Dirigee Par Ariane Mnouchkine Cartoucherie Musique Jean-Jacques Lemetre 01 43 74 24 08 Done, en anglais, le participe passé du verbe to do, faire, c’est fait. C’est : c’est fait, c’est fini. I am done, je suis fait. Je suis cuit. Foutu. J’en ai terminé. Done c’est le coup de glas, le tocsin mental de Macbeth. What is done is done. It cannot be undone. Peut-on défaire ce qui est fait, peut-on dé-mourir, désachever, dé-défaire ? Non. Mais si. La littérature peut refaire de la vie avec des cendres. De la vie autre. De la vie suivie, poursuivie. Hélène Cixous, Ayaï ! Le cri de la littérature, 2013 2 L'irreparable Mais qu’est-ce qui est arrivé au grand Macbeth, ce général victorieux à la carrière brillante ? Un bel homme, aimé des siens, respecté, admiré, comblé d’honneurs mérités, salué par le roi. Il avait tout pour être heureux. Une femme aimante, distinguée comme une noble romaine. Un château magnifique. Et quel beau paysage ! Tout lui souriait. Et voilà que du jour au lendemain, une ténèbre – tombe. C’était le lundi qui suivait le triomphe. Ça ne peut quand même pas être la faute des vieilles sorcières prophétiques ? C’est comme si l’avenir s’était jeté sur lui et lui avait mordu le cerveau avec ses dents empoisonnées. Comme si un télégramme du diable était arrivé. Un mot : Tue ! Une idée horrible vient frapper à la porte de sa pensée. Pensée ? Même pas. C’est comme si la peste avait frappé à la porte de son château. Une seconde d’hésitation. Une seconde ? Même pas. C’est comme s’il avait déjà ouvert la porte avant d’ouvrir. Comme si quelqu’un avait précédé son mouvement. Sa femme ? À la seconde, il y a eu ce besoin foudroyant de faire ce qu’on ne doit pas faire, et, subitement, ce qu’on ne peut pas faire, on le fait. Fait. Et déjà tout est ruiné et décomposé : la raison, le cœur, le sentiment, la nourriture, le sommeil. On ne peut plus ni dormir, ni se réveiller. Le temps n’a plus de passé ni de présent. Il est sans repos et sans retour. La première seconde lui a été fatale, on ne peut plus qu’aller de l’avant dans le sang, dans le sang, descendant dans le sang. Le grand Dérangement a envahi le monde. Ce qui vit n’est pas vivant. Ce qui est mort n’est pas mort. Les rêves chassés de leur région errent à l’extérieur en hallucinations. Tout est perdu, l’amitié, la confiance, l’épouse, les illusions, le goût. Même la peur le quitte. Et le peuple, dans cette histoire ? Le peuple ? Ah ! Oui ! C’est vrai. D’habitude, comme dans les pièces de Shakespeare, quand il y a un pays, il y a aussi un peuple. Le peuple, les Macbeth n’y avaient jamais pensé ! Toutes leurs forces, affairées, tendues vers ce petit objet maléfique : la couronne. Tout l’espace du cœur est occupé par le terrible désiré. Jamais on n’avait vu une telle pureté dans le mal, une telle passion dans la tentation, nous semble-t-il. Nous ? Nous, les oubliés, les rejetés, nous sommes saisis d’effroi et d’incompréhension. Comment en arrive-t-on là, c’est-à-dire au-delà de tout plaisir, de toute satisfaction, là où la fin est sans arrêt et la langue se vomit elle-même ? Le mal est juste derrière la porte. Vous l’entendez hurler. Macbeth n’aurait jamais dû penser à ouvrir la porte. Trop tard frappe comme la foudre. Attention ! Nous ne devrions jamais laisser les Macbeth ouvrir la porte, pensons-nous. Le mal est prêt. Il n’attend que cet instant. Attention ! Le mal est sans arrêt. Vous êtes prévenus ? Hélène Cixous, 1er février 2014 3 Que vous dire sans rien dévoiler, sans rajouter des mots pesants à tous ceux qui ont été dits et écrits depuis quatre siècles et demi ? Comment vous parler pour que la pièce soit pour vous comme elle l’est, en ce moment, pour nous : nouvelle, vierge, œuvre inconnue encore d’un génie qu’on découvre avec stupéfaction. Quoi dire ? Juste ce que dirait un chef de troupe soucieux d’attirer son public et de le surprendre. Quelque chose comme : Mesdames et Messieurs, cher Public (Roulements de tambour) Venez voir un polar au rythme haletant. Une plongée dans la jungle mentale d’un homme bien plus féroce que les bêtes sauvages. (Roulements de tambour) Un homme qui se méfie de la pensée, qui invoque et défie les forces les plus dangereuses. (Roulements de tambour) Et dont la convoitise et la goinfrerie maléfiques troublent et souillent jusqu’à l’ordre sacré de la nature. Un homme capable de dire des mots comme ceux qui suivent : Peu m’importe comment vous obtenez lez réponses Je vous conjure de me répondre. Même s’il vous faut déchaîner les vents Et les laisser s’abattre contre les églises Même s’il faut que les vagues écumantes Désorientent et avalent toutes les flottes qui naviguent sur elles Même s’il faut que le blé en herbe soit couché et les arbres arrachés Même s’il faut que les châteaux s’écroulent sur la tête de leurs gardiens Même s’il faut que les palais et les pyramides Courbent leurs têtes jusqu’à toucher leurs fondations Même s’il faut que le trésor des semences de la nature Soit renversé et irrémédiablement mélangé Jusqu’à ce que la destruction même en vomisse Répondez à ce que je demande. Voilà, Mesdames et Messieurs, le terrible échantillon humain que notre prochain spectacle dévoilera à vos sens sidérés. Nous vous dirions quelque chose de ce genre. (…) Ariane Mnouchkine, extrait de la lettre au public du 17 février 2014 4 Macbeth une tragédie de William Shakespeare comme elle est jouée au Théâtre du Soleil traduite et dirigée par Ariane Mnouchkine musique de Jean-Jacques Lemêtre 1. Sur la lande 2. Le camp 3. La rencontre 4. Le triomphe 5. Au château d’Inverness 6. Dans les jardins d’Inverness 7. L’action 8. Le lendemain 9. L’éclipse 10. Après le couronnement 11. Une chambre du château 12. L’exécution 13. Le banquet 14. Deuxième rencontre 15. Au château de Fife 16. À Londres 17. Au château de Dunsinane 