Contrôle du spin d`un atome magnétique dans une boîte quantique

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Contrôle du spin
d’un atome magnétique
dans une boîte quantique
En introduisant un seul atome magnétique dans une boîte quantique de semi-conducteur, on peut sonder
et contrôler optiquement l’état de spin de cet atome. Un contrôle électrique de l’état de charge de la boîte
permet aussi de modifier de manière réversible les propriétés du spin de l’atome magnétique. Cette
réalisation démontre, dans le contexte de l’information quantique, qu’il est possible d’isoler dans un solide
un spin unique, bien identifié et adressable.
L
e traitement de l’information dans les composants électroniques est basé sur le contrôle d’un
flux de charges dans un matériau semi-conducteur, alors que le stockage non-volatil de l’information
exploite les propriétés de spin des charges présentes dans
les métaux (en particulier leur ferromagnétisme). Dans
ce contexte, l’électronique de spin, cherchant à combiner les technologies des matériaux semi-conducteurs et
des matériaux magnétiques suscite un intérêt grandissant
pour de nouveaux matériaux, comme les semi-conducteurs ferromagnétiques, ou de nouvelles structures de
composants.
Un autre enjeu concerne la miniaturisation des
composants qui reste un objectif prioritaire pour augmenter la performance des dispositifs. Cette quête stimule d’une part l’étude de dispositifs de tailles
nanométriques et d’autre part l’exploration de voies
alternatives qui permettraient une poursuite des progrès
des capacités de calcul des circuits intégrés. Le succès de
la miniaturisation des composants semi-conducteurs et
magnétiques a déjà permis de fortement réduire le nombre d’atomes nécessaire au stockage d’un bit d’information. Le stockage d’un bit classique d’information sur un
atome individuel serait la limite ultime.
Le travail présenté ici montre comment il est possible de sonder optiquement l’état de spin d’un seul
atome magnétique localisé dans une boîte quantique de
semi-conducteur, et comment l’injection d’un porteur
de charge individuel permet de contrôler l’état d’aimantation de cet atome.
Un atome magnétique
dans une boîte quantique
Les matériaux semi-conducteurs ont été largement
exploités dans les technologies de l’électronique car
leurs propriétés électriques peuvent être facilement
modifiées par un dopage électrique ou par une réduction de leur dimensionnalité. Ceci implique la réalisation, à l’aide des matériaux semi-conducteurs, de
couches bidimensionnelles, de fils ou d’agrégats (boîtes
quantiques) de tailles nanométriques. Les électrons ou
les trous (absence d’un électron dans la bande de
valence) confinés dans une boîte quantique occupent
des états électroniques discrets comme dans un atome.
La recombinaison de ces paires électrons-trous quantifiées sur ces niveaux donne lieu à l’émission de
photons uniques, d’énergie et polarisation contrôlées.
Ces propriétés optiques sont utilisées dans ce travail
pour sonder l’état de spin d’un atome magnétique
individuel.
Les boîtes quantiques que nous étudions ici sont réalisées en utilisant un mode de croissance tridimensionnel « auto-organisé ». Elles se forment spontanément
lors de la croissance couche atomique par couche atomique (grâce à une technique appelée épitaxie par jets
moléculaires) d’un matériau A sur un matériau B présentant un paramètre de maille différent. Au-delà d’une
certaine épaisseur critique (quelques monocouches atomiques), le matériau A (ici CdTe) relaxe l’énergie élastique emmagasinée en adoptant un mode de croissance
tridimensionnel qui se traduit par la formation d’îlots de
quelques monocouches atomiques d’épaisseur et d’une
dizaine de nanomètres de diamètre (figure 1a). Ces îlots
de CdTe sont ensuite recouverts par une couche épaisse
de ZnTe (matériau B). Comme ZnTe possède une plus
grande largeur de bande interdite que CdTe, on réalise
ainsi une boîte quantique qui confine les porteurs dans
les trois directions. Ce confinement des porteurs donne
naissance à des niveaux d’énergie discrets, séparés par
plusieurs dizaines de milli-électron-Volt (meV). Lors de
la recombinaison d’une paire électron-trou confinée,
l’émission optique d’une boîte quantique a lieu entre
ces niveaux discrets : l’énergie des photons émis par une
seule boîte est donc parfaitement définie et les spectres
d’émission présentent des raies dont la position énergétique dépend des dimensions de la boîte et du nombre
de porteurs qu’elle contient.
