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Communication
Prémices pour une ethnoscénographie filmée de performances d'acteurs:
l'exemple du kutiyattam du Kerala
< An audiovisual ethnographic document for studying the Kutiyattam theater
of Kerala >
Virginie JOHAN
Doctorante, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III
2ème Congrès du Réseau Asie / 2nd Congress of Réseau Asie-Asia Network
28-29-30 sept. 2005, Paris, France
Centre de Conférences Internationales, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Fondation Maison
des Sciences de l’Homme
Thématique / Theme : Savoirs, milieux et sociétés / Knowledge, Milieu and Society
Atelier 31 / Workshop 31 : Vers une anthropologie esthétique ? Le cas des arts performatifs en
Asie : terrains et méthodes / Towards an aesthetic anthropology? The case of Asian performing
arts
© 2005 – Virginie JOHAN
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Introduction :
Le théâtre est « à voir et entendre », affirme le Traité de dramaturgie indienne (Nā
yaśāstra) qui,
aux alentours de notre ère, définit un théâtre total, au centre duquel il place l’acteur. Or, « [o]n peut
représenter un danseur par son corps en mouvement, le musicien par le
rapport de son corps à l’instrument, mais l’acteur ? Comment donner à
voir l’ajustement de son geste et de sa mimique à la parole, à la musique
et au chant ? » (BANSAT-BOUDON [1] : 57 et [2] : 206). Peut être en
filmant ? Dans ces prémices à une ethnoscénographie filmée de
performances d’acteurs1, j’interroge le cas du kūiyāṭṭam, théâtre ancestral
et vivant du Kerala, souvent considéré comme « le joyau du théâtre
classique indien »2. Quelle esthétique sous-tend réellement cette forme ?
Peut-on saisir une forme par le biais des représentations ? La recherche doit aussi procéder d’une
ethnographie des mémoires des hommes et des contextes dans lesquels se transmettent et
évoluent les savoirs, la « performance » être entendue au sens d’actualisation de compétences.
Interviennent, ensuite, la nécessité de la trace filmique, et les difficultés que celle-ci pose dans le
cas du kūiyāṭṭam. Il s’agit enfin de rendre compte de l’esthétique par l’outil audio-visuel :
l’organisation du Disque Vidéo Digital présenté et les partis pris de montage filmiques tendent-ils à
l’objectif ? Le résumé imagé d’une séquence de jeu (projetée lors de l’exposé) nous permettra
aussi d’analyser le protocole d’acteur au regard des données ethnographiques. Ces prémices-ci
en constitueront-ils d’autres, pour une, questionnée, anthropologie esthétique ?
I. Le kūiyāṭṭam : un « jeu avec » … :
L’esthétique du kūiyāṭṭam, théâtre dont le nom signifie en malayalam, la langue du Kerala, « jeu »
(āṭṭam), « avec » (kūi), joue avec :
1. les mémoires-savoirs des maîtres Cākyār :
Les cākyār sont acteurs-conteurs-danseurs. Descendants, selon eux, d’un conteur barde (sūta),
ils sont aussi porte cordeau ou directeur de scène (sūtradhāra), possesseur d’un savoir du théâtre
proche de celui défini dans le Nā
yaśāstra. Ils sont enfin danseurs, leur caste ayant été intégrée,
avec celles des percussionnistes nampyār et des actrices-cymbalistes naṅṅyār qui les
accompagnent en représentation, à celle, intermédiaire, des serviteurs de temples (apalavāsi) du
Kerala, probablement aux environs du 10èmes.3 : dans les temples, le kūiyāṭṭam est inscrit en tant
que danse (nttam) au tableau des offrandes. Les cākyār jouent de ces trois mémoires lorsqu’ils
représentent, sous diverses formes, les actes issus du répertoire dramatique sanskrit de l’Inde
ancienne.4
Tout cākyār acteur doit accomplir deux « premières
scènes » (araṅṅeṭṭam) qui actualisent plusieurs années
d’apprentissages. Ces premières performances ont lieu
dans un temple, parfois dans l’un des dix kūttampalam,
Théâtres de temple du Kerala, conçus pour le
kūiyāṭṭam (PANCHAL [13]). Pour sa première
performance en public, le jeune acteur incarne… un
acteur (le Sūtradhāra) — la scène est issue du prologue
du Bālacaritam de Bhāsa. Comme le suggère notre
photographie prise lors de la formation de Jiṣṇu (élève du maître
Kalāmaṇḍalam Rāma Cākyār5), l’acteur — « acteur d’acculturation » par excellence pour
l’anthropologie théâtrale (BARBA [3]) — doit se refaire une voix, un corps, et… un cœur, avant de
prétendre au costume du héros6. Cet acteur, distinct de l’homme, accueillera les personnages
futurs. Le personnage-acteur des premières représentations deviendra acteur-personnage dans
j
eune vidūaka
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« Prémices pour une ethnoscénographie filmée de performances d'acteurs: l'exemple du kutiyattam du Kerala »
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toutes les autres (le raccourci mériterait des développements qui ne peuvent s’établir ici) et la
distance entre l’acteur et son rôle restera omniprésente dans le jeu.
