C.O.P.E.A Centre d'Orientation Pour Etudiants Arméniens CAHIERS D'ETUDES Bilan et perspectives 1999 C.O.P.E.A. 1 Centre d’Orientation Pour Etudiants Arméniens 8, rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris Tel : 06 62 06 91 87 E-Mail : [email protected] Site internet : http://www.copea.org CAHIERS D’ETUDES Bilan et perspectives 2 AVERTISSEMENT Les Cahiers d'Etudes du Centre d'Orientation Pour Etudiants Arméniens (C.O.P.E.A.) sont un ensemble d'articles à vocation scientifique, rédigés par des étudiants en cycle universitaire avancé ou par des spécialistes des matières concernées. Leur objet est de retracer l'actualité arménienne (intra ou extra-communautaire) à travers une analyse objective et non journalistique d'événements ou de thèmes choisis de l'année passée et de l'année à venir. Ainsi, l'analyse scientifique n'entend nullement être pragmatique. C.O.P.E.A. souhaite que son travail soit profitable à tous. Les opinions émises dans les Cahiers d'Etudes n'engagent que leurs auteurs. 4 TABLE DES MATIERES Article Auteur Les Arméniens et le génocide de 1915 Le génocide arménien et le droit français Olivier ROUMELIAN "Actualité du génocide des Arméniens" C.D.C.A. Compte rendu du Colloque du 16, 17, 18 avril 1998 La communauté face à un Lewis déguisé : Affaire Veinstein Rostom HANEDANIAN Mémoire et identité : Les enfants arméniens face à l'histoire Varoujan SARKISSIAN Les Arméniens et l'Arménie La démission du Président Ter Pétrossian : Analyse juridique et politique Khatchig SOUKIASSIAN L'équilibre des pouvoirs dans la Constitution Sévag TOROSSIAN arménienne Les Arméniens et leur communauté Essai sur l'unicité de la communauté arménienne Bibliographie 5 Assemblée des Etudiants Page Les Arméniens et le génocide de 1915 Le génocide arménien et le droit français "Actualité du génocide des Arméniens", Compte rendu du Colloque du 16, 17, 18 avril 1998 La communauté face à un Lewis déguisé : Affaire Veinstein Mémoire et identité : Les enfants arméniens face à l'histoire 6 Le génocide arménien et le droit français1 C'est par une décision unanime de l'Assemblée Nationale, en date du 29 mai 1998, que la France a reconnu le génocide arménien de 19152. Quatre vingt trois ans après les faits, la France est le premier grand pays occidental à reconnaître le génocide arménien. L'occasion nous est donnée d'étudier la place du premier génocide du XXème siècle dans l'ordre juridique français. La reconnaissance du génocide arménien s'inscrit dans l'exercice d'un devoir de mémoire3. En adoptant la proposition de loi qui lui a été soumise, l'Assemblée Nationale a fait honneur à la mémoire du million et demi d'Arméniens qui ont été victimes du premier génocide du XXème siècle ainsi qu'à l'ensemble des survivants et de leurs descendants. Les auteurs de la proposition de loi ont considéré que la mémoire "ne saurait se limiter à l'histoire de chaque Nation"4. La France devait donc consacrer la reconnaissance du génocide arménien dans un texte officiel5. D'autant plus que cette reconnaissance traduit également une volonté de lutter contre les tentations négationnistes6. La reconnaissance par la France du génocide arménien nécessite de procéder à un rappel historique. Le 24 avril 1915 constitue la date anniversaire du génocide arménien7. En effet, c'est dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 avril 1915 que le gouvernement Jeune Turc de l'Empire Ottoman décide d'arrêter l'élite arménienne de Constantinople. Les intellectuels arméniens, qu'ils soient médecins, avocats ou poètes seront 1 Cet article traite de la reconnaissance du génocide arménien par le vote de l'Assemblée Nationale en date du 29 mai 1998 sans qu'il soit question de l'adoption de ce texte par le Sénat. 2 Voir L'Express, 4 juin 1998, p. 19; Le Nouvel Observateur, 4 juin 1998, p. 56; L'événement du Jeudi, 4 au 10 juin 1998, p. 7; Pèlerin Magazine, 5 juin 1998, p. 28; Le Point, 6 juin 1998, p. 30; Le Monde, 30 mai 1998, Libération, 30 mai 1998; Le Monde, 31-1er juin 1998, Editorial : Arménie : la fin du tabou; Le Figaro, 9 juin 1998; Le Figaro 17 juin 1998; Le Figaro, 14 juillet 1998, p. 11 3 Sur le devoir de mémoire, voir "Génocide et transmission", Hélène Piralian, Ed. L'Harmattan, 1995; "Mémoire et modernité", Gérard Chaliand, in "Les Temps Modernes", 1988, p. 434 4 Proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 13 mai 1998, p. 4. 