18. Le début 19. Tout est confirmé 20. Retour 21. Dans la forteresse 22. Le bois de Birnam 23. Dans la forteresse II 24. Malcolm 5 Dramatis Personae La première sorcière Juliana Carneiro da Cunha La deuxième sorcière Nirupama Nityanandan ou Eve Doe-Bruce La troisième sorcière Shaghayegh Beheshti ou Eve Doe-Bruce Les autres sorcières Eve Doe-Bruce, Dominique Jambert, Alice Milléquant, Astrid Grant, Judit Jancso, Frédérique Voruz, Ana Amélia Dosse, Camille Grandville, Aline Borsari, Man Waï Fok, Andrea Marchant, Marie Chaufour DuncanMaurice Durozier ses fils, MalcolmDuccio Bellugi-Vannuccini Donalbain Martial Jacques Le capitaineArman Saribekyan LennoxJean-Sébastien Merle AngusSylvain Jailloux MacbethSerge Nicolaï BanquoVincent Mangado son fils, Fléance (en alternance) Victor Bombaglia, Lucien Bradier, Blas Durozier, Joshua Halévi, Eraj Kohi, Dionisio Mangado Le chambellanSeietsu Onochi La journalisteShaghayegh Beheshti Le cameramanSébastien Brottet-Michel L’équipe de télévision Ana Amélia Dosse, Judit Jancso Les photographes Eve Doe-Bruce, Quentin Lashermes Baronesse Caithness Dominique Jambert L’attachée de presse Frédérique Voruz Lady Macbeth Nirupama Nityanandan L’intendante de Lady Macbeth Camille Grandville Le jardinier Samir Abdul Jabbar Saed Un jeune seigneur Seear Kohi SeytonSylvain Jailloux Les gardes du corps de Duncan Sergio Canto, Vijayan Panikkaveettil Le portier Eve Doe-Bruce MacDuffSébastien Brottet-Michel Le vieux gardien Seietsu Onochi Ross Maurice Durozier Les meurtriers Martial Jacques, Frédérique Voruz en alternance avec Sergio Canto, Judit Jancso Les invités du banquet Aline Borsari, Sergio Canto, Eve Doe-Bruce, Ana-Amelia Dosse, Man Waï Fok, Camille Grandville, Astrid Grant, Samir Abdul Jabbar Saed, Martial Jacques, Seear Kohi, Iwan Lambert, Andrea Marchant, Alice Milléquant, Vijayan Panikkaveettil, Harold Savary, Luciana Velocci Silva Le maître d’hôtel Duccio Bellugi-Vannuccini Lady MacDuff Astrid Grant en alternance avec Shaghayegh Beheshti son fils Dominique Jambert Le majordomeMartial Jacques Une messagère Camille Grandville Les compagnons de Malcolm Les compagnons de MacDuff Aline Borsari, Seear Kohi, Harold Savary Judit Jancso, Iwan Lambert La suivante de Lady Macbeth Le docteur Ana Amélia Dosse Juliana Carneiro da Cunha en alternance avec Camille Grandville MenteithVincent Mangado Un messagerQuentin Lashermes Le général Siward Vincent Mangado Un messagerArman Saribekyan Le jeune Siward Seear Kohi 6 Et Et Les maisonnées Shaghayegh Beheshti, Aline Borsari, Marie Chaufour, Eve Doe-Bruce, Ana Amélia Dosse, Man Waï Fok, Camille Grandville, Astrid Grant, Samir Abdul Jabbar Saed, Dominique Jambert, Judit Jancso, Seear Kohi, Iwan Lambert, Quentin Lashermes, Agustin Letelier, Andrea Marchant, Alice Milléquant, Miguel Nogueira da Gama, Seietsu Onochi, Vijayan Panikkaveettil, Arman Saribekyan, Harold Savary, Frédérique Voruz Les “kôkens”, c’est-à-dire les serviteurs de scène Tous les comédiens et Taher Baig, François Bombaglia, Saboor Dilawar, Camila de Freitas Viana de Moraes, Shafiq Kohi, Ghulam Reza Rajabi, Omed Rawendah, Wazhma Tota Khil, Luciana Velocci Silva Les officiers et soldats Man Waï Fok, Samir Abdul Jabbar Saed, Seear Kohi, Iwan Lambert, Quentin Lashermes, Agustin Letelier, Miguel Nogueira da Gama, Vijayan Panikkaveettil, Arman Saribekyan, Harold Savary La lumière du spectacle est l’œuvre de Elsa Revol avec l’aide de Virginie Le Coënt Les serveurs Marie Chaufour, Man Waï Fok, Samir Abdul Jabbar Saed, Judit Jancso, Quentin Lashermes, Agustin Letelier, Miguel Nogueira da Gama, Vijayan Panikkaveettil, Arman Saribekyan Les milices Aline Borsari, Sergio Canto, Eve Doe-Bruce, Samir Abdul Jabbar Saed, Sylvain Jailloux, Agustin Letelier, Vincent Mangado, Seietsu Onochi, Vijayan Panikkaveettil, Arman Saribekyan, Harold Savary, Frédérique Voruz Les “poissons pilotes”, c’est-à-dire l’aide aux jeunes comédiens Juliana Carneiro da Cunha, Nirupama Nityanandan, Duccio Bellugi-Vannuccini La musique du spectacle est l’œuvre de Jean-Jacques Lemêtre Les sons que gouvernent Thérèse Spirli et Marie-Jasmine Cocito ont été conçus par Yann Lemêtre avec l’aide de Melchior Derouet Les costumes du spectacle sont l’œuvre de Marie-Hélène Bouvet, Nathalie Thomas, Annie Tran et Simona Grassano, Élodie Madebos Le hall d’accueil est l’œuvre de l’atelier de peintres dirigé par Anne-Lise Galavielle et composé de Mathias Allemand, Fabrice Cany, Martin Claude, Camille Courier de Méré, Marine Dillard, Fanny Gautreau, Marion Lefebvre et Erol Gülgonen La grande fresque est l’œuvre de Didier Martin avec l’aide de Delphine Guichard Les soies du spectacle sont l’œuvre de Ysabel de Maisonneuve qui les a teintes et de Didier Martin qui les a peintes Le sol de la scène est l’œuvre de Elena Antsiferova Les résistants Aline Borsari, Marie Chaufour, Samir Abdul Jabbar Saed, Iwan Lambert, Quentin Lashermes, Agustin Letelier, Andrea Marchant, Alice Milléquant Les landes et bruyères sont l’œuvre de Sylvain Jailloux, Haroon Amani, Sayed Ahmad Hashimi et Luciana Velocci Silva, leurs teintures ont été réalisées par Aline Borsari, Ana Amélia Dosse, Andrea Marchant et Alice Milléquant Les collines et bunkers sont l’œuvre de Elena Antsiferova, David Buizard, Kaveh Kishipour et Samuel Capdeville 7 Les brumes, brouillards et nuées sont l’œuvre de Astrid Grant et Harold Savary assistés de Suzana Thomaz, avec l’aide de Marie Chaufour et Man Waï Fok Les jardins, serres et forêts sont l’œuvre de Shaghayegh Beheshti et Maurice Durozier avec l’aide des étudiants en Études théâtrales de l’Université-Paris III Les rambardes sont l’œuvre de Elena Antsiferova et Roland Zimmermann Les peintures et patines des rambardes, décors et accessoires sont l’œuvre de Elena Antsiferova, Mathias Allemand, Fanny Gautreau et Anton