Traian SANDU Les Roumains dans l`entre-deux

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Traian SANDU
Les Roumains dans l’entre-deux-guerres
La modernisation contrariée
Dans les actes du colloque L’Europe centrale du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye à la
Deuxième Guerre mondiale du 21 mai 2005, organisé par la Ville de Saint-Germain et les
Amis du Vieux Saint-Germain.
Avant d’évoquer l’histoire d’un pays, donc de jouer au chroniqueur averti, il faut
s’interroger sur notre propre approche des événements du passé, donc sur l’historiographie.
En France, la Roumanie apparaît comme un espace privilégié en raison de l’influence
politique et culturelle exercée à l’époque de Napoléon III, puis dans l’entre-deux-guerres et
même à l’époque de De Gaulle. Ces fameuses affinités fondées aussi sur la latinité de la
langue roumaine, ont façonné une certaine sympathie qui se ressentit sur la manière d’écrire
l’histoire.
Trois manières d’aborder le passé ont dominé successivement l’historiographie
roumaine et française :
- la 1ère exalte les hauts-faits nationaux, donc privilégie les événements politiques
et militaires, de préférence valorisants, même si les moments de malheur peuvent aussi
renforcer la cohésion nationale et déculpabiliser l’opinion des mauvais choix effectués par les
dirigeants. Cette approche nationaliste insiste sur la particularisme défensif de la Roumanie
(îlot de latinité et bouclier de la Chrétienté contre les invasions, alors qu’en réalité cette
latinité ne s’est dégagée qu’au début du XIXe avec la fixation des langues nationales dans
cette région et que les pays roumains ont surtout tenté de préserver un peu d’autonomie en
entrant dans les clientèles des puissances environnantes – les mêmes discours se retrouvent
chez les autres nations).
Cela n’empêche que ce retournement « héroïsant » de l’adaptabilité culturelle et de
l’opportunisme international domine l’historiographie roumaine et française, aussi bien au
XIXe après la réunification des provinces de Valachie et de Moldavie (carte n°1) entre 1859 et
1866 et l’obtention de l’indépendance par rapport au suzerain ottoman au Congrès de Berlin
en 1878 et 1881, qu’au XXe après l’annexion de la Bessarabie et de la Transylvanie, ou dans
les années 1960, 70 et 80, où le national communiste Ceausescu tentait de se donner une
légitimité autre que le coup de force soviétique et l’assise ouvriériste fort maigre encore dans
la Roumanie rurale de l’immédiat après-guerre.
- la deuxième tendance historiographique prend le contre-pied de la première en
comparant la Roumanie aux autres pays, ce qui fait ressortir les retards structurels, en
matière de développement économique (industrialisation, puis tertiarisation de la production),
d’équilibres sociaux (passage tardif des ordres féodaux des boyards à la société de classes
d’une bourgeoisie tardive), de culture politique moderne (absence démocratie, clientélisme).
Cette tendance critique s’est surtout développée lors de la dérive totalitaire de Ceausescu des
années 80.
- la troisième tendance se développe après 1989, comme un prolongement européiste
de la première tendance nationaliste et promue souvent par les mêmes historiens reconvertis :
elle insiste sur l’apport de la Roumanie à la civilisation du continent, voire de l’humanité,
pour justifier les intégrations euratlantiques aux nouvelles puissances dominantes.
Alors quel angle d’attaque adopter face à cette « offre » historiographique divergente ?
Le choix que j’opère consiste à articuler les deux premières approches, en évitant les
défauts de chacune d’entre elles : aux périodes de crise politique, notamment autour des deux
guerres mondiales et de leurs conséquences, il faut appliquer un traitement traditionnel,
événementiel, aux périodes de relative stabilité, s’interroger sur les tentatives de rattrapage.
Je n’oublierai néanmoins pas le titre initial de mon intervention, qui met la
modernisation du pays au centre des préoccupations de ses dirigeants. En effet, les périodes
de crise sont suivies de bouleversements globaux qui provoquent des réformes, voire des
révolutions d’ensemble que le regard englobant du géopoliticien ne peut ignorer. Ainsi, les
trois grandes périodes du XXe débutent par des crises (1916-1919 ; 1940-1947, 1989) qui
débouchent toutes sur de longues phases de modernisation spécifique, souvent impulsées par
la puissance dominante dans la région centre-européenne. La notion de modernité pose en
effet problème non seulement par son caractère importé – renvoyant à un modèle dominant
exogène -, mais également par la voie que la Roumanie, comme d’autres petits et moyens
pays de la région, emprunte pour atteindre cet objectif.
Considérant la période 1916 – 1940, qui correspond à l’extension territoriale
maximale (cf. carte n°1), la question porte sur la capacité à répondre au double défi lancé
dans toute l’Europe : la démocratisation exigée par les sacrifices des tranchées et le
décollage économique grâce aux ressources naturelles – céréales et pétrole – le tout dans un
contexte international délicat d’irrédentisme sur quasiment toutes ses frontières, et
notamment sur sa frontière orientale face à la puissance soviétique.