L’incorporation de métaux de transition dans un
semi-conducteur peut conduire à un dopage magnétique. Les métaux de transition comme le manganèse
Article proposé par : Lucien Besombes, [email protected], Yoan Léger, [email protected], Henri Mariette, [email protected], Laboratoire de spectrométrie physique (LSP), Université Grenoble 1/CNRS.
99
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
(Mn, S = 5/2), possèdent des électrons
localisés sur une orbitale d. Les électrons d
sont polarisés en spin, formant l’analogue
d’un petit aimant, et ne participent pas à la
conduction à cause de leur localisation. En
revanche, les deux électrons du Mn dans les
orbitales s participent aux liaisons chimiques avec le semi-conducteur environnant
et sont alors couplés à la bande de conduction et à la bande de valence. Quand le Mn
remplace un élément du groupe II dans un
semi-conducteur II-VI, il ne transfère pas
d’excès de charge vers les bandes. Un semiconducteur II-VI dopé Mn, appelé semiconducteur magnétique dilué, garde donc
son caractère isolant mais incorpore les
propriétés magnétiques des électrons d
localisés sur le Mn.
Dans un semi-conducteur magnétique
dilué, le fort couplage qui existe entre les
porteurs du semi-conducteur et les électrons localisés de l’atome magnétique (interaction d’échange sp − d) donnent lieu à
des effets magnéto-optiques souvent qualifiés de « géants ». Dans une boîte quantique, cette interaction d’échange implique
un seul porteur individuel ou une seule
paire électron-trou individuelle. Si la boîte
contient une forte concentration d’atomes Figure 1 – L’image (a) est obtenue par microscopie à force atomique après le dépôt de CdTe sur
magnétiques, la paire électron-trou intera- ZnTe, avant l’encapsulation des boîtes par une couche de ZnTe. (b) Coupe observée en microscoélectronique à haute résolution montrant la structure d’une boîte quantique CdTe/ZnTe. (c)
git avec un grand nombre de spins orientés pie
Structure cristalline de CdTe (et ZnTe), avec la substitution d’un atome de Cd par un atome de Mn
aléatoirement (environnement paramagné- qui rend le semi-conducteur magnétique.
tique) et l’effet résultant de l’interaction
s’annule. En revanche, sous l’effet d’un
champ magnétique extérieur, les spins des atomes
Lecture optique du spin
magnétiques se polarisent, conduisant à un champ
d’un atome magnétique
d’échange moyen qui s’ajoute au champ extérieur
appliqué : il en résulte une important variation de
l’énergie de transition des paires électron-trou. Cet effet
La micro-spectroscopie permet de sonder optiqueest appelé effet Zeeman géant et peut être modélisé par
ment l’interaction entre une seule paire électron-trou
un Hamiltonien qui décrit l’interaction des électrons et
injectée optiquement et un atome magnétique individes trous des bandes du semi-conducteur avec le spin du
duel localisé dans une boîte quantique. Un faible nomMn, via un terme d’échange local − αSi · σδ (r − Ri) où
bre de boîtes est isolé en sélectionnant par lithographie
σ est le spin d’un porteur et Si le spin localisé sur un Mn
électronique et gravure une zone restreinte de l’échanau point Ri .
tillon d’une centaine de nanomètres de côté. Sous excitation laser, le spectre d’émission (photoluminescence)
Dans le cas d’une boîte contenant un seul atome de
issu des quelques boîtes ainsi isolées est constitué de raies
Mn, il n’y plus d’effet moyen qui annule l’énergie
très fines (quelques dizaines de micro-électronvolts
d’échange. On peut alors accéder directement aux états
(µeV)) provenant de la recombinaison de paires élecde spin d’un atome individuel en interaction avec une
tron-trou confinées. La structure des spectres permet
seule paire électron-trou ou un porteur individuel. Ces
alors de sélectionner les boîtes contenant 0, 1 ou pluboîtes contenant un seul atome magnétique peuvent
sieurs atomes de Mn.
