Logistique & Management Prévenir et gérer les risques de stock : l’apport des modèles d’options à la rentabilité de l’entreprise et ses prospectives Thierry BRUTMAN Conseiller économique, Président Hostorg Risk Management [email protected] L’analyse traditionnelle de la gestion de stocks ne voit dans ceux-ci qu’une source de coûts : le premier est le coût de détention, le second est le coût opérationnel. Aucune approche n’a élargi la problématique de la gestion du stock dans le temps. Cet article a pour objet l’impact de gestion du temps sur la politique de stock d’une part et sur la création de valeur au travers des modifications de prévisions de ventes d’autre part. Jusqu’à ce jour, l’analyse de la gestion du stock s’est focalisée sur le niveau adéquat d’approvisionnement avec deux objectifs centraux : éviter les sur-stocks et éviter les invendus. Toutefois, aucune approche n’a élargi la problématique de la gestion du stock dans le temps. Nous allons montrer dans le présent article comment la définition du stock comme un « actif financier » résout un grand nombre de problématiques pratiques qui n’avaient suscité que des réponses partielles, en répondant notamment aux questions suivantes : à partir de quel moment une société doit elle modifier sa politique de prix et/ou sa politique d’approvisionnement par rapport aux prévisions de ventes ? à quel prix est-il rationnel et rentable de vendre quand l’objectif de vente n’est pas réalisé ? quelle politique appliquer aux invendus ? à partir de quel moment est-il rentable, en fonction des prévisions de ventes et des risques, d’accroître son investissement en stocks ? quel est l’impact de la politique de stock et de prix sur la valeur de la société ? Nous allons montrer qu’en réalité le stock est une option. Nous en verrons les conséquences pratiques et l’impact théorique sur le mode de Vol. 14 – N°1, 2006 prise de décision d’une entreprise puisqu’alors la gestion du stock n’est séparable ni de la politique des prix, ni de la gestion de trésorerie, ni de la valeur de la société. Des outils de gestion du stock qui manquent…. En pratique, les objectifs de la gestion classique des stocks et plus généralement de la supply chain sont les suivants : avoir des stocks suffisants pour se protéger du risque de rupture de l’approvisionnement de ses clients d’une part et ne pas avoir un stock trop important pour limiter la valeur des invendus d’autre part. Rien n’indique que le stock est un actif qui pourrait permettre de créer de la valeur dans une société. L’analyse traditionnelle de la gestion de stocks ne voit dans ceux-ci qu’une source de coûts : le premier est le coût de détention (taux d’intérêts des fonds immobilisés en terme de stock), le second est le coût opérationnel qui inclut à la fois les coûts des surfaces et des Remerciements spéciaux à Alain Martin, Manager Headlink-Partners, ECL avec qui le modèle a été testé, ainsi qu'à Herve Hillion, VP Headstrong, Julien Dutreuil, Ecole des Mines de Paris, et Charles Bienfait, Ecole Centrale de Paris pour la validation des travaux dans la Supply Chain. 43 Logistique & Management manipulations et du risque de dévalorisation du stock en cas d’obsolescence ou d’invendus. Aucune étude n’a, jusqu’à ce jour, eu pour objet l’impact de la gestion du temps sur la politique de stock d’une part et sur la création de valeur au travers des modifications de prévisions de ventes d’autre part. D’une manière synthétique, aucune étude n’a donc eu pour objet l’impact de la gestion du temps sur la performance et la rentabilité globale de l’entreprise intégrant gestion du risque et opportunité probabiliste de gain. On observera qu’au contraire le stock est le facteur premier de la rentabilité d’une entreprise. Qu’entendons-nous par rentabilité globale ? Dans le cadre de cette définition, nous entendons par rentabilité globale le retour sur les fonds investis dans un actif, à travers tout le processus de décision et d’opération. Cette approche n’a pu être menée en raison d’une appréciation erronée ou insuffisante de ce qu’est « l’actif stock ». De facto, selon ces théories, le stock n’a aucune valeur, en conséquence de quoi l’objectif stratégique communément admis est de réduire ce stock à zéro et ne produire que juste à temps. Cette approche se cumule avec une gestion des stocks en quantité économique et dont les bases sont les traditionnels modèles d’approvisionnements issus des travaux de Harris et de Wilson. Voici les conclusions que l’on peut en tirer : Après avoir parcouru l’essentiel des modèles de gestion de stocks répandus et les avoir testés, il apparaît que