Dans sa seconde « première scène », le jeune acteur incarne un bouffon, le vidūaka, et déploie
un art de conteur foncièrement verbal. Ce « jeu du cākyār» (cākyār kūttu), consiste à bâtir, en
malayalam, avec érudition et humour, des histoires autour de strophes en sanskrit. Le répertoire
s’étoffe d’innombrables vers, issus des pièces, des épopées et d’autres sources.
Toute représentation s’ouvre par des danses propitiatoires où s’active la mémoire du danseur, qui
forme également le corps-acteur lors des apprentissages.
Ces premières scènes montrent que les acteurs de kūiyāṭṭam
maîtrisent au moins deux formes qui relèvent, à priori, pour l’une,
d’une tradition dramatique et d’un jeu codifié, pour l’autre, du style
épique et de la verve pure. Au sens strict, le kūiyāṭṭam est
dramatique : représentation d’un acte d’une pièce devenu mini-drame
à part entière, il s’interprète, d’une part comme « jeu collectif »
d’acteurs (parfois d’actrices) et de musiciens (au minimum un joueur
de tambour miāvu et une femme cymbaliste), et d’autre part comme « jeu combiné », codifié,
déployé selon un protocole complexe.
Agulīyākam kūttu au
temple de Guruvayur
Mais l’esthétique du kūiyāṭṭam, et chaque représentation, sont faites d’imbrications et
d’enchevêtrements, au niveau de la dramaturgie et du jeu, des différentes mémoires (qui
correspondent à des apprentissages) de l’acteur. Elle mêle, en particulier, les styles dramatique et
épique auxquels les acteurs sont formés. Certains kūttu, inspirés d’actes de pièces, qui incluent un
kūiyāṭṭam7, témoignent de ce type d’imbrications que l’on décèlera ici dans le kūiyāṭṭam
proprement dit.
Si l’on se réfère à la définition de BRECHT [4] selon laquelle l’une des caractéristiques de l’épopée
est de se laisser découper en parties, le fait de jouer des actes séparés « épiserait » déjà le
théâtre. La structure dramaturgique des représentations de kūiyāṭṭam dans les temples montre en
outre qu’un conte est inclus dans le drame.8
Pour les actes ramaïques, le premier jour, le premier personnage de l’acte entre (1. puappāu°) et
amorce le drame en exposant la situation initiale. Il profère quelques répliques mais laisse le texte
en suspend. Le lendemain commence l’extrapolation (nirvahaam), retour en arrière ou « flash
back ». Un conteur, semblable au personnage en apparence, entre en scène : il remonte le temps
par des questions rétroactives (2.a), résume les évènements lointains (2b.), puis se lance dans
une longue extension (2.c) où il narre le contexte de l’acte, uniquement par gestes, sur le modèle
du kūttu gestuel (voir note 7). Au bout de plusieurs nuits, il parvient à la situation initiale : le
kūiyāṭṭam commence, les personnages semblent sortir du conte (schéma 1).
Les phénomènes d’arrêt du temps du drame et de retour en arrière apparaissent également dans
la structure interne de la représentation : quand le conteur imbrique différents récit à l’intérieur de
sa trame principale, et quand les personnages profèrent des strophes contenant descriptions,
métaphores, allusions, appelant une courte extrapolation (schéma 2). Le phénomène prend alors
la forme de séquences de jeu , solo d’acteur-peintre que nous expliquerons plus en détail.