Telegescu Les constructions sont l’œuvre de l’atelier technique dirigé par David Buizard, Kaveh Kishipour et Étienne Lemasson : - David Buizard, Roland Zimmermann et Vivian Eon ont travaillé le bois - Kaveh Kishipour, Marie Antoniazza et Benjamin Bottinelli Hahn ont dompté le métal - François Bombaglia et Samuel Capdeville ont affronté toutes les matières - Erhard Stiefel a créé certains mystérieux et surprenants accessoires La grande régie Duccio Bellugi-Vannuccini et Sébastien Brottet-Michel Les électriciens Ibrahima Sow et Saboor Dilawar Les accastilleurs Dominique Jambert et Vincent Mangado La tapissière Chloé Bucas Les coiffures et perruques Jean-Sébastien Merle La captation quotidienne des répétitions Lucile Cocito Aide au texte et ange-gardien des enfants Françoise Berge La brigade des assistants à la mise en scène Lucile Cocito aux costumes Clara Bourdais, Mélanie Dion, Mégane Martinez, Émilie Paquet, Sacha Pignon, Charlotte Walther à la peinture Saboor Dilawar, Wazhma Tota Khil, Laura da Silva, Alain Quercia, Xue Zhang à la teinture Simona Grassano à la fabrication des accessoires Paula Giusti, Elena Diego Marina, Silvia Circu aux patines Ekaterina Antsiferova, Majo Caporaletti, Alain Khouani, Maria Tavlariou aux constructions Aref Bahunar, Ali-Reza Kishipour, Asif Mawdudi, Jérémie Quintin à l’électricité David Baqué, Thierry Barbier, Kamel Beztout, Charles Goyard de secours, à la régie du plateau Eugénie Agoudjian, Zoé Briau, Hédi Tarkani À toutes les grandes affaires Charles-Henri Bradier Les affaires techniques et organisatrices Étienne Lemasson Les affaires administratives Astrid Renoux avec l’aide de Louise Champiré et les affaires comptables Rolande Fontaine Les affaires publiques Liliana Andreone, Sylvie Papandréou, Svetlana Dukovska, Eddy Azzem avec l’aide de Sarah Sanchez et de Lucie Chenet, François Spirli, Ninon Argis Les affaires éditoriales Franck Pendino Les affaires locatives Maria Adroher Baus et Ariane Bégoin, Flora Berger, Pedro Castro Neves, Olivia Corsini, Lauren Hussein, Marjolaine Larranaga Y Ausin, Pauline Poignand, Nadia Reeb, Ido Shaked, Alexandre Zloto Les tournées nationales et internationales Marie-Anne Bernard Les maîtres des cuisines Karim Gougam, Virginie Collombet avec l’aide de Hamideh Ghadirzadeh, Asif Mawdudi 8 La grande intendante Hélène Cinque Les brigades alternées du bar Eugénie Agoudjian, Haroon Amani, Aref Bahunar, Taher Baig, Paul Balagué, Zoé Briau, Lucie Chenet, Cathy Couronne, José Da Silva, Lucas Dardaigne, Camila de Freitas Viana de Moraes, Saboor Dilawar, Carla Gondrexon, Luis Guenel, Mutjaba Habibi, Mustafa Habibi, Sayed Ahmad Hashimi, Farid Ahmad Joya, Alain Khouani, Shafiq Kohi, Dan Kostenbaum, Valérie Pujol, Ghulam Reza Rajabi, Omed Rawendah, Nadia Reeb, Carole Renouf, Masoma Rezale, Shoreh Sabaghy, Kristina Skorikova, Hédi Tarkani, Wazhma Tota Khil, Artavazd Yusbashyan, Paloma Zapata Les affiches, le tract publicitaire et le texte-programme Thomas Félix-François Notre site sur la toile Frédéric Mastellari Le grand soigneur Marc Pujo Le professeur de danse Christophe Igor assisté de Valérie Steiner La photographe Michèle Laurent Le luthier Marcel Ladurelle La ronde de nuit Azizullah Hamrah L’entretien Janos Nemeth, Tsering Tsang Sonam Chodon La navette de la Cartoucherie Fred Sharre Merci à tous ceux à qui nous voulions faire plaisir et qui nous l’ont rendu au centuple : Les stagiaires et apprentis, attentifs et discrets observateurs du monde entier : Marie Braun, Héloïsa Costa, Luis Guenel, Flavia Lopes Rodrigues, Lena Pitwell, Rosite Val, Les étudiants en Études théâtrales de la Sorbonne Nouvelle (Université Paris III), renforts sans prix, tous membres de jeunes troupes de théâtre universitaires : Paul Balagué, Raphaël Bocobza, Déborah Brian, Zoé Briau, Hanae Brossert, Jacqueline Chavanon, Silvia Circu, Nina Cottin, Lucas Dardaine, Elena Diego Marina, Magaly Dos Santos, Romane Finot, Paul Eloi Forget, Juliette Gazet, Véra Grunberg, Sarah Jamaleddin, Carmen Kautto, Morgane Lacaille, Pauline Lacaille, Laurent Lenoir, Anna Marionthiers, Judith Marx, Clara Normand, Laura Pardonnet, Lucile Perain, Ana Perez, Paolo Sclar, Raphaël Setty, Myriam Soignet, Irène Tchernooutsan, Baptiste Vareille, Arthur Viadieu, Clémentine Vignais, La classe de terminale DTMS (diplôme de technicien des métiers du spectacle) du Lycée des métiers du bois Léonard de Vinci, et ses professeurs Anne Bottard et Thierry Decroix. Merci à Jean-Pierre Mongarny et la Fondation Crédit Coopératif, agnès b. pour sa patience, Françoise et Lorenzo Benedetti pour leur fidélité. Merci à Madeleine Favre, pour sa permanente vigilance amicale et médicale, Anne Lacombe pour son regard discret et délicat et son travail d’archiviste de la création, Béatrice Picon-Vallin pour son accompagnement historique, passionné et si bienveillant, Jean-Claude Lallias pour son incessant combat pour l’éducation artistique, Michèle Benjamin pour ses conseils amicaux en effets spéciaux Marie Constant et notre amie Thérèse Boareto, “Jeannette” pour ses conseils amicaux sur les costumes, Fabrice Martolini (Tapis Sans Frontières), Corinne Gibello (BnF), Edwige et Francis Capdeville. À Édimbourg, merci à Dan Fearn (Walker Slater), Sylvie et Rod Slater. Merci à La compagnie des Lorialets (Matthieu Coblentz, Vincent Lefevre, Caroline Panzera), le Théâtre de la Tempête, le Théâtre de l’Épée de Bois, le Théâtre de l’Aquarium, le Parc floral de Paris, le musée de Reims, le musée d’Amiens (Gauthier Gillmann, Olivia Voisin), The Acting Company (New York). Et un grand merci à toutes celles et ceux qui nous ont généreusement consacré quelques heures de leur temps — ou plus — et qui ne sont pas ici nommés. 