I/ La position internationale de la Roumanie.
Une des controverses historiques assez vaines liées à l’inscription de la Roumanie
dans le Premier conflit mondial porte sur son statut d’allié, qui lui a permis de figurer parmi
les grands bénéficiaires de l’ordre de Versailles.
En effet, la Roumanie n’est entrée en guerre qu’en août 1916, pour appuyer le flanc
sud de l’offensive Broussilov de juin, et contre des promesses territoriales très étendues au
détriment de l’Autriche-Hongrie. Sa rapide défaite suivie de l’occupation d’une grande partie
du territoire est autant due à l’ampleur de la contre-offensive des Centraux (ce qui a
effectivement soulagé Verdun) qu’au choix de Bucarest de s’emparer en priorité de la
Transylvanie, au lieu de s’attaquer plus sérieusement à la Bulgarie comme convenu avec
l’Entente, afin de tenter la jonction avec l’Armée de Salonique de Sarrail et d’obtenir le
matériel qui lui fit cruellement défaut.
L’année 1917 correspond d’abord aux combats d’arrêt de l’été sur les cols des
Carpates – transformés par l’historiographie roumaine en moments de gloire militaire
nationale, en sachant toutefois que la capacité retrouvée était largement due à la
réorganisation de l’armée par la mission du général français Berthelot – ainsi qu’à
l’écroulement du front oriental après la révolution d’octobre, qui aboutissent en mai 1918 à la
paix séparée de Bucarest, parallèle à celle de Brest-Litovsk.
C’est dans ce contexte qu’intervient paradoxalement le premier agrandissement
territorial par l’annexion de la Bessarabie, province russe à majorité roumanophone, où les
Moldaves l’emportent sur les russophones et sur les Ukrainiens et font appel aux troupes
roumaines en janvier 1918 : ni les Centraux, ni l’Entente n’ont intérêt à contrarier l’opération,
sans toutefois la reconnaître officiellement encore, donc l’union à la Roumanie est proclamée
le 9 avril 1918.
Le basculement de la Roumanie du côté de l’Entente s’effectue grâce à la propagande
des ententistes roumains, notamment à Paris (Conseil national de l’Unité roumaine) et en
Transylvanie, où les Roumains s’organisent dans le Conseil national roumain et participent au
démantèlement de l’Autriche-Hongrie (octobre-novembre 1918). La Roumanie rentre donc en
guerre le 10 novembre et ses troupes pénètrent en Transylvanie.
A la Conférence de la Paix, la France apparut comme le principal arbitre des questions
continentales. Clemenceau accepta de recevoir les revendications roumaines, eu égard à
l'application du principe des nationalités, à la présence de troupes roumaines en Bucovine et
en Transylvanie qu'elle convoitait, ainsi qu'en Bessarabie, et surtout à l'appui que cette armée
pouvait apporter à la France en Russie du sud contre les Soviets. En effet, dans le dispositif
français de revers en gestation, la Roumanie tenait, aux côtés de la Pologne, un rôle dans le
"cordon sanitaire" anti-bolchevik de Foch au cas où la Russie aurait tenté de faire sa jonction
avec l'Allemagne. Les délégués français soutinrent donc globalement les revendications
roumaines, sauf sur le Banat occidental, qui revint aux Serbes.
En réalité, la Roumanie fut d’un faible secours à la France dans son intervention dans
la guerre civile russe, puisque Bucarest, comme Varsovie, avait plutôt intérêt à la victoire des
Bolcheviks prêts à lâcher les marges de l’Empire plutôt qu’à un retour des Russes blancs. Elle
éluda donc un appui aux Blancs durant toute l’année 1919, qu’elle passa à combattre les
bolcheviks hongrois et à occuper Budapest plutôt que d’obéir aux injonctions françaises
d’intervention en Russie et de commandement unifié en Orient sous autorité française.
La Hongrie ne représentait en effet pas un danger pour la France, qui aurait souhaité
son intégration économique dans l'ensemble danubien, d'autant que ses dirigeants, dans
l'espoir d'éviter son démantèlement, avaient promis au Quai d'Orsay de se ranger dans la
sphère d'influence française. La Pologne l'aurait également souhaité, par espoir d'appui antibolchevik, notamment au moment du danger maximal lors de la guerre russo-polonaise, en
août 1920. Mais le prix révisionniste était trop cher à payer et le traité de paix fut signé à
Trianon en juin 1920.
Toutefois, les rumeurs de ces négociations suffirent à inquiéter les petits vainqueurs
danubiens, qui amorcèrent leur union dès août 1920 au sein de la "Petite Entente" - trilatérale
Roumanie-Tchécoslovaquie-Yougoslavie. A partir de juin 1921, la France se rallie clairement
au système centre-européen restreint que représente la Petite Entente.
