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21/1/16
fiefs, châteaux, seigneurs
abbayes en donziais
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MONASTÈRES
______________
Prieuré bénédictin de
Moutiers
(Saint-germain d’auxerre)
(Moutiers-en-puisaye)
Extrait de la notice de R. et S. Pélissier
(Actes du Congrès ABSS de Villeneuve-sur-Yonne, 1986)
Le texte qui suit est extrait de l’étude de René et Suzanne Pélissier,
mentionnée ci-dessus.
_______________
Les bâtiments agricoles, proches de la mairie de Moutiers, et dans les murs
desquels on voir encore quelques arcs en ogive, sont toujours appelés « l’abbaye »
par les habitants de Moutiers.
C’est qu’à l’époque des premiers carolingiens, vers l’an 700, mais à une date qui
reste imprécise, un abbaye a effectivement été fondée à Moutiers.
Certains
historiens estiment que c’était quelques années avant 700, mais l’abbé Lebeuf 1
précise la date de 701 sans cependant indiquer sur quel document il s’appuie.
Une chapelle dédiée à Notre-Dame existait antérieurement en ce lieu, appelé alors
Melered, que des historiens s’accordent à identifier à la « Cella Mauri » citée en 578
dans le règlement de Saint Aunaire ; ce règlement, dans l’espoir de faire cesser la
guerre acharnée entre Austriens et Neustriens, ordonne que des prières soient dites
successivement dans les trente-sept paroisses que compte alors le diocèse
d’Auxerre, citées dans l’ordre d’un trajet bien défini, où cette Cella Mauri se situe
entre Saint Sauveur et « Laoderus » (sans doute Saint-Martin-des-Champs).
Le site, entouré de forêts, était-il auparavant celui d’un temple druidique ? C’est
bien possible si l’on pense aux nombreuses sources, mais la tradition locale, tenace
à ce sujet, ne peut s’appuyer sur aucun document convaincant.
Le plus ancien document concernant cette abbaye provient de la copie sur
parchemin, en minuscules gothiques très pures, par Frodon, Chanoine de la
cathédrale d’Auxerre, d’un texte écrit vers 890 par les moines Alagus et Rainola, et
qui constitue un chapitre de la « Gesta pontificum autissiodoresium »2 (ou Histoire
des évêques d’Auxerre). Cet extrait concerne la vie de Quintilien qui, selon l’abbé
Lebeuf, fut évêque d’Auxerre de 716 à 728. On y lit (en latin) : « l’évêque Quintilien
était de noble lignée ; son père Quintilien édifia le monastère de Medeleretum et le
dota des biens appropriés ; il établit au même endroit un hospices pour les Bretons
qui se rendaient à Rome ».
D’autres textes anciens apportaient sans doute des informations plus complètes sur
ce monastère, car Dom Viole 3 , moine mauriste de Saint germain d’Auxerre au
milieu du XVIIème siècle, y fait allusion dans ses manuscrits sur les abbayes de
Saint Germain et de Moutiers. En effet il précise à propos de cette dernière : « Cette
abbaye, fondée par Quintilien, seigneur de la Puisaye, pour vingt-six religieux sous un
abbé, ainsi que je l’ai lu dans quelques anciens mémoires, qui faisaient l’office divin
de jour et de nuit en deux églises, l’une de Notre-Dame et l’autre de Saint Germain,
jointes par ensemble » .
Abbé Lebeuf : « Mémoires concernant l’histoire civile et écclésiastique d’Auxerre et
de son ancien diocèse », édition annotée par Challe et Quantin (Auxerre, 1855)
1
« Gesta Pontificum Autissiodorensium », première partie (BM, Auxerre ; voir
aussi édition Guillaume Budé, Paris)
2
Dom Georges Viole : « Mémoire sur l’histoire du diocèse d’Auxerre », manuscrits
156-158 (BM, Auxerre)
3
Il faut souligner dans cette description l’importance du monastère dès sa création,
avec ses deux églises (qui n’étaient peut-être que deux chapelles réunies dans un
même édifice) et avec ses vingt-six religieux auxquels il faut ajouter de nombreux
serviteurs de tous ordres qui faisaient vivre les couvents au Moyen-Âge. Cela
suppose des installations agricoles annexées fort importantes pour l’époque.
