Ethique et déontologie de la consultance : éléments de problématique

Ethique et déontologique de la consultance :
éléments de problématique
M. Ahmed Salem OULD BOUBOUTT
Professeur agrégé de droit public à l' Université de Nouakchott
Introduction
1. L'absence d'un cadre éthique et déontologique de la consultance
1.1. La consultance au coeur du débat
1.1.1. Du côté des bailleurs de fonds
1.1.2. Du côté des pays en voie de développement
1.2. La consultance en dehors du droit
2. A la recherche d'un cadre éthique et déontologique de la consultance
2.1. Le contenu des règles éthiques et déontologiques
2.1.1. Les normes d'être
2.1.2. Les normes de comportement
2.1.3. Les normes de qualité
2.2. Le support des normes éthiques et déontologiques
2.2.1. Le rôle des pays sous-développés
2.2.2. Le rôle des bailleurs de fonds
Conclusion
Introduction
Les notions d'éthique et de déontologie, pour être voisines, sont néanmoins différentes : alors que la
déontologie renvoie dans une perspective neutre, à " l'ensemble des devoirs inhérents à l'exercice d'une
activité professionnelle libérale et le plus souvent défini par un ordre professionnel " (M. H. Capitant), le
concept d'éthique, au-delà de l'aspect purement réglementaire, " prend considération et recherche la garantie
de l'harmonie qui résulte de la bonne tenue de toute chose, et de tout acte, ainsi que l'accord entre l'ère et
l'environnement " Pr. Jean Bernard).
On voit ainsi qu'avec une réflexion sur l'éthique et la déontologie de toute activité, on retrouve au coeur de la
problématique des rapports plus ou moins dialectiques qu' entretient le droit avec la morale.
Et la réflexion prend tout son intérêt lorsqu'il s'agit de la consultance qui se définit comme l'activité par
laquelle, un consultant fournit, sur une portion soumise à son examen, un avis personnel, parfois un conseil,
qui apporte à un tiers des éléments de décision ou le cas échéant, des éléments en faveur de sa cause : à
travers cette définition, la consultance apparaît comme une activité multiforme pouvant avoir cours dans
presque tous les aspects de la vie moderne.
Assez paradoxalement, la consultance a très peu intéressé jusqu'ici le juriste voire le politique, puisqu'elle
s'est dès le début, développée dans le cadre d'activités annexes à certaines professions libérales dites
réglementées : avocats, ingénieurs, architectes, conseils..
Cette situation est aujourd'hui dépassée car avec les impératifs de la vie politicienne, la consultance est
devenue une sorte de sport collectif auquel s'adonnent tous les décideurs qu'ils soient individuels, collectifs
ou institutionnels, publics ou privés.
Pour ce qui nous intéresse ici, la consultance est devenue un enjeu majeur du développement, puisque l'aide
publique au développement s'inscrit depuis quelques années, à travers le renforcement des capacités
institutionnelles des pays sous-développés.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de constater l'intérêt que prend de nos jours, la réflexion sur la
consultance : aux interrogations des bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux, s'ajoutent celles des pays
bénéficiaires de la consultance.
Cette réflexion qui date du début de la présente décennie est loin d'avoir épuisé le sujet et l'on peut dire que
sur ce point, les zones d'ombres subsistent.
L'ob
j
et de la
p
résente communication est d'a
pp
orter une modeste contribution à ce débat
,
à travers
l'expérience subjective et peu dérisoire, du consultant occasionnel que nous sommes.
1. L'absence d'un cadre éthique et déontologique de la consultance
1.1. La consultance au coeur du débat
1.1. 1. Du côté des bailleurs de fonds
Les bailleurs de fonds, tant bilatéraux que multilatéraux se sont intéressés ces dernières années aux
problèmes de la consultance, à travers le thème plus général de l'évaluation de l'assistance technique. C'est
ainsi que par exemple la Banque Mondiale a mené en 1991 une étude sur l'assistance technique ou le
renforcement des instituts en Afrique subsaharienne, en coordination avec la coopération allemande (GTZ),
la coopération française et les organisations d'aide nordiques.
A l'origine de ces interrogations, on retrouve le constat général selon lequel les efforts de développement sont
sérieusement entravés par la médiocrité du fonctionnement des instituts à tous les niveaux et qu'il y a urgence
à renforcer la capacité autochtone des instituts africains vers les actions de renforcement institutionnel à
grande échelle qui " sont la clé de voûte de toute politique de développement en Afrique " (Banque
Mondiale).