En somme, au printemps 1921, la France avait stabilisé sa politique centre-européenne
autour de la Pologne et de la Petite Entente, deux entités faiblement articulées par la
Roumanie, mais sérieusement divisées par le contentieux polono-tchèque.
La suite de l’évolution de la Roumanie sur l’échiquier européen démontra son faible
intérêt pour la France, notamment lors de la crise de la Ruhr de 1923, véritable mise à
l'épreuve de la solidité du lien franco-centre-européen. En effet, dès Gênes, les petits alliés
d'Europe centrale se préoccupaient de la mésentente croissante entre la France et l'Angleterre.
Ils craignaient que l'appui anti-allemand et anti-soviétique de la France fût insuffisant, en
raison de l'absence de l'unité de front avec la Grande-Bretagne, qui était favorable à une
politique conciliante envers les puissances vaincues ou marginalisées. Poincaré comprit alors
l’insuffisance du système centre-européen et se dirigea, dans les derniers mois de son mandat,
vers un rapprochement avec les Anglo-Américains et des tâtonnements avec l’Union
Soviétique, annonçant ainsi dès le début de 1924 la politique de Herriot de reconnaissance de
l’URSS et la politique de Briand de Locarno de rapprochement avec l’Allemagne sous égide
britannique. Dès lors, le traité franco-roumain de juin 1926, comme les autres traités que la
diplomatie de Briand signa avec les PECO, n’avait plus de réelle portée sécuritaire pour la
France, sauf de tenir en échec l’offensive de la modeste puissance de l’Italie mussolinienne, et
ce jusqu’en 1932-1933, lorsque ces alliances seront réactivées dans un autre but, à savoir
servir de pont stratégique à l’armée rouge dans un éventuel encerclement de l’Allemagne.
Au début de l'arrivée au pouvoir d'Hitler la France et l'Italie essayèrent de s'entendre
pour brider l'expansionnisme allemand vers l'est. Mussolini craignait qu'Hitler n'annexât
l'Autriche -limitrophe de l'Italie- et ne menaçât l'expansionnisme italien en Europe centrale. Il
prit l'initiative d'un "directoire à quatre" des grandes puissances européennes -France,
Allemagne, Italie et Angleterre. Son projet prévoyait des révisions territoriales en faveur de
ses clients centre-européens, l'Autriche et la Hongrie.
Mais au Quai d'Orsay, de nombreux fonctionnaires restaient attachés aux alliances
centre-européennes, au statu quo territorial et à la défense de la SDN, dont le projet
mussolinien rognait les prérogatives. Surtout, la Petite Entente et la Pologne réagirent
violemment: dès février 1933, la Petite Entente avait renforcé son unité et avait déclaré qu'elle
interdisait aux grandes puissances de disposer du territoire des petites sans leur consentement;
le Ministre des Affaires étrangères polonais, le colonel Joseph Beck, menaça même de se
rapprocher de l'Allemagne en cas de succès du Pacte à Quatre.
La France céda donc, et le texte finalement paraphé en juin 1933 confirmait l'autorité
de la SDN en matière de révision; la Petite Entente et la Pologne avaient ainsi ramené la
France à sa politique de revers traditionnelle. Mais pour assurer son efficacité, il fallait
renforcer le lien soviétique.
Les Etats limitrophes de l'Union Soviétique comprennent la nécessité de s'en
rapprocher: le Roumain Titulescu devient un chaud partisan de l'intégration de son pays à un
système franco-russe, qui aurait permis une pression conjointe sur l'Allemagne. Mais c'est de
Pologne que vinrent les premiers craquements: elle tenta de pratiquer une politique autonome
d'équilibre entre l'Union Soviétique et l'Allemagne; elle conclut donc également un pacte de
non-agression avec l'Allemagne en janvier 1934. La France ressentit mal ce geste, dont elle
n'avait pas été prévenue, même si Beck se voulait rassurant sur l'avenir des relations francopolonaises.
La réaction française fut menée par Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères à
partir de février 1934. Ce patriote est bien décidé de contrer l'Allemagne, quitte à nouer une
alliance avec l'Union Soviétique. Dans cette optique, l'Europe centrale est utile, mais
insuffisante: il faut l'ancrer de nouveau fermement à la France, ne serait-ce que pour fournir
un pont à d'éventuels mouvements de troupes soviétiques vers l'Allemagne. Pour cela,
Barthou entreprend "la tournée des petits alliés" en avril, puis en juin 1934; à Bucarest, il
assista avec satisfaction à la Conférence des ministres des Affaires étrangères de la Petite
Entente, car la Roumanie et la Tchécoslovaquie venaient de reconnaître l'Union Soviétique
quelques jours auparavant.
Barthou négociait en même temps un pacte oriental avec l'Union Soviétique, la
Pologne et l'Allemagne. Comme prévu, les deux dernières refusèrent d'y adhérer en septembre
1934: l'Allemagne ne pouvait accepter une politique qui l'annihilait, notamment en Europe
centrale; la Pologne refusait de choisir entre Allemagne et Union Soviétique, et craignait le
passage des troupes soviétiques sur son territoire.