être réalisées en insérant une faible densité d’atomes
magnétiques à la surface de l’échantillon avant la croisDans une boîte non magnétique, la recombinaison
sance des boîtes. Ces atomes magnétiques sont incord’une paire électron-trou produit une seule raie d’émisporés dans les boîtes et, en ajustant leur densité à celle
sion. Pour les boîtes contenant un atome magnétique
des boîtes quantiques (quelques 1010cm−2), une petite
(figure 2a), une structure composée de six raies est
proportion de boîtes contient un atome magnétique
observée en champ magnétique nul. Cette structure fine
individuel.
provient du couplage entre l’atome magnétique et la
100
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
S = 5/2 s’oriente sous l’effet de ce champ, et peut prendre 2S + 1 = 6 orientations différentes. A chaque
orientation correspond une énergie du photon émis, et
donc une raie d’émission dans le spectre de luminescence. L’émission d’un photon d’énergie et d’hélicité
données permet donc de détecter chaque état d’aimantation de l’atome de manganèse.
Les règles de sélection des transitions optiques nous
permettent aussi d’accéder au spin des porteurs confinés.
L’électron de la bande de conduction est, comme un
électron libre, une particule de spin ± 1/2, tandis que
l’état fondamental de la bande de valence (trou) est une
particule de moment cinétique total 3/2. Dans les boîtes
quantiques auto-organisées, la forme du potentiel de
confinement (disque aplati) et la distribution des
contraintes (compression biaxiale dans le plan des boîtes) lève la dégénérescence des différentes projections
du moment cinétique du trou. Sur le niveau fondamental, qui nous intéresse ici, la projection du moment
cinétique du trou ne peut prendre que les valeurs
jz = ± 3/2, z étant l’axe de croissance. Ces états de trou,
quantifiés suivant z, sont appelés les trous lourds.
La recombinaison d’une paire électron-trou formée
d’un électron de spin – 1/2 et d’un trou de spin + 3/2
(appelée exciton |+ 1⟩) produit un photon polarisé circulairement σ+ alors que la recombinaison d’un exciton
|− 1⟩ correspondant à un trou – 3/2 et un électron + 1/2
produit un photon σ−. Ce mécanisme permet d’établir
une correspondance entre le moment cinétique d’un
photon détecté et le spin de l’électron et du trou présents
dans la boîte au moment de la recombinaison. Lorsqu’un
atome magnétique est introduit dans la boîte, ces différents états de spin des porteurs confinés interagissent avec
le spin de l’atome magnétique.
En présence d’un atome de Mn, le couplage entre les
porteurs confinés et le spin de cet atome peut être
modélisé par un Hamiltonien effectif décrivant l’interaction entre un spin S = 5/2 (celui du Mn), un spin
σ = 1/2 (celui de l’électron) et un moment cinétique
j = 3/2 (celui du trou) :
Figure 2 – (a) : Photoluminescence obtenue à basse température (T = 5K)
d’une boîte quantique individuelle contenant un seul atome magnétique
(Mn). (b) Schéma des niveaux d’énergie du système formé par une paire
électron-trou en interaction avec un atome Mn en champ magnétique nul.
Le couplage porteurs-Mn décale l’énergie de la paire électron-trou suivant
la valeur de la composante Sz du spin de l’atome magnétique.
paire électron-trou confinée. Comme nous le verrons
plus tard de manière plus formelle, ce couplage modifie
l’énergie de la paire électron-trou suivant la projection
du spin de l’atome magnétique conduisant à six niveaux
d’énergie et donc six raies d’émission. L’interaction du
spin de l’atome de Mn avec la paire électron-trou est en
fait équivalente à l’effet d’un champ magnétique dirigé
perpendiculairement au plan de l’échantillon, qui vaut
environ 1.5 tesla pour un atome placé au centre de la
boîte. Le moment magnétique de l’atome de Mn
H = I e σ.S + I h j z S z + I eh σ z j z
(1)
où Ie (Ih) est l’énergie d’interaction entre l’atome de Mn
et l’électron (trou) et Ieh est l’énergie d’interaction
d’échange électron-trou. Les énergies d’interaction porteurs-Mn dépendent du recouvrement entre la fonction
d’onde des porteurs confinés et l’atome magnétique
localisé.