9 10 En montant « Macbeth », il ne s’agit pas de faire un constat apocalyptique passif. Le dévoilement est déjà un combat, il nous faudra la patience, la force, l’humilité, le courage de chercher, de comprendre, de mettre le mal sur le théâtre, en musique, en rythme, en spectacle. Il faudra ouvrir le personnage aux spectateurs comme on dissèque un poisson pourri… Comme quand Molière monte Tartuffe, il écrit Tartuffe pour que cela ne soit plus, et c’est effectivement, je crois, dans cette pièce qu’il va le plus loin dans sa réflexion sur le mal. Montrer les choses, c’est déjà les changer. Les cacher, c’est refuser de les voir changer. Ariane Mnouchkine, s’adressant en réunion de compagnie aux acteurs et techniciens de la troupe, Taipei, décembre 2012 Ce n’est pas le monde qui est terrifiant et sombre, mais certains êtres qui l’habitent. Au fond la pièce commence dans une gloire, pendant une victoire, tout devrait aller bien, tout est doux, c’est comme cela que c’est décrit au début. Ça ne commence pas dans un monde terrible, mais tout à coup il y a une avidité qui fait que le monde devient terrible. Parce que le monde n’est pas terrible, il est ce qu’il est, il a toutes les possibilités de beauté et de catastrophe, et c’est l’être humain qui a le pouvoir de faire surgir sur une grande partie de ce monde les catastrophes ou au contraire de faire surgir les vignes, et le miel, et les enfants. Tout à coup il y a quelqu’un qui fait surgir la mort et qui d’ailleurs à plusieurs reprises ne dit même pas « après moi le déluge », mais dit « maintenant le déluge pour moi », « s’il me faut le déluge, ayons le déluge ». (…) Très souvent on se méprend, certaines répliques de « Macbeth » sont devenues des sentences pour dire que le monde est mauvais, que la vie est mauvaise. Je rappelle souvent que ce n’est pas Shakespeare qui dit cela, c’est Macbeth qui dit cela… C’est justement un des personnages les plus maléfiques de tout le théâtre qui dit cela, donc ce n’est pas l’avis de Shakespeare, Shakespeare ne dit pas que la vie n’a pas de sens, au contraire, il montre ce qu’il se passe quand on pense que la vie n’a pas de sens. (…) Shakespeare n’était pas qu’un génie, il connaissait aussi son métier, il savait ce qu’il fallait faire pour tenir le public en haleine, pour que les gens aient peur, pour qu’ils soient touchés, pour qu’ils n’aillent pas à la concurrence, pour qu’ils reviennent dans son théâtre, et c’est particulièrement visible dans « Macbeth », qui est une pièce extrêmement populaire, habitée de philosophie, irriguée d’une culture immense, ce qui la rend justement populaire… (…) Je pense qu’il s’agit d’une guerre… ce n’est pas plus compliqué que les Atrides, il s’agit de petits clans, dans un tout petit royaume, l’Écosse. Puis, ce n’est pas que ça se complique, c’est que c’est beaucoup plus inattendu. Pourquoi nous gâche-t-on la vie, pourquoi l’ambition tout à coup… Ce n’est pas suffisant, comme dit Victor Hugo, ce n’est pas suffisant comme explication pour « Macbeth », pas plus que ce n’est suffisant de se dire que l’amour de l’argent explique la goinfrerie de notre époque. Ce n’est pas possible que ce ne soit que l’amour de l’argent. Il y a une maladie. Voilà il y a une maladie chez Macbeth, il y a une pathologie qu’il ne connaît pas lui-même, et que tout à coup il découvre, et à laquelle il cède avec une ivresse et, j’allais dire, une bêtise très étonnantes. (…) C’est un homme qui dit à un moment « la prochaine fois, j’agirai sans réfléchir », il le dit presque textuellement. Voilà quelqu’un qui, au fond, se méfie de la pensée. C’est donc très grave. Et ce qu’il fait, ce qui lui arrive et ce qui arrive, c’est qu’il va jusqu’à troubler l’ordre même de la nature. (…) Ariane Mnouchkine, extraits d’un entretien avec Jean-Claude Lallias, Théâtre du Soleil, janvier 2014 11 Je ne m’étais pas rendu compte à quel point sa palette, sa vitesse, sa capacité à inventer des mots étaient phénoménales, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elles dépassaient, et de loin, mes propres capacités […] jusque dans les pièces les moins connues et de moindre valeur, rédigées à une vitesse impossible pour tout autre écrivain ; les mots tombent si vite qu’on n’a pas le temps de les ramasser. Virginia Woolf, Journal, 13 avril 1930 Dire : Macbeth est l’ambition, c’est ne dire rien. Macbeth, c’est la faim. Quelle faim ? la faim du monstre toujours possible dans l’homme. Certaines âmes ont des dents. N’éveillez pas leur faim. Mordre à la pomme, cela est redoutable. La pomme s’appelle Omnia, dit Filesac, ce docteur de Sorbonne qui confessa Ravaillac. Macbeth a une femme que la chronique nomme Gruoch. Cette Ève tente cet Adam. Une fois que Macbeth a mordu, il est perdu. La première chose que fait Adam avec Ève, c’est Caïn ; la première chose que fait Macbeth avec Gruoch, c’est le meurtre. La convoitise aisément violence, la violence aisément crime, le crime aisément folie ; cette progression, c’est Macbeth. Convoitise, Crime, Folie, ces trois stryges lui ont parlé dans la solitude, et l’ont invité au trône. Le chat Graymalkin l’a appelé, Macbeth sera la ruse ; le crapaud Paddock l’a appelé, Macbeth sera l’horreur. L’être unsex, Gruoch, l’achève. C’est fini ; Macbeth n’est plus un homme. Il n’est plus qu’une énergie inconsciente se ruant farouche vers le mal. Nulle notion du droit désormais ; l’appétit est tout. Le droit transitoire, la royauté, le droit éternel, l’hospitalité, Macbeth assassine l’un comme l’autre. Il fait plus que les tuer, il les ignore. Avant de tomber sanglants sous sa main, ils gisaient morts dans son âme. Macbeth commence par ce parricide, tuer Duncan, tuer son hôte, forfait si terrible que du contre-coup, dans la nuit où leur maître est égorgé, les chevaux de Duncan redeviennent sauvages. Le premier pas fait, l’écroulement commence. C’est l’avalanche. Macbeth roule. Il est précipité. Il