Coup d’œil Littérature Gestion de l’endophtalmie après chirurgie de la cataracte F. Petellat (Service d’ophtalmologie, hôpital Dupuytren, Limoges) ▶ Points forts • Actuellement, l’endophtalmie survient dans 0,07 % à 0,32 % des chirurgies de la cataracte. • Dans plus de 80 % des cas, la bactérie à l’origine de l’endophtalmie provient de la flore conjonctivale du patient. • Le Staphylococcus epidermidis est le germe le plus souvent mis en cause. • L’incidence de l’endophtalmie est multipliée par quatre en cas d’implantation secondaire, en cas de rupture capsulaire avec issue de vitré, et chez le diabétique. • L’endophtalmie est une urgence thérapeutique médicochirurgicale. • Le pronostic visuel dépend de la rapidité d’instauration du traitement. • Devant toute suspicion d’endophtalmie, un prélèvement endoculaire doit être pratiqué en urgence, suivi d’une injection intravitréenne d’une bithérapie antibiotique. L’ endophtalmie postopératoire est une des complications les plus redoutables et les plus redoutées de la chirurgie de la cataracte. Elle est considérée comme une infection nosocomiale. L’endophtalmie est une urgence thérapeutique médicochirurgicale. Les micro-organismes prédominants sont les bactéries à Gram positif, plus particulièrement le Staphylococcus epidermidis. La majorité de ces bactéries provient de la flore conjonctivale du patient (plus de 80 % des cas). Définition L’endophtalmie est une inflammation d’origine infectieuse, atteignant les couches internes pariétales endosclérales et les cavités oculaires : chambre antérieure, chambre postérieure et surtout corps vitré. La panophtalmie représente l’extension de l’inflammation à la paroi sclérale, pouvant atteindre la capsule de Tenon et les tissus orbitaires de voisinage. Facteurs de risque Actuellement, 0,07 % à 0,32 % (1, 2) des chirurgies de la cataracte présentent une complication infectieuse. La fréquence de l’endophtalmie après chirurgie de la cataracte est sensiblement la même quelle que soit la technique utilisée. En revanche, l’incidence de l’endophtalmie est multipliée par quatre en cas d’implantation secondaire ou de rupture capsulaire avec issue de vitré [3]. Le diabète (de types 1 et 2) multiplie également par quatre le taux d’endophtalmie (1). Les corticoïdes par voie générale, les antibiotiques et les antimitotiques antérieurs à l’intervention seraient sans influence (1, 4). Bactériologie Les sources de contamination les plus fréquentes sont la contamination aéroportée et celle en rapport avec les solutions, implants, médications, machines et instruments utilisés pendant la chirurgie. La flore microbienne de la conjonctive est importante, dominée par les bactéries à Gram positif. Dans les endophtalmies postchirurgicales, les bactéries à Gram positif représentent 85 % des germes dans l’étude française GEEP (Groupement d’études épidémiologiques et prophylactiques) [1] et 94,1 % dans l’étude américaine EVS (Endophthalmitis Vitrectomy Study) [4]. Le Staphylococcus epidermidis vient en tête, suivi par le Staphylococcus aureus et les streptocoques (1, 4). Le Staphylococcus epidermidis est plus fréquemment en cause chez le diabétique (58,6 %) que chez le non-diabétique (45 %) [4]. De plus, selon l’étude GEEP, le diabète sucré semble majorer le risque d’endophtalmie (1). Les germes à Gram négatif sont en cause dans environ un tiers des cas d’endophtalmie, les plus fréquents étant le Pseudomonas, les entérobactéries et l’Haemophilus. Les mycoses sont rarement en cause en chirurgie de cataracte. Aucun germe d’origine fongique n’a été isolé dans les études GEEP et EVS. Clinique (figure 1) Trois signes d’alerte sont d’une grande valeur, même