P H A R M A C O L O G I E Les récepteurs nicotiniques The nicotinic receptors ! M. Bourin* RÉSUMÉ. Les récepteurs nicotiniques sont constitués de cinq sous-unités arrangées autour d’un pseudo-axe de symétrie. Ils existent sous une grande variété de sous-types liée à la diversité des gènes codant les sous-unités. Parmi les nombreux sous-types de récepteurs nicotiniques exprimés dans le cerveau des mammifères, les types α4, β2 et α7 sont les plus souvent rencontrés ; ils sont à la fois pré- et postsynaptiques. Les récepteurs nicotiniques sont impliqués dans des fonctions cognitives complexes telles que l’attention, l’apprentissage, la consolidation de la mémoire, etc. Il existe des preuves que la perte des récepteurs nicotiniques est corrélée à la sévérité de la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, il semblerait que le peptide β-amyloïde module directement les récepteurs nicotiniques, permettant de penser que les modulateurs allostériques pourraient entrer en compétition avec ce peptide. Mots-clés : Récepteurs nicotiniques - Maladie d’Alzheimer - Sous-unités α - Peptide β-amyloïde. ABSTRACT. The nicotinic receptors are comprised of five sub-units arranged around a pseudo-axis of symmetry. A large variety of sub-types exist, linked to the diversity of genes coding sub-units. Among the numerous sub-types of nicotinic receptors expressed in the brain of mammals, types α4, β2, and α7 are the more often detected and are expressed both pre- and postsynaptically. The nicotinic receptors are implicated in complex cognitive functions such as attention, learning, memory foundation, etc. Evidence demonstrates that nicotinic receptor loss is correlated to the severity of Alzheimer’s disease. Also, it seems that the β-amyloid peptide directly modulates the nicotinic receptors, suggesting that allosteric modulators may compete with this peptide. Key-words : Nicotinic receptors - Alzheimer’s disease - α sub-units - β-amyloid peptide. L es récepteurs nicotiniques ont été les premiers récepteurs à être isolés et purifiés, bien avant que l’on ait pu le faire pour d’autres récepteurs. En effet, l’organe électrique du poisson torpille est formé d’amas de cellules électriques issues d’un tissu embryonnaire identique à celui du muscle squelettique, et qui est riche en récepteurs nicotiniques. La caractérisation des sous-types de récepteurs cholinergiques a été initialement fondée sur l’activité pharmacologique de deux alcaloïdes, la nicotine et la muscarine. Ainsi, la classification des récepteurs s’est établie bien avant que les structures chimiques de ces agonistes naturels ne soient déterminées. Les très grandes différences d’activité des antagonistes (l’atropine sur les récepteurs muscariniques, la d-tubocurarine sur les récepteurs nicotiniques) laissaient supposer l’existence de nombreux récepteurs. Il a été prouvé ultérieurement que tous les récepteurs nicotiniques n’étaient pas identiques. On distingue ainsi les récepteurs nicotiniques des synapses neuroneuronales, les récepteurs nicotiniques trouvés à la jonction neuromusculaire et les récepteurs du système nerveux central. * E.A.3256 “Neurobiologie de l’anxiété et de la dépression", faculté de médecine, BP 53508, 44035 Nantes Cedex. 114 STRUCTURE DU RÉCEPTEUR NICOTINIQUE Le récepteur nicotinique est constitué de cinq sous-unités arrangées autour d’un pseudo-axe de symétrie. Il appartient au groupe des récepteurs polymériques de la membrane plasmique incluant un canal ionique (hétéro-oligomère glycoprotéique transmembranaire). Ce groupe de récepteurs, outre les récepteurs nicotiniques, comprend les récepteurs A de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA A), les récepteurs 5-HT3 de la sérotonine, le récepteur de la glycine et les récepteurs des acides aminés excitateurs. Les récepteurs nicotiniques sont des éléments clés dans la transmission cholinergique, que ce soit au niveau de la jonction neuromusculaire des muscles striés, de la synapse des ganglions du système autonome périphérique, ou dans différentes régions du cerveau. Parmi les cinq sous-unités, une des sous-unités α est présente en double, alors que les trois sous-unités β, γ et δ sont présentes en simple (figure 1). Les gènes des différentes sous-unités sont portés par des chromosomes différents. Ainsi, le récepteur est un pentamère qui a une masse moléculaire d’environ 280 000. En microscopie électronique, il est visible comme une protéine transmembranaire de 11 nanomètres de long en forme de rosette de 8 nanomètres de diamètre. La cavité centrale est un canal ionique qui, au stade de repos, est imperméable aux ions ; son diamètre est d’environ 6,5 angströms. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 P H A R M A C O L O G I E Figure 1. Section sagittale du récepteur nicotinique. Figure 2. Organisation transmembranaire d’une sous-unité d’un récepteur nicotinique. Les récepteurs nicotiniques existent sous une grande variété de sous-types : cette hétérogénéité est due à la diversité des gènes codant pour les sous-unités des récepteurs. Seize gènes codant pour les sous-unités (α1 à α9, β1 à β9, γ, ε et δ), qui dérivent d’un ancêtre commun, ont été clonés chez les vertébrés. Seules les sous-unités α possèdent un pont disulfure entre les résidus cystéines du domaine N-terminal extracellulaire. Actuellement, la classification des récepteurs est fondée sur les propriétés pharmacologiques des différentes sous-unités, en fonction des caractéristiques structurales du complexe (essentiellement α et β). Les sous-unités ont cependant quelques traits structuraux communs : un domaine N-terminal important, quatre séquences transmembranaires putatives (M1-M4), une boucle intracellulaire de longueur variable dépendant de la sous-unité, rejoignant le troisième et le quatrième domaine transmembranaire (qui est très important pour la régulation des récepteurs), et une courte séquence extracellulaire C-terminale (figure 2). L’analyse de la séquence des acides aminés des sous-unités indique que les récepteurs nicotiniques peuvent être subdivisés en trois sous-familles. La première est formée des récepteurs nicotiniques des muscles squelettiques et de l’organe électrique du poisson torpille, qui a une composition α1, β1 γ1 et δ1 dans la forme fœtale et α1, β1, ε et δ1 dans la forme mature. Ces récepteurs nicotiniques sont sélectivement reconnus et bloqués par l’α-bungarotoxine isolée du venin de cobra. Les récepteurs nicotiniques neuronaux ont aussi une structure pentamérique formée de la combinaison de α2, α3, α4 et α6 avec des sousunités β2 ou β4 et quelquefois aussi des sous-unités α5 ou β3. La troisième sous-famille est constituée de récepteurs nicotiniques qui se lient à l’α-bungarotoxine et sont formés par les sous-unités α7, α8 ou α3. Le site de liaison de l’acétylcholine est situé dans le domaine extracellulaire N-terminal, à l’interface entre les sous-unités α et les autres types de sous-unités. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 Parmi les nombreux sous-types de récepteurs nicotiniques qui sont exprimés dans le cerveau des mammifères, les types α4, β2 et α7 sont les plus souvent rencontrés. Ils sont à la fois préet postsynaptiques (1). Le sous-type de récepteur α7 possède des propriétés très différentes de celles du récepteur α4-β2, notamment une sensibilité plus grande aux ions Ca++ ainsi qu’une désensibilisation très rapide, une activation par la choline et un blocage par l’α-bungarotoxine (figure 3). Figure 3. Représentation schématique du récepteur nicotinique α7. Localisation : système nerveux central (SNC), présynaptique. Fonction : régulation d’un canal Ca++ ; rapidement désensibilisé après stimulation par les agonistes ; stimule la libération d’acétylcholine, de glutamate, de sérotonine, de noradrénaline. 