Comme nous avons vu précédemment en champ
magnétique nul, l’émission de la boîte quantique présente
une structure fine composée de six niveaux deux fois
dégénérés également espacés en énergie. Les états radiatifs
de plus basse énergie, |+ 1/2⟩e |– 3/2⟩h|+ 5/2⟩Mn et
|– 1/2⟩e |+ 3/2⟩h |– 5/2⟩Mn correspondent à une
configuration antiparallèle pour le spin du trou et le spin
du Mn. Les états suivants sont associés aux projections
101
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
du spin de Mn Sz=± 3/2, ± 1/2 jusqu’au niveau de plus
haute énergie |– 1/2⟩e |+ 3/2⟩h |+ 5/2⟩Mn et
|+ 1/2⟩e |+ 3/2⟩h |– 5/2⟩Mn où les spins du trou et du
Mn sont parallèles. Ce modèle nous montre que l’écart
énergétique entre les différents niveaux ne dépend que
de Ie et Ih et est donc lié à la position de l’atome magnétique dans la boîte quantique. Il y a aussi une correspondance directe entre le photon détecté (énergie et
polarisation) et la projection du spin du Mn suivant Sz.
Cette correspondance nous permet de sonder optiquement l’état de spin du Mn.
Ainsi, en appliquant un champ magnétique, on peut
détecter optiquement le changement d’aimantation de
l’atome de Mn. Si ce champ est appliqué suivant l’axe
de croissance (figure 3), chaque raie d’émission se
dédouble et 12 transitions, 6 dans chaque polarisation
circulaire, sont observées. Le spin de l’atome magnétique est conservé pendant la transition optique (les électrons d du Mn ne sont pas affectés par la transition
dipolaire) et l’énergie Zeeman de l’atome magnétique
n’apparaît pas directement dans les transitions optiques ;
seules apparaissent l’énergie d’interaction avec l’exciton
et l’énergie Zeeman de l’exciton. La structure fine
observée en champ nul (6 raies d’émission) est donc
conservée sous champ magnétique dans chacune des
polarisations circulaires (voir encadré 1).
En revanche l’intensité relative des six raies d’émission observées dans chacune des polarisations circulaires
dépend fortement du champ magnétique appliqué.
L’intensité d’émission, qui est également répartie sur les
six raies en champ nul, se concentre progressivement,
lorsque le champ magnétique augmente, sur la raie haute
énergie dans la polarisation σ− et sur la raie basse énergie
dans la polarisation σ+. Cette distribution d’intensité
reflète la population de l’état initial, le complexe exciton-Mn. Quand le champ magnétique augmente, le spin
de l’atome de Mn est progressivement polarisé. La
probabilité d’observer la recombinaison d’un exciton
couplé à la projection Sz = − 5/2 du Mn est alors
augmentée. Deux états dominent le spectre d’émission :
|– 1/2⟩e|+ 3/2⟩h|– 5/2⟩Mn sur le coté basse énergie des
transitions σ+ et |+ 1/2⟩e|– 3/2⟩h|– 5/2⟩Mn sur le coté
haute énergie de la polarisation σ−. Tout changement
de l’état de spin du Mn va alors directement affecter la
distribution d’intensité dans l’émission de l’exciton.
La photoluminescence de l’exciton confiné apparaît
donc comme une sonde de l’état de spin de l’atome
magnétique.
Contrôle électrique
d’un atome magnétique
Figure 3 – Intensité de l’émission d’une boîte quantique contenant un seul
atome de manganèse (jaune = haute intensité), en fonction de l’énergie
d’émission et du champ magnétique appliqué (0T à 11T), enregistrée dans
les deux polarisations circulaires σ+ et σ–.
102
L’injection d’un porteur individuel dans la boîte
quantique permet aussi de modifier les propriétés
magnétiques du spin de l’atome magnétique localisé.
L’observation de la photoluminescence de boîtes quantiques à charge variable (figure 4) montre que l’état
d’aimantation du spin du Mn change spectaculairement
suivant que la boîte est vide (0 électron), qu’elle
contient + 1 électron ou un trou (– 1 électron).
Pour pouvoir modifier leurs états de charge, les boîtes magnétiques sont placées dans une structure à effet
de champ. L’application d’une tension électrique sur ce
dispositif permet alors de contrôler la présence d’un
porteur excédentaire (électron ou trou) dans la boîte.
