Concepts généraux sous-tendant l`utilisation des stimuli

Ann. Kin ésithér. ,1983, t. 10, nO 9, pp. 331-337
©Masson, Paris, 1983
Concepts généraux sous-tendant l'utilisation des stimuli
proprioceptifs pour aider à l'éducation ou à la rééducation
sensori-musculaire (reprogrammation neuro-motrice)
É. VIEL
École de Cadres de Kinésithérapie «Bois Larris », BP 12, F60260 Lamorlaye.
1
i
Introduction
Lorsque nous parlons de rééducation à base
de stimulations proprioceptives il s'agit dans
tous les cas d'exciter des terminaisons qui vont
ébranler les circuits afférents afin d'obtenir de
manière automatique ou réflexe des contractions
musculaires, soit dans un but de protection, soit
dans un but d'apprentissage de la réaction ou
du geste.
Le lecteur doit comprendre que nous incluons
dans ce que nous nommons «Stimuli proprio-
ceptifs» les sensations extéroceptives du tou-
cher et de la pression sur les téguments externes.
Quant à la proprioception, elle comprend les
signaux ayant pour origine les récepteurs inclus
dans le muscle, les tendons, les ligaments, les
capsules articulaires. Dans certains cas, la
sensation de déformation de la peau se joindra
à cette volée afférente.
Le muscle est un organe récepteur
Trop souvent considéré comme un effecteur,
le muscle est un organe récepteur du fait de la
présence dans son corps charnu des fuseaux
neuromoteurs (dont nous ne détaillerons pas ici
les différents types) et du fait de la présence dans
Tirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus.
le tendon du muscle des organes de Golgi. Le
tissu musculaire est soumis àl'attraction gravi-
taire et le premier stimulus d'environnement
transité par l'exteroception-proprioception est
précisément cet écrasement àla pesanteur :
lorsque les astronautes passent plusieurs jours,
voire plusieurs semaines dans l'espace, les
muscles s'atrophient malgré des programmes
journaliers d'exercices imposés.
Lorsqu'une pathologie à caractère unique-
ment sensitif prive l'être humain de la sensation
de tension dans les muscles (résultat du Tabès,
de certaines formes de sclérose en plaques, de
la pathologie chimio-infectieuse S.M.a.N.), il
devient impossible d'obtenir un renforcement du
muscle. Le volet effecteur est conservé, mais le
volet sensitif ayant disparu, toute capacité de
modification de ce muscle est perdue et la
rééducation devient quasi impossible.
La solution à ce problème difficile nous a été
fournie récemment (1978) par Czeh et ses
collaborateurs qui ont pu montrer que la santé
du neurone moteur dépend des effetsrécurrents
qui partent du muscle pour remonter de manière
antidromique vers la moelle (fig. 1).
Lorsqu'un skieur descend une pente, il est
soumis aux réactions induites par l'environne-
ment et surtout par les flexions brutales du
genou provoquées par les bosses du terrain. Ces
stimulations partent de la périphérie pour
remonter vers le centre, aucun mécanisme de
décision volontaire n'aurait le temps d'interve-
nir. Il s'agit d'une analyse instantanée des
conditions d'exécution qui mène à une décision
de réaction musculaire. C'est ainsi que pour un
332 Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, n° 9
FIG. 1 a. - Les sensations venues des récepteurs arthrokinétiques
et des extérocepteurs sont transmises directement au thalamus.
Les informations de tension dans le muscle venant du fuseau
neuro-moteur et les informations de tension dans le tendon venant
des organes de Golgi se répercutent d'une part directement par
voie antidromique sur le motoneurome et sont transmises d'autre
part aux formations bulbo-mésencéphaliques. Le contrôle exercé
par la voie pyramidale sur le neurone moteur se trouve donc
modulé en boucle courte par des informations intra-musculaires
et en boucle longue par les informations venant des articulations
et des extérocepteurs.
FIG. 1 b. - Contrôle permanent pendant l'exécution du geste:
l'ordre moteur met en jeu le muscle et la tension de celui-ci
déclenche des réactions sensibles dans les tendons les ligaments
et les capsules. Ceci entraÎne une mémoire locale ou «mémoire
articulaire» du geste, l'articulation n 'fftant pas seulement une
pièce mécanique mais un récepteur-calibreur de position dans
l'espace. Les' sensations afférentes reviennent constamment
moduler l'ordre moteur.
Récepteurs arthrokinétiques
Extérocepteurs / peau, etc.