115 P H A R M A C O L O G I E Du fait de sa sensibilité à la choline, le récepteur de type α7 peut être chimiquement excité même après que l’acétylcholine ait été clivée par les cholinestérases. Le récepteur de type α7 peut ainsi répondre non seulement aux événements synaptiques, mais aussi au changement de volume dans les rapports de concentration entre l’acétylcholine et la choline. Une désensibilisation rapide du récepteur α7 et une période réfractaire appropriée peuvent être des prérequis à une réponse de type tardif. Du fait de sa perméabilité, le récepteur α7 peut produire des réponses métabotropiques dans la cellule excitée, ce qui inclut le contrôle par le Ca++ de la libération du transmetteur ainsi que la stimulation de la transcription du gène et celle de la biosynthèse protéique. Très récemment, les premières études électrophysiologiques des interneurones du cortex cérébral humain ont été publiées (2). Elles ont montré que les récepteurs nicotiniques α4-β2 et α7 sont localisés sur les régions somatodendritiques des interneurones humains, démontrant ainsi leur capacité à moduler la libération de GABA. Cela tend à prouver que les récepteurs nicotiniques pourraient être impliqués dans les mécanismes inhibiteurs et désinhibiteurs du cortex (figures 4, 5, 6, 7). ∆ Figure 6. Représentation schématique du récepteur nicotinique de sous-type α4-β2. Localisation : système nerveux central (SNC), préou postsynaptique. Fonction : peut être impliqué dans la migration neuronale durant le développement cérébral ; diminue dans le cortex cérébral dès le début de la maladie d’Alzheimer. Figure 7. Distribution des sous-unités dans les récepteurs nicotiniques selon leur localisation. Figure 4. Représentation schématique du récepteur nicotinique de sous-type α, β, γ et δ. Localisation : jonction neuromusculaire, postsynaptique. Fonction : contraction des muscles squelettiques. En conclusion, les sous-types de récepteurs α7 sont essentiellement présynaptiques, génèrent des courants Ca++ rapides, et participent à la libération du glutamate, de la 5-HT et de l’acétylcholine. Les récepteurs de sous-type α4-β2 sont pré- et postsynaptiques, et participent à la stimulation neuronale induite par l’acétylcholine. LOCALISATION DES RÉCEPTEURS NICOTINIQUES Figure 5. Représentation schématique du récepteur nicotinique de sous-type α, β X Y Z, où X, Y et Z sont δ γ α1 β1. Localisation : ganglions du système nerveux autonome (SNA), postsynaptique. Fonction : régulation du système nerveux autonome (SNA), favorise la libération des catécholamines des médullo-surrénales. 116 L’innervation cholinergique cérébrale s’effectue à partir de cinq régions majeures : " le cerveau antérieur basal, qui innerve le cortex et l’hippocampe ; " le diencéphale, qui donne naissance à des circuits locaux et innerve le cortex ; " le striatum, qui, lui aussi, donne naissance à des circuits locaux ; " le tronc cérébral, qui innerve le thalamus, le cerveau antérieur basal et le cortex cérébelleux ; " la moelle épinière qui innerve les muscles crâniens et les muscles somatiques ainsi que les glandes sécrétoires. Le système est largement interconnecté, conduisant à la coordination de l’excitabilité neuronale et à différents sous-systèmes cholinergiques (3). La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 P Les récepteurs nicotiniques sont essentiellement localisés dans plusieurs aires corticales, la substance grise périaqueducale, les noyaux gris centraux, le thalamus, l’hippocampe, le cervelet, la rétine (4). Le cortex contient les sous-unités α3, α4, β2 et β4, qui sont inégalement distribuées parmi les différentes couches. L’hippocampe contient les sous-unités α3, α4, α5, α7, β2, β3 et β4. Le cortex auditif contient les sous-unités α7. La rétine contient les sous-unités α2, α5, α6, α7, et β2. Le cortex occipital contient les sous-unités α2, α3, α4, α6, α7, α8, β3, β4 et β2. L’ensemble de ces travaux ont été effectués par Jones et al. (5) et Vailati et al. (6). Les sous-types de récepteurs ont une localisation pré- et postsynaptique dans le système nerveux (7). Il est possible que les récepteurs nicotiniques, dans les mêmes régions cérébrales, puissent être localisés sur différents domaines du neurone. Les connaissances actuelles de la distribution régionale des sous-types de neurones, qui sont essentiellement fondées sur les études d’hybridation in situ, sont encore insuffisantes pour définir