tombe et rebondit d’un crime sur l’autre, toujours plus bas. Il subit la lugubre gravitation de la matière envahissant l’âme. Il est une chose qui détruit. Il est pierre de, ruine, flamme de guerre, bête de proie, fléau. Il promène par toute l’Écosse, en roi qu’il est, ses kernes aux jambes nues et ses gallowglasses pesamment armés, égorgeant, pillant, massacrant. Il décime les thanes, il tue Banquo, il tue tous les Macduff, excepté celui qui le tuera, il tue la noblesse, il tue le peuple, il tue la patrie, il tue « le sommeil ». Enfin la catastrophe arrive, la forêt de Birnam se met en marche ; Macbeth a tout enfreint, tout franchi, tout violé, tout brisé, et cette outrance finit par gagner la nature elle-même ; la nature perd patience, la nature entre en action contre Macbeth ; la nature devient âme contre l’homme qui est devenu force. Ce drame a les proportions épiques. Macbeth représente cet effrayant affamé qui rôde dans toute l’histoire, appelé brigand dans la forêt et sur le trône conquérant. L’aïeul de Macbeth, c’est Nemrod. Ces hommes de force sontils à jamais forcenés ? Soyons justes, non. Ils ont un but. Après quoi, ils s’arrêteront. Donnez à Alexandre, à Cyrus, à Sésostris, à César, quoi ? le monde ; ils apaiseront. Geoffroy Saint-Hilaire me disait un jour : Quand le lion a mangé, il est en paix avec la nature. Pour Cambyse, Sennachérib, et Gengis Khan, et leurs pareils, avoir mangé, c’est posséder toute la terre. Ils se calmeraient dans la digestion du genre humain. Victor Hugo, William Shakespeare, 1864 12 L'Ecosse au temps de Macbeth BRITAINE or BRITANNIE, which also is ALBION, ... the most famous Iland, without comparison, of the whole world; severed from the continent of Europe by the interflowing of the Ocean, lieth against Germanie and France trianglewise, by reason of three Promontories shooting out into divers parts: to wit, Belerium, i. e. the Cape of S. Burien in Cornwall, Westward; Cantium, i. e. the Fore-land of Kent, into the East; and Tarvisium or Orcas, i. e. the point of Catnesse in Scotland, Northward. On the West side, whereas Ireland is seated, Vergivius, i. e. the Western Ocean, breaketh in; from the North, it hath the most vast and wide Hyperborean sea beating upon it; on the East, where it coasteth upon Germanie, enforced sore it is with the Germane sea; and Southward, as it lieth opposite to France, with the British. Disjoined from those neighbour-countries all about by a convenient distance every way, fitted with commodious and open havens for traffique with the universall world, and to the generall good, as it were, of mankind, thrusting it selfe forward with great desire from all parts into the sea. For between the said Fore-land of Kent and Calais in France it so advanceth it selfe, and the sea is so streited, that some thinke the land there was pierced thorow, and received the seas into it, which before-time had been excluded. For the maintenance of which conceit, they allege both Vergil in that verse of his, «And Britans people quite disjoin’d from all the world besides». William Camden, Britannia, 1607 13 Chronologie sommaire - Shakespeare et son temps 1559 : Couronnement d’Élisabeth Ire, fille d’Henri VIII 1561 : Retour de Marie Stuart en Écosse 1562 : Concile de Trente 1564 (23 avril) : NAISSANCE DE WILLIAM SHAKESPEARE à Stratford sur Avon. Mort de Calvin et de Michel-Ange 1570 : Pie V excommunie Élisabeth. Le lord-maire de Londres interdit aux comédiens l’enceinte de la cité 1572 : Nuit de la Saint-Barthélemy 1575 : Avènement d’Henri III. Lope de Vega fait jouer ses premières pièces (il en écrira 200 de 1575 à 1599) 1576 : James Burbage ouvre le premier théâtre permanent de Londres 1578 : El Greco peint L’Assomption de la Vierge 1580 : Les Essais de Montaigne 1582 : Mariage de Shakespeare et d’Anne Hathaway 1586 : Exécution de Marie Stuart 1588 : Défaite de l’Invincible Armada. Assassinat du Duc de Guise. Première représentation du Docteur Faustus de Marlowe 1589 : Assassinat d’Henri III 1592 : Richard III - La Comédie des Erreurs 1594-1595 : Le Songe d’une nuit d’été - La Mégère apprivoisée – Roméo et Juliette. Shakespeare actionnaire de la troupe du lord Chambellan 1597 : Le Marchand de Venise. Galilée invente le thermomètre. Fermeture des théâtres londoniens sur l’ordre du conseil privé de la Reine et emprisonnement de Ben Jonson 1598 : Édit de Nantes 1599 : Ouverture du Théâtre du Globe dont Shakespeare est co-propriétaire. Shakespeare joue dans une pièce de Ben Jonson 1600 : Jules César - La Nuit des Rois. Ouverture du Théâtre du Marais à Paris 1601 : Hamlet - Les Joyeuses Commères de Windsor 1603 : Mort d’Élisabeth Ire - Avènement de Jacques Ier 1604 : Othello 1605 (janvier) : Volpone de Ben Jonson - Don Quichotte de Cervantès 1606 : Le Roi Lear - Macbeth - Naissance de Corneille 1610 : Shakespeare se retire dans sa ville natale et écrit Cymbeline - Assassinat de Henri IV 1613 : Henri VIII dernière pièce de Shakespeare - Le Théâtre du Globe est détruit par un incendie. Michel Romanov élu au trône de Russie 1616 (23 avril) : MORT DE SHAKESPEARE - Mort de Cervantès 1622 : Naissance de Molière 1623 : Première édition d’ensemble des œuvres de Shakespeare 1642 : Les Puritains font fermer les théâtres londoniens 14 Chez Shakespeare, telle phrase engendre la suivante avec grand naturel ; le sens est tout imbriqué. Il ne cesse de scintiller tel un météore dans la noire atmosphère. Coleridge, Table Talk, 7 avril 1833 Quelques lectures Shakespeare Macbeth, The Arden Shakespeare, 1962 Œuvres complètes, édition bilingue, « Bouquins », Robert Laffont, 1995 Les Sonnets, trad. Yves Bonnefoy, « Poésie », Gallimard, 2007 Stendhal, Racine et Shakespeare, Éditions Kimé, L’Harmattan, 1993 Victor Hugo, William Shakespeare, GF Flammarion, 2003 