Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique En introduisant un seul atome magnétique dans une boîte quantique de semi-conducteur, on peut sonder et contrôler optiquement l’état de spin de cet atome. Un contrôle électrique de l’état de charge de la boîte permet aussi de modifier de manière réversible les propriétés du spin de l’atome magnétique. Cette réalisation démontre, dans le contexte de l’information quantique, qu’il est possible d’isoler dans un solide un spin unique, bien identifié et adressable. L e traitement de l’information dans les composants électroniques est basé sur le contrôle d’un flux de charges dans un matériau semi-conducteur, alors que le stockage non-volatil de l’information exploite les propriétés de spin des charges présentes dans les métaux (en particulier leur ferromagnétisme). Dans ce contexte, l’électronique de spin, cherchant à combiner les technologies des matériaux semi-conducteurs et des matériaux magnétiques suscite un intérêt grandissant pour de nouveaux matériaux, comme les semi-conducteurs ferromagnétiques, ou de nouvelles structures de composants. Un autre enjeu concerne la miniaturisation des composants qui reste un objectif prioritaire pour augmenter la performance des dispositifs. Cette quête stimule d’une part l’étude de dispositifs de tailles nanométriques et d’autre part l’exploration de voies alternatives qui permettraient une poursuite des progrès des capacités de calcul des circuits intégrés. Le succès de la miniaturisation des composants semi-conducteurs et magnétiques a déjà permis de fortement réduire le nombre d’atomes nécessaire au stockage d’un bit d’information. Le stockage d’un bit classique d’information sur un atome individuel serait la limite ultime. Le travail présenté ici montre comment il est possible de sonder optiquement l’état de spin d’un seul atome magnétique localisé dans une boîte quantique de semi-conducteur, et comment l’injection d’un porteur de charge individuel permet de contrôler l’état d’aimantation de cet atome. Un atome magnétique dans une boîte quantique Les matériaux semi-conducteurs ont été largement exploités dans les technologies de l’électronique car leurs propriétés électriques peuvent être facilement modifiées par un dopage électrique ou par une réduction de leur dimensionnalité. Ceci implique la réalisation, à l’aide des matériaux semi-conducteurs, de couches bidimensionnelles, de fils ou d’agrégats (boîtes quantiques) de tailles nanométriques. Les électrons ou les trous (absence d’un électron dans la bande de valence) confinés dans une boîte quantique occupent des états électroniques discrets comme dans un atome. La recombinaison de ces paires électrons-trous quantifiées sur ces niveaux donne lieu à l’émission de photons uniques, d’énergie et polarisation contrôlées. Ces propriétés optiques sont utilisées dans ce travail pour sonder l’état de spin d’un atome magnétique individuel. Les boîtes quantiques que nous étudions ici sont réalisées en utilisant un mode de croissance tridimensionnel « auto-organisé ». Elles se forment spontanément lors de la croissance couche atomique par couche atomique (grâce à une technique appelée épitaxie par jets moléculaires) d’un matériau A sur un matériau B présentant un paramètre de maille différent. Au-delà d’une certaine épaisseur critique (quelques monocouches atomiques), le matériau A (ici CdTe) relaxe l’énergie élastique emmagasinée en adoptant un mode de croissance tridimensionnel qui se traduit par la formation d’îlots de quelques monocouches atomiques d’épaisseur et d’une dizaine de nanomètres de diamètre (figure 1a). Ces îlots de CdTe sont ensuite recouverts par une couche épaisse de ZnTe (matériau B). Comme ZnTe possède une plus grande largeur de bande interdite que CdTe, on réalise ainsi une boîte quantique qui confine les porteurs dans les trois directions. Ce confinement des porteurs donne naissance à des niveaux d’énergie discrets, séparés par plusieurs dizaines de milli-électron-Volt (meV). Lors de la