les circuits neuronaux dans lesquels les récepteurs nicotiniques sont impliqués, et une immunolocalisation plus précise des différentes sous-unités est nécessaire. Il convient aussi d’étudier la localisation des sous-unités d’une manière plus critique, parce qu’il devient évident qu’elle varie dans le cerveau de différentes espèces animales ; par exemple, il n’y a pas de sous-unité α8 dans le cerveau humain, et les sous unités α3 et α5 sont différemment exprimées et localisées dans le cerveau des rongeurs et dans le cerveau humain (8). Une autre source de perplexité est la distribution non neuronale des récepteurs nicotiniques qui ont été trouvés dans les kératinocytes, les cellules musculaires, les tissus lymphoïdes et les cellules neurosécrétoires. Leur rôle dans ces tissus n’a pas été élucidé, mais un grand nombre d’hypothèses sont avancées quant à leur implication dans les conditions pathologiques. LES FONCTIONS DU RÉCEPTEUR NICOTINIQUE Depuis les tout débuts de la pharmacologie, on sait que les récepteurs nicotiniques jouent un rôle important dans la transmission ganglionnaire et contrôlent les fonctions du système nerveux autonome (9), mais leur rôle au niveau cérébral reste encore mal connu. On sait que les récepteurs nicotiniques sont impliqués dans des fonctions cognitives complexes et variées telles que l’attention, l’apprentissage, la consolidation de la mémoire, l’éveil, la perception sensorielle, mais aussi le contrôle de l’activité locomotrice, celui de la perception de la douleur ainsi que celui de la température corporelle (4). La plupart des données obtenues proviennent d’études comportementales réalisées en utilisant la nicotine et des antagonistes des récepteurs nicotiniques aussi bien chez l’homme que chez l’animal, mais aussi des modèles pathologiques mettant en évidence une “dénervation” nicotinique, c’est-à-dire les pathologies dégénératives. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 H A R M A C O L O G I E On pense généralement que la majorité de ces effets sont dus aux récepteurs nicotiniques présynaptiques, qui modulent la libération d’un grand nombre de neurotransmetteurs (voir ci-dessus). Cependant, les récepteurs postsynaptiques jouent aussi des rôles importants, celui le plus clairement démontré étant le contrôle de la transmission ganglionnaire et de la transmission cholinergique rapide dans l’hippocampe et le cortex sensitif. Les données expérimentales indiquent que différents sous-types de récepteurs nicotiniques sont impliqués dans les diverses fonctions précédemment décrites. La transmission ganglionnaire est essentiellement régulée par le sous-type α3 (α5) - β4, et la délétion génique de α3 et β2 induit un phénotype corrélé à une diminution de la transmission ganglionnaire. Le contrôle de la douleur est essentiellement exercé grâce aux sous-types α4-β2 (10). La libération de la dopamine, à partir des neurones dopaminergiques, est partiellement contrôlée par un sous-type qui contient la sous-unité α4 (mais possiblement aussi la sous-unité α6) (7), alors que la libération de glutamate est sous la dépendance du sous-type α7 (11). Le sous-type β2 chez les souris est important quant au contrôle de la libération présynaptique du GABA (12) et la réponse à la nicotine des neurones dopaminergiques mésencéphaliques. Le sous-type β3 peut contrôler l’activité motrice par le biais de la libération de dopamine dans le striatum et dans d’autres aires du système nerveux central (SNC) dans lesquelles les récepteurs contenant la sous-unité β3 sont exprimés aux niveaux présynaptiques ou préterminaux des neurones. Les récepteurs nicotiniques semblent être aussi impliqués dans la survie neuronale. Ainsi, des souris âgées dont on a enlevé par sélection génétique les sous-unités β2 (souris knocked out β2) montrent une hypotrophie du néocortex, une perte des neurones de l’hippocampe et une astro- et microgliose (cela ressemble à une maladie neurodégénérative). Le corrélat fonctionnel de ces altérations histopathologiques est le fait que les animaux perdent l’apprentissage spatial. Ces