5 Sur une position contraire, voir Le Figaro, 14 juillet 1998, p. 11 6 La reconnaissance du génocide arménien s'inscrit également dans une démarche de prévention des crimes contre l'humanité, voir "L'actualité du génocide des Arméniens", Colloque international organisé par le Comité de Défense de la Cause Arménienne, les 16, 17 et 18 avril 1998, Amphithéâtre RichelieuSorbonne 7 Les massacres d'Arméniens de l'Empire Ottoman ont, en fait, débuté au début des années 1890, sous la direction du sultan Abdul-Hamid dans l'indifférence du monde entier. emprisonnés, puis déportés avant d'être assassinés. C'est le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha qui donne l'ordre de faire disparaître toute présence arménienne dans l'Empire Ottoman8. Après les intellectuels, les soldats arméniens de l'armée ottomane seront arrêtés puis assassinés. Enfin, les ordres de déportation porteront sur les civils, femmes, enfants et vieillards. Les convois organisés par le gouvernement Jeune Turc auront pour but de faire mourir les Arméniens sur le chemin de la déportation les menant tout d'abord vers l'Anatolie centrale puis dans les déserts de Syrie, dont celui de Deir es Zor, et de Mésopotamie. Au total, ce sont environ un million et demi d'Arméniens qui trouveront la mort à compter de 19159. Le gouvernement Jeune Turc a voulu se débarrasser de toute présence arménienne sur le territoire de l'Empire Ottoman. Cette volonté criminelle s'est traduite par un système de déportation organisé, l'utilisation de moyens modernes de transmission ainsi que par des exterminations massives. C'est en cela que les massacres subis par les Arméniens constituent un génocide. S'il a fallu attendre quatre vingt trois ans pour que la France reconnaisse le génocide arménien, d'autres Etats et certaines organisations internationales l'ont précédé en la matière. Cette multiplication d'actes de reconnaissance est en partie à l'origine de la décision de l'Assemblée Nationale française. En Amérique du Sud, l'Argentine10 et l'Uruguay11 ont adopté des décisions en ce sens. En Amérique du Nord, le Parlement de l'Ontario12 et l'Assemblée Nationale du Québec13 ont également adopté des résolutions similaires14. En Europe orientale, la Douma de Russie a adopté une résolution 8 Sur la preuve de la préméditation, voir les télégrammes de Talaat produits par Aram Andonian, in Yves Ternon, précité, p. 19 et s. 9 L'évêque Balakian, l'un des rares intellectuels arrêté et rescapé, a retracé le martyr subi par les Arméniens in "Le golgotha arménien", tome 1 : Vienne, 1920, tome 2 : Paris, 1959 10 Déclaration de la Chambre des députés du 17 avril 1985 et du Sénat du 19 juin 1985 11 Loi du 20 avril 1965 12 Résolution du 23 mars 1980 13 Résolution du 10 avril 1980 14 Aux Etats-Unis, le génocide arménien a été reconnu par plusieurs Etats mais pas encore par le Gouvernement fédéral. 8 reconnaissant le génocide arménien15. Elle a été suivie peu de temps après par le Parlement bulgare16. Parmi les Etats de l'Union européenne, seuls deux assemblées parlementaires avaient reconnu le génocide arménien avant la décision de l'Assemblée Nationale française. Il s'agit du Parlement grec17 et du Sénat belge18. Enfin, il faut remonter aux années quatre-vingt pour trouver trace de résolutions d'organisations internationales reconnaissant le génocide arménien. Ainsi, peut-on citer les décisions du Tribunal Permanent des peuples ayant tenu session à Paris du 13 au 16 avril 198419, de la Sous-Commission des droits de l'Homme de l'ONU (29 août 1985) et la résolution du Parlement européen (18 juin 1987). En France, la reconnaissance du génocide arménien résulte d'un processus législatif rare. En effet, la décision de l'Assemblée Nationale française a été adoptée suite à une proposition de loi -sur initiative parlementaire et non gouvernementale- émanant du groupe socialiste. L'ensemble des députés a adhéré à cet article unique qui a été voté de manière unanime. Six amendements ont été déposés mais aucun n'a été retenu. Ce texte suivra un processus législatif traditionnel et sera ensuite soumis à l'examen du Sénat. En cas de vote en termes identiques par la Haute Assemblée, l'article unique retournera à l'Assemblée Nationale. Ce texte à caractère déclaratif devra faire l'objet d'une promulgation pour devenir une loi. En attendant que le processus législatif soit mené à son terme, la France dispose dans son ordre juridique d'une déclaration reconnaissant le génocide arménien (I.). Cette déclaration constitue une arme de plus contre toute tentative de négationnisme. L'examen de la sanction de la négation du génocide arménien posera alors la question du sort du délit de contestation (II.). 