FIG. 1 a
Connaissance de la
tension musculaire
Mémoire
du geste
Comparateur
Ordre moteur
(anticipation possible)
Connaissance de la position
des articulations
Articulation
Sensations
d'écrasement
Peau, tissus
sous· cutanés
Facilitation 1
Inhibition locale
Calibratlon de
la position
Pièce
mécanique Ca pteur
Muscle
Tension alpha
Capteurs
de tension
tendons,
ligaments,
capsules,
aponévroses
( fascia)
Mémoire{(locale)} (tension dans les
structures concernées)
FIG.l b
skieur qui descend une pente, une contrainte
dangereuse peut s'exercer sur les ligaments
protecteurs du genou avec une rapidité de
39 millisecondes, alors que la contraction
musculaire réflexe ne pourrait intervenir
qu'après une latence de 215 millisecondes (Pope,
1979). Ceci signifie que les muscles doivent se
trouver dans un état de vigilance préalable afin
d'être en mesure d'éviter les effets nocifs d'un
changement brutal d'exécution du geste. Ceci
fait entrer en ligne de compte la notion de
«raideur active »que l'on doit à Gottlieb et
Agarwa1 (1973) qui décrivent les mécanismes
neuro-physio10giquespar lesquels les structures
centrales peuvent augmenter la tension intra-
musculaire afin de créer ce que l'on nomme la
vigilance.
En effet, le sportif est en mesure d'augmenter
le taux de tension dans les muscles de la patte
Afférences,t =215m sec.
~
\\\\
'-, Contraction =(t) - Raideur
active
préalable
FIG. 2a
Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, nO9 333
d'oie de 108 % et la raideur active du quadriceps
de 164%. Cette mise en tension préalable de
la musculature met en lumière le besoin de
rapidité et de coordination trop souvent négligé
lors de la rééducation musculaire. La force lente
n'est pas suffisante, on ne doit pas se contenter
de réentraîner un genou stable en extension
puisque le skieur (et pratiquement tous les autres
sportifs) ont besoin d'un genou stable en flexion
(fig. 2).
Le besoin d'analyse des activités musculaires en
fonction réelle
Il est tentant et aisé d'analyser l'activité
musculaire en imaginant mécaniquement ce que
peut faire un muscle de par sa position au regard
FIG. 2 a. - Le skieur qui descend une pente prend des décisions
motrices instantanées à partir d'une analyse de la situation (signal
d'entrée SA) et d'une restitution de situation antérieure semblable
stockage dans la mémoire (signal d'entrée SM). S'il Y a
concordance entre l'analyse des sensations instantanées et le
potentiel mémorisé, l'action continue. Une discordance entre la
mémoire et l'instantané aura pour résultat l'arrêt d'une activité
(ainsi le skieur qui aborde pour la première fois une pente
extrêmement raide dont il n'a pas l'habitude).
FIG. 2 b. - Figuration cybernétique de l'activité constante du
comparateur, ce dernier étant renseigné sur les caractéristiques
du signal de commande, l'interaction des signaux posture-
mouvement, les f~teurs mécaniques d'exécution, l'influence de
la charge et celle de l'activité précédente.
CARACTERISTIQUES DU
SIGNAL DE COMMANDE
(,2)1
INTERACTION
POSTURE
MOUVEMENT
FACTEURS
MECANIQUES
D'EXECUTION
INFLUENCE DE
LA CHARGE
r---
1
1
1
,1
r-------------...J
Compara!.
Mémoire
r-
I
1
1
1
~ J
~- ---- --- - ----- - - --- - -ACTIVITE PRECEDENTE
-------------------------------~
FIG. 2 b
334 Ann. Kinésithér., 1983, t. la, n° 9
de l'articulation. Cette analyse est faussée dès
l'abord par l'utilisation d'une page de livre à
deux dimensions, alors que les activités des
muscles squelettiques se déroulent dans les trois
dimensions de l'espace. De plus, les muscles ont
une manière bien particulière de réagir aux
stimuli externes comme ils l'entendent. C'est
ainsi que Jesel et Malibari ont souligné la
participation des muscles adducteurs à la flexion
de hanche chez le sujet sain et chez les joueurs
de foot-ball présentant une pathologie des
abducteurs ... Ceci est confirmé par notre électro-
myographie (fig. 3).
Contrôle et comparaison lors des activités
musculaires
L'activité musculaire est régulée par les
centres supérieurs qui la soumettent constam-
ment à un contrôle par la comparaison: si
l'impulsion d'origine est anormale, le reste du
programme moteur ne peut se dérouler. De plus,
les activités motrices sont soumises au contrôle
par l'anticipation car la connaissance déjà
stockée démarre le geste soumis ensuite au
contrôle en cours d'exécution (fig. 4).