la plupart d’entre eux sont des modèles d’approvisionnement et d’ordonnancement. De manière pratique et à commencer par le premier d’entre eux, le modèle de Wilson, ces modèles servent soit à déterminer un volume de stocks (et éventuellement une valeur) en fonction d’un type de demande (les demandes étant considérées comme des fonctions continues), soit à déterminer le moment où le stock doit donner lieu à une commande de réapprovisionnement. De telles approches, pourtant, ne permettent pas d’estimer, à tout moment, la valeur d’arbitrage d’un stock en fonction d’une variation de l’expression de la demande pour les produits qu’elle concerne. Elles ne fournissent donc pas un outil efficace de gestion face au comportement du consommateur. 44 Les limites des modèles traditionnels sont une cause de l’insuffisance des outils de gestion de stocks…. Le manque de prise en compte de ce paramètre dans les modèles traditionnels est dommageable, d’autant plus que l’apparition accélérée de nouveaux produits et le raccourcissement de leur cycle de vie accroissent la nécessité d’une analyse en temps réel pour éviter des pertes substantielles. Aussi y a-t-il, d’après nous, deux conséquences principales : • Une conséquence conjoncturelle d’abord, liée à l’obligation d’intégrer les nouvelles normes comptables internationales (IAS/ IFRS). En effet, la mise en œuvre des nouveaux standards financiers suppose que chaque élément d’actifs d’une entreprise soit évalué, à terme, à sa valeur de marché. On comprend alors la difficulté de trouver une méthode d’évaluation efficace et reconnue par toutes les fonctions de l’entreprise ainsi que par les organismes de rating financier (qui n’ont aucune expérience dans le domaine, ni la taille suffisante, ni les équipes nécessaires pour effectuer une telle évaluation pour toutes les entreprises concernées). • Surtout en ne fixant pas une valeur d’arbitrage à tout instant pour les stocks détenus, les modèles classiques ne permettent pas de déterminer les moments où des politiques de déstockage doivent être entreprises, ni de donner les indicateurs nécessaires aux directions générales pour modifier les stratégies produits afin d’éviter des accumulations de stocks passifs. La détermination d’une valeur d’arbitrage permet, elle, de donner une telle information qui servira à modifier des politiques de prix, des politiques d’approvisionnement, et de modifier les conditions de paiement auprès des fournisseurs en fonction des résultats de marchés. Elle évitera donc les accumulations de stocks connus dans le passé et se traduira par une réactivité plus grande dans le choix des produits en stock, le tout générant l’accroissement des marges de l’entreprise. En ne traitant pas la question de la rentabilité du stock et celle de son évolution dans le temps, alors la gestion stratégique et financière se prive objectivement des outils nécessaires pour déterminer ce qui doit être fait pour gérer ou prévoir les erreurs, pour gérer de manière dynamique les éventuelles périodes de déstockages, pour déterminer les dates et les conditions de promotions et de prix ou tout Vol. 14 – N°1, 2006 Logistique & Management simplement en fonction des objectifs de ROE (retour de rentabilité comparé aux fonds propres) et des risques que l’on est prêt à prendre à cette fin : déterminer et faire évoluer en temps réel, les budgets qu’il convient d’investir, désinvestir ou répartir dans chaque type de stocks faisant partie des familles de produits qu’une entreprise souhaite commercialiser. Présenter a contrario est donc un moyen d’optimiser la répartition relative entre placement en trésorerie et placement en stocks. L’approche par les modèles d’options issus des marchés financiers comme outil de gestion de stocks Nous allons voir que le stock est assimilable à une option et qu’il est donc possible d’utiliser des modèles pour évaluer la variation de valeur d’un stock à tout moment en fonction des évolutions de la demande. Ces méthodes d’évaluation sont bien connues des financiers ; les modèles qui peuvent s’appliquer sont les modèles de loi binomiale et ceux encore plus connus de Black and Scholes. Des similitudes entre l’achat d’actions et de stocks Le modèle de Black and Scholes est un des modèles les plus populaires de la finance moderne. Il a été conçu initialement pour le marché des options, marché sur lequel il est possible de payer une prime pour acheter une action à un prix déterminé, couramment appelé « strike » ou prix d’exercice de l’option, à une date ultérieure (ou pendant une période) déterminée. Cette date est appelée l’échéance de l’option. A