Mais l'assassinat de Barthou et du roi Alexandre de Yougoslavie à Marseille, le 9
octobre 1934, par des terroristes croates, sonne le glas d'une politique extérieure ferme fondée
sur des alliances de revers, même si l'Europe centrale n'en représente plus l'élément essentiel.
Pierre Laval, le successeur pendant quinze mois de Barthou, est un pacifiste de vieille
date, qui tient à éviter de provoquer l'Allemagne par un rapprochement trop marqué de
l'Union Soviétique. C'est ainsi qu'il tenta d'abord de renouer avec l'Italie, malgré la
Yougoslavie, pour contenir l'Allemagne. Lors de son voyage à Rome de janvier 1935, Laval
et Mussolini furent d'accord pour maintenir l'indépendance de l'Autriche et pour reconcilier
leurs clients centre-européens, mais la France recula lorsque Mussolini, par la suite, voulut en
obtenir un ferme traité d'alliance.
La politique soviétique fut grevée par la Pologne: Laval enleva du projet de traité de
Barthou l'automaticité de l'assistance militaire franco-soviétique. Le traité signé en mai 1935
n'inspire alors plus une grande confiance à Moscou, même s’il est complété le même mois par
un traité tchéco-soviétique destiné à assurer le passage des troupes soviétiques : celui-ci n’est
toutefois possible que si la Pologne ou la Roumanie autorisent ce passage : comme Varsovie
s’y refuse absolument, c’est Bucarest qui entame, sans grand enthousiasme, des négociations
en ce sens.
Laval n'est donc pas parvenu à définir une politique centre-européenne française.
Ainsi, Hitler put facilement éclater le lien entre la France et l'Europe centrale en
remilitarisant la Rhénanie, en mars 1936. En effet, le secours que la France pouvait apporter à
l'Europe centrale dépendait de sa capacité à franchir en toute sécurité le Rhin, démilitarisé en
Allemagne par le traité de Versailles. Or, entre 1930 et 1934, la France se dote de la ligne
Maginot, barrière défensive qui contredit le principe diplomatique d'alliance de revers, fondé
sur l'intervention conjointe en Allemagne. Et lorsque Hitler occupe militairement la Rhénanie
sans rencontrer de véritable résistance française, les pays d'Europe centrale comprennent
l'ampleur du fossé stratégique qui s'est creusé entre la France et eux. Titulescu, partisan du
traité roumano-soviétique permettant le passage de l’armée rouge, est limogé en août.
L'Allemagne possédait un autre atout en Europe centrale: la pénétration commerciale.
Mais la Roumanie ne céda que très difficilement à Hitler son atout pétrolier, ne faisant que
des concessions au goutte à goutte jusqu’en mai 1940, lorsque la défaite de la France et
l’imminence de l’application du pacte Molotov-Ribbentrop à la Roumanie l’obligèrent à
choisir le camp allemand, ce qui ne lui épargna pas la débâcle territoriale.
Voilà donc pour la situation internationale de la Roumanie entre les deux guerres.
J’aborde maintenant le second aspect de cette période, qui relève de la modernisation
des structures du pays.
II - Une modernité imposée par la guerre
Une fois les crises militaires ouvertes passées, ce pays devient un laboratoire des
idéologies et des pratiques politiques nouvelles. Ainsi, la société traditionnelle encore
puissante, en retard de plus d'un demi-siècle sur les évolutions occidentales, peut-elle résister
à la question des minorités générée par les annexions, à une démocratisation brutale qui donne
le suffrage universel aux masses paysannes, à l'industrialisation, au socialisme encouragé par
la proximité offensive de la Russie des Soviets ?
La première dimension de l’étude présente le choc d’une guerre longue et dévastatrice
sur des structures socio-politiques traditionnelles : l’irruption du facteur populaire souligne le
rôle de la guerre comme source de démocratisation et génère des bouleversements nationaux,
sociaux et politique. La réaction des sociétés fut brutale : si la tentation communiste se révéla
forte aux deux extrémités de la période, ce fut l’élaboration d’un fascisme sui generis, pseudoreligieux et pseudo-agraire, qui marqua un espace où les dictatures traditionnelles, revigorées
par un vernis fascisant, finirent malgré tout par s’imposer à une société civile encore rurale et
soumise à l’État et à ses attributs d’ordre -monarchie, Églises et armée.
A/ La guerre, source imparfaite de démocratisation
1/le choc de la guerre : la fin des sociétés traditionnelles
Le recensement roumain de 1930 livre des proportions d’environ 80% de ruraux,
malgré l’annexion des régions occidentales issues du démembrement de l’Autriche-Hongrie,
plus modernes, mais équilibrées par l’annexion de la Bessarabie russe à dominante agricole.
Une des caractéristiques de cette population était son taux élevé d'analphabétisme (42%), la
religiosité.