Dominance de la proprioception sur le labyrinthe
Alors que certains mammifères, tel le chat,
démontrent une dominance évidente du labyrin-
the sur la proprioception, il n'en va pas de même
pour l'homme. Parmi les nombreux auteurs qui
ont mis en évidence cette dominance du système
vestibulaire par les afférences proprioceptives,
nous citerons seulement Nashner. Pour que le
vestibule entre en jeu, la latence n'est que de
•• DE 1 -- di v=uF' _i ',: a
1111111111~111111~'IIIIillM.uIIIIIIII~'llllllllHll~lllllll~'111~'IIIUiJlll1wJII~'li~,i~'
.1 sec .
ADDUCTDRS
VASTUS MEDIAl.IS 1
WASTUS MEDIALIS 2
VAST US MEDIALIS 3
RECTUS FmORIS
VASTUS LATERALIS
FIG. 3. - Activités électromyographiques synchrones du vaste interne, du droit antérieur, du vaste externe et des muscles adducteurs
lors de la flexion de hanche résistée, sujet couché sur le dos. L'activité des adducteurs a déjà été notée par Jesel et Malibari, elle
confirme cette action jusque-là insoupçonnée du groupe adducteurs.
Effecteur
Sensation
r---
1
1
1
: 1 Mémoire 11
L ~
S.N.C. Effecteur
Sensation
Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, 9 335
300 millisecondes, mais le déplacement du corps
doit dépasser les 4° goniométrique. A l'inverse,
les récepteurs proprioceptifs de la cheville ont
une latence de 600 millisecondes mais sont
déclenchés par une oscillation du corps de 0,9°
goniométrique. Cette extrême sensibilité nous
permet des rattrapages de déviation extrême·
ment prompts puisque le triceps sural répond
àun déséquilibre antérieur avec une latence de
150millisecondes et lejambier antérieur répond
à un déséquilibre postérieur avec une latence de
200 millisecondes (fig. 5J.
FIG. 4. - En haut une activité exécutée en «feedback », le
système nerveux central donne un ordre à l'effecteur, la sensation
est mise en mémoire. Il s'agit d'une boucle longue avec délai
important.
En dessous, le geste exécuté «feed-forward », l'ordre est donné
de mémoire parce que la connaissance du geste est stockée
d'avance. La sensation doit se conformer, à ce que le sujet connaît
déjà.
JAdd\JC. I-evl"'S
lschio·Jarnbi ••.,
.e::.•• 't-
Gchc.
=lQuadriceps
Jombi.1' Anf:
Jumeou lnt".
.'i.-
JAcldvcl"fvrs
lsel-Ii 0 JClrnbiers
• e-", 1-.
D~ Qvodric.p.
J~:::~~Rn~:
~~6'"
FIG. 5. - Activité électromyographique réflexe dans les muscles
jambiers antérieurs lorsque le sujet est poussé brusquement en
arrière. Notez que le sujet se retient également avec le quadriceps
gauche et qu'il règle la position du bassin à l'aide d'une mise
en tension des ischio-jambiers du côté droit (les deux pieds sont
en appui). (Document Tokyo Institute for Neurosciences,
Rynichi NAKAMuRA)
Possibilités du contrôle
Une valeur de 1%de changement de
longueur du muscle a pour résultat une variation
de 10 % de la force maximale disponible, la
position articulaire qui change la longueur du
muscle est donc un élément de calibration de
la puissance potentielle. Au cours de la marche,
le changement de longueur des muscles du
membre inférieur change de +ou - 10% par
rapport àla longueur de repos, une incapacité
à exécuter des changements de longueur mi-
nimes rend la marche très difficile, c'est ce qui
est mis en évidence par l'apparition d'une
spasticité centrale due àune hémorragie intra-
crânienne (hémiplégie).
Récepteurs arthrokinétiques
Les récepteurs statiques et dynamiques qui
tapissent les capsules et les ligaments sont
répartis de telle manière que l'innervation
sensitive d'une partie de la capsule est assurée
par le même tronc nerveux que celui qui innerve
les muscles protecteurs. C'est ainsi que la partie
inférieure de la capsule de la hanche est innervée
par des filets sensibles du tronc de l'obturateur,
nerf responsable également de l'innervation
motrice des adducteurs. La contracture des
adducteurs présente dans toute coxarthrose, est
déclenchée par une irritation primaire des
terminaisons sensitives de la capsule (tableau IJ.
De même, l'attitude à20° de flexion de la
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