Vincent Paul TOCCOLI
Le Sourire
Immobile
L’Echelle de Perfection, Tome II
ou
Chronique d’un
Printemps en pays Zen
“Tout être vivant possède la nature de Bouddha.”
(Mahayana)
Au centre de la roue, se trouvent 3 animaux : un cochon, un serpent et un coq. Le cochon symbolise l’envie,
l’ignorance et la bêtise (skt : lobha), le serpent, la colère et la haine (skt : dosa), et le coq, le désir, le plaisir et
la déception (skt : moha)
Les 3 animaux sont souvent représentés se mordant mutuellement la queue pour montrer le lien entre ces
différents défauts : les émotions qu’ils suscitent prennent s’enracinent dans l’ignorance. Ensemble la triade
représente la cause des maux de la terre.
“Les plus grandes promesses nous ont été données,
de devenir participants de la nature divine.” (2ème
Épître de Pierre, 1,4.a)
“Vous êtes des dieux, des fils du Très Haut, vous
tous!”. (Psaume 82, 6)
S O M M A I R E
PRESENTATION GENERALE
Introduction
Le Monastère de SONGGWANG et la vie dans le Hall de Méditation
L’organigramme de la Communauté
PREMIERE PARTIE
LES PALIERS DE L’ATTENTE
ou
La Mise en Quarantaine (8 mars – 18 avril)
Premier Chapitre : La préparation théorique
ou “ Reculer pour mieux sauter”.
Deuxième Chapitre : 1
ère
épreuve: La cellule de la Maison des Hôtes
ou “Le Sas”.
Troisième Chapitre: 2
e
épreuve: La cellule du BIIBC
ou “ L’antichambre”.
Quatrième Chapitre : 3
e
épreuve: Attendre d’habiter avec le Maître,
ou “ Maître, où demeures-tu?”
DEUXIEME PARTIE
CHEZ LE MAÎTRE EN SON HERMITAGE
ou
« Le Mont de la Quarantaine » (19 avril – 30 mai)
Cinquième Chapitre : Le Don du Hwadu,
ou “ Sésame, ouvre-toi!”.
Sixième Chapitre : Je doute, donc je zen,
ou “Tabula rasa”.
Septième Chapitre: Le Porche du Repos Tranquille,
ou “Du cœur au ventre”.
Huitième Chapitre : La Nature de Bouddha,
ou “ La Quête du Graal”.
EPILOGUE
La Transmission de l’Esprit ou “D’un Thomas, l’Autre”.
CONCLUSIONS & PERSPECTIVES
PRESENTATION GENERALE
INTRODUCTION
On pourra toujours écrire des livres sur le Zen, et les lire: ils ne serviront qu’à garnir les bibliothèques,
si on ne le pratique pas. Il en est de même de beaucoup de réalités. Mais pour rester dans le ton, c’est
des Exercices de St Ignace de Loyola, qu’il faudrait rapprocher cette situation. Le livre des Exercices
(cf. la 1
ère
Partie de ce livre) n’est pas bien gros, et pourtant, il est illisible, à la suite! Mais alors que
dire de l’immense littérature amoncelée sur le Dhyâna indien, le Ch’an chinois, le Sôn coréen (assez
récemment, d’ailleurs), et le Zen japonais: pourtant le livre traité de Bodhidharma, dont tous
s’inspirent, n’est pas bien épais non plus. Ainsi le Zen, quel qu’il soit, et les Exercices sont une affaire
de pratique: je suis passé par les deux voies. Je sais aussi qu’on ne peut pas en dire grand-chose, après
(s’) en être sorti. Se mettre à théoriser à son tour, c’est tomber dans le piège précédent. On peut tout au
plus témoigner de ce qui s’est passé, au jour le jour, dans une progression qui ne peut être que
chaotique, incertaine et surprenante. “C’est au moment où vous n’y pensez pas, que…”.
Car le Zen ne se réduit pas à l’idée que peut s’en faire l’occidental moyen: une méthode de méditation.