l’échéance, rien ne peut assurer que le prix de l’action, effectivement constaté sur le marché sera conforme à la Pourquoi les hypothèses mathématiques du Modèle de Black and Scholes sont réunies par Julien Dutreuil, Ecole des Mines de Paris, Consultant Headlink-Partners Le comportement des industriels vis-à-vis de leurs stocks évolue régulièrement alternant des fonctionnements orientés Service et orientés Actifs : l l Le modèle orienté Service génère des surcoûts parfois difficilement contrôlables, en particulier à cause de l’équilibre instable entre l’offre et la demande Le modèle orienté Actifs entraîne une course effrénée à la réduction des stocks industriels, fragilisant ainsi le taux de service et accroissant la pression sur les fonctions de production Ce que nous montre cet article, c’est d’abord que le stock a une rentabilité propre facile à calculer, ensuite, que cette rentabilité permet justement d’effectuer un arbitrage entre les Actifs et le risque Service. Le calcul de cette rentabilité passe par l’utilisation du modèle de Black and Scholes, un modèle de référence en finance de marché. Pourquoi ce modèle est-il efficace dans ce contexte industriel ? Car il permet d’estimer la valeur d’un stock, vu comme une option de vente, par rapport à une demande aléatoire, vue comme un cours. Contrairement au modèle classique de Black and Scholes, nous ne disposons pas du cours … Il faut alors l’estimer au préalable pour identifier l’opportunité d’arbitrage. Le modèle est alors le suivant : On peut maintenant boucler le modèle en contrôlant les lancements de production à partir de cette valorisation. Bien entendu, certains facteurs extrinsèques vont venir compléter l’arbitrage. Cependant on peut alors, pour la première fois, optimiser une Supply Chain à la fois en service et en coûts. Ce modèle de fonctionnement est décrit par le schéma suivant : Vol. 14 – N°1, 2006 45 Logistique & Management prévision que l’on a réalisée au moment du paiement de la prime. A tout moment pendant cette période, le prix de cette prime -ou très exactement, le prix constaté de marché - va évoluer en fonction du cours réel de l’action. La formule de Black & Scholes vise, au moment où l’on cherche à investir, à déterminer le prix à payer pour acheter ce droit en fonction de l’évolution du cours de l’action. Aussi surprenant qu’il puisse paraître, ce modèle correspond exactement au comportement à adopter en matière de gestion de stocks En premier lieu, acheter une option pour avoir le droit d’acheter une action à un prix déterminé à une date ultérieure, est tout à fait conforme à l’achat d’un stock. En effet, on acquiert un stock en vue de réaliser une vente ultérieure dans un profil de temps délimité. Le prix d’achat du stock est donc équivalent à l’achat d’une option d’achat, appelé « call » dans le jargon des marchés. Et ce prix ne sera rentable que si à échéance ou pendant la période de référence, la vente se réalise. En second lieu, la valeur de l’action du modèle de Black and Scholes est le retour de cash attendu de la réalisation de la vente pour l’échéance déterminée c’est à dire son espérance au sens mathématique, qui est obtenu par la multiplication de la probabilité de la vente par le prix de vente fixé à cette échéance. Une telle définition rend le modèle entièrement compatible avec les modèles de gestion de trésorerie. De plus, l’intégration des probabilités de ventes apporte une valeur ajoutée au modèle que nous intègrerons plus loin. Il s’agit donc d’un modèle spécifique dérivé de Black and Scholes que l’on appellera ici modèle BSB. En troisième lieu, le délai d’exercice de l’option sera la durée pendant laquelle la détention du stock ne génère pas de perte pour l’entreprise ou de manière plus pratique, la période correspondant aux délais prévus pour vendre le stock au moment de l’approvisionnement. A minimum, le délai de cette option est la durée nécessaire à la fabrication ou la mise à disposition du produit vendu. Ceci a une conséquence sur le choix du modèle à appliquer. En effet si on résonne sur la base d’un délai minimum de réapprovisionnement et que l’on prend pour principe l’absence de rupture de stock, alors il convient d’appliquer un modèle d’évaluation d’options de types européennes pour lesquelles la livraison du 46 sous-jacent ne peut avoir lieu qu’à échéance de l’option. Ainsi, nous nous retrouvons donc bien dans les conditions d’application du modèle de Black and Scholes. Au-delà de la durée d’option du troisième point, toute détention du stock est une perte qui s’accroît au fur et à mesure du temps. Intrinsèquement, l’application