s’ils ne sont pas constamment retrouvés : la baisse d’acuité visuelle, la douleur et la photophobie. Aucun de ces signes n’est pathognomonique, et certains, telle la douleur, peuvent manquer (53 % des cas). L’endophtalmie est dite aiguë si les signes Images en Ophtalmologie • Vol. II • n° 2 • avril-mai-juin 2008 IO-NN2-0408.indd 27 27 17/07/08 10:34:56 Coup d’œil Littérature mucosité permettant l’aspiration d’un échantillon vitréen peu dilué en vue des examens microbiologiques. ✔ Règle thérapeutique L’endophtalmie est une urgence thérapeutique médicochirurgicale. Le pronostic visuel dépend de la rapidité d’instauration du traitement. Les moyens Ils reposent sur cinq éléments dont les indications et les associations demeurent encore très controversées : les injections intraoculaires ; les antibiotiques systémiques ; les antibiotiques locaux fortifiés ; les corticoïdes ; la vitrectomie. Figure 1. Endophtalmie bactérienne avec lame d’hypopion. s’installent pendant la première semaine postopératoire. La forme subaiguë s’étend de la deuxième à la fin de la quatrième semaine postopératoire, alors que la forme chronique débute après le premier mois (5). Le délai moyen d’apparition de l’endo­ phtalmie est de 6 jours dans l’étude EVS. D’après cette étude, un délai postopératoire court (moins de 2 jours), une acuité visuelle limitée à une perception lumineuse, la présence d’anomalies pupillaires et l’absence de lueur pupillaire doivent faire suspecter une infection à BGN ou à BGP autres que Staphylococcus coagulase-négative (4). Conduite thérapeutique Elle comporte deux règles : • Une règle diagnostique nécessitant devant toute suspicion d’endophtalmie la réalisation d’un prélèvement endoculaire, avant toute antibiothérapie. • Une règle thérapeutique nécessitant en urgence l’injection intravitréenne d’une bithérapie antibiotique. ✔ Règle diagnostique La recherche du germe se fait à partir de la ponction de chambre antérieure, associée ou non à un prélèvement du vitré, avec mise en culture immédiate, et avant l’instauration d’un traitement antibiotique. Ces prélèvements sont pratiqués en urgence, dès que le diagnostic d’endophtalmie est établi. La ponction de chambre antérieure prélève 0,1 ml d’humeur aqueuse à l’aide d’une aiguille de 25 à 27 gauge. Concernant le prélèvement du vitré, trois méthodes sont possibles : • Le prélèvement de vitré par aspiration à l’aiguille et à la seringue ; cette méthode comporte un risque de traction vitréenne. • La biopsie du vitré à travers une sclérectomie à la pars plana. • Lors d’une vitrectomie, le prélèvement du vitré est effectué par la mise en place, sur la ligne d’aspiration, d’un piège à 28 • Les injections intravitréennes (tableau) Ces injections peuvent être répétées. • Les antibiotiques : la vancomycine à la dose de 1 mg est le produit de référence sur les germes à Gram positif. Pour lutter contre les germes à Gram négatif, la gentamicine était le produit de référence, mais des phénomènes toxiques ont été décrits, à type d’infarctus maculaire (6). La ceftazidime (Fortum®) à la dose de 2,25 mg a remplacé les aminosides (7). L’injection intravitréenne des antibiotiques est la voie d’administration la plus efficace dans le traitement de l’endophtalmie. • Les antifongiques : l’amphotéricine B (Fungizone®) est active sur les levures et les champignons filamenteux. Elle est utilisée à la dose de 5 μg. • Les corticoïdes : la dexaméthasone est utilisée à la dose de 200 μg à 400 µg (8). Elle doit toujours être réalisée sous couverture antibiotique. Elle est contre-indiquée dans le traitement d’une endophtalmie mycotique. • Les avantages des injections intraoculaires sont la possibilité