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originaire jusqu’à nos jours.
Nommons généalogie – il s’agit de se livrer à une généalogie à double fond : celle de l’homme,
qui est aussi celle du malheur - une pareille descente. Elle est le contraire d’une archéologie. Une
archéologie retrouve les origines, la reconstitue à partir des restes, elle se doit d’être inductive. Si
elle se permet une hypothèse, c’est sur la base de l’empirie. Une généalogie part de l’origine,
explique les embranchements, les déviations. C’est ainsi que l’on voit naître, sous la plume de
Rousseau, la propriété (« le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire, ceci est à moi… »),
les langues, les premières sociétés, le pouvoir, l’exploitation, le luxe, l’esclavage, etc…
L’anthropologie philosophique de Rousseau se structure autour de la connaissance d’une
essence de l’homme, tenue pour origine, tout en se déployant selon une histoire généalogique de
l’homme.
Cette anthropologie philosophique présente l’avantage de faire exploser la solidarité toujours
affirmée entre nature humaine et condition humaine. C’est cette solidarité que Rousseau fustige
chez les philosophes et les politiques qui jugent de la nature de l’homme d’après l’homme qu’ils
voient dans la civilisation. La lycanthropie théorisée par Hobbes s’inscrit dans cette solidarité. Non
seulement la philosophie politique, toutes les inductions tirées de l’observation, mais aussi la
culture issue de la condamnation biblique de l’homme au malheur, reposait sur cette assimilation
de la nature humaine à la condition humaine. Le malheur, l’inégalité trouvaient leur justification
dans cette assimilation. Celle-ci expliquait, et naturalisait tout en l’essentialisant, la misère, le
despotisme, la soumission, l’esclavage, la servitude.
Donc, Rousseau veut descendre l’histoire depuis un point de départ impossible à déterminer par
induction. Cette exigence produit une étrange situation : ce point de départ, l’homme à l’état de
nature, se situe à l’extérieur de l’histoire prise comme un tout. Rousseau, au contraire, fait autant
partie de cette totalité historique, extérieure à l’état de nature, que l’écriture même de ce second
discours. La conceptualisation livrera l’essence de cet homme des origines, non aliéné, mais
comment se faire une idée de sa vie extrahistorique ? Ici peut intervenir le sauvage, le Caraïbe.
Certes, ce personnage, sur lequel Rousseau médite, vit, lui, en société. Pourtant sa considération
nous permet d’acquérir une vue sur l’homme naturel non par induction mais par analogie. On ne
remonte pas du Caraïbe à l’homme naturel, impossible parcours. On n’induit pas l’homme
naturel à partir du sauvage. Mais, on entrevoit l’homme naturel à travers le Caraïbe – merveille de
l’analogie. Celle-ci ne donne pas une connaissance, simplement une entrevue. L’objet de
Rousseau, c’est une connaissance philosophique de l’homme. L’étude du Caraïbe n’apporte pas
cette connaissance. Elle permet cependant d’entrevoir, comme dans une éclaircie, cet objet.
Selon l’aveu même de Rousseau, l’homme à l’état de nature n’est qu’une hypothèse, semblable
en philosophie à celles dont usent tous les jours les chimistes et les physiciens, sans épaisseur
charnelle. Il en parle en ces termes : « la supposition de cette condition primitive ». L’hypothèse
sert à détruire les erreurs et les préjugés, en particulier ceux, inductifs, partagés par les
philosophes et les politiques. Préjugés qui insultent la nature humaine. Passer, par-dessus toute
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