du modèle suppose une application de comptabilité financière basée sur le first-in-first out (FIFO). Créer un portefeuille d’arbitrage entre stocks et prévisions de ventes Le modèle de Black and Scholes vise à constituer un portefeuille sans risque en associant une position en option et une position sur l’action correspondante. A cette fin, il faut donc combiner une position longue sur une action et une position courte sur une option d’achat, pour que toute variation du cours de l’action soit entièrement compensée par une variation identique, mais de sens inverse, de la valeur de l’option. Il convient également que ce portefeuille d’arbitrage soit continuellement réajusté afin d’intégrer l’évolution respective des valeurs de l’action et de l’option. Appliqué à la gestion de stocks, le modèle de Black and Scholes consiste donc à créer un portefeuille d’arbitrage entre des stocks et des prévisions de vente. Dès lors, à partir du moment où un stock a été constitué, sa valeur va évoluer au fur et à mesure de la réalisation des prévisions de vente déterminant un prix d’arbitrage à tout moment. On voit bien alors l’importance des modifications des prévisions de l’entreprise afin de déterminer la valorisation des stocks en fonction des objectifs initiaux et l’utilisation qui peut en être faite dans la politique de prix ou de concentration des stocks sur un certain nombre de références d’une entreprise. Dès que le prix d’arbitrage diffère sensiblement du prix de vente associé à la probabilité la plus élevée de la réaliser, il vaut mieux vendre à prix réduit ou éventuellement remplacer des gammes de produits. Une telle politique donnera des marges nettes sensiblement plus élevées pour l’entreprise de manière consolidée, les pertes consolidées étant plus que compensées par les marges des nouvelles références de produits. On est alors assez proche de la politique d’optimisation Vol. 14 – N°1, 2006 Logistique & Management Γ, la durée de l’option, correspondant à l’horizon prévu de dissipation des stocks en fonction du plan de vente, avec un délai minimum égal au temps de réapprovisionnement quand on mène une politique de rupture de stock zéro des chiffres d’affaires générés par rayon de la grande distribution. Comment utiliser ce modèle en pratique σ, l’écart type couramment constaté entre prévision de vente et réalisation (qualité de la prévision) L’application de la formule de Black & Scholes pour la valeur d’arbitrage d’un stock sera alors la suivante : r, est le taux d’intérêt du marché sans risque. Le taux d’intérêt sans risque pourrait être remplacé par le taux de rentabilité associé à d’autres produits s’il existe plusieurs possibilités de produits à vendre ou à distribuer. C = S Φ(d 1 ) - E . exp(-rr) Φ(d 2 ) Où Φ(d) représente la loi normale cumulée de « – l’infini » à « d » avec Le tableau ci-dessous montre certains des principaux apports de l’application de ce modèle, qui intègre à tout moment les prévisions commerciales et leurs variations en temps réel pour déterminer l’intérêt de continuer à détenir du stock. S 1 d1 = (Log( ) + (R + ( ) σ 2 )Γ) / σ Γ , E 2 d 2 = d1 - σ Γ C est donc la prime d’intérêt à détenir le stock, S, l’espérance de retour de trésorerie issue de la vente prévue (l’espérance de cash return, c’est-à-dire sa probabilité multipliée par le prix de vente prévu) On remarquera la stabilité du modèle par rapport à des écarts sur prévision, au sens où lorsqu’en début de période (le mois 2) seul 82 % de l’objectif de vente mensuel est réalisé, le prix d’arbitrage proposé (36,99 €) reste plus élevé que le prix de revient (32,83 €). Il n’y a pas d’effet « bradage ». E, le prix d’exercice du stock assimilable à sa valeur d’achat plus son coût de détention, R, le logarithme népérien de (1+ le taux d’intérêt sans risque « r »), ce qui représente le taux continu d’intérêt et permet une mesure plus précise pour des périodes divisibles courtes du taux d’intérêt annuel lorsque l’on effectue des calculs par exemple en nombre de mois. Lorsque les objectifs sont conformes aux prévisions, le prix d’arbitrage est supérieur au prix de vente du produit, ce qui est justifié à la fois par le fait que la vente de stock est alors le meilleur investissement pour l’entreprise et que le taux d’erreur sur les prévisions est Voici comment ce modèle peut être utilisé en pratique : Prix de vente du produit 40,00 40,00 40,00 40,00 40,00 40,00 Tx de réalisation des objectifs de vente 100% 82% 98% 96% 92% 99% 40,00 94% S (espérance de retour de trésorerie) 40,00 32,80 39,20 38,40 36,80 39,60 37,60 E (montant de l’investissement en stock) 32,50 