La quiétude de la société traditionnelle sera définitivement rompue par les guerres.
Jusqu´alors, l´action politique à connotation nationale était le privilège des élites. Les échos
de cette agitation d´une couche finalement assez mince de la population, composée des
hommes politiques, fonctionnaires, hommes de lettres, voire des étudiants et des avocats,
arrivaient sporadiquement dans les campagnes. Cette action politique -à cause d’un cens
électoral important- ne pouvait pas influencer les rythmes traditionnels de la vie paysanne.
Les guerres, avec la progressive disparition des structures étatiques propres aux empires, vont
transformer profondément la vie dans les campagnes selon 3 modalités principales :
l’idéologisation -avec la nationalisation de la sphère publique-, la militarisation de la société,
et les très importants mouvements de populations.
* l’idéologisation
Les guerres vont introduire, à des degrés divers, une équation plus qu´explosive :
l’appartenance religieuse entraîne une appartenance nationale et cette dernière justifie toutes
les exactions.
L’occupation de la Roumanie s’accompagna de réquisitions et d’un exode
catastrophique au tournant des années 1916-1917 ; l’armée roumaine rendra sa pareille par
l’ampleur des réquisitions lors de l’occupation de la Hongrie occidentale jusqu’à Budapest
entre août 1919 et juin 1920. Si donc l´appartenance nationale définit le sort du paysan, celui
qui décide de son sort porte, pendant cette période, la plupart du temps un uniforme.
* la militarisation
Les guerres mobilisent une bonne partie de la population masculine. Le désastre
militaire fut imputé à la mauvaise préparation de la guerre par les civils et c’est au général
Averescu, qui devint de manière éphémère chef du gouvernement en février-mars 1918, que
le roi et la classe politique espéra faire endosser la dure paix séparée de Bucarest de mai 1918.
* les mouvements de population
Encadrés par les militaires, les paysans-soldats quittent leurs villages pour se rendre
sur des champs de batailles bien éloignés de leurs villages. Les atrocités de la guerre vont
changer profondément leur manière d´imaginer leur existence. La guerre leur permet d´élargir
aussi leurs horizons d´une manière inattendue. Citons l´exemple des prisonniers qui vont se
trouver en Russie au temps des révolutions de 1917. À leur retour, ils apportent avec eux une
nouvelle conception de l´organisation de la société. En Moldavie, la présence de troupes
russes alliées en pleine débandade révolutionnaire fit vaciller la monarchie roumaine affaiblie.
Les hommes politiques avaient la lourde tâche de répondre aux attentes nouvelles des
paysans-soldats.
2/ la modernisation des structures et de la vie politiques
Les aspirations politiques et sociales des paysans-soldats peuvent être résumées en
deux points : la démocratisation politique et un agenda social pour la redistribution des terres.
* démocratisation
Les aspirations politiques exigeaient le changement du cadre constitutionnel afin que
toutes les couches de la société puissent participer à la vie politique, et l´articulation des
exigences de la société au travers de formations politiques existantes ou nouvelles.
Le problème constitutionnel dut être affronté dès les modifications territoriales dans
un climat international peu favorable. Face aux pressions extérieures, la cohésion intérieure
était délicate à obtenir.
La Roumanie dut adopter une nouvelle constitution comportant le suffrage universel
sous la pression des défaites et de la révolution de février. Le suffrage universel masculin,
promis par le roi de Roumanie sur le front, inspira la modification constitutionnelle de juillet
1917 ; les actes d’union de 1918 avec les nouvelles provinces l’exigeaient également ; un
cinquième de la population avait ainsi reçu le droit de vote au milieu des années vingt -soit
3400000 électeurs.
La monarchie constitutionnelle à l’occidentale qui prévoyait la division des pouvoirs
et la subordination de l’exécutif au législatif fut « corrigée » dans un sens autoritaire : le roi
héritait du pouvoir de désigner le Premier ministre, qui pouvait alors mettre l’appareil
administratif au service de son parti, qui était dès lors certain de gagner les élections. Ce
facteur royal fut consolidé par la réforme de 1926, qui accordait la majorité parlementaire au
parti qui réunissait 40% des voix : cette prime électorale, ajoutée au phénomène de la dot
électorale -comportement d’un électorat peu structuré qui votait de préférence pour le parti au
pouvoir par inertie et dans l’espoir de profits clientélistes- dessina un système en partie hérité
d’une période censitaire aux bases électorales étroites.