W.H. Auden, Shakespeare, Anatolia, Éditions du Rocher, 2003 Charles et Mary Lamb, Les Contes de Shakespeare, « Petite bibliothèque » Payot, 2010 G. T. di Lampedusa, Shakespeare, Allia, 2000 C.T. Onions, A Shakespeare glossary, Oxford University Press Inc, 1986 Carmelo Bene, Théâtre, œuvres complètes II, P.O.L, 2004 Heiner Müller, Macbeth, d’après Shakespeare, Éditions de Minuit, 2006 Peter Ackroyd, Shakespeare, la biographie, « Points », Seuil, 2008 Jonathan Bate, Dora Thornton, Shakespeare, staging the world, Oxford University Press, 2012 Antony Burgess, Shakespeare, Buchet-Chastel, 1982 Michael Edwards, Shakespeare et l’œuvre de la tragédie, Belin, 2005 Henri Fluchère, Shakespeare, dramaturge élisabéthain, « Tel », Gallimard, 1987 Northrop Frye, Les Fous du temps, sur les tragédies de Shakespeare, Belin, 2002 Jan Kot, Shakespeare, notre contemporain, « Petite bibliothèque » Payot, 2006 François Laroque, Shakespeare, comme il vous plaira, « Découvertes », Gallimard, 1991 Richard Marienstras Le proche et le lointain, sur Shakespeare, le drame élisabéthain, et l’idéologie anglaise aux XVI e et XVII e siècles, « Arguments », Éditions de Minuit, 1981 Shakespeare au XXI e siècle, petite introduction aux tragédies, « Paradoxe », Éditions de Minuit, 2000 Shakespeare et le désordre du monde, « Bibliothèque des idées », Gallimard, 2012 Jean Paris, Shakespeare, Écrivains de toujours, Seuil, 1954 Stéphane Patrice, Macbeth et le mal, dramaturgie du mal dans l’œuvre de Shakespeare, Descartes et Cie, 2010 Henry Suhamy, Dictionnaire Shakespeare, Ellipses, 2005 15 16 Ce qu’il faut imiter de ce grand homme, c’est la manière d’étudier le monde au milieu duquel nous vivons, et l’art de donner à nos contemporains précisément le genre de tragédie dont ils ont besoin, mais qu’ils n’ont pas l’audace de réclamer. Stendhal, Racine et Shakespeare, 1823 L’autre, Shakespeare, qu’est-ce ? On pourrait presque répondre : c’est la Terre. Lucrèce est la sphère, Shakes­peare est le globe. Il y a plus et moins dans le globe que dans la sphère. Dans la sphère il y a le Tout ; sur le globe il y a l’homme. Ici le mystère extérieur; là le mystère inté­rieur. Lucrèce, c’est l’être ; Shakespeare ; c’est l’exis­tence. De là tant d’ombre dans Lucrèce ; de là tant de four­millement dans Shakespeare. L’espace, le bleu, comme disent les Allemands, n’est certes pas interdit à Shakes­peare. La terre voit et parcourt le ciel ; elle le connaît sous ses deux aspects, obscurité et azur, doute et espérance. La vie va et vient dans la mort. Toute la vie est un secret, une sorte de parenthèse énigmatique entre la naissance et l’agonie, entre l’œil qui s’ouvre et l’œil qui se ferme. Ce secret, Shakespeare en a l’inquiétude. Lucrèce est ; Sha­kespeare vit. Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. La sève et le sang, toutes les formes du fait multiple, les actions et les idées, l’homme et l’humanité, les vivants et la vie, les solitudes, les villes, les religions, les diamants, les perles, les fumiers, les charniers, le flux et le reflux des êtres, le pas des allants et venants, tout cela est sur Shakespeare et dans Shakespeare, et, ce génie étant la terre, les morts en sortent. Certains côtés sinistres de Shakespeare sont hantés par les spectres. Shakespeare est frère de Dante. L’un complète l’autre. Dante incarne tout le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la nature ; et comme ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité, Dante et Shakespeare, si dissemblables pourtant, se mêlent par les bords et adhèrent par le fond ; il y a de l’homme dans Alighieri, et du fantôme dans Shakespeare. La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne. Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le pre­mier. Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles. L’île de Prospero, la forêt des Ardennes, la bruyère d’Armuyr, la plate-forme d’Elseneur, ne sont pas moins éclairées que les sept cercles de la spirale dantesque par la sombre réverbération des hypothèses. Le que sais-je ? demi-chimère, demi-vérité, s’ébauche là comme ici, Sha­kespeare, autant que Dante, laisse entrevoir l’horizon cré­pusculaire de la conjecture. Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Shakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même temps, c’est vous. Comme Homère, Shakespeare est élément. Les génies recommençants, c’est le nom qui leur convient, sur­gissent à toutes les crises décisives de l’humanité ; ils résument les phases et complètent les révolutions. Homère marque en civilisation la fin de l’Asie et le commencement de l’Europe ; Shakespeare marque la fin du Moyen Âge. Cette clôture du Moyen Âge, Rabelais et Cervantès la font aussi ; mais étant uniquement railleurs, ils ne donnent qu’un aspect partiel ; l’esprit de Shakespeare est un total. Comme Homère, Shakespeare est un homme cyclique. Ces deux génies, Homère et Shakespeare, ferment les deux premières portes de la barbarie, la porte antique et la porte gothique. C’était là leur mission, ils l’ont accomplie ; c’était là leur tâche, ils l’ont faite. La troi­sième grande crise humaine est la Révolution française ; c’est la troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se ferme en ce moment. Le XIXe siècle l’entend rouler sur ses gonds. De là, pour la poésie, le drame et l’art, l’ère actuelle, aussi indépendante de Sha­kespeare que d’Homère. Victor Hugo, William Shakespeare, 1864 17 Le ThEAtre du Soleil Ariane Mnouchkine naît le 3 mars 1939 à Boulogne-Billancourt, elle est metteur-enscène et directrice de la troupe du Théâtre du Soleil, qu’elle fonde en 1964 avec ses compagnons de l’ATEP (Association théâtrale des étudiants de Paris). En 1970, le Théâtre du Soleil crée 1789 au Piccolo Teatro de Milan, où Georgio Strehler accueille et soutient avec