32,83 33,15 33,48 33,82 34,16 34,50 (prix d’achat 27,5 €, + 5 € d’entrée puis augmenté du coût de détention 1% par mois pour l’exemple) écart-type 0,30 0,30 0,30 0,30 0,30 0,30 0,30 3 2 1 (écart type lié à la qualité des prévisions durée de l’option (mois) 7 6 5 4 (représente le délai pris en compte pour l’épuisement du stock commandé en fonction des objectifs de ventes prévus) Taux d’intérêt 3,92% 3,92% 3,92% 3,92% 3,92% 3,92% 3,92% R 0,0014 0,0014 0,0014 0,0014 0,0014 0,0014 0,0014 R= Tx d’intérêt continu D1 ¤(D1) 0,52 0,38 0,45 0,41 0,34 0,37 0,28 0,6995 0,6475 0,6752 0,6586 0,6325 0,6444 0,6100 D2 -0,27 -0,36 -0,22 -0,19 -0,18 -0,05 -0,02 ¤(D2) 0,3933 0,3608 0,4144 0,4241 0,4282 0,4784 0,4918 Valeur de Prime 15,32 Prix d’arbitrage (prix d’achat (27,5 € + Prime) Vol. 14 – N°1, 2006 42,82 9,49 12,83 11,17 8,86 9,22 5,99 -38,04% 35,13% -12,95% -20,69% 4,10% -34,99% 36,99 40,33 38,67 36,36 36,72 33,49 -13,61% 9,02% -4,12% -5,98% 1,00% -8,79% 47 Logistique & Management élevé, laissant une possibilité de sur-réalisation des objectifs de vente. La probabilité de non-réalisation de l’objectif n’est pas telle qu’il faille accepter une offre à un prix inférieur au prix de vente. Au fur et à mesure que le temps passe, l’effet temps joue en défaveur de la conservation du stock en même temps que les modifications à la baisse des prévisions de vente. Du reste, il convient en fait de calculer le taux de réalisation des objectifs par cumul de périodes ce qui, dans le cas de notre exemple, accélère de phénomène de reconnaissance de dépréciation. Dès lors, si le stock existant est supérieur aux prévisions (ce qui est le cas ici où l’objectif n’est pas réalisé à 100 % à tout moment), il devient rentable de vendre dès que le prix proposé est supérieur au prix d’arbitrage ou de vendre des productions à terme à prix réduit. Il est par ailleurs possible de rendre le modèle encore plus dynamique en assimilant la prévision de vente à une loi de Poisson, ce qui permet, alors, au fur et à mesure des réalisations de projeter encore plus efficacement les données. On notera que c’est seulement au début du 7e mois que le prix d’arbitrage commence à être inférieur au prix de revient en raison d’une baisse des réalisations de ventes par rapport aux objectifs. Etablir une règle d’arbitrage rigoureuse On a donc avec ce modèle, un véritable modèle de stratégie de promotion qui se déroule avant que des stocks passifs ne s’accumulent et qui préserve donc au mieux les marges de l’entreprise. Cette méthodologie permet d’établir une règle d’arbitrage rigoureuse pour la gestion des stocks susceptible d’être appliquée directement par une direction de la logistique et de la Supply Chain, après fixation des objectifs d’une entreprise avec la direction générale et la direction financière. Elle peut permettre alors une externalisation totale de cette fonction. Les critères d’arbitrage peuvent varier selon le mode de gestion d’une entreprise, en fixant par exemple comme prix d’exercice, celui intégrant le taux de marge minimum qu’une entreprise souhaite dégager pour ses actionnaires et non le prix de revient. A noter aussi qu’il est possible d’effectuer les arbitrages avec les modèles d’options applicables aux 48 options américaines (permettant l’exercice de l’option à tout moment), mais pour des raisons de simplification pédagogique, nous avons préféré ici présenter le modèle basé sur les options européennes (livraison à échéance de l’option des titres), ce qui a, du reste, peu d’impact sur le résultat en raison du peu de volatilité des prix dans le monde des affaires. Les règles de gestion d’arbitrage qui en découlent peuvent être alors les suivantes : • Gérer de manière à ce que la prime de dé- tention du stock soit constante ou ne soit jamais inférieure à 50% de la valeur initiale, ceci peut être réalisé par des ventes préventives à prix réduits permettant de maintenir un minimum de marge ou en réduisant le volume des approvisionnements de sorte que la valeur de prime augmente. Dans ce dernier cas, on prend acte en réalité de l’existence d’un marché réduit. • L’augmentation de la valeur de la prime in- dique que s’il existe une élasticité de la demande il devient rentable d’accroître les stocks, les approvisionnements et la production. • Une autre application est d’utiliser le mo- dèle à trésorerie constante ou stable pour déterminer le mix produit le plus rentable et le plus porteur pour l’entreprise. Il faut alors trouver le portefeuille de produits qui optimise la prime de détention de stocks, somme des primes de chaque produit du portefeuille choisi. Un autre mode