2. différentes conditions de productions
Depuis les années 50, le kūṭiyāṭṭam se donne également sur des scènes profanes, locales et
mondiales. Il est mené par trois troupes, qui incluent des acteurs non cākyār. Dans ces
représentations, le kūttu interne disparaît au profit du seul jeu de l’acte : « un kūṭiyāṭṭam en
capsule » (selon l’expression de Kalāmaṇḍalam Rāma Cākyār), réalisé en quelques heures. Le jeu
conserve cependant ses séquences de solo d’acteur.
La présence de ceux-ci s’éclaire aussi à la lumière des flammes de la lampe à huile : symbolisant
Agni, dieu porteur d’offrande, elles véhiculent le théâtre aux dieux certes, mais diffusent
concrètement un éclairage à peine suffisant pour distinguer un seul acteur… En outre, les
serviteurs de temple que sont les cākyār reçoivent un salaire maigre, qu’ils partagent avec leurs
acolytes musiciens : selon eux, jouer seul plusieurs rôles permet aujourd’hui d’optimiser la
rémunération.
Concluons en rappelant que l’esthétique théâtrale s’élabore aussi en fonction :
3. des performances aussi uniques que ne le sont chaque contexte et chaque acteur
Chaque famille de cākyār (il en reste aujourd’hui sept), chaque cākyār, mais aussi chaque acteur,
actrice, artiste, qu’il soit issu ou non des castes maîtresses, participe au développement de son
art. Telle est aussi « l’épopée »… du théâtre! (MNOUCHKINE [11]).
La représentation, actualisation momentanée et participante d’une esthétique sous-tendue par les
facteurs humains (motivations, mémoires, apprentissages) et les contextes, peut devenir objet
d’étude.
II / Nécessités et limites de la trace filmique
1. L’insuffisance des textes
Les fondements théoriques du Traité font partie de « la mémoire de
l’acteur ». On peut y référer pour étudier la dramaturgie et le jeu. Les
chercheurs panindiens considèrent le kūṭiyāṭṭam sous ce prisme (ex :
KUNJUNI RAJA [10], RAGHAVAN [17], UNNI [20]) : le répertoire, les
scènes (kūttampalam), le jeu codifié et le protocole, et surtout l’objectif
qui est de développer les saveurs esthétiques, rasa, peuvent en effet
s’analyser au regard des aphorismes. Mais l’on sèche sur l’aspect
épique. Pour toucher à ce point sensible, on peut référer aux manuels
de jeu et de production des acteurs (āṭṭaprakāram et kramadīpikā). Transmis dans les familles de
cākyār, ils consignent, en malayalam, instructions de jeu, strophes et textes (sous-textes) des
kūttu. Les érudits locaux se dédient à leur publication (ex : PISAROTHI [15], RAJAGOPALAN
[18]). Mais, les textes, pour le chercheur en théâtre qui travaille sur une forme vivante, c’est la
partition de l’ethnomusicologue, la recette de cuisine posée dans l’assiette du gastronome. Ils
permettent d’affiner l’étude, mais les termes techniques qui les truffent ne s’éclairent qu’en jeu, en
jeux, qui sont eux à saisir en pratiquant soi-même, en observant les apprentissages, et en
représentation.
Plusieurs générations
du même manuel,
dans la famille Paiṅkuḷam
2. Un corpus filmique en devenir, à l’infini…
Les premiers films de kūṭiyāṭṭam, tournés dans les années 80,
« immortalisent » (jusqu’à prochaine dégradation des VHS) plusieurs
démonstrations de grands maîtres9. Ils appartiennent aux familles et à
la Sangeet Natak Academi de Delhi. Le centre étatique (sans doute
intellectuellement mais aussi politiquement motivé par « le seul théâtre
sanskrit du monde »…) a créé un fond audio-visuel important sur le
kūṭiyāṭṭam10. Depuis 1995, le relais documentaire revient au
Département d’Indologie de l’Université allemande de Würzburg,
Paiṅkuḷam Rāma Cākyār,
Māṇi Mādhava Cākyār,
Ammannūr Mādhava Cākyār,
trois grands maîtres du 20es.
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Virginie JOHAN - 4