d’effectuer : – des prélèvements vitréens ; – l’obtention de taux vitréens supérieurs à plusieurs fois la CMI des germes infectants ; – l’atteinte rapide du vitré. • Les inconvénients sont principalement d’ordre toxique (6). Cette toxicité dépend de la nature du produit et de la répétition des injections. • Les antibiotiques systémiques Le choix de l’antibiotique dépend : • de la pharmacocinétique oculaire : la molécule doit être lipophile pour traverser les barrières hémato-oculaires, avoir un bas poids moléculaire et une liaison très faible aux protéines Tableau. Injections intravitréennes. Produit Concentration du mélange final Volume injecté dans l’œil Quantité injectée dans l’œil Vancomycine® 10 mg/ml 0,1 ml 1 mg Fortum® 25 mg/ml 0,1 ml 2,5 mg Fungizone® 50 µg/ml 0,1 ml 5 µg Images en Ophtalmologie • Vol. II • n° 2 • avril-mai-juin 2008 IO-NN2-0408.indd 28 17/07/08 10:34:57 Coup d’œil Littérature plasmatiques, pour atteindre le plus rapidement possible le site de l’infection ; • de la bactériologie : l’antibiotique doit être bactéricide, et doit avoir un spectre adapté à tous les germes ou à ceux les plus fréquemment rencontrés dans les endophtalmies ; • des effets secondaires (toxicité) : le traitement doit présenter le moins d’effets secondaires possibles ; • du coût : le rapport coût/efficacité doit être raisonnable. D’après ces critères, les antibiotiques pouvant être utilisés dans le traitement de l’endophtalmie sont les suivants : fluoroquinolones, imipenem, pipéracilline, fosfomycine, ceftazidime et ceftriaxone (9). Les fluoroquinolones ont une excellente biodisponibilité et des concentrations aqueuses voisines de 0,5 à 1 mg/­ml dans l’œil sain avec un rapport humeur aqueuse/­sérum de 20 à 30 %, qui peut atteindre 80 % dans l’œil infecté (10). L’injection intra­ veineuse donne des taux de concentration deux fois plus élevés que la voie orale. L’augmentation des doses orales permet d’élever les concentrations intra-oculaires (11). Ces produits doivent toujours être administrés en association, pour deux raisons importantes : • éviter l’émergence de mutants résistants ; • élargir le spectre d’activité du traitement antibiotique sur le streptocoque et les anaérobies. La durée du traitement antibiotique est habituellement de 7 à 10 jours. • Les antibiotiques locaux fortifiés Ce sont des collyres préparés à partir de formes injectables et qui sont prescrits hors AMM. Ils donnent de bonnes concentrations en chambre antérieure. Leur utilisation est un adjuvant des injections intravitréennes. Les antibiotiques les plus utilisés sont la vancomycine, pour son excellente activité sur les germes à Gram positif à la concentration de 50 mg/­ml, et la ceftazidime, active sur les germes à Gram négatif, à la concentration de 20 mg/­ml. La posologie est de 1 goutte toutes les 30 minutes en alternance avec chacun des produits au début du traitement, puis 1 goutte 8 fois par jour. • Les corticoïdes L’utilisation des corticoïdes dans le traitement des endophtalmies est discutée (2, 12). Plusieurs voies d’administration sont possibles : la voie topique, en injection sous-conjonctivale, latérobulbaire ou intravitréenne. La voie sous-conjonctivale de dexaméthasone semble efficace, car elle permet d’atteindre des taux aqueux et vitréens tout à fait satisfaisants (13). L’injection intravitréenne de corticoïdes doit toujours être associée à une injection d’antibiotique, généralement à partir de la deuxième injection. Cette injection est contre-indiquée en cas d’endophtalmie mycotique. • La vitrectomie Les avantages sont les suivants : • Injection d’antibiotique dans le segment postérieur. • Ablation du vitré infecté. • Meilleure