Rodrigo Garcia ou l`espoir d`en finir avec le Big Mac ?

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Rodrigo Garcia ou l’espoir
d’en finir avec le Big Mac ?
Quel est notre rapport à la nourriture, que faire à ce fameux
Big Mac que nous ne voulons jamais décortiquer ? Que pouvonsnous faire de la publicité ? Comment nous faire ressentir et
découvrir la violence qui se faufile partout ? Cendres de
Rodrigo Garcia est un recueil de théâtre qui le réussit très
bien. Il réunit des textes publiés entre 2000 et 2009, des
restes de créations théâtrales. Le metteur en scène l’affirme,
ce ne sont que des mots démunis de la création scénique,
d’ailleurs il se définit comme écrivain de plateau.
L’écrivain et metteur en scène hispano-argentin, né dans les
quartiers pauvres de Buenos Aires, a commencé sa carrière
théâtrale en Espagne, après avoir fait des études en
communication publicitaire. Il a entamé par la suite une
carrière en France, présent au Théâtre National de Rennes, au
Festival d’Avignon, et il est aujourd’hui directeur du Centre
dramatique national de Montpellier.
Rodrigo Garcia travaille sur le monde d’aujourd’hui, celui de
la publicité, de l’hyper-consommation, et surtout sur notre
rapport à la nourriture, car nous sommes ce que nous avalons.
Nous n’avalons pas que par la bouche, mais aussi par les yeux,
et par les oreilles, nous sommes ce que nous voyons et ce que
nous entendons. L’homme se fait avaler par la société de
consommation, tout en y contribuant. Le théâtre de Rodrigo
Garcia, notamment dans Cendres, dénonce parmi beaucoup de
sujets la nourriture de fast-food, le marché du sexe, la
violence quotidienne, et l’hypocrisie sociale.
L’esthétique de la déconstruction, un héritage de la publicité
« Mc Donalds Pizza Hut
Quick
Burger King
Kentucky Fried Chicken
Flunch
Nesquik
(….)
PurSoup’ de Liebig
Thon Petit Navire
Poisson pané
Findus
Tipiak
Haricots Cassegrain
Géant Vert
(…)
Coca-Cola
Orangina
Tang
Big Mac »
Appelé Ordures 1, ce texte long de trois pages réunit toutes
les marques que nous connaissons. Il nous fait sourire, on ne
sait pas trop pourquoi. Peut-être parce que nous connaissons
chacune de ces marques par cœur, nous entamons leurs slogans
publicitaires, elles nous sont familières. En listant ces
marques, Rodrigo Garcia, ancien publicitaire, il faut le
rappeler, nous donne un produit brut, disséqué, prêt à être
exploité au plateau. Rien ne nous est plus familier que ces
enseignes, et pourtant elles sont là, face à nous, nous devons
nous y confronter, et presque les affronter en direct afin de
retrouver notre propre unité par le jeu théâtral.
L’esthétique de la déconstruction semble être revendiquée dans
de nombreux textes de Cendres parce que par la forme, par le
démantèlement des phrases entre elles, et les blancs que
laissent les espaces, il y a le vide. Mais il y a le vide par
l’affolement des mots entre eux, qui se collent, se confondant
presque :
« Salut, bonjour, bonsoir, enchanté, ça va ? Ça roule ? La
forme ? Comment ça se passe ? Qu’est-ce que tu racontes de
beau ? Tu vas bien ? Tu fais aller ? Quelles sont les
nouvelles ? Ça gaze ? Tout baigne ? Ça fait un bail ! quoi de
neuf ? Où est-ce que tu en es ? Qu’est-ce que tu deviens ? Ça
me fait plaisir de te voir. »
« Pauvre con, enfoiré, bordel de merde, enculé de tes morts,
putain de ta race, fils de pute, va te faire voir, triple
zéro, va te faire enculer et prends-toi un cancer du cul, va
chier, va te faire foutre, je t’emmerde, tu me les brises,
connard de mes deux, va mourir, casse-toi, raclure, tire-toi,
bouge de là, j’en ai rien à foutre de toi, tu peux crever,
trou du cul, dégage, allez, vas-y, va te faire mettre jusqu’à
l’os, prends-en pour ta dose, tu peux croupir en enfer, tu me
fais gerber, sac à merde. »
« Merci, je te remercie, c’est vraiment gentil, à charge de
revanche, ça n’a pas de prix, je te le rendrai au centuple,
Dieu te le rendra, tu m’ôtes un poids, t’es génial, t’es l’as
des as, c’est toi le meilleur, t’es vraiment un chic type,
qu’est-ce que je ferais sans toi, tu mérites ce qu’il y a de
mieux, tu es un cœur, je t’adore, je pourrai jamais te rendre
la pareille, grâce à toi je revis, si tu savais de quel
merdier tu m’as tirée. »
Les expressions, collées entre elles sont synonymes, mais
perdent leur sens au milieu du chaos et de la profusion de
l’hypocrisie. La parole est associée à cette machine qui
consomme et qui recrache perpétuellement la même merde.