Les « Bretons », surtout ceux venus d’Irlande, continuèrent pendant plusieurs
siècles à faire halte à Melered. Pour cela il leur fallait quitter la route directe vers
Rome un peu au sud d’Auxerre, au lieu dit « Vauboye » où il y avait une chapelle
aujourd’hui disparue, mais qui figure sur la carte de Cassini (Sainte Vaubouée).
Ces liens privilégiés du monastère de Melered avec l’Irlande ont intrigué les
historiens du XIXème qui n’en donnèrent pas d’explications convaincantes. En
1961, des journées franco-irlandaises furent organisées à Auxerre pour
commémorer le 1500ème anniversaire du séjour de Saint Patrick dans cette ville.
Elles se terminèrent par une visite à Moutiers, au cours de laquelle le professeur
René Louis proposé de voir dans le fondateur de l’abbaye un irlandais du nom de
Killian, dont le fils, abbé de Saint Germain puis évêque d’Auxerre, aurait latinisé
son nom. D’ailleurs l’abbé Lebeuf avait montré que les deux évêques successifs
nommés Quintilien et Cillien ou Chilien étaient en fait le même homme. Il ne
faudrait pas s’étonner de la présence d’Irlandais dans notre région à la fin du
VIIème siècle. En effet, avec Saint Colomban et par la suite, de nombreux moines
irlandais et gallois ont participé sous l’impulsion du Pape à la ré-évangélisation de
la Gaule et des pays rhénans, dévastés par les invasions barbares et en proie aux
luttes entre les chefs francs.
Par ailleurs, l’abbé Pierre David a publié en 1937 une étude critique d’un recueil de
conférences monastiques du VIIIème siècle, qu’il conclut ainsi ; » le compilateur de
nos conférences et le scribe qui les a transcrites…appartiennent à un groupe
irlandais établi en France au VIIIème siècle » et il retient comme probable que ce
soit au monastère de Moutiers en évoquant : « l’influence exercée sur le continent et
particulièrement en Gaule par le monachisme Celte depuis Saint Colomban/ Même
après l’introduction de la règle de Saint Benoit, les monastères francs vivent selon
une règle mixte dans laquelle se combinent à doses diverses les préceptes
colombaniens et les préceptes bénédictins » .
Les pèlerins irlandais cessèrent au Xème siècle leurs voyages à Rome, rendus trop
dangereux dans la traversée des Alpes à cause des massacres perpétrés là par les
Sarrasins. Cependant le monastère de Moutiers resta longtemps un lieu de
pèlerinage à cause des nombreuses reliques qu’il possédait et malgré tous les
avatars qu’il dut subir.
Dès 732, les vicissitudes commencent lorsque Charles Martel récompense ses
compagnons de leur bravoure à la bataille de Poitiers en leur distribuant
généreusement les terres des abbayes. Le domaine de Moutiers, sans doute déjà
riche, échoit au comte d’Auxerre qui l’exploite à son seul profit, ainsi que ses
successeurs pendant plus d’un siècle. Selon Dom Viole, les moines de Moutiers
alors réduits à un état misérable, cherchent un protecteur puissant et présentent
une requête aux religieux de Saint Germain d’Auxerre, signée de leurs propres
noms, les priant de « les recevoir, eux et leur monastère, dans leur congrégation »
(Gesta).