recombinaison d’une paire électron-trou confinée, l’émission optique d’une boîte quantique a lieu entre ces niveaux discrets : l’énergie des photons émis par une seule boîte est donc parfaitement définie et les spectres d’émission présentent des raies dont la position énergétique dépend des dimensions de la boîte et du nombre de porteurs qu’elle contient. L’incorporation de métaux de transition dans un semi-conducteur peut conduire à un dopage magnétique. Les métaux de transition comme le manganèse Article proposé par : Lucien Besombes, [email protected], Yoan Léger, [email protected], Henri Mariette, [email protected], Laboratoire de spectrométrie physique (LSP), Université Grenoble 1/CNRS. 99 Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique (Mn, S = 5/2), possèdent des électrons localisés sur une orbitale d. Les électrons d sont polarisés en spin, formant l’analogue d’un petit aimant, et ne participent pas à la conduction à cause de leur localisation. En revanche, les deux électrons du Mn dans les orbitales s participent aux liaisons chimiques avec le semi-conducteur environnant et sont alors couplés à la bande de conduction et à la bande de valence. Quand le Mn remplace un élément du groupe II dans un semi-conducteur II-VI, il ne transfère pas d’excès de charge vers les bandes. Un semiconducteur II-VI dopé Mn, appelé semiconducteur magnétique dilué, garde donc son caractère isolant mais incorpore les propriétés magnétiques des électrons d localisés sur le Mn. Dans un semi-conducteur magnétique dilué, le fort couplage qui existe entre les porteurs du semi-conducteur et les électrons localisés de l’atome magnétique (interaction d’échange sp − d) donnent lieu à des effets magnéto-optiques souvent qualifiés de « géants ». Dans une boîte quantique, cette interaction d’échange implique un seul porteur individuel ou une seule paire électron-trou individuelle. Si la boîte contient une forte concentration d’atomes Figure 1 – L’image (a) est obtenue par microscopie à force atomique après le dépôt de CdTe sur magnétiques, la paire électron-trou intera- ZnTe, avant l’encapsulation des boîtes par une couche de ZnTe. (b) Coupe observée en microscoélectronique à haute résolution montrant la structure d’une boîte quantique CdTe/ZnTe. (c) git avec un grand nombre de spins orientés pie Structure cristalline de CdTe (et ZnTe), avec la substitution d’un atome de Cd par un atome de Mn aléatoirement (environnement paramagné- qui rend le semi-conducteur magnétique. tique) et l’effet résultant de l’interaction s’annule. En revanche, sous l’effet d’un champ magnétique extérieur, les spins des atomes Lecture optique du spin magnétiques se polarisent, conduisant à un champ d’un atome magnétique d’échange moyen qui s’ajoute au champ extérieur appliqué : il en résulte une important variation de l’énergie de transition des paires électron-trou. Cet effet La micro-spectroscopie permet de sonder optiqueest appelé effet Zeeman géant et peut être modélisé par ment l’interaction entre une seule paire électron-trou un Hamiltonien qui décrit l’interaction des électrons et injectée optiquement et un atome magnétique individes trous des bandes du semi-conducteur avec le spin du duel localisé dans une boîte quantique. Un faible nomMn, via un terme d’échange local − αSi · σδ (r − Ri) où bre de boîtes est isolé en sélectionnant par lithographie σ est le spin d’un porteur et Si le spin localisé sur un Mn électronique et gravure une zone restreinte de l’échanau point Ri . tillon d’une centaine de nanomètres de côté. Sous excitation laser, le spectre d’émission (photoluminescence) Dans le cas d’une boîte contenant un seul atome de issu des quelques boîtes ainsi isolées est constitué de raies Mn, il n’y plus d’effet moyen qui annule l’énergie très fines (quelques dizaines de micro-électronvolts d’échange. On peut alors accéder directement aux états (µeV)) provenant de la recombinaison de paires élecde spin d’un atome individuel en interaction avec une tron-trou confinées. La structure des