Finalement, les paragraphes sont tous les mêmes, il n’y a plus
d’identité de la parole et des formes de politesse – ou des
formes de violence verbale –, ce qui doit être dit est dit
mécaniquement, sans réflexion. D’une ironie pourtant glaçante,
ce texte est drôle, car il nous rappelle que ce que nous
disons à autrui est parfois le contraire de ce que nous
pensons exactement, où le quoi de neuf peut en fait vouloir
dire ferme ta gueule. Entre hypocrisie humaine, et hypocrisie
publicitaire, Rodrigo Garcia n’hésite pas à dénoncer ce qui
doit être dénoncé par le biais de la déconstruction textuelle,
mais également scénique.
Sublimer la violence ?
Rodrigo Garcia n’hésite pas à aborder le sujet un peu tabou de
la violence, qu’elle soit individuelle, sociale, conjugale,
sexuelle ou même alimentaire. La société de consommation nous
apporte une telle violence faite d’éclairages éblouissants au
néon, de musique assourdissante dans les magasins de
vêtements, d’hommes machines, de Big Mac donnés à nos enfants,
de télé-trottoirs absurdes, et des cris du voisin qui frappe
sa femme.
La violence est partout, elle nous pénètre silencieusement,
sans générer chez nous le moindre soubresaut.
Rodrigo Garcia arrive alors à extirper la violence de la
société avec une grande distanciation, à la disséquer d’un
point de vue presque scientifique – ou du moins objectif
– tout en utilisant des mots crus :
« Une fois, j’ai fait six tonneaux dans ma voiture, avec la
ferme intention de vérifier si la Passion selon saint Matthieu
de Bach y résisterait. Ce fut un accident intéressant, il
pleuvait des cordes, et la Passion résonnait dans la voiture
(…)
D’un pied, j’essayais d’appuyer sur le frein, d’une main je
tenais le volant, de l’autre je faisais tout pour me protéger
le visage, histoire d’éviter que les bouts de verre du parebrise ne transforment ma gueule en passoire, de mon oreille
gauche j’écoutais mon labrador gémir sur le siège arrière et
de mon oreille droite je suivais attentivement la Passion
selon saint Matthieu. »
Extrait de Golgotha Picnic, retranscrit dans Cendres.
Croyance religieuse et violence sont ici associées, puisque la
Passion selon Saint Matthieu de Bach sublime tout au long de
l’accident la violence du choc. Or, dans un monde qui n’a plus
de croyances, plus rien à quoi se raccrocher à part le
MacDonald’s, pourquoi se servir de la Passion selon saint
Matthieu comme sublimation ? La voiture fond, l’autoradio
avec, et la seule musique reste celle des hurlements du chien
sur le siège arrière. Il n’y a plus de sublimation par la
musique, il ne reste que la chair brûlée et la couleur rouge
sombre du sang parmi les débris. La scène est un opéra qui se
termine trop brusquement. S’affranchissant de ce nihilisme,
nous pouvons alors peut-être retrouver une croyance, si l’audelà se situait dans la création scénique.
Cendres de Rodrigo Garcia est un recueil qui a évidemment une
problématique de lecture : comment ne pas mal interpréter le
texte, ressentir la réalité artistique, alors que l’écrivain
lui-même juge que ces textes ne sont que des cendres, des mots
qui sont déjà presque morts après la scène ? Il s’agit alors
d’affronter cette problématique, rien que pour lire le
discours sur les pets de Ronald, le clown de MacDonald’s,
ou J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe. Car
le texte en lui-même est tellement réel et juste sur la
société, sur moi, sur toi, sur nous grâce à cet humour noir,
frappant, plein d’ironie. Et l’envie d’aller manger un Big Mac
se fera sans doute moins ressentir :
« Celui qui mange ça ne pourra plus jamais penser correctement
de sa vie.
Et je peux le démontrer scientifiquement.
Voilà pourquoi le mieux est de verser de la mort-aux-rats dans
le Happy Meal entre autres. »
Morgane Mazé
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