Troubles gastro-duodénaux

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Troubles gastro-duodénaux
● F. Zerbib*
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■ La dyspepsie fonctionnelle regroupe des symptômes présumés d’origine digestive haute sans anomalie organique
retrouvée, notamment à l’endoscopie.
■ Les deux sous-groupes principaux sont la dyspepsie
motrice et la dyspepsie pseudo-ulcéreuse mais l’intérêt de
cette classification reste à démontrer en clinique.
■ L’infection à H. pylori ne doit pas être recherchée systématiquement.
■ Il n’existe pas d’anomalie sécrétoire ou motrice caractéristique. Une hypersensibilité à la distension est fréquente
mais non spécifique de la dyspepsie.
■ Aucun traitement médical n’a fait la preuve de son efficacité. La prise en charge psychologique est importante dans
les formes sévères.
quotidienne mais aussi en recherche clinique. Dans le groupe des
troubles fonctionnels gastro-duodénaux ont été identifiés trois
sous-groupes (tableau I) : la dyspepsie fonctionnelle, l’aérophagie, et les vomissements fonctionnels.
Tableau I. Classification des troubles fonctionnels gastro-duodénaux.
B. TROUBLES FONCTIONNELS GASTRO-DUODÉNAUX
B1. Dyspepsie fonctionnelle
– B1a. Dyspepsie pseudo-ulcéreuse
– B1b. Dyspepsie motrice
– B1c. Dyspepsie non spécifique
B2. Aérophagie
B3. Vomissements fonctionnels
LA DYSPEPSIE FONCTIONNELLE
* Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Saint-André, Bordeaux.
Définition
Dans la littérature anglo-saxonne, les manifestations cliniques
attribuées à la sphère gastro-duodénale sont fréquemment regroupées sous le terme de “dyspepsia”, que des investigations complémentaires aient été réalisées ou non, ce qui implique que
certains patients peuvent avoir une maladie organique gastroduodénale, en particulier une maladie ulcéreuse gastro-duodénale. En l’absence d’anomalie organique décelable par les examens complémentaires usuels, les termes de “dyspepsie
fonctionnelle”, “dyspepsie non ulcéreuse”, “dyspepsie idiopathique” ou “dyspepsie essentielle” ont été employés, regroupant
des familles de symptômes souvent mal définies, variables selon
les équipes et les groupes d’experts qui ont tenté d’harmoniser
les définitions de cette entité clinique.
La définition de la dyspepsie proposée par Rome II est la suivante : douleur ou inconfort centré sur la partie haute de l’abdomen. Il est parfois difficile de faire préciser à un patient si les
symptômes qu’il rapporte relèvent plus de la douleur que de l’inconfort car il s’agit de notions subjectives dont l’appréciation peut
varier en fonction des individus. L’inconfort abdominal peut être
caractérisé par une sensation de satiété précoce, de digestion lente,
de pesanteur ou de ballonnement épigastrique. Des nausées ou
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La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IV - juin 2001
ans la population générale, la prévalence des symptômes digestifs attribués à la sphère gastroduodénale est très élevée. Si l’on exclut les symptômes
typiques de reflux gastro-œsophagien (RGO), la prévalence de
ces manifestations est de l’ordre de 25 %, ce chiffre regroupant
des situations très variables en termes de sévérité et de fréquence,
et même de pathologie puisqu’un sous-groupe de patients peut
présenter une maladie organique avérée (ulcère gastro-duodénal,
pathologie pancréatique, etc.) (1).
La classification de Rome II permet d’établir des critères diagnostiques simples des troubles fonctionnels digestifs, gastroduodénaux en particulier, applicables non seulement en pratique
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des efforts improductifs de vomissements peuvent également être
intégrés dans cette définition.