spectres permet seule paire électron-trou ou un porteur individuel. Ces alors de sélectionner les boîtes contenant 0, 1 ou pluboîtes contenant un seul atome magnétique peuvent sieurs atomes de Mn. être réalisées en insérant une faible densité d’atomes magnétiques à la surface de l’échantillon avant la croisDans une boîte non magnétique, la recombinaison sance des boîtes. Ces atomes magnétiques sont incord’une paire électron-trou produit une seule raie d’émisporés dans les boîtes et, en ajustant leur densité à celle sion. Pour les boîtes contenant un atome magnétique des boîtes quantiques (quelques 1010cm−2), une petite (figure 2a), une structure composée de six raies est proportion de boîtes contient un atome magnétique observée en champ magnétique nul. Cette structure fine individuel. provient du couplage entre l’atome magnétique et la 100 Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique S = 5/2 s’oriente sous l’effet de ce champ, et peut prendre 2S + 1 = 6 orientations différentes. A chaque orientation correspond une énergie du photon émis, et donc une raie d’émission dans le spectre de luminescence. L’émission d’un photon d’énergie et d’hélicité données permet donc de détecter chaque état d’aimantation de l’atome de manganèse. Les règles de sélection des transitions optiques nous permettent aussi d’accéder au spin des porteurs confinés. L’électron de la bande de conduction est, comme un électron libre, une particule de spin ± 1/2, tandis que l’état fondamental de la bande de valence (trou) est une particule de moment cinétique total 3/2. Dans les boîtes quantiques auto-organisées, la forme du potentiel de confinement (disque aplati) et la distribution des contraintes (compression biaxiale dans le plan des boîtes) lève la dégénérescence des différentes projections du moment cinétique du trou. Sur le niveau fondamental, qui nous intéresse ici, la projection du moment cinétique du trou ne peut prendre que les valeurs jz = ± 3/2, z étant l’axe de croissance. Ces états de trou, quantifiés suivant z, sont appelés les trous lourds. La recombinaison d’une paire électron-trou formée d’un électron de spin – 1/2 et d’un trou de spin + 3/2 (appelée exciton |+ 1〉) produit un photon polarisé circulairement σ+ alors que la recombinaison d’un exciton |− 1〉 correspondant à un trou – 3/2 et un électron + 1/2 produit un photon σ−. Ce mécanisme permet d’établir une correspondance entre le moment cinétique d’un photon détecté et le spin de l’électron et du trou présents dans la boîte au moment de la recombinaison. Lorsqu’un atome magnétique est introduit dans la boîte, ces différents états de spin des porteurs confinés interagissent avec le spin de l’atome magnétique. En présence d’un atome de Mn, le couplage entre les porteurs confinés et le spin de cet atome peut être modélisé par un Hamiltonien effectif décrivant l’interaction entre un spin S = 5/2 (celui du Mn), un spin σ = 1/2 (celui de l’électron) et un moment cinétique j = 3/2 (celui du trou) : Figure 2 – (a) : Photoluminescence obtenue à basse température (T = 5K) d’une boîte quantique individuelle contenant un seul atome magnétique (Mn). (b) Schéma des niveaux d’énergie du système formé par une paire électron-trou en interaction avec un atome Mn en champ magnétique nul. Le couplage porteurs-Mn décale l’énergie de la paire électron-trou suivant la valeur de la composante Sz du spin de l’atome magnétique. paire électron-trou confinée. Comme nous le verrons plus tard de manière plus formelle, ce couplage modifie l’énergie de la paire électron-trou suivant la projection du spin de l’atome magnétique conduisant à six niveaux d’énergie et donc six raies d’émission. L’interaction du spin de l’atome de Mn avec la paire électron-trou est en fait équivalente à l’effet d’un champ magnétique dirigé perpendiculairement au plan de l’échantillon, qui vaut environ 1.5 tesla pour un atome placé au centre de la boîte. Le moment magnétique de l’atome de Mn H = I e σ.S + I h j z S z + I eh σ z j z (1) où Ie (Ih) est