Voilà bientôt 200 ans que la
morphine et ses dérivés
dominent l’univers des anal -
gésiques. Les médecins admin -
istrent ces molécules autant aux
patients qui se sont fracturé des
os et qui sont en proie à des
douleurs aiguës, qu’à ceux qui
souffrent de douleurs chroniques,
dans le bas du dos par exemple.
Vu l’absence de solutions de
rechange, le règne de la morphine
ne risque pas de s’éteindre de
sitôt. «Mais le jour viendra»,
espère Laura Stone, professeure
à la Faculté de médecine dentaire
de l’Université McGill, qui rêve à la
prochaine génération de médica -
ments antidouleur.
«La morphine est très eff i c a c e
pour soulager les patients,
mais elle a malheureusement-
plusieurs effets secondaires»,
explique la chercheuse, membre
du Réseau québécois de
recherche sur la douleur. «Elle
assomme les malades qui
s’endorment aussitôt soulagés. Il y
a aussi des craintes à
l’effet qu’elle puisse causer des
problèmes d’abus et de dépen-
dance.»
Selon Laura Stone, la clé pour
trouver de nouvelles molécules
antidouleur pourrait très bien se
cacher dans une famille de pro-
téines qui est loin d’avoir livré tous
ses secrets : les récepteurs cou-
plés aux protéines G (RCPG).
«On trouve ces récepteurs à peu
près partout dans le corps
humain», poursuit la professeure,
originaire de Toronto. «On les a
découverts à la surface ou à l’in-
térieur de plusieurs types de cel-
lules : celles des reins, des yeux,
du système nerveux, etc.»
Le séquençage du génome
humain a révélé qu’il existait envi-
ron 400 différents types de RCPG
dans le corps humain.
Témoins d’une
course à relais
Les récepteurs RCPG agissent un
peu comme des sentinelles. Ils
reçoivent des messages biochim-
iques, puis les transmettent à
d’autres protéines qui, à leur tour,
déclenchent une cascade de réac-
tions. «Il est difficile de trouver un
processus du corps humain dans
lequel les RCPG ne sont pas
impliqués», dit Laura Stone.
À l’intérieur des cellules du coeur,
par exemple, on trouve des petites
«pochettes» de calcium. Sur leur
paroi : des RCPG. Quand ces
récepteurs reçoivent un signal
biochimique, ils laissent s’échap-
per un peu du contenu de la
«pochette». Le calcium libéré
effectue alors quelques opérations
essentielles à l’excitation des cel-
lules cardiaques et donc, au batte-
ment du coeur.
Les processus physiologiques qui
intéressent Laura Stone sont
plutôt impliqués dans la transmis-
sion des sensations de douleur.
Des 400 RCPG identifiés par le
séquençage du génome humain,
environ la moitié se trouvent (pas
nécessairement exclusivement)
dans le système nerveux central.
Plusieurs de ces récepteurs pour-
raient être impliqués dans le par-
cours qui s’étire entre un stimulus
douloureux (un doigt que l’on
pince par exemple) et le cerveau.
«Les récepteurs RCPG servent de
relais tout au long du parcours,
explique Laura Stone. D’abord,
dans le système nerveux
périphérique : du doigt, ils perme-
ttent au signal de remonter tout le
long du bras, en suivant l’axone
qui va se connecter à la moelle
épinière. Une fois ce chemin par-
couru, il faut relayer l’information à
la moelle épinière. Au bout de l’ax-
one, sur la paroi de la cellule
nerveuse, se trouvent des RCPG.
Ce sont eux qui permettent
le relâchement de neuro-
transmetteurs qui traversent l’e-
space synaptique pour aller rejoin-
dre les neurones de la moelle
épinière. De l’autre côté, ce sont
encore les RCPG qui déterminent
si les neurotransmetteurs sont
admis à l’intérieur du neurone,
pour faire leur travail.» À chacun
ces relais, le signal douloureux
Dépister les
sentinelles du
système nerveux