Le pyrosis et les régurgitations acides ont été exclus de la définition de la dyspepsie car ces symptômes sont très spécifiques du
RGO lorsqu’ils sont prédominants (2). Ils peuvent néanmoins être
associés à d’authentiques symptômes de dyspepsie. Les brûlures
épigastriques isolées, c’est-à-dire sans le caractère ascendant du
pyrosis, posent toujours problème, car si elles peuvent témoigner
d’un authentique RGO, on ignore leur spécificité.
Les critères diagnostiques de la dyspepsie fonctionnelle sont rappelés dans le tableau II. Outre les symptômes de dyspepsie, l’absence de pathologie organique décelée en endoscopie et le caractère chronique et/ou récidivant des symptômes sont intégrés dans
la définition. Le choix des 12 semaines sur une période de 12
mois est purement arbitraire, et a pour principal objectif de standardiser autant que possible les critères d’inclusion dans les essais
cliniques. L’endoscopie est le seul examen considéré comme
indispensable au diagnostic, sous réserve que celle-ci ait été effectuée à distance de toute prise de traitement antisécrétoire. Enfin,
s’il existe incontestablement des formes “frontières” ou des associations entre dyspepsie fonctionnelle et syndrome de l’intestin
irritable, la définition de la dyspepsie fonctionnelle exclut les cas
où les symptômes sont étroitement associés aux modifications du
transit intestinal.
Classification en sous-groupes
Le principe de proposer une classification de la dyspepsie fonctionnelle en sous-groupes est largement débattu. En fonction du
symptôme prédominant, la dyspepsie fonctionnelle peut être séparée en dyspepsie pseudo-ulcéreuse, dyspepsie motrice ou dyspepsie non spécifique (tableau II). Cette classification en sousgroupes ne signifie pas que les patients souffrant de dyspepsie
pseudo-ulcéreuse ont ou ont eu un ulcère, ni que ceux souffrant
de dyspepsie motrice présentent des troubles moteurs. De nombreuses études ont montré qu’il n’y avait pas de corrélation étroite
entre les symptômes et les anomalies physiopathologiques mises
en évidence (1). Toutefois, il a été suggéré récemment que le
symptôme “satiété précoce” était étroitement associé à un trouble
de l’accommodation gastrique postprandiale (3) et que des symptômes tels que la plénitude gastrique et les vomissements étaient
associés à un retard de la vidange gastrique s’ils étaient suffisamment sévères (4). Cette classification en sous-groupes pourrait également aider à la prise en charge thérapeutique, le choix
du traitement étant fondé sur le symptôme prédominant. Ainsi,
les patients avec dyspepsie pseudo-ulcéreuse répondraient mieux
au traitement par antisécrétoires que les patients non douloureux
(5). Toutefois, une étude contre placebo n’a pas mis en évidence
d’efficacité des prokinétiques ou des antisécrétoires en fonction
du symptôme dyspeptique prédominant (6). Au total, l’utilité de
cette classification en sous-groupes en fonction du symptôme prédominant reste à démontrer.
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Tableau IIB. Critères diagnostiques de la dyspepsie fonctionnelle (B1).
Au cours des 12 mois précédents, pendant au moins
12 semaines non nécessairement consécutives :
– Dyspepsie persistante ou récidivante (douleur ou inconfort,
centrés sur la partie supérieure de l’abdomen).
– Absence de maladie organique (y compris en endoscopie
digestive haute) susceptible d’expliquer les symptômes.
– Dyspepsie dont les symptômes ne sont pas exclusivement
soulagés par la défécation ou associés à une modification
de la consistance ou de la fréquence des selles (pas d’intestin irritable).
Sous-groupes de dyspepsie fonctionnelle :
–B1a Dyspepsie pseudo-ulcéreuse : le symptôme prédominant est la douleur centrée sur la partie supérieure
de l’abdomen.
–B1b Dyspepsie motrice : le symptôme prédominant est une
sensation non douloureuse mais désagréable ou gênante
(inconfort) centrée sur la partie supérieure de l’abdo
men ; cette sensation peut être caractérisée par ou
associée à une sensation de plénitude gastrique, de
satiété précoce, de ballonnement ou des nausées.
