et étudions ce qu’il en est de λϕ. f(ϕ), lorsqu’on la donne comme argument à f, autrement dit
cherchons si f(λϕ. f(ϕ)) est vrai ou faux. Si f(λϕ. f(ϕ)) est vrai, cela signifie, de par la définition de f,
que « la fonction λϕ. f(ϕ) n’est pas satisfaite si on la prend elle-même comme argument », autrement
dit que ϕ(λx. ϕ(x)) est faux, et de même si f(λϕ. f(ϕ)) est faux, cela signifie que « il est faux que f(λϕ.
f(ϕ)) soit faux », d’où il suit que f(λϕ. f(ϕ)) est vrai. Là encore, le problème sera « résolu » si on admet
que ϕ(λx. ϕ(x)) n’a tout simplement pas de sens, autrement dit si on admet qu’une fonction ne peut en
aucun cas avoir pour argument elle-même, ou plus généralement quelque chose qui présuppose qu’on
a déjà construit l’ensemble de ses valeurs (de manière à ce qu’elle soit totalement définie).
« Aucune fonction ne peut compter parmi ses valeurs quelque chose qui présuppose la fonction » dit
Russell, et on appelle « imprédicativité » le cas où ce principe n’est pas respecté1.
Si nous conservons encore l’idée « naïve » selon laquelle une fonction peut s’appliquer à n’importe
quel genre d’argument (y compris elle-même donc), nous sommes confrontés à de nombreux
problèmes. Par exemple, Russell introduit les quantificateurs. « Nous dénoterons, dit-il, par le symbole
« (x) . ϕ(x) » la proposition « ϕ(x) toujours » », autrement dit : « ϕ(x) pour toute valeur de x ». Alors,
sans restriction, cette proposition englobe la fonction λx. ϕ(x) elle-même. Comme (x) . ϕ(x) englobe la
fonction ϕ(x), on ne peut pas non plus la donner comme argument de ϕ, de sorte que ϕ((x) . ϕ(x)) est
dépourvu de sens. Ce principe semble à première vue admettre quelques exceptions. Ainsi, supposons
que ϕ s’interprète comme « _ est faux », alors on pourrait bien avoir : « {(x) . x est faux} est faux ».
On est donc tenté de dire que lorsque nous écrivons λx. ϕ(x), il y a deux types de valeurs assignables à
x : celles pour lesquelles le résultat possède un sens et celles pour lesquelles il n’en possède pas.
Admettons donc désormais que ce qui est affirmé par « (x) . ϕ(x) » ce soient toutes les propositions
qui constituent toutes les valeurs à comprendre sous λx. ϕ(x), autrement dit celles pour lesquelles
l’application donne un sens, alors la proposition « (x) . x est faux » ne concernera que les propositions
qui sont des valeurs à comprendre sous « λx. x est faux », donc seulement certaines propositions,
celles qui appartiennent à un « premier genre ». Mais s’il en est ainsi, et puisque, de manière évidente
la proposition « (x) . x est faux » ne fait pas partie de ces propositions de premier genre, mais est
néanmoins une proposition, il faudra avoir un autre prédicat « être faux » qui convienne à son genre
spécifique, et ainsi de suite. Cela n’est possible dit Russell « que si le mot « faux » a en réalité
plusieurs sens différents, appropriés aux propositions de genres différents » !
Nous voilà donc amenés avec Russell, à la construction d’une hiérarchie des entités logico-
mathématiques, possèdant comme contre-partie l’idée que les concepts usuels de la logique eux-
mêmes se fragmentent : on aura ainsi des mots « vrai » et « faux » ayant des sens différents selon le
genre des objets auxquels ils s’appliquent, mais aussi des connecteurs (« et », « ou », « pour tout », « il
existe ») qui se différencient selon les genres d’objets auxquels ils s’appliquent !
La hiérarchie démarre avec des lettres qui dénoteront des objets qui ne sont ni des fonctions ni des
propositions : a, b, c, x, y, z, w… Ces objets seront appelés individus ; « ils seront les constituants des
propositions et fonctions, vrais constituants, en ce sens que l’analyse ne les résout pas comme, par
exemple, les classes ou les phrases telles que « le tel-ou-tel » ». A partir de là, nous aurons des
fonctions qui s’appliquent à de tels objets et à eux seulement : on les appelle fonctions du premier
ordre. Ayant obtenu ces objets, on peut maintenant eux-mêmes les noter par une désignation
particulière. Une fonction du premier ordre quelconque sera notée « ϕ ! x^ » ou, avec notre notation
lambda : « λx. ϕ ! x ». Une valeur quelconque d’une telle fonction : ϕ ! x, est en réalité une fonction
de deux variables : λz. ϕ ! z, et x, donc λx. ϕ ! x contient une variable qui n’est pas un individu, à
savoir λz. ϕ ! z. Ainsi, si nous considérons l’expression :
« ϕ ! x implique ϕ ! a pour toutes valeurs possibles de ϕ »
1 De fait, l’évolution des mathématiques montrera qu’il est particulièrement difficile, voire impossible, d’éviter
tout recours à des notions imprédicatives. Le raisonnement par récurrence (ou « principe d’induction complète »)
par exemple suppose en préalable l’existence de l’ensemble des nombres entiers qu’il contribue à définir.