Selon la Banque Mondiale, en pourcentage de l'assistance globale de la Banque, la part des projets consacrés
uniquement à l'assistance technique est passée de 6 % entre 1976 et 1980 à 10 % entre 1984 et 1988. Il y a de
bonnes raisons de penser que la progression s'est accélérée depuis lors.
Dans le cadre de la déclaration de politique générale sur la coopération pour le développement, les ministres
de la coopération pour le développement et les directeurs des organisations d'aide ont déclaré que la nature et
la qualité de l'assistance technique devront être repensées et améliorées sensiblement pour mieux contribuer
au développement.
Dans le même sens, l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) reconnaît
dans un rapport datant de 1991, entre autres mesures de :
prévoir pour objectif stratégique de la coopération technique, le développement de capacités à long terme
dans les pays en voie de développement ;
encourager le sentiment de " propriété " en donnant la priorité, à tous les stades des programmes, la
responsabilité et l'autorité aux bénéficiaires des projets ;
favoriser l'utilisation plus large des compétences locales ;
définir les objectifs par référence aux résultats à atteindre plutôt qu'aux faits à fournir.
On retient de ces développements que la consultance, en tant que forme d'aide aux pays sous-développés fait
l'objet d'un large débat au sein des bailleurs de fonds et l'on voit se dessiner une évolution tendant à encadrer,
normaliser cette assistance, dans le cadre de l'aide au développement.
1.1.2. Du côté des pays en voie de développement
C'est également dans le cadre de la réflexion sur l'efficience de l'assistance technique que les pays sous-
développés ont entamé l'effort de réflexion sur la consultance.
Dans ce cadre, le PNUD a développé à la fin des années 80 dans les pays récipiendaires de la coopération
technique, une méthodologie dite NATCAP (Analyse et Programmation Nationale de la Coopération
Technique).
Cette méthodologie a permis l'adoption par la plupart des pays africains, de documents d'orientation de la
coopération technique.
A titre d'exemple, le document approuvé par le gouvernement mauritanien le 12 juillet 1995 est assez
révélateur.
Il indique, entre autres, que plus de 75 % des ressources affectées à l'assistance technique servent à payer les
assistants techniques, tandis que la part destinée à la formation atteint à peine 8 %.
Le document procède par ailleurs à une évaluation critique de l'assistance technique et à la formulation de
nouvelles stratégies en la matière.
Au titre de cette stratégie, on note en particulier la nécessité d'assurer une définition claire des tâches des
assistants techniques et d'assurer l'organisation et le suivi de la consultation nationale.
Sur la base de ce document, le Ministère du Plan a élaboré un projet de décret fixant le code général relatif à
la
p
artici
p
ation des contrats et bureaux d'études à l'action de coo
p
é
r
ation techni
q
ue.
A l'heure où nous parlons, ce projet n'a pas encore été approuvé.
1.2. La consultance en dehors du droit
Le constat est facile à faire : dans nos pays, à notre connaissance, il n'existe pas de texte juridique englobant
de manière principale et totale le domaine de la consultance.
Cette situation peut, nous semble-t-il, s'expliquer par le fait que la consultance est relativement récente dans
les pays en voie de développement ; pendant longtemps, les consultants étrangers intervenaient seuls dans le
cadre des consultations internationales ou accords de prêts applicables : par conséquent, la réglementation de
cet aspect de l'activité échappait pour ainsi dire au droit national.
D'autre part, les derniers efforts de réflexion n'ont pas encore abouti au plan juridique, comme en témoigne la
situation en Mauritanie, où comme on l'a vu le décret envisagé n'a pas encore vu le jour.
Certes, dans nos pays, certaines professions dites réglementées comme celles des avocats, des magistrats qui
peuvent donner des consultations, bénéficient de textes juridiques. Mais ces textes n'embrassent que fort peu
les aspects éthiques ou déontologiques et s'ils le font, c'est de manière souvent très générale.
On peut donc en déduire qu'il n'existe pas de cadre légal suffisant pour la consultation, d'où la nécessité de le
rechercher.
2. A la recherche d'un cadre éthique et déontologique de la consultance
2.1. Le contenu des règles éthiques et déontologiques
On peut classer les différentes règles éthiques et déontologiques applicables à la consultance en trois
catégories :
les normes d'être
les normes de comportement
les normes de qualité
2.1.1. Les normes d'être
Pour nous, les normes d'être sont des normes qui caractérisent en tout temps et en tout lieu le consultant. Il
s'agit en fait des normes consubstantielles au statut de consultant.
Sous cette catégorie, nous rangeons :l'indépendance, la compétence, l'esprit de responsabilité et le respect de
la légalité
L'indépendance
L'indépendance est l'aptitude à réfléchir, à avoir des opinions en dehors de toute pression d'un milieu
quelconque. Elle réside dans la capacité pour l'individu de se déterminer par rapport à sa seule conscience.