–B1c Dyspepsie non spécifique : patients dont les symptômes ne correspondent pas aux critères de dyspepsie
pseudo-ulcéreuse ou de dyspepsie motrice.
Examens complémentaires
Nous avons rappelé que l’endoscopie était considérée comme
l’examen le plus performant pour éliminer l’éventualité d’une
pathologie organique chez un patient présentant des symptômes
dyspeptiques. La place du transit œsogastro-duodénal et de
l’échographie abdominale est plus limitée en cas de symptômes
dyspeptiques typiques. Tout le problème est de définir le sousgroupe de patients susceptibles de bénéficier de l’endoscopie. Il
est classique de proposer l’endoscopie aux patients dont les symptômes ne sont pas soulagés par les traitements de première intention ou en cas de symptômes d’alarme tels qu’une dysphagie, une
anémie, une altération de l’état général, des vomissements, des
signes d’hémorragie digestive. L’endoscopie est recommandée
également chez les patients de plus de 50 ans. C’est dans ces situations que la probabilité de mettre en évidence une pathologie organique est la plus importante (1). Le développement des tests non
invasifs pour le diagnostic de l’infection par Helicobacter pylori
(H. pylori) a permis de proposer des stratégies diagnostiques et
thérapeutiques un peu différentes. Ces stratégies reposent sur le
fait que, en l’absence de prise concomitante d’AINS, la probabilité de mettre en évidence une maladie ulcéreuse chez un patient
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H. pylori négatif est très faible. Ainsi, chez un sujet jeune sans
signe d’alarme l’American Gastroenterological Association (1),
comme d’autres sociétés savantes, propose une stratégie test and
treat ou “tester et traiter” qui consiste en un traitement d’éradication en cas de sérologie positive pour H. pylori. En cas de pathologie ulcéreuse liée à H. pylori, les symptômes doivent disparaître. En l’absence d’efficacité du traitement ou si la sérologie
de H. pylori est négative, une endoscopie est recommandée. En
France, la stratégie “tester et traiter” n’est pour l’instant pas
recommandée par la conférence de consensus consacrée à
H. pylori.
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terme des applications en thérapeutique. Toutefois, à l’heure
actuelle, si les connaissances dans le domaine de la sensibilité
viscérale s’accumulent, nous ne disposons d’aucun traitement
capable d’agir spécifiquement sur la sensibilité viscérale au cours
des troubles fonctionnels digestifs.
Le rôle de la gastrite associée à H. pylori dans la pathogénie de
la dyspepsie fonctionnelle est encore largement débattu. Sur le
plan physiopathologique, l’infection par H. pylori n’a été associée ni à une hypersensibilité viscérale, ni à un trouble moteur
gastro-duodénal particulier. Sur le plan clinique, si l’infection
aiguë par H. pylori peut être à l’origine de symptômes, aucun profil symptomatique n’a été associé à l’infection par H. pylori. Enfin,
sur le plan thérapeutique, la plupart des essais cliniques randomisés n’ont pas mis en évidence d’effet bénéfique de l’éradication de H. pylori sur l’évolution des symptômes de dyspepsie
fonctionnelle (9, 10). On estime que 10 à 20 % des patients seulement pourraient tirer bénéfice d’un traitement éradicateur comparé au placebo (11), mais aucun facteur prédictif de réponse au
traitement n’a encore été identifié.
