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termes "comme l'envers occulté des questions sexuelles" (2006:237). Pour obtenir la parité
dans le monde politique, le groupe "femmes" est dénaturalisé. En d'autres termes, la moindre
représentativité des femmes dans la vie politique n'est pas due au fait qu'elles soient femmes,
contrairement aux autres minorités (comme les Maghrébins ou les Noirs). Cette stratégie de
distanciation entre la situation de ces dernières et des groupes minorisés, leur a permis, selon
Fassin, d'être entendues dans leurs revendications
1
. Cependant, cette limitation dans l'accès à
la parité a engendré son mouvement contraire et a mis en exergue les disparités à l'encontre
des autres minorités. "En introduisant subrepticement les questions raciales dans le débat
public, les questions sexuelles ont également joué le rôle d'un "cheval de Troie". C'était bien
la porte ouverte, de manière générale, aux questions minoritaires" (2006:239).
Dans les années 2000, les liens entre les questions raciales et sexuées (sexuelles) deviennent
cette fois-ci explicites comme le montre Fassin dans son analyse politique des revendications
autour de la prostitution, des violences contre les femmes (notamment les viols collectifs) et
l'affaire du port du voile islamique. Pour ce dernier exemple, la loi contre les signes religieux
ostensibles à l'école se comprend plus comme une loi visant la communauté musulmane
plutôt que comme un rappel du principe de laïcité s'appliquant à l'ensemble des religions. Ici,
les questions sexuées sont construites en opposition aux questions raciales (Fassin, 2006;
Delphy; 2006; Roux, 2006). Cet argument sera développé ci-après dans l'analyse de notre
corpus.
Ces nombreux exemples tendent à montrer que "la politisation des questions sexuelles est
indissociablement une politisation des questions raciales (…) [et que] parler sexe, c'est parler
race, et inversement" (Fassin, 2006:241)
2
.
Les féminismes et les tensions entre sexisme et racisme
L'émergence des questions raciales dans les questions de genre provoque des tensions au sein
des mouvements féministes. Faut-il privilégier la lutte "antisexiste" au détriment de la lutte
"antiraciste" ou est-ce un faux dilemme, s'interroge Christine Delphy (2006)?
Ce questionnement s'est posé de manière explicite dans la tradition anglo-saxonne à la fin des
années nonante. Susan Moller Okin dans son ouvrage de 1999 pose la problématique en ces
termes: "Is Multiculturalism Bad for Women?". Pour cette dernière, les revendications des
minorités culturelles concernent un nombre considérable de thématiques liées aux relations
sociales entre les sexes. La majorité traite de l'autorisation du mariage avant la majorité, du
mariage forcé, du divorce favorisant les hommes, de la polygamie ou encore de l'excision
(Okin, 1999:17). Pour elle, ce sont la grande majorité des revendications des minorités
culturelles qui engendrent des tensions entre le droit à la reconnaissance de différences
culturelles spécifiques et le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes quelle que soit
leur provenance. "Pour cette féministe, on doit parfois choisir entre les droits du groupe, qui
bénéficient aux hommes minoritaires, et les intérêts des femmes, qu'ils peuvent desservir. Au
contraire, celles-ci pourraient bien "y gagner si leur culture d'origine venait à disparaître", ou
du moins, "de préférence, si elle était encouragée à changer pour renforcer l'égalité" sexuelle"
(Fassin, 2006:244; Okin, 1999:22-23 in Fassin, 2006).
1
Cependant, pour éviter cette extension du domaine démocratique aux autres groupes minorisés, la logique de
naturalisation refait surface et fonde la différence des sexes dans la nature.
2
Fassin utilise la notion de race au sens de Guillaumin plutôt que celle d'ethnie pour mettre en évidence le
traitement discriminatoire des certaines populations qui amène à les constituer en des espèces socialement
différentes. "Seul compte ici la racialisation – qu'elle emprunte au registre culturel ou biologique" (2006:232).