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La croisade
contre la bêtise
Malgré l’explosion des connaissances depuis quelques années et
malgré l’universalité de l’accès aux savoirs, dont aucune civilisation
avant nous n’a jamais bénéficié, on doit constater que la bêtise gagne
du terrain. Il ne sut pas d’avoir toute la sagesse du monde à ses
pieds, encore faut-il une tête et une âme bien faites. La bêtise peut
habiter même les plus érudits.
La propension de notre monde à ne
réagir qu’à des slogans, à refuser la
complexité, à rejeter les argumen-
taires, à privilégier le zapping, le résumé,
à consommer des idées toutes faites,
laisse la bêtise progresser. L’incapacité à
essayer de comprendre, à voir ce qui est,
à relier les choses, à prendre de la dis-
tance, à s’ouvrir, à sortir de son égoïsme,
à se remettre en question, à se libérer de
ses peurs, conduit à nourrir la bêtise in-
dividuelle quand elle n’est pas collective-
ment favorisée par les mass médias.
D’aucuns ont désespéré face à la bêtise.
D’Albert Einstein, qui se disait plus sûr du
caractère infini de la bêtise humaine que
de celui de l’univers, à Georges Brassens,
dont la sentence était définitive «Quand
on est con, on est con!», jusqu’à Schiller
qui a constaté: «Contre la stupidité, les
Dieux eux-mêmes luttent en vain»1, de
nombreux penseurs à toutes les époques
ont déploré que l’espèce humaine soure
de ce fléau rampant apparemment im-
possible à éradiquer.
En cette époque de frénésie et de course
continue au profit, aux plaisirs person-
nels, au risque zéro, à l’individualisme, au
touche-à-tout, la bêtise progresse. Même
dans les rangs de professions aguerries
comme la nôtre la contagion menace.
Or s’il est une institution qui devrait
mener la croisade contre la bêtise, c’est
bien le système éducatif, en travaillant à
reconquérir «l’intelligence par le doute
contre les lourdes assurances de la bê-
tise».
L’école doit instiller le doute dans la tête
de ses élèves et leur faire dépasser le stade
de la première impression, de la facilité,
du rejet de la complexité. Elle a besoin de
toutes les ressources de la culture et elle a
besoin de l’humour.
La croisade contre la bêtise est une croi-
sade pour l’humanité, car comme le disait
si justement Jules Renard: «Dans «bêtise
humaine», «humaine» est de trop: il n’y a
que les hommes qui soient bêtes». •
1 Die Jungfrau von Orleans, 1801
Georges Pasquier, président du SER
Educateur 6 | 2016 | 45