Cette interprétation des divers régimes était liée au caractère des systèmes de partis et
à l’état de la culture politique de sociétés encore traditionnelles. La floraison de partis
catégoriels -agrarien de gauche, social-démocrate, populiste de la Ligue du Peuple pour les
plus importants- et régionalistes -national transylvain, bessarabe, bucovinien, allemand, juif,
etc.- fut rapidement mise au pas par le retour des nationaux-libéraux du clan Bratianu,
représentants de la bourgeoisie affairiste progressiste au XIXe siècle et détenteurs des
principaux leviers de l’économie urbaine naissante. Les années 1920 à 1928 restent dominées
par le Parti National-Libéral et les principes autoritaires, protectionnistes et clientélistes des
Bratianu, également hostiles aux communistes et aux extrémistes de droite. La politique
réellement démocratique, décentralisatrice et d’ouverture économique des Nationaux-Paysans
entre 1928 et 1931 -à la suite de la fusion entre agrariens de gauche et Transylvains modérés
en 1926- fut brisée net par la crise de 1929 et la restauration du roi Carol II. Carol se lança
dans une politique dynamique de division des partis afin d’instaurer un régime autoritaire de
droite, qui excluait toutefois l’extrême droite fasciste.
* égalisation : la réforme agraire
Le succès relatif de la réforme roumaine fut en partie redevable à l’expropriation des
optants, ces grands propriétaires transylvains d’origine magyare qui optèrent pour la
nationalité hongroise et perdirent ainsi, en tant que propriétaires absentéistes, leurs droits.
Mais le choc de la révolution russe fut aussi à l’origine de cette mesure assez radicale, puisque
le roi la promit, comme le suffrage universel, dès 1917 sur le front : les deux tiers des
propriétés de plus de cent hectares furent ainsi démantelés et 1,4 millions de familles reçurent
3,7 millions de hectares de terrain arable et 2,7 millions de hectares de terrains communaux.
Malgré l’ampleur de l’opération -les trois quarts des surfaces agricoles furent détenues par les
petits propriétaires de moins de 10 hectares-, la taille moyenne de l’exploitation paysanne fut
de 3,8 hectares, alors que le seuil de rentabilité se situait autour de 5 hectares et que la
division successorale menaçait, en absence d’une économie urbaine susceptible d’absorber le
surplus de main-d’œuvre.
Précisément, les grands troubles idéologiques, politiques et culturels ne portèrent plus
seulement sur la question paysanne, mais sur la mobilisation de la masse rurale par les
mouvements extrémistes modernes -de gauche et de droite- aux assises urbaines.
B/ La brutalisation, fille de la démocratie ?
Brusquement promue acteur politique majeur, la société paysanne devint l’objet des
sollicitations de trois grands courants politiques :
L’agrarianisme de la gauche modérée, qui prévoyait la modernisation progressive et
harmonieuse de l’économie nationale par l’ouverture aux capitaux et aux technologies
occidentales en échange d’exportations agricoles correctement rémunérées, se brisa sur la
crise de 1929, qui déprécia les matières premières et tarit les flux financiers et commerciaux
internationaux.
Le communisme, tôt interdit dans les trois pays, opérait plutôt dans les milieux urbains
sous couvert d’associations aux dénominations diverses, surtout en Roumanie après le
rapprochement avec l’Union Soviétique de 1933-1936, puis en Yougoslavie durant la guerre.
Surtout, diverses formes de fascisme agraire, adapté à la société paysanne et religieuse
de cet espace, tentèrent de l’embrigader et de canaliser sa capacité et sa disponibilité
politiques sous des formes propres, convergentes pour les trois États.
1/ des communismes réprimés, puis réveillés
Si la majorité des membres du Conseil général du Parti Socialiste et des syndicats vota
l’adhésion à la Troisième Internationale le 3 février 1921 et fonda le Parti Communiste le 11
mai, l’aile centriste entra dans le parti sans participer à sa direction : la méfiance était trop
forte à l’égard de l’Union Soviétique, qui contestait les annexions et notamment celle de la
Bessarabie russe, pour laquelle elle réclamait un plébiscite. Cette exigence ne devint toutefois
explicite qu’en décembre 1923 et à la suite des négociations roumano-soviétiques de Vienne
en mars-avril 1924 : le 23 juillet, le parti fut dissout par une ordonnance militaire et à partir
d’août tous ses secrétaires généraux furent choisis parmi les minoritaires de Roumanie, voire
parmi des citoyens étrangers. Les communistes roumains, ainsi discrédités et marginalisés,
cherchèrent alors à collaborer avec les sociaux-démocrates et avec les agrariens lors des
élections locales de 1926, afin de ne pas perdre le contact avec les masses qu’ils prétendaient
représenter. Leurs succès -sous l’appellation de Bloc Ouvrier-Paysan- leur attirèrent les
foudres de Moscou, à la suite de quoi le premier secrétaire général de 1921 à 1924, Gheorghe
Cristescu, fut exclu. Le parti glissa par la suite dans une radicalisation pro-moscovite qui
réduisit à presque rien son impact sur les masses : la démocratisation consécutive à la guerre
ne lui bénéficia en rien en raison de son idéologie centrée sur la dictature et de sa soumission
aux oukases de Moscou.
