Syndrome du QT court

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Revue
mt cardio 2005 ; 1 : 475-8
Syndrome du QT court
Fabrice Extramiana
Service de cardiologie, hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise-Paré, 75475 Paris Cedex 10
<[email protected]>
l’association d’un intervalle QT court (QTc < 320 ms) sur l’électrocardiogramme et de la survenue de troubles du rythme auriculaire et/ou
ventriculaire sur un cœur par ailleurs considéré comme sain. Cinq ans après la première description clinique, il existe déjà trois formes décrites,
correspondant à des mutations dans trois gènes différents et aboutissant à une augmentation des courants ioniques repolarisants IKr, IKs et IK1.
Certaines études suggèrent que la majoration de la dispersion transmurale de la repolarisation consécutive à un raccourcissement hétérogène
de la durée de la repolarisation ventriculaire pourrait constituer le substrat arythmogène de ce syndrome. L’implantation d’un défibrillateur
automatique semble actuellement le meilleur traitement préventif chez les patients symptomatiques présentant des antécédents familiaux de
mort subite. Cependant, l’histoire naturelle de ce syndrome est encore mal connue, et s’il est important d’en faire le diagnostic, la prise en charge
en reste encore difficile.
Mots clés : QT court, mort subite, canalopathie
Abstract. Short QT syndrome. The short QT syndrome is a novel cause for sudden cardiac death. It is characterized by a short QT interval
(QTc < 320 ms) in the ECG, the absence of structural heart disease, a familial history of sudden cardiac death and major (resuscitated cardiac
arrest, syncope) or minor (palpitations, dizziness, atrial fibrillation) arrhythmic events. Five years after the first description, mutations in genes
encoding for 3 different potassium currents (IKr, IKs and IK1) have been associated with the syndrome. Experimental data suggest that
heterogeneous abbreviation of action potential duration among the different cell types spanning the ventricular wall creates the substrate for the
genesis of ventricular arrhythmias under conditions associated with short QT intervals. So far, the implantation of a defibrillator appears to be
the safest choice in symptomatic patients with a family history of sudden cardiac death. However, the natural history of the syndrome is not yet
well documented making the treatment decision process difficult. Nevertheless, this new syndrome deserves to be recognized in order to
prevent sudden cardiac death.
Key words: short QT syndrome, sudden cardiac death, potassium currents
L
mtc
Correspondance : F. Extramiana
e syndrome du QT court est le
dernier né des syndromes génétiques responsables de mort subite.
Alors que l’association entre un QT
court et le risque de mort subite avait
été suspectée par des études épidémiologiques [1], l’identification du
syndrome est toute récente, avec une
première publication datant de l’année 2000 [2]. En quelques années seulement, une cause génétique a pu être
démontrée et nous connaissons déjà
trois types génétiques de ce syndrome.
Cette rapidité des découvertes aboutit
à une situation inédite dans laquelle la
génétique du syndrome est mieux
connue que son histoire naturelle.
D’autre part, le nombre d’articles publiés sur ce syndrome est en passe de
dépasser le nombre connu de patients
qui en sont atteints.
mt cardio, vol. 1, n° 5, septembre-octobre 2005
Il est donc très important d’avoir à
l’esprit que les données concernant ce
syndrome et que nous nous proposons
de passer en revue dans cet article
doivent être considérées comme très
préliminaires et susceptibles de modifications rapides.
Définition et description
du syndrome
Le syndrome du QT court est caractérisé par l’association d’un intervalle QT court sur l’électrocardiogramme et de la survenue de troubles
du rythme auriculaire et/ou ventriculaire sur un cœur par ailleurs considéré comme sain [2-4].
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Résumé. Le syndrome du QT court est un syndrome génétique récemment découvert, responsable de mort subite, caractérisé par
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Syndrome du QT court
Description électrocardiographique
La notion de QT court doit être quantifiée et si l’on
retient un QTc < 320 ms, cette limite est pour l’heure
encore empirique et sujette à caution. En effet, l’intervalle
QT dans ce syndrome est caractérisé par un défaut d’adaptation à la fréquence cardiaque [5]. Il en résulte que
l’utilisation des formules classiques de correction de l’intervalle QT en fonction de la fréquence cardiaque (par
exemple la formule de Bazett) est probablement inadaptée
dans ce syndrome. En l’absence de données plus précises
pour l’instant, il est conseillé de mesurer l’intervalle QT à
des fréquences cardiaques pas trop rapides (< 80 bpm).
