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LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 12 - 20 MARS 2017
la majorité qualifi ée et qui devient ainsi le critère majeur de la
supranationalité.
Sur le fond, le Traité CEE reprend aussi l’inspiration de la CECA :
ouverture des frontières, libéralisation de l’économie avec un
encadrement relatif de celle-ci dans lequel plus d’uns reconnaî-
tront le modèle allemand de l’économie sociale de marché ou de
l’ordo-libéralisme. Le cœur du système se trouve en effet dans
la proclamation des libertés de circulation, auxquelles, plus tard,
la Cour de justice reconnaîtra la qualité de libertés fondamen-
tales. Ces quatre libertés ont pour objet de déverrouiller une
économie encore très tributaire des contraintes héritées de la
Seconde Guerre mondiale. C’est la liberté de
circulation des marchandises, d’ailleurs citée
en premier par le Traité qui paraît fondamen-
tale. À cet égard, la CEE institue une union
douanière qui se caractérise par l’élimination
des droits de douane et restrictions quantita-
tives entre les États membres mais aussi par
l’instauration d’un tarif extérieur commun.
De plus, avec un grand sens de l’anticipation,
le Traité prohibe les taxes d’effet équivalant
à des droits de douane ainsi que les mesures
d’effet équivalant à des restrictions quanti-
tatives, notions en réalité très vagues mais
qui ont permis à la Cour de justice de déve-
lopper une jurisprudence très hardie visant à
condamner toutes les formes de néoprotec-
tionnisme imaginées par les États.
Si l’on a pu estimer que l’union douanière
avait été réalisée dans sa quasi-totalité dès la fi n de la période
dite de transition (1970), il en va tout autrement de la libre circu-
lation des capitaux qui ne prendra son véritable essor qu’au mo-
ment de la mise en place de l’Union économique et monétaire.
Quant à la libre circulation des personnes, elle enregistrera aussi
de nombreux retards. Celle-ci recouvre en réalité trois volets :
la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et
la liberté de circulation des services. Ces libertés bénéfi cient
essentiellement à des agents économiques : une vision mercan-
tile régulièrement reprochée à la CEE, et il faudra attendre la
citoyenneté européenne, autrement dit le Traité de Maastricht
(1992), pour assister à un début de déconnexion avec l’exer-
cice d’une activité économique. Ces libertés impliquent aussi un
droit de circulation et de séjour, diffi cile à réaliser rapidement
car supposant l’adoption de mesures en matière de contrôle
des frontières ou de condition des étrangers, domaines non
transférés initialement aux Communautés. Là encore, il faudra
attendre l’espace de liberté de sécurité et de justice, l’espace
Schengen, en simplifi ant beaucoup pour que des progrès en la
matière puissent se concrétiser.
Ces quatre libertés, qui forment l’ossature du marché commun
devenu plus tard marché intérieur, s’accompagnent au niveau
économique de règles de concurrence assez strictes, fondées
sur un triptyque ententes, abus de position dominante et
aides d’État, auxquelles viendra se joindre ultérieurement un
régime particulier pour les concentrations. Ces pratiques anti-
concurrentielles, prohibées dans leur principe, peuvent cepen-
dant faire l’objet de dérogations ou exceptions en fonction du
contexte économique et social, ce qui illustre bien l’idée que
les auteurs des traités ont préféré instaurer une politique de
concurrence qu’un régime rigide et défi nitivement intangible.
La Commission, en sa qualité de gardienne
des traités, se trouve au centre du disposi-
tif de contrôle, ce qui l’amène parfois à des
situations compliquées compte tenu de ses
autres fonctions qui sont notamment celles
de l’initiative législative et politique.
Libre circulation et libre concurrence ne ré-
sument pas la totalité du Traité CEE. Celui-
ci instaure un certain nombre de politiques
communes dans trois domaines, l’agricul-
ture, les transports et le commerce interna-
tional. La politique agricole mérite une men-
tion spéciale. La France a fortement tenu
à son insertion dans le Traité alors même
que l’agriculture est un domaine souvent
délaissé dans les unions douanières ou les
zones de libre-échange. Dans un contexte
politique très agité, la PAC s’impose comme
la principale réalisation de la CEE durant les années soixante,
voire les deux décennies suivantes. La PAC va marquer de son
empreinte tout le système de l’Union et demeurer sur le plan
budgétaire européen un véritable colosse puisqu’absorbant à
elle seule plus de 40 % des crédits.
La politique commerciale mettra en revanche beaucoup plus
de temps pour décoller. Mais aujourd’hui, en transférant à la
Communauté puis à l’Union la compétence pour conclure des
accords commerciaux avec les pays tiers, elle a largement
contribué à faire de l’Union européenne un « acteur mondial »
qui pèse sur la scène internationale et qui permet aux États
membres, passés en soixante ans de 6 à 28, de peser beaucoup
plus lourd que chacun pris isolément. Et c’est peut-être cela le
véritable acquis de soixante ans de construction européenne :
conjurer les risques de confl its intérieurs grâce à la création des
fameuses « solidarités de fait », selon l’expression de Jean Mon-
net, et continuer à jouer les premiers rôles sur la scène interna-
tionale alors même qu’en 2060, la population européenne ne
représentera plus que 4 % de la population mondiale (contre
6 % aujourd’hui).
« Le véritable
acquis de soixante
ans de construction
européenne : conju-
rer les risques de
confl its intérieurs
et continuer à jouer
les premiers rôles
sur la scène interna-
tionale. »