Le tombeau de Saint Germain
(crypte de l’abbaye Saint Germain d’Auxerre)
Le monastère de Moutiers devient donc un prieuré, le plus ancien et sans
doute le plus important de ceux dépendant de l’abbaye de Saint Germain
(ndlr : en Donziais voir également Cessy-les-Bois). Jusqu’en 1414 un prieur
l’administre ; il est nommé par l’abbé de Saint Germain, mais jouit d’une certaine
autonomie : il exerce en effet les droits seigneuriaux en particulier de haute,
moyenne et basse justice sur les domaines du prieuré, domaines dont on ne
connaît pas bien l’importance primitive. Au cours des temps, les possessions du
prieuré, bien au-delà des terres entourant le monastère et des étangs de Moutiers,
de Charmoy et du Bourdon (dont l’ancienne digue marquait la frontière avec la
seigneurie de Saint-Fargeau), s’étendirent sur les paroisses de Saint-Amand,
Annay, Sainte-Colombe, Saints et Thury, en une mosaïque difficile à reconstituer.
Après le décret du concile de Pîtres, il faut encore attendre pour que la prospérité
revienne à Moutiers, que soient passées les invasions normandes et hongroises, et
les guerres seigneuriales du Xème siècle. L’abbaye de Saint germain elle-même en a
souffert ; à la fin de ce siècle, elle vit dans le désordre et, selon l’abbé Lebeuf :
« …est si dérangée que depuis longtemps elle n’était gouvernée que par des prévôts,
sans abbé ». Vers 986, Henri, duc de Bourgogne, et son frère Héribert, évêque
d’Auxerre, décident d’y mettre bon ordre et font appel à Mayeul, abbé de Cluny.
Celui-ci « ayant corrigé tout ce qu’il trouva contraire à la règle » y établit un nouvel
abbé nommé Heldric. La réforme, étendue aux possessions de l’abbaye, est
appliquée au prieuré de Moutiers où Heldric en 996 nomme prieur l’un des moines
de Saint Germain, Théalde, homme entreprenant qui, après avoir ramené la
prospérité à Moutiers, deviendra à son tous abbé de Saint Germain en 1020.
D’après Dom Viole, en quatre ans Théalde « fit reconstruire les bâtiments avec
magnificence et en ajouta de nouveaux ». On lit par ailleurs dans la Gesta qu’il
agrandit aussi les domaines du prieuré. En particulier il prend possession de
l’église paroissiale du bourg de Moutiers lorsqu’en 990 l’évêque Héribert donne à
l’abbaye de Saint Germain onze églises de son diocèse dont « Saint Pierre de
Monasterio ». C’est la première mention de cette église dans un document
historique.
Le prieur Théalde enrichit l’église Notre-Dame (du prieuré) de vases d’or et d’argent
et il en fait faire la dédicace par l’évêque Hugues de Chalon dès le début de son
pontificat, donc vers 999 (sur ce personnage voir l’histoire de la baronnie de
Donzy). Pour attirer les pèlerins, source de revenus pour le prieuré, des reliques y
sont rassemblées. En particulier, après de longs pourparlers, Théalde obtient de
l’évêque que soit transféré à Moutiers le corps de Saint Didier, ancien évêque
d’Auxerre. L’abbé Lebeuf, dans la vie de Hugues de Chalon, relate ce transfert qui a
lieu vers l’an 1010 : « le corps du saint fut levé et renfermé dans le monastère de
Val-Pentane, dit autrement Melleraye, qu’on appelle simplement aujourd’hui
Moutiers, et il y fut placé en l’église Notre-Dame, où il éclata en miracles ». Le
biographe d’Hugues de Chalon raconte l’un de ces miracles quotidiens : lorsque les
pèlerins s’approchaient à vingt pas de l’église Notre-Dame, ils voyaient leurs
chandelles s’allumer spontanément. Il s’agit là d’une phénomène suscité dans
divers lieux saints grâce à l’utilisation d’artifices chimiques tels que l’incorporation
de phosphore dans les mèches…
C’est donc un prieuré important que connaît, quelques années plus tard, sans
doute vers 1030 ou 1040, Raoul Glaber (le Chauve), moine fort savant, formé à
Cluny par Odilon, mais trop peu respectueux des règles monastiques pour pouvoir
demeurer longtemps dans la même abbaye. On l’appelle souvent « le chroniquer de
l’an mil », car il nous a laissé le seul récit historique sur cette époque. Dans les