Les cas publiés jusqu’à présent montrent des intervalles
QT dont le caractère « très court » est évident (figure 1). Il
n’est cependant pas exclu que ces cas correspondent à des
formes caricaturales et que des intervalles QT moins nettement courts puissent être associés à des événements
rythmiques [6]. Dans la plupart des cas publiés, le raccourcissement de l’intervalle QT semble associé à une
onde T symétrique, pointue et positive débutant juste
après la fin du QRS [4, 7, 8]. Il semble cependant que ce
caractère symétrique de l’onde T ne soit pas trouvé dans
toutes les formes du syndrome [9].
Description clinique
Sur le plan clinique, les patients atteints du syndrome
ont par définition un cœur normal. Sur le plan fonctionnel,
les patients peuvent être asymptomatiques, présenter des
palpitations, des malaises, des syncopes ou des morts
subites. Les palpitations et les malaises ont pu être associés
à la survenue d’épisodes de fibrillation auriculaire paroxystique ou permanente [2]. D’autre part, les mémoires
des défibrillateurs ont permis de documenter que syncopes et morts subites étaient la conséquence d’arythmies
ventriculaires rapides (fibrillation ventriculaire et tachycardie ventriculaire polymorphe) [8-10].
Les troubles du rythme peuvent survenir aussi bien
chez le nouveau-né qu’après 60 ans. La survenue d’une
fibrillation auriculaire peut précéder celle d’une syncope
et d’une mort subite. Cependant, la mort subite peut
également être le premier symptôme de la maladie.
Revue
Étiologie et mécanismes
Le syndrome peut se présenter sous la forme de cas
sporadiques, mais la notion de formes familiales a été
décrite très tôt, orientant vers une cause génétiquement
transmissible. Sur le plan théorique, le raccourcissement
de la durée de la repolarisation peut-être la conséquence
soit d’une augmentation de courants repolarisants, soit
d’une diminution de courants dépolarisants. Ce rationnel
a permis de cibler très vite des gènes candidats, et moins
de 5 ans après la première description clinique, nous
connaissons déjà trois formes correspondant à des
476
I
V1
II
V2
III
V3
IVR
V4
IVL
V5
IVF
V6
Figure 1. Fréquence cardiaque 52 bpm, QT = 280 ms
(d’après [4]).
mt cardio, vol. 1, n° 5, septembre-octobre 2005
Type
Gène
Courant
ionique
Conséquences
fonctionnelles
Référence
SQTS1
KCNH2
IKr
7
SQTS2
KCNQ1
IKs
SQTS3
KCNJ2
IK1
Gain de
fonction
Gain de
fonction
Gain de
fonction
8
9
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SQTS = short QT syndrome.
mutations dans trois gènes différents (tableau 1). Les mutations actuellement connues sont toutes à l’origine d’un
gain de fonction et donc d’une augmentation des courants
ioniques repolarisants. Ce gain de fonction peut être la
conséquence d’une augmentation de la conductance unitaire, d’une anomalie des propriétés de rectification, d’un
déplacement d’activation vers une phase plus précoce du
potentiel d’action ou encore d’une augmentation de courant repolarisant accélérant la phase terminale de la repolarisation [7-9]. Les gènes codants pour IKATP et IKAch sont
deux autres gènes candidats.
Peu de choses sont connues concernant les mécanismes électrophysiologiques des arythmies observées dans
le syndrome du QT court. Les mutations décrites sont
toutes responsables d’un raccourcissement de la durée du
potentiel d’action ce qui, d’un point de vue théorique,
peut faciliter la survenue de fibrillation (au niveau auriculaire ou ventriculaire) par le biais d’une diminution de la
longueur d’ondes de circuits de réentrée. D’autre part, les
canaux ioniques n’étant pas répartis de manière homogène dans le myocarde, l’anomalie d’un type de canal
peut aboutir à une majoration des hétérogénéités spatiales
de la repolarisation ventriculaire et constituer ainsi un
substrat fonctionnel de réentrée [11, 12].
Diagnostic
Compte tenu du faible nombre de patients connus
présentant le syndrome (quelques dizaines !), du faible
recul et de l’absence d’études importantes, il est particulièrement difficile de faire des recommandations précises
pour la prise en charge et le traitement des patients atteints
de ce syndrome. Ce qui suit relève donc plus du bon sens
que d’une attitude médicale fondée sur les preuves.