Physiopathologie
La physiopathologie de la dyspepsie fonctionnelle peut faire intervenir de très nombreux facteurs, parfois associés. Longtemps au
premier plan, le rôle de la sécrétion acide gastrique est probablement limité car il n’y a pas d’anomalie significative de la sécrétion gastrique chez les patients dyspeptiques. Toutefois, les antisécrétoires sont parfois efficaces, comme l’a montré une étude
récente avec l’oméprazole, mais le bénéfice symptomatique est
modeste et on ne peut exclure que certains patients aient en réalité des symptômes liés à un RGO (5). Les troubles moteurs
gastroduodénaux au cours de la dyspepsie fonctionnelle sont
essentiellement représentés par la gastroparésie, mise en évidence
chez environ 50 % des patients dyspeptiques, sans corrélation
étroite avec la présentation symptomatique. Plus récemment, les
troubles de l’accommodation de l’estomac proximal ont été caractérisés (3) à l’aide d’outils comme le barostat électronique ou
l’échographie. Ce trouble moteur pourrait représenter une nouvelle cible thérapeutique comme l’ont montré les études utilisant
les agonistes des récepteurs de la sérotonine de type 5-HT1 tels
que le sumatriptan (3).
Incontestablement, ce sont les troubles de la perception viscérale
et la controverse à propos de H. pylori qui ont le plus mobilisé
les efforts de recherche clinique et préclinique à travers le monde.
L’hypersensibilité à la distension gastrique et duodénale est
mise en évidence chez environ la moitié des patients présentant
des symptômes de dyspepsie fonctionnelle (7). Cette hypersensibilité viscérale peut d’ailleurs être révélée à d’autres niveaux
du tube digestif (rectum, œsophage), alors que la sensibilité somatique de ces patients est normale. Les anomalies de perception
viscérale peuvent être associées à des troubles moteurs, mais ne
sont pas liées à un trouble de la compliance de la paroi gastrique.
Les mécanismes impliqués dans l’hypersensibilité viscérale sont
encore largement méconnus ; ils peuvent intervenir à tous les
niveaux d’intégration du message afférent (récepteurs pariétaux,
système nerveux intrinsèque, système nerveux central, etc.). Le
rôle des neuropeptides et d’hormones peptidiques comme la sérotonine ou la cholécystokinine dans le contrôle des sensations postprandiales a été mis en évidence dans plusieurs études physiologiques et pharmacologiques (8), ce qui peut laisser entrevoir à
Traitement
Le nombre important des traitements proposés dans la dyspepsie
fonctionnelle témoigne de l’absence de traitement réellement
satisfaisant. L’analyse des essais cliniques publiés dans la littérature montre que l’effet placebo est très important dans cette
pathologie.
Les mesures hygiéno-diététiques peuvent être utiles en particulier en cas de symptômes postprandiaux dans les dyspepsies
motrices. Si la restriction concernant les aliments riches en
graisses est fréquemment suggérée, le fractionnement des repas
peut aussi s’avérer efficace pour soulager des symptômes parfois
très invalidants qui peuvent dans certains cas retentir sur l’état
nutritionnel du patient. La suppression du tabac, de l’alcool et des
AINS est souvent proposée sans pour autant que l’efficacité de
ces mesures ait réellement été démontrée.
Les antiacides et les anti-H2 n’ont pas fait la preuve formelle
de leur efficacité dans des études contrôlées. Le rôle des inhibiteurs de la pompe à protons est discuté. En effet, deux études
randomisés ont montré un effet modeste mais significatif du traitement par oméprazole sur les symptômes de dyspepsie fonctionnelle (5, 12). Ces effets seraient plus marqués chez les patients
infectés par H. pylori en raison d’une inhibition plus importante
de la sécrétion acide (12).