L’interaction Coulombienne entre cette charge et la
paire électron-trou injectée optiquement décale l’énergie d’émission de la boîte. Ce décalage énergétique permet d’identifier, suivant la tension appliquée, des
régimes où la paire électron-trou se recombine dans une
boîte neutre (émission de l’exciton X), dans une boîte
chargée avec un électron excédentaire (émission de
l’exciton chargé négativement X−) ou dans une boîte
chargée avec un trou excédentaire (émission de l’exciton chargé positivement X+).
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
Figure 4 – Intensité de photoluminescence (jaune = haute intensité) d’une
boîte quantique contenant un seul atome magnétique insérée dans une
structure à effet de champ présentée en fonction de l’énergie d’émission et
de la tension appliquée. Les différentes séries de raies d’émissions peuvent
être attribuées à l’exciton neutre (X), à l’exciton chargé positivement (X+) et
à l’exciton chargé négativement (X–).
La structure de l’émission d’une boîte chargée
(figure 5) est très différente de celle d’une boîte neutre
(figure 2). Cette différence traduit la forte influence du
nombre de porteurs confinés sur le spin du Mn à la fois
dans l’état initial et dans l’état final de la transition optique. Considérons par exemple le cas d’un exciton chargé
négativement en interaction avec un atome magnétique :
dans l’état initial (2 électrons, 1 trou, 1 Mn), l’interaction
entre le Mn et les 2 électrons de spins antiparallèles
s’annule. En revanche l’interaction trou-Mn lève la
dégénérescence des différentes projections Sz du spin du
Mn suivant z. Dans l’état final, après l’annihilation d’une
paire électron-trou, le spin de l’électron restant se couple
au spin de l’atome magnétique. La combinaison de ces
deux moments cinétiques isotropes (σ = 1/2 pour l’électron et S = 5/2 pour le Mn) conduit à deux niveaux de
moment cinétique total J = 2 (dégénérescence 5) et J = 3
(dégénérescence 7). Nous attendons alors 12 raies
d’émission (figure 5b), l’intensité de chacune des transitions étant contrôlée par les règles de sélection optique et
la conservation du spin (voir encadré 2).
Pour les boîtes chargées positivement, on observe la
configuration inverse à celle présentée ci-dessus : une
fois l’exciton recombiné, il reste dans l’état final un trou
et un Mn dont l’interaction lève la dégénérescence des
états de spin du Mn. On peut ainsi conserver la mémoire
de la configuration de spin de l’atome magnétique.
Figure 5 – (a) : Photoluminescence obtenue à basse température (T = 5K)
d’une boîte quantique individuelle contenant un électron excédentaire et
un seul atome magnétique (Mn). (b) : Schéma des niveaux intervenant dans
la recombinaison optique d’un exciton chargé négativement (2 électrons et
1 trou) en interaction avec un atome Mn. Dans l’état initial, le couplage
trou-Mn lève la dégénérescence des différentes projections suivant z du
spin du Mn. Dans l’état final, la combinaison des deux moments cinétiques
isotropes s = 1/2 et S = 5/2 conduit à deux niveaux J = 2 (de dégénérescence 5) et J = 3 (de dégénérescence 7).
Ainsi, alors que pour la configuration correspondant
à une boîte vide l’atome magnétique est paramagnétique, le niveau fondamental d’une boîte à 1 Mn chargée avec un électron se comporte comme un moment
cinétique isotrope avec J = 3, et la boîte dopée avec un
trou se comporte comme un nano-aimant avec un axe
facile orienté suivant l’axe de croissance. Ce dispositif
avec une boîte quantique insérée dans une structure à
effet de champ permet donc un contrôle électrique
réversible du comportement magnétique de l’atome
magnétique localisé dans cette boîte. C’est l’analogue
des dispositifs à effet de champ permettant un contrôle
électrique du ferromagnétisme dans un puits quantique
103
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
de semi-conducteur magnétique dilué, mais à l’échelle
d’un atome magnétique individuel et d’un seul porteur,
avec une zone active de quelques nanomètres.
J. Cibert, D. Ferrand, « Ferromagnétisme contrôlé par les porteurs dans les semi-conducteurs magnétiques dilués ».
Image de la physique, 2003-2004, 99.