La première étape du diagnostic doit consister à éliminer les causes transitoires ou acquises de raccourcissement de l’intervalle QT. La durée de la repolarisation peut
être raccourcie par une hyperkaliémie, une hypercalcémie, une acidose, une ischémie myocardique aiguë, une
hyperthermie, un phéochromocytome ou un traitement
digitalique ; toutes ces causes doivent donc être recherchées. Nous avons discuté plus haut des difficultés potentielles de correction de la durée de l’intervalle QT en
fonction de la fréquence cardiaque. Le caractère court de
l’intervalle QT sera plus facilement documenté par la
répétition des électrocardiogrammes, par un enregistrement Holter ECG des 24 heures et par une épreuve d’effort. Ces deux derniers examens permettent également
d’objectiver l’anomalie d’adaptation de l’intervalle QT
aux changements de fréquence cardiaque. L’exploration
électrophysiologique endocavitaire permet de mesurer
des périodes réfractaires courtes tant auriculaire que ventriculaire et le plus souvent de déclencher une fibrillation
ventriculaire [4, 5]. Il est trop tôt pour savoir si la positivité
de la stimulation ventriculaire programmée a une valeur
prédictive d’événement rythmique ventriculaire. La réponse à cette question ne pourra être connue rapidement
que si cet examen est réalisé de manière systématique.
Enfin, la notion de cœur sain doit être validée par une
échographie cardiaque et il ne faut pas oublier de réaliser
une enquête génétique et familiale la plus exhaustive
possible.
Traitement
L’histoire naturelle du syndrome étant encore très mal
connue mais caractérisée par un taux élevé de mort subite
dans les familles décrites, et en l’absence d’éléments
prédictifs de ce risque de mort subite, il semble légitime de
proposer l’implantation d’un défibrillateur automatique
aux patients symptomatiques ayant des antécédents familiaux de mort subite [4, 7, 10]. Il faut signaler que les
caractéristiques de l’onde T observées dans ce syndrome
peuvent être à l’origine d’une sur-dérection de l’onde T
aboutissant à des chocs inappropriés [13].
La légitimité de l’implantation d’un défibrillateur est
encore renforcée par certaines observations de l’effet des
antiarythmiques dans ce syndrome. En effet, dans le syndrome du QT court de type 1 dans lequel la mutation est
responsable d’une augmentation de la composante rapide
du courant potassique rectifiant retardé (IKr), le blocage
sélectif de ce courant par le sotalol est inefficace aussi bien
in vitro qu’in vivo [4, 7]. En revanche, la quinidine qui
bloque de nombreux courants ioniques impliqués dans le
potentiel d’action ventriculaire semble capable d’allonger
la durée du QT, de restaurer une fréquence dépendante du
QT et de négativer la stimulation ventriculaire programmée chez les patients porteurs du syndrome du QT court
de type 1 [5, 14]. Ce résultat, qui n’est pas sans rappeler ce
qui est observé dans le syndrome de Brugada avec cette
molécule [15], devra cependant être validé par des études
cliniques prospectives et randomisées. Il faut également
rappeler que ni la quinidine ni les autres antiarythmiques
n’ont été testés dans les syndromes de type 2 et 3, de
description plus récente.
Enfin, il n’y a pas pour l’instant de données fiables pour
orienter la prise en charge des arythmies atriales observées
dans ce syndrome.
mt cardio, vol. 1, n° 5, septembre-octobre 2005
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Revue
Tableau 1. Formes génétiques du syndrome du QT court
Syndrome du QT court
Dans l’état actuel des connaissances, le syndrome du
QT court pose surtout des questions. La prévalence de ce
syndrome n’est pas connue, il n’y a pas de valeur seuil de
durée de QT formelle pour en établir le diagnostic, il existe
une hétérogénéité génétique déjà importante potentiellement responsable de différences phénotypiques. En l’absence d’outils de stratification du risque rythmique, la
seule solution thérapeutique envisagée pour l’heure est
l’implantation d’un défibrillateur automatique, alors
même que cette attitude n’est pas validée.
L’élément le plus important est probablement de savoir
rechercher un QT court chez les survivants d’une mort
subite ressuscitée, chez ceux atteints de FA ou présentant
des palpitations ou des syncopes et de recueillir un maximum d’informations sur ce nouveau syndrome dont l’histoire naturelle reste en grande partie à écrire.
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Conclusion
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