l’énergie d’interaction entre l’atome de Mn et l’électron (trou) et Ieh est l’énergie d’interaction d’échange électron-trou. Les énergies d’interaction porteurs-Mn dépendent du recouvrement entre la fonction d’onde des porteurs confinés et l’atome magnétique localisé. Comme nous avons vu précédemment en champ magnétique nul, l’émission de la boîte quantique présente une structure fine composée de six niveaux deux fois dégénérés également espacés en énergie. Les états radiatifs de plus basse énergie, |+ 1/2〉e |– 3/2〉h|+ 5/2〉Mn et |– 1/2〉e |+ 3/2〉h |– 5/2〉Mn correspondent à une configuration antiparallèle pour le spin du trou et le spin du Mn. Les états suivants sont associés aux projections 101 Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique du spin de Mn Sz=± 3/2, ± 1/2 jusqu’au niveau de plus haute énergie |– 1/2〉e |+ 3/2〉h |+ 5/2〉Mn et |+ 1/2〉e |+ 3/2〉h |– 5/2〉Mn où les spins du trou et du Mn sont parallèles. Ce modèle nous montre que l’écart énergétique entre les différents niveaux ne dépend que de Ie et Ih et est donc lié à la position de l’atome magnétique dans la boîte quantique. Il y a aussi une correspondance directe entre le photon détecté (énergie et polarisation) et la projection du spin du Mn suivant Sz. Cette correspondance nous permet de sonder optiquement l’état de spin du Mn. Ainsi, en appliquant un champ magnétique, on peut détecter optiquement le changement d’aimantation de l’atome de Mn. Si ce champ est appliqué suivant l’axe de croissance (figure 3), chaque raie d’émission se dédouble et 12 transitions, 6 dans chaque polarisation circulaire, sont observées. Le spin de l’atome magnétique est conservé pendant la transition optique (les électrons d du Mn ne sont pas affectés par la transition dipolaire) et l’énergie Zeeman de l’atome magnétique n’apparaît pas directement dans les transitions optiques ; seules apparaissent l’énergie d’interaction avec l’exciton et l’énergie Zeeman de l’exciton. La structure fine observée en champ nul (6 raies d’émission) est donc conservée sous champ magnétique dans chacune des polarisations circulaires (voir encadré 1). En revanche l’intensité relative des six raies d’émission observées dans chacune des polarisations circulaires dépend fortement du champ magnétique appliqué. L’intensité d’émission, qui est également répartie sur les six raies en champ nul, se concentre progressivement, lorsque le champ magnétique augmente, sur la raie haute énergie dans la polarisation σ− et sur la raie basse énergie dans la polarisation σ+. Cette distribution d’intensité reflète la population de l’état initial, le complexe exciton-Mn. Quand le champ magnétique augmente, le spin de l’atome de Mn est progressivement polarisé. La probabilité d’observer la recombinaison d’un exciton couplé à la projection Sz = − 5/2 du Mn est alors augmentée. Deux états dominent le spectre d’émission : |– 1/2〉e|+ 3/2〉h|– 5/2〉Mn sur le coté basse énergie des transitions σ+ et |+ 1/2〉e|– 3/2〉h|– 5/2〉Mn sur le coté haute énergie de la polarisation σ−. Tout changement de l’état de spin du Mn va alors directement affecter la distribution d’intensité dans l’émission de l’exciton. La photoluminescence de l’exciton confiné apparaît donc comme une sonde de l’état de spin de l’atome magnétique. Contrôle électrique d’un atome magnétique Figure 3 – Intensité de l’émission d’une boîte quantique contenant un seul atome de manganèse (jaune = haute intensité), en fonction de l’énergie d’émission et du champ magnétique appliqué (0T à 11T), enregistrée dans les deux polarisations circulaires σ+ et σ–. 