15 Résolution du 14 avril 1995 Résolution du 20 avril 1995 17 25 avril 1996 18 22 mars 1998 19 Voir "Tribunal Permanent des peuples - Le crime de silence - Le génocide des Arméniens", Ed. Champs Flammarion, 1984 16 9 I. La reconnaissance du génocide arménien par l'Assemblée Nationale Le 29 mai 1998, l'Assemblée Nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi suivante qui dispose que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". La qualification de génocide pour les massacres subis par les Arméniens en 1915 obtient désormais, en France, une consécration législative. Les députés français ont ainsi suivi l'immense majorité des historiens20 ainsi que les Etats et les organisations internationales ayant reconnu le génocide arménien. Cette reconnaissance apparaît toutefois incomplète. En effet, la déclaration adoptée ne fait aucunement mention de l'auteur du génocide arménien. De plus, aucune mesure d'accompagnement n'a été prévue pour exercer le devoir de mémoire, ni pour lutter contre les thèses négationnistes. A/ La qualification de génocide Afin de consacrer juridiquement le génocide arménien, les députés français se sont inspirés de la définition donnée par le Code pénal français et les textes internationaux ainsi que par l'universalité de cette notion. - l'universalité de la notion de génocide La notion de crime contre l'humanité a été définie, pour la première fois, en 194521. Elle a précédé de peu la définition de la notion de génocide adoptée par l'ONU en 194822. En 20 Voir notamment "Arménie, 1915 : Un génocide exemplaire", Jean-Marie Carzou, Flammarion, 1975, p. 109 et s.; "Autopsie du génocide arménien", Vahakn N. Dadrian, Ed. Complexe, 1995; "La province de la mort", Leslie A. Davies, Ed. Complexe, 1994; "Enquête sur la négation d'un génocide", Yves Ternon, Ed. Parenthèses, p.26 et s.; "Histoire du génocide arménien", Vahakn N. Dadrian, Ed. Stock; "Les Arméniens, histoire d'un génocide" Yves Ternon, Seuil, 1977, p. 223 et s.; "Rapport secret sur les massacres d'Arménie", Johannes Lepsius, Ed. Payot, 1987; "Les massacres des Arméniens", Arnold J. Toynbee, Ed. Payot, 1987; "The armenian genocide in perspective", Richard G. Hovanissian, New Brunswick, 1986 21 L'expression "crimes contre l"humanité" a été précédemment employée dans une déclaration conjointe des Alliés du 24 mai 1915 condamnant "ce nouveau crime de la Turquie contre l'humanité et la civilisation" en référence aux massacres des Arméniens. 22 En fait, le terme génocide est apparu officiellement pour la première fois le 18 octobre 1945 dans l'acte d'accusation du Tribunal Militaire International de Nuremberg 10 1915, à l'époque du massacre des Arméniens, aucune de ces deux notions n'existait. Toutefois, certaines conventions internationales prévoyaient des dispositions relatives au droit des gens. Ainsi, la Convention de La Haye du 18 octobre 1907, destinée à définir et à régler les usages de la guerre, faisait-elle référence aux "lois de l'humanité et aux exigences de la conscience publique". Pour qualifier de génocide les massacres subis par les Arméniens, il doit, tout d'abord, être fait référence à la définition donnée par l'inspirateur de cette notion. En 1944, le professeur Raphaël Lemkin écrivait que le génocide signifie "un plan coordonné d'actions différentes qui tendent à détruire les fondations essentielles de la vie des groupes nationaux, dans le but de détruire ces groupes mêmes". Cette définition générale correspond exactement à la politique d'extermination menée par le gouvernement Jeune Turc de l'Empire Ottoman. L'Assemblée Nationale française s'est inspirée de cette définition pour reconnaître le génocide arménien23, définition qui sera reprise dans les textes internationaux et le droit positif français. - la définition de génocide dans les textes internationaux Postérieurement à la seconde guerre mondiale, le crime contre l'humanité et le génocide ont fait l'objet de définitions séparées. Il résulte de l'article 6c) de la Charte du Tribunal Militaire International de Nuremberg en date du 8 août 1945 que les crimes contre l'humanité peuvent être constitués de "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux". Cette énumération ne comporte pas le terme de génocide. C'est la Convention de l'ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, en date du 9 décembre 1948, qui a défini en premier cette notion au plan international24. Il résulte de l'article 2 de cette convention que "le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie un groupe 23 Voir Rapport fait au nom de la Commission des Affaires étrangères par M. René Rouquet, p. 