L’utilisation des prokinétiques peut se concevoir chez les patients
présentant des symptômes de dyspepsie motrice, car ces composés sont supposés accélérer la vidange gastrique. Néanmoins, nous
avons rappelé qu’il n’y avait pas de corrélation étroite entre les
troubles moteurs mis en évidence et la présentation symptomatique des patients. Le métoclopramide et le dompéridone semblent supérieurs au placebo dans le traitement de la dyspepsie
fonctionnelle, mais les études sont relativement anciennes et peu
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nombreuses. L’utilisation du métoclopramide est limitée par ses
effets secondaires centraux tels que la somnolence ou les manifestations extrapyramidales. Le dompéridone est un antidopaminergique périphérique, ne franchissant pas la barrière hématoencéphalique et donc dénué d’effets secondaires centraux. Le
cisapride est un agoniste des récepteurs de la sérotonine de type
5-HT4 qui stimule la motricité gastro-intestinale en facilitant la
libération d’acétylcholine au niveau des neurones postganglionnaires des plexus myentériques du tube digestif. Les
effets du cisapride sur la vidange gastrique sont bien établis. Son
efficacité dans le traitement de la dyspepsie fonctionnelle a été
confirmée dans une méta-analyse récente (13), mais le mode d’action de ce composé n’est pas clair car les résultats cliniques ne
sont pas corrélés à l’effet sur la vidange gastrique. Il a été suggéré que le cisapride pourrait accentuer l’accommodation fundique postprandiale (14), cet effet pouvant participer à l’amélioration des symptômes dyspeptiques chez les patients dont
l’accommodation fundique serait réduite. Du fait du risque cardiaque du cisapride (allongement de l’espace QT, torsades de
pointes), l’AMM du cisapride est limitée aux troubles de la
vidange gastrique prouvés par scintigraphie et non améliorés par
les autres thérapeutiques. Enfin, l’érythromycine, qui est un agoniste de la motiline, a des effets clairement démontrés sur la
vidange gastrique mais son utilité dans la prise en charge de la
dyspepsie fonctionnelle n’a jamais pu être démontrée, en partie
à cause de sa mauvaise tolérance. Il en est de même pour un autre
agoniste de la motiline récemment développé, qu’il y ait ou non
un ralentissement de la vidange gastrique (15).
De nombreuses autres classes pharmacologiques ont été testées
dans le traitement de la dyspepsie fonctionnelle : les agonistes
kappa des récepteurs opioïdes (fédotozine), les antagonistes
5-HT3 de la sérotonine (ondansétron), les antidépresseurs tricyliques (amitryptiline), les analogues retards de la somatostatine
(octréotide). Les résultats obtenus avec ces traitements n’ont jusqu’à présent pas été suffisamment probants ou sont encore en
cours d’évaluation.
En l’absence de stratégie ayant fait la preuve d’une meilleure efficacité, les cliniciens doivent donc aborder le traitement de la dyspepsie de manière pragmatique, en proposant en première intention
un traitement en fonction du symptôme prédominant : des prokinétiques pour les dyspepsies motrices et des antisécrétoires ou antiacides pour les dyspepsies pseudo-ulcéreuses. En cas d’échec de ces
traitements de première intention, l’autre classe thérapeutique peut
être proposée. Pour ce qui concerne l’infection par H. pylori, aucune
recommandation solide ne peut être proposée aujourd’hui. L’indication d’un traitement d’éradication doit être discutée au cas par cas,
chez un patient bien informé des résultats que l’on peut en attendre.
Enfin, il est important de tenir compte des facteurs psychologiques
dans la prise en charge des patients souffrant de dyspepsie fonctionnelle, qui peuvent dans certains cas relever d’une psychothérapie
dont l’efficacité a été suggérée par une étude récente (16).
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L’AÉROPHAGIE
L’aérophagie est un terme fréquemment utilisé par les patients en
France, le plus souvent pour désigner une distension abdominale.