confiance la jeune troupe, qui s’installe ensuite à la Cartoucherie, ancien site militaire à l’abandon et isolé dans le bois de Vincennes, aux portes de Paris. Le Théâtre du Soleil conçoit d’emblée la Cartoucherie comme un lieu qui lui permet de sortir du théâtre comme institution architecturale, prenant le parti de l’abri plutôt que celui de l’édifice théâtral, à une époque où les transformations urbaines en France bouleversent profondément la place de l’humain dans la ville et la position du théâtre dans la cité. Le Théâtre du Soleil trouve, dans la Cartoucherie, l’outil concret de création du théâtre à la fois élitiste et populaire dont rêvaient Antoine Vitez et Jean Vilar. Le but étant, dès cette époque qui précède 1968, d’établir de nouveaux rapports avec le public et de se distinguer du théâtre bourgeois pour faire un théâtre populaire de qualité. La troupe devient ainsi, dès les années 1970, une des troupes majeures en France, tant par le nombre d’artistes qu’elle abrite (plus de 70 personnes à l’année) que par son rayonnement national et international. Attachée à la notion de « troupe de théâtre », Ariane Mnouchkine fonde l’éthique du groupe sur des règles élémentaires : tous corps de métier confondus, chacun reçoit le même salaire et l’ensemble de la troupe est impliquée dans le fonctionnement du théâtre (entretien quotidien, accueil du public lors des représentations). Le Théâtre du Soleil est une des dernières troupes, fonctionnant comme telle, qui existe encore en Europe aujourd’hui. L’aventure du Théâtre du Soleil se construit depuis cinquante ans grâce à la fidélité et à l’affection d’un public nombreux tant en France qu’à l’étranger. Son parcours est marqué par une interrogation constante sur le rôle, la place du théâtre et sa capacité à représenter l’époque actuelle. Cet engagement à traiter des grandes questions politiques et humaines, sous un angle universel, se mêle à la recherche de grandes formes de récits, à la confluence des arts de l’Orient et de l’Occident. En 1969, le Théâtre du Soleil crée Les Clowns, en collaboration avec le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Représentations à Paris et en tournée (Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Festival d’Avignon, Piccolo Teatro, Élysée Montmartre), 40 000 spectateurs. Repères chronologiques 1964 – 1970 En 1979, le Théâtre du Soleil crée Mephisto, ou le roman d’une carrière d’après Klaus Mann, dont Ariane Mnouchkine signe l’adaptation. Représentations à Paris et en tournée (Festival d’Avignon, Louvain-la-Neuve, Lyon, Rome, Berlin, Munich, Lons-le-Saunier), 160 000 spectateurs. En 1964, Ariane Mnouchkine fonde avec ses compagnons de l’ATEP (Association théâtrale des étudiants de Paris) la troupe du Théâtre du Soleil et met en scène son premier spectacle Les Petits bourgeois, de Maxime Gorki, d’après l’adaptation d’Arthur Adamov, à la M.J.C de la Porte de Montreuil. La même année, elle coécrit le scénario du film de Philippe de Broca L’Homme de Rio, produit par son père, Alexandre Mnouchkine. Le Théâtre du soleil crée ensuite collectivement Capitaine Fracasse, d’après Théophile Gautier, en 1965, La Cuisine, d’Arnold Wesker en 1967 et Le Songe d’une nuit d’été, de Shakespeare, en 1968, textes adaptés pour le théâtre par Philippe Léotard. En 1970, le Théâtre du Soleil s’installe à la Cartoucherie du bois de Vincennes que la troupe utilise d’abord comme lieu de répétition, puis transforme en théâtre. 1970 – 1980 En 1970, le Théâtre du Soleil crée 1789, spectacle sur la Révolution Française, au Piccolo Teatro de Milan, dont le deuxième volet 1793, sera créé trois ans plus tard à la Cartoucherie. Représentations à Paris et en tournée ((Milan, Villeurbanne, Besançon, Caen, Le Havre, Martinique, Lausanne, Berlin, Londres, Belgrade), 384 000 spectateurs. En 1974, Ariane Mnouchkine tourne son premier film, lors des dernières représentations de 1789 à la Cartoucherie. Elle offre ainsi aux spectateurs de cette création collective un témoignage inédit du travail en cours à cette époque au sein de son théâtre. En 1975, le Théâtre du Soleil crée l’âge d’or, première ébauche, création collective qui cherche à raconter avec les masques de la Commedia dell’Arte le monde contemporain. Représentations à Paris et en tournée (Varsovie, Venise, Louvain-la-Neuve, Milan, Venise), 136 000 spectateurs. En janvier 1977, commence le tournage du film Molière, ou la vie d’un honnête homme, réalisé par Ariane Mnouchkine, avec les comédiens du Théâtre du Soleil rejoints pour l’occasion par certains de leurs pairs, comme Jean Dasté. Le tournage durera six mois et ralliera, pour la première fois dans l’histoire du cinéma français, la télévision (Antenne 2, la RAI) à la production du film. 1981 – 1998 À partir de 1981, le Théâtre du Soleil entrera dans une période qu’Ariane Mnouchkine pourra ensuite définir ainsi : « le travail du Théâtre du Soleil s’inscrit dans un mouvement dialectique entre la recherche du théâtre contemporain et un besoin périodique d’aller réapprendre aux sources du théâtre. » En 1981, Ariane Mnouchkine confronte la troupe aux drames historiques de Shakespeare et à ses comédies en cherchant à se mettre à l’école du maître, qui fut aussi bien auteur que directeur de troupe. Ce fut la création de Richard II en 1981, de 18 La Nuit des rois en 1982, et d’Henri IV (1RE partie) en 1984. Représentations à Paris et en tournée (Festival d’Avignon, Festival de Munich, Los Angeles, Berlin), 253 000 spectateurs. À partir de 1985, Ariane Mnouchkine entame une collaboration qui dure toujours avec Hélène Cixous, qui écrira pour la troupe plusieurs pièces inédites, ou en accompagnera le travail collectif. En 1985, le Théâtre du Soleil crée L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, d’Hélène Cixous, tragédie