Conclusion
L’observation d’un spin unique dans une boîte quantique ouvre de nouvelles perspectives pour le stockage
de l’information. Un spin de Mn bien isolé de ses voisins doit en effet posséder un temps de relaxation de
plusieurs millisecondes. Le dispositif présenté ici constitue un premier pas vers le développement de mémoires
où un bit d’information serait stocké sur le spin d’un
atome individuel.
Encadré 1
POUR EN SAVOIR PLUS
L. Besombes, Y. Léger, L. Maingault, D. Ferrand, H. Mariette,
J. Cibert, « Optical probing of the spin state of a single
magnetic atom embedded in a quantum dot », Phys. Rev.
Lett. 93, 2004, 207403.
Y. Léger, L. Besombes, J. Fernandez Rossier, L. Maingault,
H. Mariette, « Electrical control of a single magnetic atom
in a quantum dot », Phys. Rev. Lett. 97, 2006, 107401.
Spectroscopie d’une boîte quantique magnétique
En présence d’un champ magnétique
extérieur B, le spin S du Mn a (2S + 1)
niveaux d’énergie espacés de gMnµBB ou
gMn est le facteur de Landé du Mn et µB
le magnéton de Bohr. Lors d’une
recombinaison optique dans une boîte
quantique magnétique, cette énergie
Zeeman apparaît à la fois dans l’état initial et dans l’état final. Dans l’état initial,
les niveaux de spin de l’atome magnétique sont aussi séparés par l’interaction
avec l’exciton. L’influence de l’exciton
est équivalente à un champ magnétique
effectif d’environ 1,5 Tesla parallèle ou
antiparallèle au champ extérieur suivant
le spin de l’exciton (et donc la polarisation circulaire) considéré. L’exciton est
aussi soumis directement à un effet Zeeman se traduisant sur les spectres d’émission par un dédoublement de chaque
raie en deux raies de polarisations circulaires opposées.
Le spin de l’atome magnétique est Figure 1 – (a) Schéma des niveaux des états initiaux et finaux impliqués dans les transitions optid’une boîte quantique contenant un atome magnétique. (b) Modélisation des transitions
conservé pendant la transition optique ques
optiques obtenues par diagonalisation d’un Hamiltonien effectif incluant le couplage électron(les électrons d du Mn ne sont pas affec- trou, le couplage exciton-Mn, les énergies Zeeman et le diamagnétisme de l’exciton. La contributés par la transition dipolaire) et l’énergie tion des états non radiatifs Jz = ± 2 apparaît en vert.
Zeeman de l’atome magnétique n’apparaît pas directement dans les transitions
d’interaction coulombienne pour différentes configurations
optiques ; seule apparaît l’interaction d’échange avec l’excide spin) ces états non radiatifs Jz = ± 2 sont situés environ
ton et l’effet Zeeman de l’exciton. La structure fine obser1 meV au-dessous des états radiatifs Jz = ± 1. L’interaction
vée en champ nul (6 raies d’émission) est donc conservée
électron-manganèse I e σS , en permettant des renversesous champ magnétique dans chacune des polarisations cirments de spin simultanés de l’électron et du manganèse,
culaires. Cette structure est perturbée autour de 8 T en
couple des états d’excitons radiatifs et non-radiatifs associés
polarisation σ− par une série d’anticroisements apparaissant
à deux projections différentes du spin du Mn. La transition
sur 5 des 6 raies d’émission. Ces anticroisements proviende plus basse énergie correspondant aux configurations
nent du couplage des niveaux de l’exciton non radiatif et de
|+ 1/2⟩e|+ 5/2⟩Mn ou |−1/2⟩e|−5/2⟩Mn ne présente pas
l’exciton radiatif. Ces états non-radiatifs sont formés par un
d’anticroisement car un changement simultané du spin des
électron + 1/2 et un trou + 3/2 (ou – 1/2 et – 3/2), ils ne
deux particules n’est pas possible. La séparation énergétique
sont pas couplés à la lumière car ils ne peuvent pas transférer
à l’anticroisement permet une mesure directe de l’interacleur moment cinétique Jz = ± 2 à un photon. A cause de
tion d’échange électron-Mn.