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1
2
3. ACTE
(kūiyāṭṭam)
3. ACTE
(kūiyāṭṭam) acteurs-
p
ersonnage
s
acteurs-personnage
s
1. Entrée
(puappāu°)
1. Entrée
(puappāu°)
2.Extrapolation
(nirvahaam)
2.Extrapolation
(nirvahaam)
a. questions
acteur
-
conteu
r
acteur-conteu
r
c. extension
b. résumé
La dramaturgie décrite constituera la base de notre réflexion sur l’image. Il convient d’ajouter
qu’elle joue aussi avec :
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2. différentes conditions de productions
Depuis les années 50, le kūiyāṭṭam se donne également sur des scènes profanes, locales et
mondiales. Il est mené par trois troupes, qui incluent des acteurs non cākyār. Dans ces
représentations, le kūttu interne disparaît au profit du seul jeu de l’acte : « un kūiyāṭṭam en
capsule » (selon l’expression de Kalāmaṇḍalam Rāma Cākyār), réalisé en quelques heures. Le jeu
conserve cependant ses séquences de solo d’acteur.
La présence de ceux-ci s’éclaire aussi à la lumière des flammes de la lampe à huile : symbolisant
Agni, dieu porteur d’offrande, elles véhiculent le théâtre aux dieux certes, mais diffusent
concrètement un éclairage à peine suffisant pour distinguer un seul acteur… En outre, les
serviteurs de temple que sont les cākyār reçoivent un salaire maigre, qu’ils partagent avec leurs
acolytes musiciens : selon eux, jouer seul plusieurs rôles permet aujourd’hui d’optimiser la
rémunération.
Concluons en rappelant que l’esthétique théâtrale s’élabore aussi en fonction :
3. des performances aussi uniques que ne le sont chaque contexte et chaque acteur
Chaque famille de cākyār (il en reste aujourd’hui sept), chaque cākyār, mais aussi chaque acteur,
actrice, artiste, qu’il soit issu ou non des castes maîtresses, participe au développement de son
art. Telle est aussi « l’épopée »… du théâtre! (MNOUCHKINE [11]).
La représentation, actualisation momentanée et participante d’une esthétique sous-tendue par les
facteurs humains (motivations, mémoires, apprentissages) et les contextes, peut devenir objet
d’étude.
II / Nécessités et limites de la trace filmique
1. L’insuffisance des textes
Les fondements théoriques du Traité font partie de « la mémoire de
l’acteur ». On peut y référer pour étudier la dramaturgie et le jeu. Les
chercheurs panindiens considèrent le kūiyāṭṭam sous ce prisme (ex :
KUNJUNI RAJA [10], RAGHAVAN [17], UNNI [20]) : le répertoire, les
scènes (kūttampalam), le jeu codifié et le protocole, et surtout l’objectif
qui est de développer les saveurs esthétiques, rasa, peuvent en effet
s’analyser au regard des aphorismes. Mais l’on sèche sur l’aspect
épique. Pour toucher à ce point sensible, on peut référer aux manuels
de jeu et de production des acteurs (āṭṭaprakāram et kramadīpikā). Transmis dans les familles de
cākyār, ils consignent, en malayalam, instructions de jeu, strophes et textes (sous-textes) des
kūttu. Les érudits locaux se dédient à leur publication (ex : PISAROTHI [15], RAJAGOPALAN
[18]). Mais, les textes, pour le chercheur en théâtre qui travaille sur une forme vivante, c’est la
partition de l’ethnomusicologue, la recette de cuisine posée dans l’assiette du gastronome. Ils
permettent d’affiner l’étude, mais les termes techniques qui les truffent ne s’éclairent qu’en jeu, en
jeux, qui sont eux à saisir en pratiquant soi-même, en observant les apprentissages, et en
représentation.
Plusieurs générations
du même manuel,
dans la famille Paikuam
2. Un corpus filmique en devenir, à l’infini…
Les premiers films de kūiyāṭṭam, tournés dans les années 80,
« immortalisent » (jusqu’à prochaine dégradation des VHS) plusieurs
démonstrations de grands maîtres9. Ils appartiennent aux familles et à
la Sangeet Natak Academi de Delhi. Le centre étatique (sans doute
intellectuellement mais aussi politiquement motivé par « le seul théâtre
sanskrit du monde »…) a créé un fond audio-visuel important sur le
kūiyāṭṭam10. Depuis 1995, le relais documentaire revient au
Département d’Indologie de l’Université allemande de Würzburg,
Paikuam Rāma Cākyār,
Māi Mādhava Cākyār,
Ammannūr Mādhava Cākyār,
trois grands maîtres du 20es.
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