21 Cette convention a été suivie par une autre convention de l'ONU en date du 26 novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité 24 11 national, ethnique, racial ou religieux". Les actes énumérés peuvent être "le meurtre de membres du groupement, l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ou le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe"25. On retrouve dans cette énumération certains des actes commis à l'encontre des Arméniens. Cette Convention a servi de support à la reconnaissance du génocide arménien tant au plan international qu'au plan du droit interne français. - la définition du génocide en droit français L'introduction en droit français de l'infraction de génocide remonte à la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 réformant le Code pénal26. Il résulte de l'article 211-1 du Code pénal que le génocide est caractérisé par l'accomplissement de l'un des actes suivants : atteinte volontaire à la vie, atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique, soumission à des conditions d'existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe, mesures visant à entraver les naissances, travail forcé d'enfants. Le génocide doit résulter d'un plan concerté qui doit tendre à la destruction totale ou partielle d'un groupe humain. La définition donnée par le Code pénal français ne fait pas référence à une criminalité d'Etat, préférant l'expression plus large de "plan concerté". Enfin, la victime du génocide doit s'apprécier sous la forme d'un groupe. Il peut s'agir d'un groupe "national, ethnique, racial ou religieux" ou d'un groupe "déterminé à partir de tout autre critère arbitraire". Les députés français se sont fondés sur l'ensemble de ces textes internationaux et 25 Cette définition a été critiquée par Yves Ternon qui l'a jugée trop large et ayant pour effet de banaliser le génocide alors que le projet de convention se proposait d'en souligner le caractère exceptionnel", in "L'Etat criminel", p. 49 26 La loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 a déclaré les crimes contre l'humanité définis par une résolution de l'ONU du 13 février 1946 imprescriptibles, prenant acte de la définition des crimes contre l'humanité telle qu'elle figure dans la Charte du Tribunal international du 8 août 1945. 12 français pour reconnaître le génocide arménien. Il résulte en effet du rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères qu'"à la lumière de ces textes, l'existence du génocide arménien est difficilement contestable". Toutefois, en l'absence de sanction ou de désignation de l'auteur du génocide arménien, la reconnaissance par la France, ô combien symbolique, paraît incomplète. B/ Les amendements non adoptés La reconnaissance du génocide arménien par la France aurait pu être plus large. Pour cela les députés auraient du adopter un ou plusieurs des six amendements qui leur ont été proposés et qui ont tous été rejetés27. Ces amendements portaient principalement sur la désignation de l'auteur du génocide arménien ainsi que sur le devoir de mémoire et la lutte contre le négationnisme. - la désignation de l'auteur du génocide arménien Les historiens, dans leur majorité, s'accordent à penser que le gouvernement Jeune Turc de l'Empire Ottoman est le responsable du génocide arménien. Au sein de ce gouvernement, la responsabilité a incombé plus particulièrement au Comité Union et Progrès28. La Turquie s'inscrit dans la continuité de l'Empire Ottoman. Si les dirigeants turcs actuels ne sont pas les responsables directs du génocide arménien, ils s'y sont substitués. La France entend toutefois exonérer la Turquie de toute responsabilité. Le 13 juillet 1981, Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères français déclarait que les Arméniens ont été victimes d'un génocide mais que les autorités turques actuelles ne sauraient être tenues pour responsables du drame vécu par le peuple arménien. Cette position officielle, toujours d'actualité, a probablement conduit au rejet des amendements énonçant la responsabilité de l'Empire Ottoman ou de la Turquie dans le génocide arménien. 