Elle ne postule pas l'absence de pressions, mais la capacité et la volonté de résister aux pressions qu'elles
proviennent de l'Etat ou d'autres sources plus ou moins organisées et en particulier du client qui sollicite la
consultation.
L'indépendance n'est pas une qualité qui s'acquiert ou qui se perd : on est indépendant où on ne l'est pas, et
sans indépendance, l'avis du consultant ne peut être considéré comme valable.
A l'indépendance, on peut rattacher les normes d'intégrité et d'honnêteté.
Aucun statut, aucune règle juridique ne peut garantir l'indépendance d'un individu ou d'un corps. Cependant
certaines règles sont de nature à favoriser cette indépendance.
On peut citer :
L'absence d'un rapport hiérarchique entre le consultant et son client, ce qui fait que la consultance doit être
une profession libérale, ou être le fait de fonctionnaires ou agents statutairement indépendants, comme les
profanes du supérieur (déc. CC. 1984)
L'institution de règles strictes d'incompatibilités pour éviter que l'activité de consultation n'interfère avec
d'autres activités non cumulables.
La compétence
On
p
eut s'étonner à
p
riori
q
ue la com
p
étence soit considérée
,
p
our le consultant
,
comme une norme d'être. En
fait la consultation fait appel surtout de nos jours, à une compétence et une expérience effectives, car la
nature des avis ou des prestations sollicités demandent souvent des connaissances spécialisées et surtout une
expérience du domaine de la consultation. On peut dire que c'est en consultant qu'on devient consultant.
Cette qualité de compétence suppose que soit exigé du consultant une formation universitaire solide, dotée
d'une expérience professionnelle conséquente, mise à jour dans le cadre d'une formation continue. Elle
suppose qu'un stage soit exigé des consultants et que leurs responsabilités soient fonction de leur expérience.
L'esprit de responsabilité et du respect de la légalité
M. R. MARTIN a pu écrire : " En exagérant à peine, on peut dire que la consultation est une manifestation
des beaux-arts, et l'artiste n'encourt pas de responsabilité. Il exerce dans l'espace de la création qui pour être
féconde, doit être libre. "
Cette comparaison du consultant et de l'artiste est non seulement fausse mais aussi dangereuse car le
consultant, contrairement à l'artiste, n'accomplit pas un acte gratuit, mais il intervient dans le cadre d'un
processus de décision qui parfois relève de responsabilités particulièrement importantes, pour ne pas dire
graves.
Dès lors, le consultant doit refuser de consulter sur des sujets légalement interdits et de porter atteinte à des
causes justes. Cette responsabilité morale du consultant, si elle n'est pas juridique, est d'autant plus pesante
que la personne consultée est politiquement puissante ou que l'objet de la consultation s'inscrit dans des
décisions importantes.
D'un point de vue juridique, le consultant doit bénéficier d'une sorte de clause de conscience qui lui permet et
l'oblige à se libérer lorsqu'on lui demande d'accomplir, de faciliter ou de justifier des actes répréhensibles.
2.1.2. Les normes de comportement
Il s'agit ici de normes dont l'objet est de préserver un comportement déterminé au cours de son travail. On
peut citer la confidentialité, l'objectivité, la neutralité, le désintéressement, la prudence, la courtoisie,
l'humilité et la dignité.
La confidentialité
Dans l'exercice de ses fonctions, le consultant est assujetti à une obligation de confidentialité. Il doit
s'abstenir de divulguer à des tiers des informations obtenues, oralement ou par écrit, dans le cadre de ses
fonctions.
Cette obligation est d'autant plus importante que la confidentialité est quelquefois condition de la réussite de
la décision ou de la réforme à entreprendre. En la méconnaissant, le consultant risque tout simplement
d'annihiler les effets de la consultation.
L'objectivité
Les jugements et avis émis par le consultant doivent l'être en toute objectivité, c'est-à-dire sans tenir compte
des préférences propres du consultant, compte tenu de l'analyse de tous les facteurs déterminants. Ils doivent
être donnés abstraction faite des désirs des personnes, connus ou supposés, du client, des préjugés ou idées
préconçues.
La neutralité
Le consultant doit être neutre politiquement, ce qui ne veut pas dire qu'il ne doit pas avoir droit à la liberté de
pensée et d'expression.
Mais un certain activisme politique ou associatif peut être incompatible avec ses fonctions, car il peut porter
atteinte à son impartialité. Dans ce cas, il est préférable pour ce dernier de s'abstenir.