Il s’agit en fait d’un syndrome assez rare, dont on connaît mal
l’épidémiologie. L’aérophagie est définie selon les critères de
Rome II par des éructations répétées et gênantes liées à la déglutition d’air. Les éructations seules n’ont rien de pathologique mais
l’association à des déglutitions répétées d’air, qui doivent être
observées par le médecin, témoigne du caractère pathologique du
syndrome. L’origine de ce trouble n’est pas claire : il ne semble
pas exister de trouble moteur œsogastrique spécifique ni de pathologie psychiatrique sous-jacente. Il n’est pas exclu qu’il s’agisse
simplement d’une mauvaise habitude prise pour soulager des
symptômes, comme par exemple le météorisme abdominal. Le
traitement de ce syndrome fait appel au bon sens : explication des
symptômes, et réassurance, règles hygiéno-diététiques simples
(repas pris lentement, éviction des chewing-gums et boissons
gazeuses, etc.), tranquillisants dans les cas les plus invalidants.
La psychothérapie peut être utile si une maladie psychiatrique
associée est suspectée.
LES VOMISSEMENTS FONCTIONNELS
Le vomissement est un symptôme extrêmement fréquent dans la
population générale, qui peut être dû à d’innombrables causes.
Les vomissements fonctionnels définis selon Rome II (tableau
III) sont beaucoup plus rares, même si l’on ignore tout de l’épidémiologie de cette affection.
Si les régurgitations, les phénomènes de rumination ou les
troubles du comportement alimentaire peuvent être rapidement
éliminés, le diagnostic positif de “vomissement fonctionnel” est
parfois difficile. Les examens de routine (endoscopie, transit du
grêle, TDM abdominale) doivent éliminer un obstacle organique
sur le tube digestif. Un trouble fonctionnel comme une gastro-
Tableau III. Critères diagnostiques des vomissements fonctionnels (B3).
Au cours des 12 mois précédents, pendant au moins
12 semaines non nécessairement consécutives :
– Épisodes fréquents de vomissements survenant au moins
3 jours différents en une semaine sur une période de
3 mois.
– Absence d’élément en faveur d’un trouble du comportement
alimentaire, de rumination, ou de pathologie psychiatrique
grave selon le DSM IV.
– Absence de vomissements provoqués ou secondaires à des
prises médicamenteuses.
– Absence d’anomalie digestive, du système nerveux central,
ou métabolique pouvant expliquer les vomissements.
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parésie, voire une pseudo-obstruction intestinale doit ensuite être
recherché par les examens appropriés (scintigraphie gastrique,
manométrie antro-duodénale). Enfin, des désordres métaboliques,
une pathologie psychiatrique doivent aussi être éliminés avant de
porter le diagnostic positif de vomissements fonctionnels.
La physiopathologie de cette affection est totalement inconnue.
Il n’y a aucune évidence dans la littérature d’association à une
pathologie psychiatrique latente ou non.
La prise en charge thérapeutique fait appel aux mesures d’assistance nutritionnelle en cas de besoin, aux traitements anti-nauséeux classiques mais qui sont habituellement inefficaces, parfois aux antidépresseurs ou à la psychothérapie.
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CONCLUSION
Comme toutes les classifications, la classification de Rome II est
imparfaite. Elle offre l’avantage d’être simple à utiliser en routine et surtout dans les essais cliniques. Son élaboration a été l’occasion de faire le point sur la physiopathologie et le traitement
des troubles fonctionnels gastro-duodénaux. Pour résumer, si le
problème de l’infection à H. pylori reste entier, les progrès les
plus significatifs dans le domaine de la dyspepsie fonctionnelle
résident dans la mise en évidence de l’hypersensibilité viscérale
à la distension et des troubles de l’accommodation gastrique. Malheureusement, l’identification de ces nouvelles cibles thérapeutiques potentielles n’a pas, pour l’instant, été accompagnée de
progrès significatifs dans la prise en charge thérapeutique de cette
affection puisque notre arsenal thérapeutique reste globalement
le même qu’il y a dix ou quinze ans. L’exemple du syndrome de
l’intestin irritable pour lequel quelques nouveautés thérapeutiques
commencent à émerger doit nous faire garder l’espoir de voir
apparaître dans les prochaines années de nouveaux composés
actifs dans la dyspepsie fonctionnelle.
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