27 Amendements proposés par MM. R. Blum et F. Rochebloine Voir Jean-Marie Carzou, précité, p. 145; "Répression finale : le génocide de 1915-1917", Gérard Chaliand, in "Les Temps Modernes", précité, p. 8 28 13 Après avoir refusé de remplacer l'article unique par un autre article désignant l'Empire Ottoman, les députés ont rejeté deux autres amendements visant la Turquie. Ainsi, il a été refusé de subordonner l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne à la reconnaissance par cette dernière de la réalité du génocide arménien. De même, l'amendement selon lequel le gouvernement français aurait été chargé, au plan international, "d'oeuvrer à la reconnaissance et à la réparation de ce crime contre l'humanité" a été rejeté. La réparation du génocide arménien ne pouvant venir que de la Turquie, il a du être considéré que cet amendement aurait suscité la colère de la Turquie et l'altération des relations diplomatiques avec la France. Il a donc été rejeté. L'absence de désignation de l'auteur du génocide arménien n'a pas empêché la Turquie de réagir négativement à l'encontre de la décision de l'Assemblée Nationale française. Le président turc a jugé la décision de l'Assemblée Nationale comme étant "une distorsion des réalités historiques". La Turquie fait désormais pression sur le Sénat pour éviter qu'il n'adopte la proposition de loi votée par l'Assemblée Nationale. La réaction de protestation de la Turquie s'est également traduite par des menaces de représailles commerciales29. En réagissant ainsi, la Turquie a marqué son attachement à un négationnisme d'Etat qui devient de plus en plus isolé et s'est autodésignée comme digne successeur de l'auteur du génocide arménien30. - L'exercice du devoir de mémoire et la lutte contre le négationnisme31 Les auteurs des amendements à l'article unique ont souhaité que la France entretienne un devoir de mémoire face au génocide arménien. A cet effet, l'amendement suivant "le Gouvernement français assurera chaque année, à la date du 24 avril, la commémoration sur le sol national du génocide arménien" a été proposé. De même, les auteurs des amendements ont souhaité réformer le régime juridique du délit de contestation, dit "Loi Gayssot". A cet effet, il a été proposé de modifier les 29 Figaro Economie, 12 juin 1998, p. I Sur les thèses turques, voir "Le problème arménien : neuf questions, neuf réponses" in "Tribunal permanent des peuples précité, p. 223 et s. 31 Voir "Négation des génocides et législation française", Actes du colloque du 18 novembre 1995, Echanges culturels Léa & Napoléon Bullukian. 30 14 articles 24 bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même que l'ensemble des amendements relatifs à la désignation de l'auteur du génocide arménien, ceux ayant trait à l'exercice d'un devoir de mémoire et à la lutte contre le négationnisme par l'extension du délit de contestation ont tous été rejetés. II. La sanction de la négation du génocide arménien Avant même qu'il ne soit reconnu par la France, le génocide arménien a fait l'objet de plusieurs tentatives de négation. Cette négation du génocide arménien s'exprime souvent sous la forme de banalisation. Pour lutter contre les auteurs négationnistes, les Arméniens ne disposent d'aucune disposition législative spécifique. En effet, le délit de contestation ne s'applique qu'aux crimes contre l'humanité commis lors de la seconde Guerre Mondiale (i.e. le génocide juif). La sanction de la négation du génocide arménien est subordonnée à la reconnaissance d'une faute par le juge32. A/ L'inapplicabilité du délit de contestation au génocide arménien Le champ d'application restreint du délit de contestation ressort tant de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 que de l'interprétation qui a été faite par les magistrats. - Un champ d'application restreint La loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 sur la liberté de la presse a introduit l'article 24 bis destiné à sanctionner les auteurs ayant contesté l'existence d'un crime contre l'humanité au sens de l'article 6c) du Statut du Tribunal de Nuremberg. Par conséquent, le délit de contestation ne vise que les auteurs de thèses négationnistes relatives au génocide juif. Les auteurs reconnus responsables du délit de contestation sont punis d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende de 300.000 francs. Ils encourent également des peines complémentaires facultatives33. 