2/ archaïsme et modernité des fascismes
Les fascismes centre-européens s’imposèrent comme des solutions radicales aux
questions essentielles posées par la guerre et qui n’avaient pas été résolues par les régimes
(semi-)démocratiques modérés précédents. Évidemment, la crise, puis la guerre, firent
ressortir ces manquements et dirigea une partie de la population vers ce type de mouvements ;
mais le personnel et l’idéologie étaient en place bien avant.
* spécificités : importance d’un traditionalisme de façade
Plusieurs raisons rendent compte de la place centrale de la religion dans le fascisme
roumain. Sans exclure la vie spirituelle attestée des chefs du mouvement ou l’importance de la
réaction contre l’athéisme communiste, deux motifs plus circonstanciés s’imposent.
Ces jeunes intellectuels «spiritualistes», arrivés trop tard pour s’enthousiasmer pour
des causes politiques nationales -l’indépendance ou la formation de la Grande Roumanie
réalisée par leurs aînés-, prétendaient apporter à leur pays un supplément d’âme et le faire
accéder à une mission historique universelle. Leur messianisme s’extériorisa et se popularisa
sous la forme d’une transfiguration spirituelle devant aboutir à un homme nouveau chez les
Roumains -révolution qui recouvrait en réalité la frustration devant l’absence d’unité du pays
après les annexions.
D’autre part, la référence constante à la religion, à la monarchie, à la patrie, était aussi
un moyen de s’attirer les masses paysannes. La Garde de Fer roumaine poussa le plus loin ces
pratiques. Les légionnaires organisèrent des campements de travail au sein desquels ils
participaient aux travaux des champs aux côtés des paysans, dans le style des populistes
russes d'extrême gauche des années 1870; ceci met en valeur leur filiation idéologique avec
les agrariens de gauche d’avant 1914, ainsi que leur réaction contre les informations venues
d’Ukraine sur l’industrialisation par la terreur de masse. Ils adoptèrent une mystique terrienne,
mais accompagné d'une religiosité très démonstrative, qui les distinguait en apparence des
autres fascismes européens par le traditionalisme de leur philosophie. Néanmoins, leur
mouvement présentait bien les caractères du premier fascisme définis par Pierre Milza : il
s'appuyait sur une paysannerie mal restructurée après la réforme agraire, mais brusquement
promue au rang d'acteur politique et de propriétaire foncier assimilable à la petite bourgeoisie,
menacée par le foyer révolutionnaire soviétique limitrophe.
Ce mouvement n’acquérait son caractère fasciste que par sa capacité à mobiliser de
larges pans de la société au bénéfice du dynamisme antidémocratique. Bref, il lui faut
persuader la masse encore amorphe de la paysannerie d’abandonner une liberté politique
récente pour obéir à d’autres instances que le roi, l’autorité publique et les partis traditionnels.
Seules les fractions les plus éveillées de la paysannerie pouvaient glisser ainsi des révoltes
agraires violentes mais brèves vers un état d’opposition radicale permanent et structuré. Si
l’éveil politique de la guerre et l’ampleur du choc de la crise jouèrent en faveur d’une telle
évolution, les chefs de l’extrême droite traditionnelle étaient conscients de la difficulté
d’adapter le système allemand à l’espace centre-européen : le chef historique de l’ultra
conservatisme antisémite roumain, le professeur Alexandru Cuza, avouait ouvertement aux
journalistes, à son retour d’Allemagne, les insuffisances d’une assise sociale agraire et
l’absence d’une classe moyenne et d’un prolétariat urbains parmi sa clientèle :
«L’efficacité du national-socialisme et sa rapide ascension en Allemagne s’expliquent par le fait qu’ils
s’adressent aux ouvriers des fabriques dans les grands centres industriels. C’est pourquoi les réunions nationalsocialistes ont toujours été si populées [sic : nombreuses]. Nous, qui sommes un État agrarien et dont les ouvriers
sont surtout les paysans, nous ne pouvons pas exercer la même influence immédiate sur les grandes masses
répandues sur toute l’étendue du pays. Si l’on ajoute à cela l’état de civilisation arriéré de nos grandes masses et
le manque de préparation à une vie politique indépendante, on se rend compte que les conditions locales chez
nous sont beaucoup plus défavorables au succès immédiat qu’en Allemagne.» 1
* Codreanu et la Garde de Fer
La justesse de l’analyse du vieux professeur monarchiste ne pouvait qu’irriter son
jeune disciple Corneliu Zelea-Codreanu, désireux de faire advenir de façon volontariste une
réalité fasciste qui pouvait s’appuyer sur une industrialisation et une tertiarisation timides,
mais croissantes, de la société roumaine, ainsi que sur une acculturation politique naissante.