102 L’injection d’un porteur individuel dans la boîte quantique permet aussi de modifier les propriétés magnétiques du spin de l’atome magnétique localisé. L’observation de la photoluminescence de boîtes quantiques à charge variable (figure 4) montre que l’état d’aimantation du spin du Mn change spectaculairement suivant que la boîte est vide (0 électron), qu’elle contient + 1 électron ou un trou (– 1 électron). Pour pouvoir modifier leurs états de charge, les boîtes magnétiques sont placées dans une structure à effet de champ. L’application d’une tension électrique sur ce dispositif permet alors de contrôler la présence d’un porteur excédentaire (électron ou trou) dans la boîte. L’interaction Coulombienne entre cette charge et la paire électron-trou injectée optiquement décale l’énergie d’émission de la boîte. Ce décalage énergétique permet d’identifier, suivant la tension appliquée, des régimes où la paire électron-trou se recombine dans une boîte neutre (émission de l’exciton X), dans une boîte chargée avec un électron excédentaire (émission de l’exciton chargé négativement X−) ou dans une boîte chargée avec un trou excédentaire (émission de l’exciton chargé positivement X+). Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique Figure 4 – Intensité de photoluminescence (jaune = haute intensité) d’une boîte quantique contenant un seul atome magnétique insérée dans une structure à effet de champ présentée en fonction de l’énergie d’émission et de la tension appliquée. Les différentes séries de raies d’émissions peuvent être attribuées à l’exciton neutre (X), à l’exciton chargé positivement (X+) et à l’exciton chargé négativement (X–). La structure de l’émission d’une boîte chargée (figure 5) est très différente de celle d’une boîte neutre (figure 2). Cette différence traduit la forte influence du nombre de porteurs confinés sur le spin du Mn à la fois dans l’état initial et dans l’état final de la transition optique. Considérons par exemple le cas d’un exciton chargé négativement en interaction avec un atome magnétique : dans l’état initial (2 électrons, 1 trou, 1 Mn), l’interaction entre le Mn et les 2 électrons de spins antiparallèles s’annule. En revanche l’interaction trou-Mn lève la dégénérescence des différentes projections Sz du spin du Mn suivant z. Dans l’état final, après l’annihilation d’une paire électron-trou, le spin de l’électron restant se couple au spin de l’atome magnétique. La combinaison de ces deux moments cinétiques isotropes (σ = 1/2 pour l’électron et S = 5/2 pour le Mn) conduit à deux niveaux de moment cinétique total J = 2 (dégénérescence 5) et J = 3 (dégénérescence 7). Nous attendons alors 12 raies d’émission (figure 5b), l’intensité de chacune des transitions étant contrôlée par les règles de sélection optique et la conservation du spin (voir encadré 2). Pour les boîtes chargées positivement, on observe la configuration inverse à celle présentée ci-dessus : une fois l’exciton recombiné, il reste dans l’état final un trou et un Mn dont l’interaction lève la dégénérescence des états de spin du Mn. On peut ainsi conserver la mémoire de la configuration de spin de l’atome magnétique. Figure 5 – (a) : Photoluminescence obtenue à basse température (T = 5K) d’une boîte quantique individuelle contenant un électron excédentaire et un seul atome magnétique (Mn). (b) : Schéma des niveaux intervenant dans la recombinaison optique d’un exciton chargé négativement (2 électrons et 1 trou) en interaction avec un atome Mn. Dans l’état initial, le couplage trou-Mn lève la dégénérescence des différentes projections suivant z du spin du Mn. Dans l’état final, la combinaison des deux moments cinétiques isotropes s = 1/2 et S = 5/2 conduit à deux niveaux J = 2 (de dégénérescence 5) et J = 3 (de dégénérescence 7). Ainsi, alors que pour la configuration correspondant à une boîte vide l’atome magnétique est paramagnétique, le niveau fondamental d’une boîte à 1 Mn chargée avec un électron se comporte comme un moment cinétique isotrope avec J = 3, et la boîte dopée avec un trou se comporte comme un nano-aimant avec un axe facile orienté suivant l’axe de croissance. Ce dispositif avec une boîte quantique insérée dans une structure à effet de champ permet donc un contrôle électrique réversible du comportement magnétique de l’atome magnétique localisé dans cette boîte. C’est l’analogue des dispositifs à effet de champ permettant un contrôle électrique du ferromagnétisme dans un puits quantique 