d’utilisation qui a l’avantage de prendre en compte le fait qu’une option n’est jamais égale à zéro dans un tel calcul est le suivant : la méthode consiste à déterminer si à une espérance de retour de cash donnée, il existe une valeur de x, de la fonction E(x), qui permet à la valeur de la prime de s’égaliser au coût d’achat et au départ au coût comptable. Si une telle valeur n’existe pas, il faut soit dévaloriser le prix du produit en valeur comptable en cas d’impossibilité d’augmenter les probabilités de ventes même à prix réduit, soit réduire les approvisionnements pour redonner de la valeur au stock, soit analyser une politique de prix alternative si celle-ci permet d’augmenter les ventes de manière plus que proportionnelle tout en accroissant la rentabilité sur coûts fixes. Cette méthode est donc un mode de valorisation de la politique des prix et des stocks au travers la valeur de la société. Vol. 14 – N°1, 2006 Logistique & Management Une valorisation des stocks et de la société On notera également qu’il s’agit d’un modèle de valorisation effective des stocks. De manière comptable, selon le mode d’évaluation choisi, le stock reste à valeur 100 tant que le prix d’arbitrage reste supérieur au prix d’exercice (de revient), ici pendant six mois. Il conviendrait de le déprécier le 7e mois de : (33,49-34,5)/34,5, soit 2,9 %. On remarquera que là encore l’importance de la réalisation des objectifs de vente dans la valorisation des stocks, puisque le 7e mois, si ce taux de réalisation avait été de 98 % et non de 94 %, il n’y aurait pas de dépréciation de stocks à intégrer. En effet, le prix d’arbitrage aurait été de 34,54 pour un prix de revient de 34,5. Pour une agence de rating financier et pour le choix des paramètres de gestion d’une société qui souhaite créer la valeur maximale avec un ROE optimum, cette méthode, associée à la connaissance de la structure d’âge des stocks, à leurs niveaux ainsi qu’à la tendance d’évolution des parts de marché d’une entreprise, permet de prévoir à court terme les variations de valorisation d’une société et ses perspectives de résultat intégrés dans le cours de bourse (pour celles qui sont aussi cotées). On en tire en effet les conclusions suivantes qui sont les conséquences directes de notre mode d’analyse 1. il est possible de manière préventive de gérer les stocks dans le temps. Comme le stock est un actif, sa gestion est possible avec les principes de l’asset-liability management. Le stock a en lui-même une rentabilité intrinsèque que l’on pourrait appeler « inventory internal rate of return » (IIRR).Mesuré « ex post », l’IIRR est calculé par le ratio bénéfice généré par l’exploitation commercial du stock sur la période de référence sur la valeur moyenne de la valeur des stocks détenus pendant la durée de cette période. Mesuré « ex ante », le stock possède une rentabilité brute espérée ou prévue, mesurée de la même manière mais avec un bénéfice prévisionnel et une valeur prévisionnelle des stocks détenus sur la période de référence. A ce taux prévisionnel est associé un risque de non réalisation des prévisions (une volatilité) et une durée moyenne prévue d’écoulement du stock qui sert de base en réalité aux prévisions de Vol. 14 – N°1, 2006 ROE de l’entreprise et aux choix sous-jacents. Cette hypothèse est conforme à la liaison rentabilité-durée de détention des stocks. Nul choix ne peut ignorer cet arbitrage. En conformité avec la réalité, plus le temps passe plus la rentabilité du stock diminue avec le temps, jusqu’à générer des pertes en cas de dévalorisation. Le taux « IIRR » est donc un élément essentiel de reporting et de décision. 2. le stock représente une valeur substantielle du total du bilan des entreprises et parfois autour de 15 à 20% de celui-ci. Or, le stock est une option particulière puisque si la constitution du stock est réalisée en fonction d’une politique de prix à un moment t et dans l’objectif de réaliser la vente dans un délai moyen, elle en même temps l’option de vendre à un prix inférieur ou supérieur. Puisque nous connaissons la valeur du stock en fonction de la politique des prix choisie, nous connaissons donc l’impact de la politique des prix sur la valeur de la société. Politique de prix et valeur d’une société sont donc, au travers du stock détenu, liées directement de manière mesurable et (presque) simple. Ceci amène en fait le principe suivant, le potentiel de valeur catalysée dans le stock est l’intégrale de toute la valorisation du stock en fonction des politiques de prix possibles : En reprenant la formule citée plus haut, on a alors ∫ C = S ∫ Φ(d 1 ) - E . ∫ exp(-rr) Φ(d 2 ) Avec ∫ : intégrale pour des valeurs de 0 à + ∞ du prix de vente espéré. On remarquera, mais ceci fera l’objet d’une étude ultérieure approfondie, que dès lors que le produit vendu connaît une demande fortement élastique au prix ou à des paliers, son potentiel peut varier considérablement indépendamment de la politique choisie en pratique. On appellera Potentiel de Valeur du Produit, sa valeur ∫ C et il devient possible de classer les produits entre eux suivant cette variable. On pourra en effet avoir un produit qui aura une valeur d’option à certain prix d’un certain niveau avec de très fortes variations de sa valeur potentielle. Plus cette dernière est élevée, plus il est possible de faire varier les politiques de prix du produit à comparer avec le potentiel de résultat. 49 Logistique & Management En théorie, si il n’y a pas d’erreur, la politique optimale de l’entreprise est la stratégie de prix qui optimise la valeur du stock au prix choisi. Toutefois, si l’élasticité prix est très importante et si finalement un prix plus bas peut donc se traduire par une part de marché tellement plus importante qu’elle rentabilise mieux les frais fixes, une erreur de stratégie peut être valorisée. La meilleure stratégie prix est celle qui se situe au prix qui donne la valorisation la plus élevée avec le risque le moins élevé On voit donc l’intérêt de cet outil pour juger la perte de valeur d’une entreprise générée par les erreurs de sa direction : il est probable qu’avec une telle approche, la valorisation des groupes Philips et Sony auraient été impactée encore plus en défaveur du premier et aurait pu amener le groupe néerlandais à changer plus tôt de stratégie entre politique de coût complet et politique de rentabilisation de part de marché. La politique de stock et la politique de prix ne peuvent donc être séparées l’une de l’autre pour la valorisation d’une entreprise mais sont un tout commun au travers la valorisation du stock. Cette approche permet de valoriser de manière pratique la contribution de la politique des prix à la valeur d’une entreprise. 3. la politique de trésorerie d’une entreprise ne peut être gérée indépendamment de la gestion de stock : nous avons montré que le stock est un actif dans lequel l’entreprise place ses fonds dans l’espérance d’une rentabilité brute espérée sous un délai de temps sous-jacent avec un risque estimé. Grâce à notre mode de valorisation, nous pouvons prévoir la valeur du stock et son évolution dans le temps comme celui de tout autre actif de placement. Il en ressort donc que le budget que l’on doit consacrer au placement en trésorerie pure et au placement en stock, en fonction des degrés de risque, sont interdépendants et que rien, au delà ou séparément de l’optimisation du couple rentabilité-risque, ne justifie en tant que tel une politique de stock zéro ou de juste-à-temps avant d’avoir constaté et calculé qu’il est bien le meilleur choix en fonction des méthodes de politiques de gestion de portefeuille ou de placement de trésorerie appliquant par exemple le modèle de Markowitz qui devient applicable grâce à notre mode de définitions du stock. 50 Du reste, on peut observer que notre approche de stock s’applique également pour la gestion des délais de paiement client ou fournisseur dès lors que ceci peut avoir un impact sur le montant des ventes ou les escomptes obtenus. Il n’est donc pas scientifique, comme on peut le lire dans les indices de conjonctures interprétés par certains journaux économiques, de dire que les entreprises seraient mieux gérés parce que leurs niveaux de trésorerie augmenteraient. Seul est scientifique le fait de dire que le stock le mieux géré est celui qui génère le bénéfice net le plus élevé en fonction de la valeur moyenne du placement pendant l’année, et que la répartition des budgets placés entre les différents stocks possibles permettent d’obtenir la meilleure rentabilité au risque le plus faible, ce qui n’est pas exactement la même chose que dire qu’il doit être égal à zéro, ce qui suppose que la trésorerie aurait la meilleure rentabilité. Ce serait uniquement le cas, si effectivement, cela impliquait le meilleur retour sur capitaux propres (ROE) et un niveau de risque trop important associé à la rentabilité potentielle du stock dans lequel on investit. Il n’y a donc pas, pour la meilleure gestion de l’entreprise, d’indépendance de la gestion de trésorerie et de la gestion du stock ; Elles sont l’avers et le revers d’une même pièce, quand une entreprise a pour objectif de valoriser au mieux ses fonds propres. Notre approche permet de calculer chacun des budgets de manière pratique. 