalisées au tiers pour évaluer les surfaces à représenter, l’évolution des formes et des couleurs qui atteignent leur sommet au XVIe siècle avec la découverte du rouge, avant de décliner puis disparaître au XIXe siècle. L’objectif était aussi de supprimer les joints, ce qui nécessita un démontage et une découpe minutieuse. Le résultat est remarquable. La seconde grande aventure fut la restauration du porche mamelouk, vestibule d’honneur construit au dernier quart du XVe siècle, disparu au Caire entre 1880 et 1884, pour aboutir en France en 1889 pour l’exposition universelle sans être remonté car l’opération paraissait trop complexe. Depuis cette date, le porche était réparti dans diverses caisses dont certaines dispersées jusqu’à Béziers et l’ensemble avait été fragilisé par un séjour dans les eaux usées du Caire. Le remontage s’avéra difficile, les cotes étant fausses et les pierres taillées en pointe. Il nécessita des techniques spéciales (fine coque de résine et goujons inaltérables) pour fixer les pierres. Le porche actuel, débarrassé d’un badigeon rouge, fait apparaître deux teintes de calcaire et une alternance de décors géométriques et végétaux. Un ensemble de dessins réalisés par Jules Bourgoin entre 1880 et 1884 et retrouvés récemment, a permis d’affiner la restauration, tout comme la découverte de fragments de la façade extérieure, à la fin du chantier. D’autres restaurations remarquables sont à signaler comme une boiserie égyptienne de la fin du XIIIe siècle qui a été entourée d’un cadre de métal très contemporain ou le remontage d’un chassemouche de jade, or, rubis et émeraudes de l’Inde du XVIIe siècle, ayant appartenu à la baronne Salomon de Rothschild. Toutes ces restaurations témoignent des miracles de la technologie. 3 Les Arts de l’Islam III/ La médiation culturelle La muséographie confiée à Renaud Piérard atteint un haut niveau de raffinement et un grand souci d’aération ; la mission du musée est à la fois d’informer, d’éduquer et d’émerveiller car la visite doit être un plaisir constant. Il faut donc scénariser le parcours, accompagner le public, qu’il soit cultivé, primo-visiteur, étranger ou jeune public. Comment cheminer dans le temps et l’espace ? Comment construire son parcours ? Quels supports utiliser ? A/ Les quatre boîtes Elles correspondent aux quatre périodes historiques du monde islamique : - 700-1000 : fondation de l’Empire, 1000-1250 : rupture et recomposition, 1250-1500 : 2e souffle de l’Islam, 1500-1800 : les trois empires modernes. A chaque temps, on parcourt le vaste monde d’ouest en est, sans le nom des dynasties (ce qui n’est pas nécessaire) mais en ayant des concepts pour simplifier l’histoire, la styliser. Des panneaux de verre, avec une cartographie interactive et une chronologie thématisée et linéaire, donnent les repères historiques et géographiques. A ces supports conventionnels et aux cartels simples, il faut ajouter les écrans, multimédia en plusieurs langues et les guides audio qui permettent de situer les objets dans leur milieu et leur fonction. On peut ainsi construire sa visite, explorer l’histoire d’une technique ou découvrir la calligraphie de l’écriture arabe. Les nouvelles vitrines de verre permettent une approche tridimensionnelle des objets et sont conçues pour s’ouvrir largement pour le renouvellement et la manipulation des collections. B/ Le cabinet des clefs Les concepteurs du musée ont cherché également à déconstruire nos préjugés et nos idées reçues sur le monde islamique. C’est dans cet esprit qu’a été conçu le cabinet des clefs installé au début et en fin de parcours, qui évoque l’art islamique (figuratif et pas seulement géométrique), la diversité religieuse (christianisme, bouddhisme, judaïsme, zoroastrisme, islam), l’importance du fait urbain et la multiplication des langues (15 personnes en scène). Conclusion Le nouveau département des Arts de l’Islam représente la « part lumineuse d’une civilisation que l’on a longtemps négligée ». Il délivre un message d’humanisme. Avec 650.000 visiteurs depuis le 22 septembre 2012, le succès ne se dément pas. Le département veut semer quelques germes pour que les visiteurs en tirent profit. Ces objets ne sont pas les avocats des horreurs contemporaines et de tous les extrémismes ; ils sont les témoignages d’une civilisation extraordinaire, faite de différentes cultures et d’une grande variété esthétique. Bibliographie : Les Arts de l’Islam au musée du Louvre, Louvre éditions 4 Les Arts de l’Islam