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P.P. : Est-ce spécifique au théâtre ?
BB : Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts, l'art de vivre.
NB : Les réponses de Bertolt Brecht sont toutes tirées du Petit organon pour le théâtre ( Éditions : L'Arche).
Chapitre IV Les marionnettes de Jean-Louis Heckel ne sont pas celles de
Platon.
La présence du metteur en scène, comédien marionnettiste et directeur de la Nef – manufacture d'utopies,
Jean-Louis Heckel, n'est pas sans nous rappeler les usages que Platon a fait de la métaphore des
marionnettes dans Le livre VII de la République livre VII et les livres I et VII des Lois.
Dans l'allégorie de la caverne de la République censée éclairer les différents aspects de la condition
humaine, le disciple de Socrate incite à se représenter des hommes : « les jambes et le cou ligotés de telle
sorte qu'ils restent sur place et ne peuvent regarder que ce qui se trouve devant eux, incapables de tourner
la tête à cause de leurs liens ». A l'image posée comme un premier niveau de la réalité des hommes,
succède alors une deuxième image et un deuxième niveau de réalité dont les hommes n'ont pas
spontanément idée. « Représente-toi la lumière d'un feu qui brûle sur une hauteur loin derrière eux et,
entre le feu et les hommes enchaînés, un chemin sur la hauteur, le long duquel tu peux voir l'élévation d'un
petit mur, du genre de ces cloisons qu'on trouve chez les montreurs de marionnettes et qu'ils érigent pour
les séparer des gens. Par-dessus ces cloisons, ils montrent leurs merveilles – 514b ». Les prisonniers sont
donc les spectateurs d'un théâtre d'ombres qu'ils tiennent pour l'entière réalité. Les montreurs de
marionnettes dont parle Platon manipulent des objets qu'en-bas, personne n'aperçoit à la différence des
impressionnantes marionnettes de Jean-Louis Heckel qui ne cherchent jamais – sauf à faire sourire ou
réfléchir- à tromper leur monde. Les prisonniers de la caverne ne comprennent pas qu'ils sont victimes des
illusions des sophistes. Au théâtre de la Nef, le spectateur joue le jeu sans être trompé et, par le détour
d'une représentation, prend enfin conscience de l'humanité celée dans les marionnettes. Heckel dessillent
quand d'autres voilent. Montreur de marionnettes, c'est un métier ; c'est aussi un art manifestement.
Dans le livre I des Lois, Platon recourt de nouveau à la métaphore des marionnettes non plus cette fois dans
le but de dénoncer les illusions de l'opinion mais pour donner à penser et presque à voir la réalité des êtres
animés que sont les êtres humains. « Machine merveilleuse, sortie de la main des dieux » destinée à les
amuser quand ils ne lui ont pas fixé de dessein sérieux que de toute façon, il ne connaît pas, l'homme est
mû par des fils dont les mouvements s'opposent. A quel fil obéir? A quel fil résister ? Platon répond : « la
raison nous dit qu'il ne faut jamais suivre qu'un de ces fils, sans l'abandonner en aucune occasion, et résister
aux autres. Et ce fil n'est autre que le fil d'or et sacré de la raison, appelé la loi commune de l'État. Les autres
fils sont de fer et raides ; celui-là est souple, parce qu'il est d'or, tandis que les autres sont de toute sorte
d'espèces - 645b-». Suivre le fil de la raison, c'est s'évertuer (devenir vertueux), suivre le fil opposé conduit
de manière invariable au vice. Les contradictions sont donc internes à la marionnette humaine soumise à un
destin qu'elle se bornera quoi qu'elle veuille accomplir. Néanmoins, puisque la place laissée à la liberté
apparaît dérisoire, chacun doit défendre la loi de la commune de l’État s'il ne veut s'emmêler les fils de
l'âme et s'abandonner comme il abandonnerait la cité à son désordre. A la différence de Platon, Jean-Louis
Heckel fait l'économie de l'hypothèse des dieux et restaure un espace de liberté.
Quelle place laisser alors au jeu des comédiens? Dans ses premiers textes, Platon exhortait les citoyens à
chasser les poètes de la cité puisque selon le proverbe grec : les poètes sont de grands menteurs.
L'inclination au jeu est tenace et elle peut être orientée. L'esprit de sérieux menace d'ailleurs la cité parce