Il est vrai que ce sont, avant tout, les centres de méditation qui fleurissent en Europe et en Occident,
surtout dans l’Hexagone. Le Zen est un ‘art de vivre’ au quotidien, un ‘ way of life’ intérieur et public,
une ‘Weltanschauung’, toute une philosophie de l’existence en somme. Dans le monastère j’ai
passe neuf semaines apprendre) à méditer, rares, extrêmement rares sont les moines qui pratiquent
la méditation en tant que ‘sport favori’: comme dans tous les monastères du monde, ils travaillent,
étudient, célèbrent les heures liturgiques, etc.…Seuls certains, le petit nombre, dont la vocation
spécifique est précisément de méditer, s’y adonnent à corps perdu, et la plupart du temps, vivent retirés
dans les ermitages qui se nichent à l’entour du monastère principal, dans les hauteurs des monts: je
devais passer moi-même six semaines dans celui de Kam ro am, en compagnie d’un Maître, Chung
San Sunim. Le Zen se pratique en vivant une vie ordinaire, d’abord: en s’asseyant, en se déplaçant, en
mangeant, en travaillant, en dormant. Il relève d’une ’vision du monde’, dirait un occidental, quoique
les mots ‘vision’ et ‘monde’ soient déjà frappés d’impropriété, puisqu’ils supposent qu’il y a un
monde et qu’on le voit! Se mettre à ressentir et à différencier, ce n’est déjà plus être Zen, qui rejette
tout affect et tout concept.
Croire enfin que le Zen soit si répandu que cela, même en Asie, c’est se tromper encore: très restreint
en étendue comme en nombre d’adeptes. Le Bouddhisme oui,- outre les pays d’Asie, il se mêle
d’ailleurs au Confucianisme, sous l’influence chinoise, et aux pratiques religieuses des pays où il a été
adopté- semble connaître, en Occident, un engouement, dont il faut espérer que ce ne soit pas une
simple mode. Mais encore, quel Bouddhisme? C’est le lamaïsme tibétain, qui a un succès certain
chez nous. Le Tibet est un topic exotique qui nous est cher: invasion et écrasement par la Chine, fuite
de ses chefs spirituels légitimes, exil du Dalaï Lama en Inde, ses voyages à travers le monde, sa figure
charismatique et très télégénique; le tantrisme, le Livre des Morts Tibétain, les mandalas, la
multiplication de centres à l’étranger; la publicité par le cinéma, l’édition, la presse, la vogue des
acteurs d’Hollywood en cure de mysticisme. Oui: Méditation Zen et Lamaïsme Tibétain, voilà surtout
ce qui chez nous, en Occident, fait florès. Mais le Bouddhisme, comme d’ailleurs la sinologie, sont des
univers à multiples soleils, qui demandent, comme l’égyptologie, une telle multitude de connaissances,
que seul un travail d’équipes peut en rendre des comptes, sans en venir à bout.
Mais quand même, examinons ce que rapporte la tradition des origines du Zen? On dit que Gautama
Bouddha avait l’habitude de modifier l’exposition de sa doctrine en fonction de la capacité de ses
auditeurs à la percevoir et la comprendre. Un jour, à la fin d’un de ses sermons devant des centaines
d’auditeurs, on dit qu’il cueillit une fleur et la présenta à l’assemblée des moines réunis devant lui.
Mahakasyapa, qui seul saisit la signification (?) de ce geste, répondit par un sourire! Quelque temps
après, le Bouddha aurait convoqué ce disciple pour lui transmettre la doctrine ineffable’ ou la
transmission d’esprit à esprit’. A son tour, Mahakasyapa l’aurait transmise mystiquement à Ananda,
qui devint ainsi le second dans la lignée des vingt-huit Patriarches indiens. Le dernier d’entre eux fut
Bodhidharma qui se rendit en Chine à la fin du 6
e
siècle de notre ère. Là, il devint lui-même le premier
des Patriarches chinois, jusqu’à Hui Neng, sixième et dernier patriarche chinois. La secte connut alors
des divisions, et on ne créa plus de patriarches. Les opinions sont partagées parmi les savants (Prof.