monastères où il séjourne, et en particulier à Saint Germain d’Auxerre, il est
souvent chargé de « rétablir les inscriptions et les épitaphes anciennes ; il compose
des vers à la mémoire des plus illustres personnes qui y sont inhumées ». A
Moutiers, Raoul Glaber a pour tâche des travaux analogues. Il décrit l’église du
prieuré comme englobant les deux précédentes (Notre-Dame et Saint-Germain) et
renfermant treize autels ou chapelles, mais ne nous donne aucune autre précision
sur la vie et les bâtiments conventuels. C’est là aussi qu’il rencontre pour la
troisième fois le diable dont il a donné une description imagée, traduite ainsi par
Challe : « d’une stature médiocre, le cou grêle, la face amaigrie, les yeux très noirs, le
front ridé et étroit, une barbe de bouc, les oreilles droites et aigües, les cheveux raides
et mal peignés, des dents de chien, l’occiput allongé, la poitrine bombée, le dos
gibbeux, la croupe frétillante, les vêtements malpropres, le corps en sueur et tourmenté
d’une agitation convulsive… ».
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Moine bourguignon, Raoul (Radulphus) Glaber (fin Xème siècle-1049), ou
« le Glabre », appartint à de nombreux monastères (Saint-Léger de Champeaux,
Moutiers, Saint-Germain d'Auxerre, Bèze, Saint-Bénigne de Dijon, Cluny enfin).
Après avoir rencontré au début quelques difficultés en raison de son inconduite, il
sut se faire apprécier pour sa culture classique et ses qualités d'écrivain. C'est
ainsi que l'abbé Guillaume (de Volpiano) d'Auxerre lui confia la restauration et la
rédaction des épitaphes latines et l'emmena en Italie (1028).
Raoul Glaber composa, dans les dernières années de sa vie, une Histoire où il
prétendit rapporter tout ce qui s'était passé d'important en Occident depuis
l'an 900. Il réussit à mener son récit jusqu'en 1044. Dans cette compilation, il
mêle de manière assez peu cohérente les anecdotes authentiques et les
invraisemblances les plus flagrantes, les considérations étymologiques et les
propos théologiques ou moraux. Les prodiges de l'an mil et ceux de l'an 1033 (le
millénaire de la Passion) tiennent dans ce récit trop crédule une place évidemment
importante. Usant de sources historiographiques assez limitées, Raoul Glaber
recourt, en revanche, de manière fort intéressante au témoignage de ses
contemporains. La diversité de sa curiosité, le pittoresque et la vie de son récit
confèrent à cette Histoire ses principaux mérites.
Son texte le plus connu à propos du nouveau millénaire : « Trois années
n’étaient pas écoulées dans le millénaire que, à travers le monde entier, et plus
particulièrement en Italie et en Gaule, on commença à reconstruire les églises, bien
que pour la plus grande part celles qui existaient aient été bien construites et tout à
fait convenables. Il semblait que chaque communauté chrétienne cherchait à
surpasser les autres par la splendeur de ses constructions. C’était comme si le
monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtait d’un blanc
manteau d’églises. Presque toutes les églises épiscopales et celles de monastères
dédiées aux divers saints, mais aussi les petits oratoires des villages étaient rebâtis
mieux qu’avant par les fidèles. ».
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On ne sait rien de l’histoire du prieuré durant le siècle suivant, troublé dans
l’Auxerrois par les guerres seigneuriales pour la succession du duc Henri de
Bourgogne, auxquelles l’évêque prend une part active. On retrouve Moutiers au
milieu du XIIème siècle, prospère sous la direction de Dom Martin, prieur de 1148 à
1174. Après avoir dégagé le prieuré de toutes ses dettes, celui-ci, selon D. Viole,
« fait refaire à neuf les cloitre, dortoir, chapitre, infirmerie et réfectoire avec la cuisine,
et adjoint de nouvelles murailles de clôture tenant la grande porte du prieuré ». A la
même époque, sur la demande d’Ardouin, évêque d’Auxerre, le comte Guillaume
donne plusieurs franchises à la terre et aux religieux de Moutiers.