observations semblent bien corrélées aux données épidémiologiques montrant que la stimulation chronique des récepteurs nicotiniques par l’utilisation du tabac entraîne une protection dans le développement de la maladie de Parkinson (13). D’autre part, des études in vitro ont montré que l’exposition à la nicotine protège les neurones en culture de la neurotoxicité induite par différents agents. Une participation plus générale des récepteurs nicotiniques dans le développement cérébral est probable, parce qu’ils sont exprimés très tôt lors de la vie fœtale (14), et leur implication dans la pousse axonale (15) suggère qu’ils pourraient être impliqués dans la mise en forme et la maintenance de l’intégrité du circuit neuronal. La confirmation du rôle central des récepteurs nicotiniques dans la physiologie cérébrale est due au fait que l’expression des différentes sousunités est régulée pendant le développement (figure 2). RÉCEPTEURS NICOTINIQUES ET PATHOLOGIE Il existe désormais beaucoup d’études, aussi bien autoradiographiques que histochimiques dans des tissus d’autopsie (16), ainsi que des images radiographiques de patients, qui montrent que la perte des récepteurs nicotiniques est corrélée à la sévé117 P H A R M A C O L O G I E rité de la maladie d’Alzheimer (17). Par ailleurs, des études récentes montrent que les sous-types de récepteurs nicotiniques peuvent être impliqués dans certaines autres maladies. Par exemple, l’épilepsie frontale nocturne est due à une mutation de la sous-unité α qui diminue la fonction du sous-type de récepteurs α4-β2 (18), et la diminution du seuil de sensation chez les schizophrènes semble être corrélée à une expression anormale de la sous-unité α7 (19). Chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, ce sont les sous-unités α4 qui semblent être les plus affectées, alors que le nombre de récepteurs contenant la sous-unité α3 paraît inchangé ; quant aux récepteurs possédant une sous-unité α7, il n’est pas clair s’il existe ou non une diminution de leur nombre (20). Une étude récente donne une autre dimension à l’importance des récepteurs nicotiniques. En effet, il a été montré que, chez le rat, le peptide β-amyloïde (1-42) module directement les récepteurs nicotiniques (21). Les auteurs ont trouvé que ce peptide β-amyloïde inhibe les cellules entières aussi bien que les courants des récepteurs nicotiniques des interneurones hippocampiques en bloquant les canaux ioniques des récepteurs nicotiniques à des concentrations extrêmement basses (100 nM). Cette inhibition semble spécifique pour la séquence peptidique, et son amplitude dépend du sous-type de récepteur exprimé. Ainsi, l’inhibition chronique de ces récepteurs par le peptide β-amyloïde pourrait expliquer les déficits cognitifs de la maladie d’Alzheimer. Un autre aspect important au plan physiopathologique est la dépendance induite par la nicotine, sachant qu’il existe des récepteurs nicotiniques au niveau des terminaisons présynaptiques des neurones dopaminergiques dans le nucleus accumbens ; on peut penser qu’il y a, comme avec les autres substances addictives, une relation très forte avec le neurotransmetteur du “plaisir” qu’est la dopamine. MODULATION DE L’ACTIVITÉ DES SOUS-TYPES DE RÉCEPTEURS α7 PAR LES LIGANDS ALLOSTÉRIQUES L’activité de beaucoup de récepteurs canaux tels que les récepteurs nicotiniques est sujette à la modulation par des ligands autres que l’agoniste naturel. Deux exemples sont bien connus : c’est la modulation du récepteur glutamatergique NMDA par la glycine (22) et celle du récepteur GABA A par les benzodiazépines et les stéroïdes (23). L’existence d’un tel site de modulation allostérique a récemment été mise en évidence sur les récepteurs nicotiniques de sous-type α7 (figure 8). Des molécules telles que la galantamine, la physostigmine et la codéïne peuvent faciliter l’action de l’acétylcholine sur les récepteurs nicotiniques. Cette modulation permet à chaque molécule d’acétylcholine d’avoir une meilleure fixation sur les sous-unités α du récepteur nicotinique, et facilite aussi la libération d’acétylcholine (quand le récepteur stimulé est présynaptique). Du fait que les récepteurs nicotiniques sont aussi présents sur les terminaisons présynaptiques de plusieurs autres neurotransmetteurs, cette action modulatrice induite par la galantamine (ou les autres modulateurs) entraîne la libération des autres neurotransmetteurs. 