contemporaine sur le Cambodge à la veille du génocide. Représentations à Paris et en tournée (Amsterdam, Bruxelles, Madrid, Barcelone), 108 000 spectateurs. En 1985 Le Théâtre du Soleil reçoit le prix Europe pour le théâtre, décerné pour la première fois. En 1987, L’Indiade, ou l’Inde de leurs rêves, d’Hélène Cixous, drame historique qui relate la naissance de l’Inde moderne et la partition de 1947. Représentations à Paris et en tournée (Tel-Aviv), 89 000 spectateurs. Le Théâtre du Soleil reçoit le Grand Prix national du Théâtre décerné par le Ministère de la Culture français. En 1989, à la demande de l’Assemblée nationale, Ariane Mnouchkine réalise avec sa troupe un conte de Noël humaniste La Nuit miraculeuse, pour célébrer le bicentenaire de la Révolution française. À cette occasion, l’Assemblée nationale et la Place de la Concorde lui sont réservées pour quelques nuits de tournage. Entre 1990 et 1992, Le cycle des Atrides : Iphigénie à Aulis d’Euripide et l’Orestie d’Eschyle (Agamemnon, en 1990, Les Choéphores, en 1991, Les Euménides en 1992). Représentations à Paris et en tournée (Amsterdam, Essen, Sicile, Berlin, Lyon, Toulouse, Montpellier, Bradford, Montréal, New York, Vienne), 287 000 spectateurs. En 1994, La Ville parjure, ou le réveil des érinyes, d’Hélène Cixous. Représentations à Paris et en tournée (Liège, Recklinghausen, Vienne, Festival d’Avignon), 52 000 spectateurs. Le spectacle a également fait l’objet d’un film réalisé par Catherine Vilpoux, qui fait intervenir, à côté des images du spectacle, des documents d’archives relatant le scandale du sang contaminé à l’origine de la fable épique écrite par Hélène Cixous. En 1995, Tartuffe, de Molière. Représentations à Paris et en tournée (Vienne, Festival d’Avignon, Saint-Jean d’Angély, Liège, La Rochelle, Vienne en France, Copenhague, Berlin), 122 000 spectateurs. Le processus de création et la vie de la troupe, pendant les répétitions du Tartuffe, ont fait l’objet d’un film documentaire Au Soleil même la nuit, scènes d’accouchement, réalisé par Eric Darmon et Catherine Vilpoux, en harmonie avec Ariane Mnouchkine (Agat Films, ARTE). En 1997, Hélène Cixous collabore à l’écriture de Et soudain des nuits d’éveil, création collective qui met en scène l’exil et l’anéantissement du peuple tibétain. Représentations à Paris et en tournée (Moscou), 55 000 spectateurs. 1999 – 2009 En 1999, Tambours sur la digue, sous forme de pièce ancienne pour marionnettes, jouée par des acteurs, d’Hélène Cixous, dont Ariane Mnouchkine tournera ensuite l’adaptation cinématographique à la Cartoucherie avec les comédiens du Théâtre du Soleil (Théâtre du Soleil, Bel Air Media, ARTE). Représentations à Paris et en tournée (Bâle, Anvers, Lyon, Montréal, Tokyo, Séoul, Sydney), 150 000 spectateurs. En 2003, le Théâtre du Soleil crée le Dernier caravansérail (Odyssées), spectacle fleuve en deux volets (Le Fleuve cruel et Origines et Destins) qui relate les destins des réfugiés de par le monde. Représentations à Paris et en tournée (Festival d’Avignon, Rome, Quimper, Festival Ruhrtriennale, Lyon, Berlin, New York, Melbourne, Athènes), 185 000 spectateurs. Ariane Mnouchkine en signera l’adaptation cinématographique (Théâtre du Soleil, Bel Air Media, ARTE), entièrement tournée à la Cartoucherie, transformée pour l’occasion en véritable studio de cinéma. En décembre 2006, le Théâtre du Soleil crée Les Éphémères, spectacle en deux recueils. Représentations à Paris et en tournée (Quimper, Festival d’Athènes, Festival d’Avignon, Festival de Buenos Aires, Festival Poa em Cena (Porto Alegre), Sao Paulo, Taipei, Wiener Festwochen, Saint-Étienne, New York (Lincoln Center Festival). 160 000 spectateurs. Le spectacle a été filmé lors des représentations à la Comédie de Saint-Étienne en juin 2008 par Bernard Zitzermann (Théâtre du Soleil, Bel Air Media, ARTE). En septembre 2009, Ariane Mnouchkine reçoit le Prix International Ibsen décerné par le gouvernement norvégien en reconnaissance de l’ensemble de son œuvre. 2010 – 2013 En février 2010, le Théâtre du Soleil crée Les Naufragés du Fol Espoir (Aurores) à la Cartoucherie, création collective mi-écrite par Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine. Représentations à Paris et en tournée (Lyon, Nantes, Festival d’Athènes, São Paulo, Rio de Janeiro, Festival Poa em Cena (Porto Alegre), Festival Santiago a Mil (Santiago du Chili), Wiener Festwochen (Vienne), Edinburgh International Festival, Taipei). 185 000 spectateurs. En 2013, Ariane Mnouchkine en signera l’adaptation cinématographique (Théâtre du Soleil, Bel Air Media, ARTE, SESC São Paulo, France Télévisions). 19 20 Le Monde, 23 avril 2014 21 Le Nouvel Observateur, 17-23 avril 2014 22 Le Nouvel Observateur, 17-23 avril 2014 23 une tragédie de William Shakespeare comme elle est actuellement jouée au Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine Musique Jean-Jacques Lemêtre Création à la Cartoucherie le 30 avril 2014 Théâtre du Soleil Cartoucherie 75012 Paris Tel : 33 1 43 74 87 63 Fax : 33 1 43 28 33 61 www.theatre-du-soleil.fr Contact presse : Liliana Andreone [email protected] Contact tournées : Charles-Henri Bradier [email protected] Marie-Anne Bernard [email protected] - Photographies de Michèle Laurent (p. 9) et Charles-Henri Bradier (p.13 et 15) - Maquettes de Didier Martin (p. 8, 14, et 18) - Copie anonyme du xviie siècle, conservée à la bibliothèque Beinecke de livres rares et manuscrits (université de Yale), de l’adaptation de Macbeth de William Shakespeare par le poète et dramaturge William d’Avenant, filleul de William Shakespeare, sans doute réalisée vers 1664 et éditée en 1674. Macbeth a été créé en 1606, et la première édition de la pièce figure dans l’in-folio de 1623, sous le titre The Tragedie of Macbeth. (p. 4 et 5) merci à 24