D’après Challe, ce serait en 1248 que les fonctions de sacristain-aumônier de
Moutiers sont érigées en office, qui fait de celui-ci le curé de la paroisse et lui
attribue une maison avec jardin, prés et bois ainsi que le fief de Grangette et
Colangette sur la paroisse de Thury. Divers actes confirment aux XIVème et XVème
siècles que le seigneur de ces deux fiefs est bien l’aumônier du prieuré de Moutiers.
Après un court déclin au début du XIIIème siècle, le monastère se trouve à nouveau
assez riche en 1256 pour que le prieur Dom Jean fournisse à l’abbaye de Saint
Germain une part importante de la somme d’argent dont elle a besoin pour se
libérer de la tutelle de Cluny établie 270 ans plus tôt. Le prieur qui lui succède,
Dom Gaucher Dignon, fortifie vers 1280 le monastère « de hautes murailles et de
tours de deffens » et acquiert de nouvelles terres.
Le milieu du XIVème siècle est marqué de pestes et de guerres ; c’est l’époque où le
capitaine anglais Knolles s’établit avec ses soldats en Puisaye. Puis Philippe de
Cloyes, nommé prieur en 1375, bénéficie de la part du Pape Grégoire IX, d’une
avance permettant de redresser l’état du prieuré. Celle-ci, attribuée à la Fabrique de
l’église de Saint Germain, sera remboursée sur les revenus du prieuré. Mais la
prospérité est de courte durée. Les guerres reprennent et les Armagnacs saccagent
le monastère en 1410.
L’abbé de Saint Germain parvient en 1413 à éviter que le Pape Jean XXII fasse don
du prieuré de Moutiers au cardinal Sainte-Cécile auquel il devait son élection. Il
rattache directement le prieuré à la fabrique de l’église Saint Germain par une bulle
d’union. Il n’y a plus de prieur à Moutiers mais un commendataire qui sera
souvent, au moins au XVème siècle, un religieux de Saint Germain, à qui il est
affermé par bail. La rente est partagée pour moitié entre l’abbé d’une part et les
religieux de Saint Germain d’autre part. Le bail annuel, initialement de 200 livres,
doit ensuite être réduit à 100 puis 50 livres en raison des dévastations de la guerre
de cent ans.
En 1427, le frère Jean Boursier, qui administre le monastère le laisse investir par
surprise par des hommes d’armes qui ruinent les bâtiments conventuels. L’abbé
demande alors à un soldat, Perrinet Gressart, seigneur de la Motte-Josserand
(voir cette notice), de rétablir la situation du prieuré et d’y abriter au moins trois
religieux les dix premières années et six les dix suivantes. Lorsqu’en 1460 le frère
Jacques de Nanton reprend en charge le monastère de Moutiers, il peut y
entreprendre de grands travaux. « Il eut encore fait davantage », dit D. Viole, si son
puissant voisin Antoine de Chabannes (ndlr : comte de Dammartin, seigneur de
Saint-Fargeau), qui ne le voit pas d’un bon œil, ne l’avait chassé par les armes en
1469.
Trois ans plus tard, le prieuré est affermé au moine Jean Babut, qui, avec son frère
l’écuyer Philibert Babut et son neveu Madoc, va essayer de s’emparer du domaine.
Le prétexte en a peut-être été le partage en 1488 des bâtiments du prieuré entre
l’aumônerie qui reçoit la maison de l’ouest avec ses fossés et la « châtellenie » à qui
reviennent les bâtiments est et sud, y compris l’église conventuelle. Ce n’est qu’en
1511, à l’issue de procès successifs, que Madoc Babut, seul survivant, doit rendre
le prieuré à François de Beaujeu, abbé de Saint Germain, qui y rétablit l’ordre.
