La théorie russellienne des descriptions : « un paradigme de la

Philippe Jovi1
La théorie russellienne des
descriptions : « un paradigme de la
philosophie »
Conférence donnée le 12 février 2003 dans le cadre
d’une journée de formation continue donnée à l’IUFM
d’Aix-en-Provence et consacrée à Bertrand Russell.
(2003)
PhiloSophie
Bertrand Russell
1 Philippe Jovi est professeur au lycée Jean Cocteau de Miramas (13)
Table des matières
La théorie russellienne des descriptions : « un paradigme de
la philosophie ».........................................................................3
I. La théorie de la vérité-correspondance comme enjeu
éthique. .....................................................................................4
II – l’analyse des constituants de la proposition comme
méthode logique. ....................................................................13
III – l’élimination des descriptions comme résultat
épistémique.............................................................................25
IV – incertitudes ontologiques comme conséquences
critiques...................................................................................37
Brève conclusion.....................................................................45
Bibliographie sur et autour de la théorie russellienne des
descriptions.............................................................................46
À propos de cette édition électronique...................................50
La théorie russellienne des descriptions : « un
paradigme de la philosophie ».
Dans la préface d’un ouvrage demeuré, hélas, inachevé et
consacré à l’évolution philosophique de Russell, Alan Wood
écrit : « Bertrand Russell est un philosophe sans philosophie.
On pourrait dire la même chose en disant qu’il est un philoso-
phe de toutes les philosophies. Il n’est guère de point de vue
philosophique important aujourd’hui que l’on ne trouve reflété
dans ses écrits à une période ou une autre »2
Il y a deux manières de comprendre cette phrase : comme
un blâme ou comme un éloge. Comme un blâme si l’on veut dire
que la très longue vie de B. Russell a été ponctuée de retourne-
ments de veste propice à la dispersion, sinon à l’inconséquence,
voire à la complaisance intellectuelle. Comme un éloge si l’on
veut dire que la fécondité des intuitions premières du philoso-
phe s’est manifestée par leur développement progressif dans
leur application à des domaines aussi divers que la science,
l’éthique, la psychologie, la religion, l’histoire ou la politique.
Notre objectif est de montrer que c’est cette deuxième interpré-
tation qu’il convient de faire à la lumière de « ce paradigme de
la philosophie »3, selon l’expression de Franck Ramsey, que
constitue la théorie russellienne des descriptions de 1905, dont
nous essaierons de préciser brièvement l’enjeu éthique, la mé-
thode logique, le résultat épistémique et les conséquences onto-
logiques.
2 Essai sur l’Evolution de la Philosophie de Russell, in my Philoso-
phical Development, trad.fr. p.326.
3 the Foundations of Mathematics and other Logical Essays, in Ber-
trand Russell. L’Atomisme Logique, p.7
– 3 –
I. La théorie de la vérité-correspondance
comme enjeu éthique.
« Mon évolution philosophique depuis les premières an-
nées de ce siècle peut en gros se décrire comme une renoncia-
tion progressive à Pythagore »4. Effectivement, les débuts phi-
losophiques de Russell sont empreints d’un pythagorisme exalté
pour les mathématiques dont « la beauté froide et austère […]
nous entraîne loin de l’humain, dans le domaine de la nécessité
absolue à laquelle obéissent non seulement le monde réel mais
tous les mondes possibles »5. Rien d’étonnant alors à ce que
tous ses premiers travaux de 1897 à 1904 soient consacrés au
problème du fondement des mathématiques, en particulier le
grand ouvrage de 1903 écrit en collaboration avec G. E. Moore,
Principles of Mathematics dont le premier objectif, comme il
l’écrit dans les premières lignes de la préface, est « de fournir la
preuve que la totalité de la mathématique pure traite exclusi-
vement de concepts définissables au moyens d’un très petit
nombre de concepts logiques fondamentaux »6. C’est-à-dire
que son objectif principal consiste à soutenir la thèse de la ré-
duction logiciste selon laquelle « la mathématique et la logique
sont identiques »7. La définition qu’il donne de la mathémati-
que pure ou de la logique est la suivante : « la mathématique
pure est la classe de toutes les propositions de la formep im-
plique q’, où p et q sont des propositions contenant une ou plu-
sieurs variables, les mêmes dans les deux propositions, et où ni
4 My Philosophical Development, XVII, trad.fr. p.260
5 ibid., p.263-264
6 Principles of Mathematics, préf., trad.fr. in Ecrits de Logique Phi-
losophique, p.3
7 ibid., p.9
– 4 –
p ni q ne contiennent d’autres constantes que des constantes
logiques […] en outre la mathématique fait usage d’une autre
notion qui n’est pas un constituant des propositions qu’elle
considère, à savoir celle de vérité »8. Pour le Russell pythagori-
cien donc, la vérité est une notion dont la mathématique pure
fait usage sans jamais avoir besoin de la définir pour la raison
que la mathématique pure est entièrement analytique, « elle
dérive de prémisses purement logiques et n’utilise que des
concept définissables en termes de logique »9. Dès lors, comme
l’écrit Moore dans un article de 1899 : « on ne peut pas définir
le genre de relation qui rend une proposition vraie, une autre
fausse, on ne peut que la reconnaître immédiatement »10. Bref,
nous ne jugeons pas de la vérité d’une proposition car celle-ci
est analytique dans le sens où notre esprit est en relation avec
les entités mathématiques de la manière la plus directe, la plus
intuitive qui soit.
Même s’il reconnaît que « la Première Guerre mondiale
devait [lui] rendre impossible de vivre dans un monde
d’abstractions »11, Russell va néanmoins conserver des traces
indélébiles des préoccupations épistémiques de sa première
philosophie, préoccupations qui apparaissent clairement dans
l’annonce du deuxième objectif des Principles of Mathematics
et qui est « d’expliquer les concepts fondamentaux que la ma-
thématique admet comme indéfinissables, [ce qui] est un effort
pour voir et pour faire voir aux autres clairement ces entités de
façon que l’esprit puisse en avoir cette sorte de connaissance
directe que l’on a du rouge ou du goût de l’ananas, […] les indé-
finissables sont essentiellement obtenus en tant que résidu né-
8 ibid., §1, p.21
9 My Philosophical Development, VII., trad.fr. p.93
10 The Nature of Judgment, in Jacob 1982 p.40
11 My Philosophical Development, XVII., trad.fr. p.266
– 5 –
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