Le désintéressement
Loin est le temps où les honoraires étaient perçus comme la marque de l'estime et de la considération du
client : le consultant est un prestataire de service et à ce titre il a droit à une rémunération équitable.
Cependant, il doit éviter d'utiliser les informations obtenues dans le cadre de ses fonctions, à des fins
commerciales, ou encore de favoriser dans le cadre de ses fonctions, des concurrents à son client. S'il est
fonctionnaire, il ne doit pas consulter contre l'Etat.
La prudence
Les avis émis par le consultant doivent être caractérisés par la prudence.
Le consultant ne doit
p
as avancer dans le domaine du doute ou de l'à
p
eu
p
rès. Parmi les différentes voies
possibles pour résoudre un problème, il doit choisir la voie la plus prudente, la moins hasardeuse, même si les
solutions audacieuses peuvent le séduire.
La courtoisie, l'humilité et la dignité
Norme générale de bien-être et de bien-voir, la courtoisie doit caractériser le consultant dans le cadre de ses
rapports avec les personnes ou institutions rencontrées.
A cet effet, il devra, dans la mesure du possible, sacrifier aux usages du lieu où il exerce ses fonctions. En
outre, le consultant doit faire preuve d'humilité et de dignité.
2.1..3. Les normes de qualité
Si on ne peut astreindre le consultant à des normes de résultat, la décision ne pouvant être de son ressort, on
peut néanmoins considérer que sa prestation doit présenter certaines qualités intrinsèques notamment la
crédibilité.
En effet, l'activité du consultant doit consister dans l'application au cas qui lui est soumis des solutions, des
méthodes et des analyses internationalement reconnues. Ses avis doivent être particulièrement crédibles, ce
qui ne veut pas dire forcement justes. En d'autres termes, les opinions émises par le consultant doivent être
perçues comme fiables par toute tierce personne bien informée.
2.2. Le support des normes éthiques et déontologiques
Toute réflexion éthique doit pouvoir trouver son prolongement dans une réflexion préparant la norme
juridique, car comme le note Marceau Long, "Les directions éthiques ont toute la force de l'autorité morale,
mais il leur manque la sanction du droit qui seul garantit l'application des règles générales qui s'imposent aux
juges qui les interprètent en leur donnant leur sanction".
Pour la consultance, il est donc utile, que les normes éthiques et déontologiques soient portées par des
normes proprement juridiques. A cet effet, les pays sous-développés et les bailleurs de fonds ont chacun un
rôle à jouer.
2.2.1. Le rôle des pays sous-développés
Comme on l'a dit, on note l'absence, dans ces pays de textes juridiques régissant la consultance en tant
qu'activité autonome. Il s'agit là d'une grave lacune qui doit être rapidement comblée.
Dans ce cadre, les projets de textes dont il a été question ci-dessus peuvent permettre d'espérer une solution.
Mais ces textes - qui restent à être approuvés - paraissent de portée limitée.
Ainsi, par exemple le projet mauritanien se borne à poser l'obligation d'un agrément par l'autorité compétente
et passe sous silence les aspects proprement éthiques et déontologiques.
Cette situation est d'autant plus réfutable que contrairement à ce qu'on observe dans les pays avancés, les
professions dites réglementées le sont en fait insuffisamment, surtout en ce qui concerne la formulation
précise des règles proprement éthiques ou déontologiques. Et l'on sait que dans ces pays, il n'y a pas de
tradition coutumière en ce sens pouvant suppléer l'absence de textes.
Il est donc nécessaire voire indispensable de procéder à la mise sur pied d'un cadre juridique adéquat de la
consultance. Ce cadre doit prendre en considération l'ensemble des aspects y compris la définition précise des
règles éthiques et déontologiques. Il doit être élaboré, à travers un processus participatif. Il doit surtout,
compte tenu du contour des règles à promouvoir, être posé dans un texte législatif et non pas simplement
réglementaire.
A côté de ces initiatives nationales, des organismes communs comme l'Observatoire des Fonctions Publiques
Africaines (OFPA) peuvent élaborer des codes-types d'éthique et de déontologie et assister les Etats-membres
à adopter les législations correspondantes.
2.2.2. Le rôle des bailleurs de fonds
Compte tenu des données du problème analysées ci-dessus, et du rôle des bailleurs de fonds en tant que
pourvoyeurs de consultance, ceux-ci sont appelés à jouer un rôle considérable dans le cadre de la recherche,
de la formulation et de l'adoption par les pays sous-développés de cadres éthiques et déontologiques
satisfaisants.
En particulier, ils doivent élaborer des recommandations en la matière pour régir le recrutement des
consultants et orienter les
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s intéressés dans le même sens. En d'autres termes
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