Le compte-rendu d’une visite faite en 1543 par trois représentants de l’abbé
commendataire, Louis de Lorraine, Cardinal de Guise, nous renseigne sur l’état du
prieuré. L’église Notre-Dame est en bon état et encore riche de reliques : un bras de
saint Blaise, le chef de saint Bon, des reliques de saint Benoit, saint Loup et saint
Georges. On remarque que le corps de saint Didier n’y est plus cité, mais on ne
peut pas savoir dans quel pillage il a disparu. Les reliques restantes sont cependant
suffisantes pour maintenir un afflux de pèlerins ce qui assure des revenus stables.
Le nombre de religieux à cette même date reste faible : il semble qu’ils n’y soient
plus que quatre, qui « remplissent bien leurs devoirs religieux ». Ils ne sont donc
pas assez nombreux pour s’occuper des terres du domaine qui sont affermées à des
paysans locaux.
Les débuts des guerres de religion n’affectent pas le prieuré, bien que, dès 1566 le
bourg de Moutiers soit ravagé et la chapelle Saint Siméon incendiée. Le monastère
reste assez prospère et son revenu est entièrement consacré pendant 28 ans à la
reconstruction de l’église abbatiale de Saint Germain d’Auxerre incendiée par les
huguenots en 1567.
Cependant, en 1587, un détachement de reitres allemands, sous les ordre du comte
Fabien de Dohna, venu aider Coligny, fait une incursion à Saint Sauveur et
Moutiers et s’attaque aux deux prieurés. A Moutiers, le couvent et son église NotreDame sont incendiés, le trésor liturgique est dispersé. L’église paroissiale de
Moutiers semble avoir été épargnée. Les bâtiments du couvent ne sont pas
totalement ruinés comme le prétendent certains historiens du XIXème siècle,
auxquels on se réfère depuis. Dans l’histoire du prieuré de Moutiers écrite peu
après ces évènements, D. Viole ne parle que de l’incendie de l’église Notre-Dame.
D’autre part, il mentionne que Pierre de Lyon, qui en tant qu’abbé de Saint Germain
de 1596 à 1613 administre le domaine de Moutiers, en vend la terre de Perrigny
pour faire des réparations au prieuré (qu’il ne fait d’ailleurs pas…) et y entretient
jusqu’en 1604 trois religieux outre l’aumônier et le sacristain, puis ensuite un seul.
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Les reîtres (de l’allemand Reiter, littéralement « cavalier ») sont une cavalerie lourde
d'origine germanique apparue dans les années 1540. Ce type de cavalerie apparut à la
suite de l'invention du pistolet à rouet qui permettait le tir en selle et l'abandon de la
lance. Un reître était armé d'au moins une paire de pistolets, d'une épée et d'une
dague. Ils portaient fréquemment des armures noircies, leurs chevaux ne portaient
pas de bardes afin de faciliter leurs mouvements. Les reîtres comme les lansquenets
furent largement utilisés en France durant les guerres de religion par les deux
partis.
Le terme reître est fréquemment pris en mauvaise part, désignant une personne
agissant sans manière et brutalement comme ces soldats-là qui n'hésitèrent pas à
piller et à violer. Leur réputation tant de qualité que de férocité leur valut en France,
durant les troubles religieux, les sobriquets de « cavaliers noirs » ou « cavaliers du
diable ».
A. Duhrer : « Etude d’un reître » (1513)
Le comte Fabian de Dohna (* 26 mai 1550 à Stuhm ; † 4 juin 1622 à
Carwinden), est un officier germanique qui fut burgrave de Dohna (ville de Saxe,
dans le district de Dresde…).