D.Suzuki, Dr. Hu Shih) à propos de l’historicité et de l’originalité de toute cette histoire, surtout
depuis la découverte de certains documents dans les Grottes de Dunhuang, aux confins du Xinjiang et
du Qinghai chinois. Quoi qu’il en soit de ces disputes et de la division des sectes, tous s’accordent à
voir dans le Zen un moyen important pour atteindre l’Illumination, c'est-à-dire la pratique du regard
intérieur et l’effort pour traverser l’écran de la perception sensitive et de la pensée conceptuelle, afin
de parvenir à une vision intuitive de LA Réalité. C’est un Bouddhisme alternatif pour ceux qui
rejettent l’étude infinie des sutras (toute la littérature accumulée) et qui ne se sentent pas
particulièrement appelés à pratiquer les bonnes œuvres (sans pour autant s’en abstenir ni en mépriser
le principe ni la valeur). De toute façon, la ‘méditation vraie’ (sammasamadhi) est bien la huitième et
dernière étape du fameux ‘Noble Chemin à Huit Branches’ (voir mon « Bouddha Revisité »), reconnu
et accepté par tous Bouddhistes confondus (Mahayanistes et Hinayanistes), comme le fondement
même du Bouddhisme : et que recherche d’autre la pratique du Zen, sinon d’y parvenir! D’autre part,
si le Zen,- qui s’appelait Ch’an à l’époque dans la Chine des T’ang,- y a connu autant de succès, et si
rapide, c’est que les esprits y avaient été longuement préparés par dix siècles de Confucianisme,
ennemi de la spéculation métaphysique si chère à l’Inde; et tant Lao-Tseu que Chuang-tseu n’eurent
aucune difficulté à reconnaître dans ce quiétisme importé du sud, des ressemblances frappantes avec
les conclusions de leurs propres expériences mystiques. Tous les Bouddhistes partent du Bouddha
Gautama pour tenter d’atteindre cette connaissance transcendantale qui les habilitera à “rencontrer
face à face” cette Réalité Ultime, les délivrant ipso facto du cycle des renaissances dans l’espace-
temps. Les adeptes du Zen vont plus loin. Non contents de s’efforcer d’atteindre à cette connaissance
intuitive transcendantale, ils veulent approcher ce que les mystiques de la planète occidentale appellent
l’”union avec Dieu”. Ils prétendent pouvoir toucher la pleine Illumination, ici et maintenant, par
l’effort déterminé de s’élever au-dessus de la pensée conceptuelle, et de “s’emparer”, en quelque sorte,
de cette Connaissance Intuitive, qui est le focus de l’Illumination. De plus, ils insistent sur le fait que
cette expérience est de l’ordre de la soudaineté, même si la pratique pour y parvenir peut durer toute
une existence!
Comme je le disais plus haut, c’est un fait que le Bouddhisme, sous sa forme Zen, se développe de
plus en plus à l’Ouest,- américain depuis assez longtemps, européen plus récemment, mais avec une
grande vigueur. Peut-être ceux qui s’y adonnent y trouvent-ils de quoi satisfaire des besoins spirituels,
que les mystiques occidentales traditionnelles, asséchées par les doctrines et les églises qui ne savent
même plus les identifier,- sinon par le discours scientifique des enquêtes sociologiques, dites de
‘religiosité’,- pourraient tout aussi bien combler, si elles étaient restaurées dans leurs vigueurs
originelles: Plotin, Benoît, Maître Eckhart, François d’Assise, Bernard de Clairvaux, Élisabeth von
Bingen, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, entre autres pour le domaine chrétien, ne sont pas des
compagnons de moindre envergure que tous les Patriarches indiens et chinois, ou que tous les Maîtres
coréens ou japonais. J’ai fréquenté certaines et certains d’entre eux, mais, je dois l’avouer, pas assez:
ni assez tôt, ni assez longtemps. Et j’avais cinquante ans, déjà, quand je me suis mis à l’école d’Ignace
et de ses Exercices!
Quant à la mienne, d’expérience du Zen, elle commence avec la découverte du Bouddhisme dans toute
l’Asie, pendant les six années de mon mandat pastoral auprès des Communautés Francophones du
Sud-est Asiatique. Les routes de la Soie et du Bouddha se croisant la plupart du temps, je décidai de
les prendre l’une et l’autre, systématiquement, de l’Ouzbékistan au Japon et de la Mongolie a Bali.
Bien sûr, j’en ai accumulé de la littérature, moi aussi: du matériel de première et de seconde main. Que
de temps passé dans les librairies, les bibliothèques et les instituts; que de spécialistes rencontrés avec
lesquels j’ai jongler en langues, celles que je possédais déjà et de celles que j’ai suffisamment
assimiler, pour avoir accès aux textes fondateurs. Et puis le ciel m’a fait don de cette année sabbatique,
avant de regagner l‘Europe, à nouveau. Je n’ai pas hésité une seconde quand il s’est agi de remplir ces
mois qui s’offraient à moi! Le Bouddhisme! Oui, mais de nouveau, quel Bouddhisme? Mon précédent
essai,- “Le Bouddha Revisité” (voir bibliographie),- montre bien l’éclatement du mouvement, dès la
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