103 Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique de semi-conducteur magnétique dilué, mais à l’échelle d’un atome magnétique individuel et d’un seul porteur, avec une zone active de quelques nanomètres. J. Cibert, D. Ferrand, « Ferromagnétisme contrôlé par les porteurs dans les semi-conducteurs magnétiques dilués ». Image de la physique, 2003-2004, 99. Conclusion L’observation d’un spin unique dans une boîte quantique ouvre de nouvelles perspectives pour le stockage de l’information. Un spin de Mn bien isolé de ses voisins doit en effet posséder un temps de relaxation de plusieurs millisecondes. Le dispositif présenté ici constitue un premier pas vers le développement de mémoires où un bit d’information serait stocké sur le spin d’un atome individuel. Encadré 1 POUR EN SAVOIR PLUS L. Besombes, Y. Léger, L. Maingault, D. Ferrand, H. Mariette, J. Cibert, « Optical probing of the spin state of a single magnetic atom embedded in a quantum dot », Phys. Rev. Lett. 93, 2004, 207403. Y. Léger, L. Besombes, J. Fernandez Rossier, L. Maingault, H. Mariette, « Electrical control of a single magnetic atom in a quantum dot », Phys. Rev. Lett. 97, 2006, 107401. Spectroscopie d’une boîte quantique magnétique En présence d’un champ magnétique extérieur B, le spin S du Mn a (2S + 1) niveaux d’énergie espacés de gMnµBB ou gMn est le facteur de Landé du Mn et µB le magnéton de Bohr. Lors d’une recombinaison optique dans une boîte quantique magnétique, cette énergie Zeeman apparaît à la fois dans l’état initial et dans l’état final. Dans l’état initial, les niveaux de spin de l’atome magnétique sont aussi séparés par l’interaction avec l’exciton. L’influence de l’exciton est équivalente à un champ magnétique effectif d’environ 1,5 Tesla parallèle ou antiparallèle au champ extérieur suivant le spin de l’exciton (et donc la polarisation circulaire) considéré. L’exciton est aussi soumis directement à un effet Zeeman se traduisant sur les spectres d’émission par un dédoublement de chaque raie en deux raies de polarisations circulaires opposées. Le spin de l’atome magnétique est Figure 1 – (a) Schéma des niveaux des états initiaux et finaux impliqués dans les transitions optid’une boîte quantique contenant un atome magnétique. (b) Modélisation des transitions conservé pendant la transition optique ques optiques obtenues par diagonalisation d’un Hamiltonien effectif incluant le couplage électron(les électrons d du Mn ne sont pas affec- trou, le couplage exciton-Mn, les énergies Zeeman et le diamagnétisme de l’exciton. La contributés par la transition dipolaire) et l’énergie tion des états non radiatifs Jz = ± 2 apparaît en vert. Zeeman de l’atome magnétique n’apparaît pas directement dans les transitions d’interaction coulombienne pour différentes configurations optiques ; seule apparaît l’interaction d’échange avec l’excide spin) ces états non radiatifs Jz = ± 2 sont situés environ ton et l’effet Zeeman de l’exciton. La structure fine obser1 meV au-dessous des états radiatifs Jz = ± 1. L’interaction vée en champ nul (6 raies d’émission) est donc conservée électron-manganèse I e σS , en permettant des renversesous champ magnétique dans chacune des polarisations cirments de spin simultanés de l’électron et du manganèse, culaires. Cette structure est perturbée autour de 8 T en couple des états d’excitons radiatifs et non-radiatifs associés polarisation σ− par une série d’anticroisements apparaissant à deux projections différentes du spin du Mn. La transition sur 5 des 6 raies d’émission. Ces anticroisements proviende plus basse énergie correspondant aux configurations nent du couplage des niveaux de l’exciton non radiatif et de |+ 1/2〉e|+ 5/2〉Mn ou |−1/2〉e|−5/2〉Mn ne présente pas l’exciton radiatif. Ces états non-radiatifs sont formés par un d’anticroisement car un changement simultané du spin des électron + 1/2 et un trou + 3/2 (ou – 1/2 et – 3/2), ils ne deux particules n’est pas possible. La séparation énergétique sont pas couplés à la lumière car ils ne peuvent