Il fut le compagnon d'enfance d'Albert de Prusse, premier duc de Prusse,
parcourut la France et l'Italie, puis entra au service de Jean-Casimir, comte
palatin, qui le chargea de plusieurs missions, et lui donna plusieurs fois le
commandement de corps de mercenaires envoyés au secours d'Henri IV, roi de
France (1585 et 1587).
Dohna (Saxe) : Die Alte Burg
Lors de la première expédition, ses désaccords avec le duc de Bouillon
entraînent la défaite des mercenaires aux batailles de Vimory et d’Auneau, face à
l’armée royale française commandée par le duc de Guise.
De retour en Prusse, il reçut de l'électeur de Brandebourg, Joachim-Frédéric, le
titre de grand burgrave du duché de Prusse, 1604.
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Ce n’est donc pas le passage des huguenots qui arrête toute vie conventuelle au
prieuré, puisqu’il y reste autant de religieux dans les années qui suivent, mais c’est
la mauvaise gestion des abbés commendataires du début du XVIIème siècle. Un
procès-verbal de visite dressé en 1653 par Th. Marie Deschenez constate l’état de
ruine de l’église et de la maison. A cette période on ne sait si l’aumônier, qui signe
un certain nombre d’actes du registre paroissial, réside encore en permanence à
Moutiers. En 1684, c’est le cellérier de l’abbaye Saint Germain qui fait fonction
d’aumônier, alors que ce qui reste du prieuré est utilisé comme bâtiment agricole.
Le domaine est affermé à bail de neuf ans en neuf ans et assure à Saint Germain
des revenus substantiels (par exemple 4500 L. pour l’année 1661).
En 1724, l’abbé et les religieux de Saint Germain font entreprendre des
transformations importantes « tant aux bâtiments de la terre et seigneurie de
Moutiers près Saint Sauveur qu’aux étangs qui en dépendent » par Philippe Casse
« tailleur de pierres et pionnier demeurant à Auxerre ». Le marché fait état d’une
« chapelle Notre-Dame » (que M. Pietresson de Saint-Aubin identifie à l’ancienne
chapelle absidiale de l’église du prieuré) et aussi de « l’ancienne porte de l’église
dudit monastère ». La porte et la toiture de la chapelle de la Vierge sont réparées et
l’ancienne écurie est reportée du pignon de l’ancienne église au « vieux bâtiment
vouté tenant lieu de grange » ; cette grange sur le coté de l’église est elle-même
réparée et recouverte, son escalier de 54 marches rétabli…etc.
Lors de la visite épiscopale de 1735, il n’est plus mentionné de lieu de culte dans
l’ancien prieuré mais, en 1752, il est fait interdiction dans un bail d’abriter des
bestiaux dans l’ancienne chapelle de la Vierge qui est donc encore debout.
Le domaine de Moutiers s’est réduit progressivement au cours des XVIIème ey
XVIIIème siècles. En 1710, les terres de Grangette et Colangette et de Bannie (sur
Thury et Ste-Colombe) sont vendues à J.B. du Deffand, marquis de Lalande, et à sa
femme. En 1735, l’abbé vend à « Messieurs du Canal » l’étang de Moutiers, alors
principal réservoir alimentant le canal de Briare. En 1759, certaines terres, dont
l’étang de Bourdon, sont prises en charge par Michel-Etienne Le Peletier des
Forts, seigneur de St-Fargeau (ndlr : le père du Conventionnel) (voir cette notice),
par bail emphytéotique.
Les anciens bâtiments du prieuré sont vendus comme bien national à la Révolution,
et au début du XIXème siècle, leur propriétaire, M. Paillard, fait de nouvelles
transformations dans les bâtiments et alentour.
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L’église paroissiale de Moutiers, qui était une « dépendance » de l’ancien prieuré
(cf. supra) est placée sous le vocable des apôtres saint Pierre et saint Paul et a été
fondée au Xe siècle. L'église actuelle est d'architecture romane, avec un caquetoir
ajouté au XIIIe siècle dont les ouvertures ont été aménagées au XIVe siècle. L'église
est remarquable par ses fresques médiévales.
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