Codreanu avait été trop jeune pour participer à la guerre et en avait gardé un vif
regret ; la proximité du danger communiste la remplaça comme principe mobilisateur. Il
imposa la méthode de la violence politique et la promotion de la jeunesse estudiantine dans la
vie publique. Il manifestait un désir de promotion sociale dont la perspective était bloquée par
la domination du clientéliste Parti national-libéral et des minorités allemande et juive dans les
emplois urbains publics et privés. En 1927, Codreanu créa la Légion de l'Archange Michel,
dotée en 1930 de son mouvement politique, la Garde de Fer, que la crise fournit en cadres
1
Archives du Ministère des Affaires étrangères français, série Z Europe, sous-série Roumanie, volume 171,
folios 11-14, dépêche de Jean de Hauteclocque, chargé d’affaires français en Roumanie, du 21 avril 1933.
recrutés parmi les étudiants, les fonctionnaires non payés pendant des mois, les membres des
professions libérales sans clientèle et quelques représentants des grandes familles
aristocratiques lésées par la réforme agraire.2 Son succès le plus spectaculaire, la Légion le
remporta en attirant une partie de la brillante «génération de 1927» qui regroupait, autour
d’un professeur de philosophie de Bucarest, Nae Ionescu, ses étudiants, qui avaient pour noms
Mircea Eliade, Emil Cioran, Constantin Noica. 3 De même, la bureaucratie et l’armée, surtout
parmi leurs cadres jeunes, ne restèrent pas fermées au mouvement légionnaire.
En décembre 1937, le parti remporta 15,5% des voix et devint la troisième force du
pays, à la surprise générale : ces fils de paysans travaillés par les affres de la modernité
urbaine avaient donc également réussi à convaincre une partie de la paysannerie.
Conclusion
La Légion de l'Archange Michel apparaît, sous le mysticisme orthodoxe du
"roumanisme intégral" et sous son rattachement revendiqué aux modèles des grandes
puissances fascistes, comme une organisation de jeunes semi-intellectuels à l'avenir bloqué,
cherchant auprès du monde rural un soutien et une légitimation populaire alors que leur
recrutement et leurs références militantes sont surtout urbains. Cette obligation de mobiliser
les masses rurales encore majoritaires leur confère à la fois l'aspect extérieur archaïque de
fascistes ruraux, imbus de discours religieux et de démonstrativité terrienne, mais aussi
l'essentiel de leur doctrine faite de combativité contre les principales catégories urbaines
jugées dissolvantes : les classes moyennes et supérieures, qui appartenaient largement aux
minorités nationales, souvent juives, et la partie du monde ouvrier encadrée par un
mouvement communiste où les minorités dominaient. L'antisémitisme se trouva ainsi au
croisement de deux rejets : le rejet de la démocratie représentative à l'Occidentale des partis
modérés, qui contrôlaient une vie politique peu évoluée par des moyens parfois illégaux; et le
rejet de la révolution sociale ouvriériste, dont la collectivisation dans l'Ukraine voisine
donnait la dimension génocidaire pour des pays agricoles. La crise socio-économique aggrava
les conditions de vie de toutes les sociétés balkaniques; l'arrivée au pouvoir d'Hitler accorda à
ce groupuscule, qui menait un combat urbain de conquête sociale et parfois d’industrialisation
brutale au sein d'une petite puissance agricole, une crédibilité à ses imprécations agrariennes,
messianistes et antisémites qui l’amena brièvement au pouvoir aux côtés du maréchal
Antonescu entre septembre 1940 et janvier 1941.
2Voir
la dépêche n°7 du ministre de France à Bucarest, André Lefèvre d'Ormesson, du 11 janvier 1934, dans les
Archives du Ministère des Affaires étrangères français, série Z Europe, sous-série Roumanie, volume 171, folios
163-164 : "alors qu'avant la guerre il n'y avait à Bucarest, par exemple, que deux ou trois avocats, deux ou trois
architectes israélites, il y a maintenant dans ces deux carrières libérales une proportion très forte de juifs. Et
comme la solidarité confessionnelle est très étroitement pratiquée, ils ont peu à peu évincé leurs collègues
purement roumains dans les grosses affaires commerciales, bancaires ou industrielles, où leurs coreligionnaires
sont le plus souvent les maîtres. D'où mécontentement, rancœurs et tendances à l'antisémitisme, même chez de
nombreuses personnes qui normalement n'y étaient pas enclines, mais qui, menacées de chômage, ont vu avec
sympathie se créer, puis se développer, des mouvements comme celui des "Gardes de Fer", qui en préconisant le
nationalisme intégral, leur donnent l'espoir de conserver ou de retrouver leur gagne-pain." Voir aussi le journal
de Carol II et l’enquête qu’il avait fait mener par le plus éminent statisticien roumain, Sabin Manuila, qui ne
relève que 6000 «chômeurs intellectuels», alors que Carol en craignait quatre fois plus (CAROL II, Intre datorie
si pasiune, însemnarii zilnice, 1904-1939, Bucarest, Ed. Silex, 1995, p.160).
3 LAIGNEL-LAVASTINE, Alexandra, Cioran, Eliade, Ionesco, L'oubli du fascisme, Trois intellectuels
roumains dans la tourmente du siècle, PUF, 2002, 557pp.
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