pas transférer à l’anticroisement permet une mesure directe de l’interacleur moment cinétique Jz = ± 2 à un photon. A cause de tion d’échange électron-Mn. l’interaction d’échange électron-trou (différence d’énergie 104 Contrôle du spin d’un atome magnétique dans une boîte quantique Encadré 2 Exciton chargé en présence d’un atome magnétique Un exciton chargé négativement (X−) est formé de deux électrons de la bande de conduction et d’un trou de la bande de valence. L’interaction d’échange de deux électrons appariés avec le spin du Mn est rigoureusement nulle. La structure de X− est donc gouvernée par l’interaction entre le trou et le Mn. En négligeant un éventuel mélange de bande de valence, cette interaction peut être simplement décrite par un Hamiltonien de type Ising Hh−Mn = IhSzjz. Les 12 états propres de Hh−Mn sont organisés en 6 doublets (figure 1) avec des Sz et jz bien définis (projection du spin du Mn et du trou suivant l’axe de croissance z). Nous noterons ces états |Sz, jz〉. La recombinaison d’un électron de la bande de conduction avec le trou laisse dans l’état final un seul électron couplé à l’atome magnétique. L’Hamiltonien décrivant ce système est un Hamiltonien de Heisenberg H e – Mn = I e S.σ décrivant le couplage entre un spin S = 5/2 et un spin σ = 1/2 en symétrie sphérique. Sz et σz ne sont pas ici adaptés pour décrire le système e-Mn. On utilise alors le moment cinétique total J = S + σ et Figure 1 – Schéma des niveaux intervenant dans la recombinaison optique d’un exciton chargé sa projection Jz. Les 12 états propres de négativement (2 électrons et 1 trou) en interaction avec un atome Mn. Dans l’état initial, l’interacHe−Mn sont répartis entre un septuplet tion d’échange trou-Mn lève la dégénérescence des différentes projections suivant z du spin du fondamental ( J = 3) et un quintuplet Mn. Dans l’état final, la combinaison des deux moments cinétiques isotrope σ = 1/2 et S = 5/2 conduit à deux niveaux J = 2 (de dégénérescence 5) et J = 3 (de dégénérescence 7). Les encadrés ( J = 2). Nous les noterons |J, Jz〉. donnent la décomposition complète des états J = 2 et J = 3. Une représentation schématique des Pour chaque état initial de X− il y a probabilités de transitions attendues est présentée à droite. deux états finaux possibles après l’annihilation d’une paire électron-trou, avec J = 2 ou J = 3. Nous attendons alors 12 raies d’émission. L’intensité de chacune des transitions |J = 3, Jz〉. Après l’émission du photon, l’état du système est est contrôlée par les règles de sélection optique et la conser|Sz = +5/2, ↑e〉 qui est identique à |J = 3, Jz = + 3〉 et il corvation du spin du Mn. respond donc à l’intensité d’émission maximale. A l’opposé, Considérons par exemple les transitions σ+ qui annihila transition de cet état initial vers |J = 2, Jz〉 est interdite car lent une paire électron trou (↓e, ⇑h). Chacun des six doule niveau J = 2 ne contient pas de contribution où le spin du blets, caractérisé par une projection de spin Sz du Mn, peut Mn et de l’électron sont parallèles. On attend donc 11 raies être un état initial. Après la recombinaison de la paire d’émission. L’intensité relative de chacune de ces raies est électron-trou, l’état final est |Sz,↑e〉 qui n’est pas en général bien décrite par ce modèle : quand la valeur de Sz diminue, un état propre de He−Mn. L’intensité de la transition optique le recouvrement de |Sz, ↑e〉 avec les états J = 3 ( J = 2) vers un état final |J, Jz〉 est donc proportionnelle au diminue. Comme présenté sur le schéma ci-contre, la strucrecouvrement 〈 J, Jz|Sz, ↑e〉 qui n’est rien d’autre qu’un ture fine de X− peut être vue comme la superposition de coefficient de Clebsh-Gordan. La transition de plus haute deux sous structures : 6 raies dont l’intensité augmente avec énergie en polarisation σ+ correspond à un état initial l’énergie (transitions vers J = 3) et 5 raies dont l’intensité (↑, ↓)e × |+ 5/2, ⇑h〉 et à l’état final de plus basse énergie diminue en augmentant l’énergie (transitions vers J = 2). 105