4. enfin, ceci à la base d’une double prospective, l’une en terme de financement, l’autre en terme de facturation des partages des risques entre fournisseurs & clients : En termes de financement, l’IIRR défini est d’un niveau très supérieur en pourcentage au taux de marge commerciale lorsque le stock tourne relativement vite. Ce taux permet de mieux évaluer la structure des taux de financement acceptable dans une activité notamment de croissance ou d’innovation où la rentabilisation des frais fixes est l’enjeu majeur. Ce taux est souvent supérieur voir très supérieur à 30% ou 40% dans certains secteurs. Dès lors, et en créant une ingénierie financière de sortie du risque à laquelle nous avons déjà travaillé, les fonds spéculatifs et hedge funds qui recherchent des placements avec une rentabilité élevée (de l’ordre de 15%) peuvent être intéressés à financer l’actif stock de manière rentable pour eux et pour l’entreprise qui Vol. 14 – N°1, 2006 Logistique & Management pourra croître au même rythme ou plus vite que ses marchés de manière rentable. En termes de partage de risque, notre méthodologie permet également de valoriser le prix d’une option de réservation. Le choix n’est donc plus entre acheter plus de stock ou moins de stock, mais entre acheter plus ou moins de stocks physiques et acheter des droits de livraison à terme, quand on est sûr de la capacité à livrer du fournisseur. Cette possibilité réduit le besoin en cash des entreprises sans réduire la marge de manœuvre et le niveau de service. Bien au contraire, le client peut affiner ses commandes au fur et à mesure de la prise de connaissance de la réalité du marché, limitant au plus près le risque d’invendus ou/et de pertes de valeurs. Le fournisseur quand à lui reçoit du cash avant d’avoir produit. Ceci permet donc de financer des programmes de croissance de réseau de distribution et améliore en même temps le credit-rating opérationnel des clients (i.e : le potentiel de chiffre d’affaires que peut réaliser une entreprise avec le même encours de crédit est supérieur). Enfin, ceci est en phase avec les enjeux de la logistique mutualisée et durable. On rentre alors dans un marché de capacité de production et non un marché d’offre physique. Kaplan, Dirlam and Lanzilloti, (1958), “Pricing objectives in large companies”, American economic review, N°5, dec, p. 921 to 940 Pass C., “Pricing policies and market strategy: an empirical note”, European journal of marketing, vol 5, N°3, p. 94 to 98. SUSE accounting data base, INSEE, figures related to year 2002 and 2003. Brutman T. , (2005), « un nouveau modèle de négociation gagnant-gagnant », Stratégie Logistique, N°79, Sept, p. 72-73 Slutsky E.E., (1952), “on the theory of the budget of the consumer”, American economic association, reading in price theory, (Homewood, Ill., Irwin, 1952) Friedman M., (1957), “A theory of consumption function”, Princeton University Press Snape R.H. –Yamey B.S., (1965), “Test of effectiveness of Hedging”, Journal of political economy, oct, p. 540-544 Snape R.H., (1969), “Price relationship on the Sydney wool future market”, Economica, may, p. 169-178 Graf T.F., (1953), “Hedging- How effectiv is it?”, Journal of farms economics, Aug, p. 398-413 Bibliographie Working H., (1953), “Hedging reconsidered”, Journal of Farms economics, Nov, p. 314-343 Hall R.L., Hitch C.J , (1939), “Price Theory and Business behaviour”, Oxford Economic Papers N°2, may, p. 12-45 Working H., (1953), “Futures Trading and Hedging”, American Economic review, Jun, p. 314-343. Fog B., (1960), “Industrial Pricing Policies. An analysis of Danish manufacturers”, North-Holland Publishing Company, Amsterdam, p. 229. Black F., and Scholes M., (1973), “The pricing of options and corporate liabilities”, Journal of political economy 81, N°3, (May/June), p. 637-654 Hayne W.W., “Pricing decisions in a small business”, University of Kentucky Press. p. 3 & 84. Sharpe W.F., (1978), 1st Edition “Investments”, Englewood Cliffs, N.J.: Prenctice Hall Earley J., (1956), “marginal policies of excellently managed companies”, American economic review, N°1, march, p. 44 to 70 Cox J.C., Ross S.A. and Rubinstein M., (1979), “Option pricing: a simplified approach”, Journal of financial economics 7, N°3 (Sept), p. 229-263 Kaplan A., Dirlam J. and Lanzilloti R., (1958),“Pricing in big business- a case of approach”, The Brookings Institution, Washington D.C., p. 344 Vol. 14 – N°1, 2006 Rendleman R.J. and Bartter B.J., (1979), “Two-State Option Pricing”, Journal of Finance 34, N°5, p. 1093-1110 51 Logistique & Management 52 Vol. 14 – N°1, 2006