118 Figure 8. Représentation schématique du récepteur nicotinique AC (acétylcholine), AL (anesthésiques locaux), stéroïdes, AAr (acide arachidonique). Comme il a été vu précédemment, un des déficits cholinergiques les plus importants dans la maladie d’Alzheimer consiste en la diminution du nombre de récepteurs nicotiniques dans l’hippocampe et dans le cortex. Ce déficit est le résultat d’une diminution de la sensibilité de ces récepteurs pour l’acétylcholine, qui, de ce fait, altère non seulement la dépolarisation postsynaptique, mais aussi la libération présynaptique d’acétylcholine ainsi que l’entrée du Na+ dans les cellules. À l’heure actuelle, l’approche la plus habituelle pour traiter le déficit cholinergique dans la maladie d’Alzheimer est l’utilisation des inhibiteurs des cholinestérases, qui diminuent la métabolisation de l’acétylcholine dans les synapses. De ce fait, un plus grand nombre de récepteurs muscariniques et nicotiniques peuvent être activés. Un des modulateurs allostériques du récepteur nicotinique est la galantamine ; cette action de la galantamine est du même type que celle des benzodiazépines sur les récepteurs GABA A en termes de modulation allostérique, mais pas, bien sûr, en termes d’activité pharmacologique. L’action de la galantamine sur les récepteurs nicotiniques humains a été mise en évidence dans les études électrophysiologiques utilisant des couches minces de cerveau humain (2). Les trois sous-types de récepteurs nicotiniques humains sont sensibles à l’activité de la galantamine, mais surtout les sous-types α7 et α4. La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - nos 4-5 - juillet-octobre 2002 P H A R M A C O L O G I E Parmi les modulateurs allostériques des récepteurs nicotiniques, la galantamine est la seule qui soit aussi inhibitrice des cholinestérases. Cet effet a été mis en évidence aussi bien chez le rat que chez l’homme (24). 9. Asher P, Large WA, Rang HP. Studies on the mechanism of action of acetylcholine antagonists on rat aparasympathetic ganglion cells. J Physiol 1979 ; 155 : 372-84. Ces deux propriétés pharmacologiques de la galantamine sont intéressantes dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, dans la mesure où il y a deux cibles potentielles : la diminution de la sensibilité des récepteurs nicotiniques et le déficit cholinergique cérébral. On peut ainsi imaginer que l’activité de la galantamine se traduise par l’augmentation du nombre de récepteurs exprimés et une diminution de la vitesse de neurodégénération due à la protection des récepteurs nicotiniques contre la protéine β-amyloïde qui induit, par ailleurs, la mort neuronale (21). 11. Radcliffe KA, Fisher JL, Gray R, Dani JA. Nicotinic modulation of glutamate Il y a donc un potentiel important pour les applications thérapeutiques liées aux récepteurs nicotiniques dans un futur proche, notamment dans les domaines de la cognition, de l’attention, mais aussi de l’activité antineurodégénérative. # R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Alkondon M, Pereira EFR, Cortes WS, Maelicke A, Alburquerque EX. Choline is a selective agonist of α7 nicotinic acetylcholine receptors. Eur J Neurosci 1997 ; 9 : 2734-42. 2. Alkondon M, Pereira EFR, Eisenberg H, Alburquerque EX. Nicotinic receptor activation in human cerebral cortical interneurons : a mechanism for inhibition and desinhibition of neuronal networks. J Neurosci 2000 ; 20 : 66-75. 3. Mesulam MM, Geula C, Botwell MA, Hersch I. Human reticular formation : cholinergic neurons of the peduncolopontine and laterodorsal tegmental nuclei and some cytochemical comparison to forebrain cholinergic neurons. J Comp Neurol 1989 ; 281 : 611-33. 4. 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