l’interaction d’échange électron-trou (différence d’énergie
104
Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique
Encadré 2
Exciton chargé en présence d’un atome magnétique
Un exciton chargé négativement (X−)
est formé de deux électrons de la bande de
conduction et d’un trou de la bande de
valence. L’interaction d’échange de deux
électrons appariés avec le spin du Mn est
rigoureusement nulle. La structure de X−
est donc gouvernée par l’interaction entre
le trou et le Mn. En négligeant un
éventuel mélange de bande de valence,
cette interaction peut être simplement
décrite par un Hamiltonien de type Ising
Hh−Mn = IhSzjz. Les 12 états propres de
Hh−Mn sont organisés en 6 doublets (figure 1)
avec des Sz et jz bien définis (projection
du spin du Mn et du trou suivant l’axe de
croissance z). Nous noterons ces états
|Sz, jz⟩. La recombinaison d’un électron
de la bande de conduction avec le trou
laisse dans l’état final un seul électron couplé à l’atome magnétique. L’Hamiltonien
décrivant ce système est un Hamiltonien
de Heisenberg H e – Mn = I e S.σ décrivant le couplage entre un spin S = 5/2 et
un spin σ = 1/2 en symétrie sphérique.
Sz et σz ne sont pas ici adaptés pour
décrire le système e-Mn. On utilise alors
le moment cinétique total J = S + σ et
Figure 1 – Schéma des niveaux intervenant dans la recombinaison optique d’un exciton chargé
sa projection Jz. Les 12 états propres de négativement (2 électrons et 1 trou) en interaction avec un atome Mn. Dans l’état initial, l’interacHe−Mn sont répartis entre un septuplet tion d’échange trou-Mn lève la dégénérescence des différentes projections suivant z du spin du
fondamental ( J = 3) et un quintuplet Mn. Dans l’état final, la combinaison des deux moments cinétiques isotrope σ = 1/2 et S = 5/2
conduit à deux niveaux J = 2 (de dégénérescence 5) et J = 3 (de dégénérescence 7). Les encadrés
( J = 2). Nous les noterons |J, Jz⟩.
donnent la décomposition complète des états J = 2 et J = 3. Une représentation schématique des
Pour chaque état initial de X− il y a probabilités de transitions attendues est présentée à droite.
deux états finaux possibles après l’annihilation d’une paire électron-trou, avec
J = 2 ou J = 3. Nous attendons alors
12 raies d’émission. L’intensité de chacune des transitions
|J = 3, Jz⟩. Après l’émission du photon, l’état du système est
est contrôlée par les règles de sélection optique et la conser|Sz = +5/2, ↑e⟩ qui est identique à |J = 3, Jz = + 3⟩ et il corvation du spin du Mn.
respond donc à l’intensité d’émission maximale. A l’opposé,
Considérons par exemple les transitions σ+ qui annihila transition de cet état initial vers |J = 2, Jz⟩ est interdite car
lent une paire électron trou (↓e, ⇑h). Chacun des six doule niveau J = 2 ne contient pas de contribution où le spin du
blets, caractérisé par une projection de spin Sz du Mn, peut
Mn et de l’électron sont parallèles. On attend donc 11 raies
être un état initial. Après la recombinaison de la paire
d’émission. L’intensité relative de chacune de ces raies est
électron-trou, l’état final est |Sz,↑e⟩ qui n’est pas en général
bien décrite par ce modèle : quand la valeur de Sz diminue,
un état propre de He−Mn. L’intensité de la transition optique
le recouvrement de |Sz, ↑e⟩ avec les états J = 3 ( J = 2)
vers un état final |J, Jz⟩ est donc proportionnelle au
diminue. Comme présenté sur le schéma ci-contre, la strucrecouvrement ⟨ J, Jz|Sz, ↑e⟩ qui n’est rien d’autre qu’un
ture fine de X− peut être vue comme la superposition de
coefficient de Clebsh-Gordan. La transition de plus haute
deux sous structures : 6 raies dont l’intensité augmente avec
énergie en polarisation σ+ correspond à un état initial
l’énergie (transitions vers J = 3) et 5 raies dont l’intensité
(↑, ↓)e × |+ 5/2, ⇑h⟩ et à l’état final de plus basse énergie
diminue en augmentant l’énergie (transitions vers J = 2).
105
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