diffusion des antibiotiques généraux et locaux dans la cavité vitréenne. Les inconvénients sont les suivants : • Décollement de rétine (14). • Cataracte. Les indications ainsi que le choix du moment de la vitrectomie restent difficile à déterminer. Elle a été réalisée dans 50 % des cas dans l’étude GEEP (1) et dans 52 % des cas dans l’étude EVS (4). Dans cette dernière étude, l’effet bénéfique immédiat pour les cas où l’acuité visuelle est réduite à une perception lumineuse est statistiquement significatif. C’est donc l’acuité visuelle qui serait le meilleur argument pour poser l’indication d’une vitrectomie. L’aggravation des signes cliniques peut conduire à programmer une vitrectomie différée sur un œil déjà imprégné par une antibiothérapie systémique. Les indications • Endophtalmie aiguë postopératoire bactérienne Elle doit être traitée en urgence. Le schéma thérapeutique proposé est le suivant : – prélèvement humeur aqueuse et/ou vitréen ; – injections intravitréennes d’une double antibiothérapie (Fortum® + Vancomycine®) généralement 3 fois à 48 heures d’intervalle ; – antibiotiques fortifiés locaux ; – biantibiothérapie systémique (selon l’étude EVS (4), il n’y aurait pas de bénéfice à instaurer une antibiothérapie systémique) ; – corticoïdes en injection intravitréenne, voire en sous-conjonctivale ou latérobulbaire dès le deuxième jour. Si l’évolution est favorable en 24-48 heures, la vitrectomie est indiquée à distance à visée optique. Si l’évolution est défavorable, il est indiqué de refaire une injection intravitréenne d’antibiotique et de discuter une vitrectomie à chaud. • Endophtalmie postopératoire fongique (figure 2) • Prélèvement humeur aqueuse et/ou vitréen. • Antifongiques systémiques : – amphotéricine B : 0,5 à 0,7 mg/­kg/­j ; – kétoconazole : 400 mg/­j ; – fluconazole : 400 mg/­j. • Injection intravitréenne d’amphotéricine B à la dose de 5 μg sous un volume de 0,1 ml. • Vitrectomie. Conclusion L’endophtalmie est une affection imprévisible et redoutable. Sans traitement, elle conduit à la cécité et à la perte du globe oculaire. Son pronostic dépend de la rapidité d’instauration du traitement antibiotique et de son efficacité. Cependant, Images en Ophtalmologie • Vol. II • n° 2 • avril-mai-juin 2008 IO-NN2-0408.indd 29 29 17/07/08 10:34:57 Coup d’œil Littérature Figure 2. Évolution vers la perforation cornéenne d’une endophtalmie à Fusarium. malgré un traitement précoce et adapté, la récupération de l’acuité visuelle n’est pas totale dans la majorité des cas, d’où l’intérêt de la prévention. II Références bibliographiques 1. Salvanet-Bouccara A, Forestier F, Coscas G et al. Groupe d’étude multicentrique des endophtalmies. Endophtalmies bactériennes. Résultats ophtalmologiques d’une enquête prospective multicentrique nationale. J Fr ophtalmol 1992;15:669-78. 2. Aarberg TM Jr, Flynn HW Jr, Schiffman J, Newton J. Nosocomial acute – onset post-operative endophthalmitis survey. A 10 year review of incidence and outcomes. Ophthalmolology 1998;105:1004-10. 3. Javitt JC, Vitale S, Canner JK et al. National outcomes of cataract extraction. Arch Ophthalmol 1991;109:1085-9. 4. Endophthalmitis Vitrectomy Study Group. Results of the Endophthalmitis vitrectomy study. 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Cette manifestation a récapitulé les enjeux, en termes de santé publique, qui concernent la fonction visuelle, à savoir l’ophtalmologie de la vie quotidienne et les grands pathologies cécitantes, quand l’offre et la demande de soins semblent difficiles à concilier. www.snof.org www.snof.org/egv Images en Ophtalmologie • Vol. II • n° 2 • avril-mai-juin 2008 IO-NN2-0408.indd 30 17/07/08 10:35:00