32 Sur l'office du juge face à l'Histoire, voir notamment, Diane de Bellescize, ""Aubrac, Lyon 1943", un cas exemplaire de condamnation d'un ouvrage pour diffamation par reproduction et par insinuation", TGI Paris, 2 avril 1998, Les Petites Affiches, 17 juillet 1998, p. 24 33 Affichage ou publication de la condamnation ou privation des droits d'éligibilité et accès aux fonctions et emplois publics 15 - La jurisprudence pénale B. Lewis Si le délit de contestation ne protège que les crimes contre l'humanité commis durant la seconde Guerre Mondiale, aucune protection légale identique n'est assurée pour les autres victimes. Une illustration de ce problème a été donnée à propos du génocide arménien. Dans une interview donnée au journal Le Monde34, l'historien américain B. Lewis a nié l'existence du génocide arménien. Après la parution d'un droit de réponse, cet auteur a réitéré sa position dans le même journal. Cette affaire a donné lieu à une plainte déposée sur le fondement de l'article 24 bis de la loi de 1881. Dans son jugement, non frappé d'appel, en date du 18 novembre 1994, la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris a jugé l'action de la partie civile arménienne irrecevable. Le jugement déclare que la double référence de l'article 24 bis aux articles 6 et 9 du statut tribunal militaire international "a pour effet d'exclure de la protection contre la contestation, instituée par la loi, tous les autres crimes contre l'humanité, comme, en l'espèce, ceux dont a été victime le peuple arménien en 1915"35. La reconnaissance du génocide arménien par la France posera incontestablement la question de la réforme du délit de contestation. Le débat lié à l'extension de cette infraction, véritable délit d'opinion36, sera probablement d'actualité. L'examen par les parlementaires de cette infraction très contestée pourrait d'ailleurs être l'occasion d'évoquer l'hypothèse de sa suppression37. Indépendamment de l'issue de ce débat, l'article 1382 du Code civil permet de sanctionner les auteurs dits "révisionnistes" dès lors qu'ils commettent une faute. 34 Le Monde du 16 novembre 1993 Olivier Roumélian, "Un délit d'opinion au service des droits de l'homme?", Les Petites Affiches, 16 février 1996 36 Jacques Robert, "Droits de l'homme et libertés fondamentales", Ed. Montchrétien 37 Sur les réactions d'hostilité au délit de contestation, voir notamment François Terré, "La loi Gayssot : texte totalitaire", Le Figaro, 15 mai 1996; Madeleine Rebérioux, "Contre la loi Gayssot", Le Monde, 21 mai 1996 35 16 B/ La négation du génocide arménien est une faute Les victimes de propos de contestation de l'existence des crimes contre l'humanité doivent satisfaire à une triple condition pour pouvoir en sanctionner les auteurs sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Elles doivent justifier avoir subi un dommage. L'atteinte à la mémoire et le trouble subi par une communauté ne semblent pas difficiles à établir. Elles doivent également prouver la faute de l'auteur des propos. Cette exigence est la plus difficile à satisfaire dès lors qu'il faut établir qu'un historien a commis une faute dans l'exercice de sa profession. Enfin, elles doivent rapporter la preuve d'un lien de causalité entre le dommage subi et la faute commise. C'est ce dont sont parvenus à réussir les Arméniens à l'encontre de B. Lewis. - La condamnation civile de B. Lewis La voie civile a été utilisée pour sanctionner B. Lewis dont les propos de négation ont été jugés fautifs. En effet, parallèlement à la plainte déposée sur le fondement de l'article 24 bis de la loi de 1881, jugée irrecevable, B. Lewis a également été poursuivi, pour ses propos tenus dans le journal Le Monde, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. En effet, cet historien a été condamné par un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, non frappé d'appel, en date du 21 juin 199538. Cette décision a consacré la faute de l'historien39. Il s'agit d'une faute par abstention40, le Tribunal ayant, notamment, jugé que "c'est en occultant les éléments contraires à sa thèse que le défendeur a pu affirmer qu'il n'y avait pas de preuve sérieuse du génocide arménien". - L'étendue de la négation La reconnaissance par la France du génocide arménien isolera de plus en plus les auteurs de thèses négationnistes. Cette reconnaissance sera également l'occasion de réexaminer la notion de négation. Le génocide arménien ne fait pas l'objet, comme le génocide juif, d'un mouvement négationniste organisé même si des auteurs comme B. Lewis, K. Gürün, S. Shaw, J. 38 Olivier Roumélian, La faute de l'historien, Les Petites Affiches, 29 septembre 1995 Sur les réactions suite à la condamnation de Bernard Lewis pour faute, voir M. Rebérioux, "Les Arméniens, le juge et l'historien", L'Histoire, octobre 1995 39 17 Mac Carthy ou H. Lowry défendent la position de la Turquie dans son refus de reconnaître le génocide arménien. La négation est parfois bien réelle et fait rarement l'objet d'une sanction41. Elle se traduit le plus souvent par un souci de banalisation et de minoration outrancière des massacres subis par les Arméniens42. En premier lieu, il convient d'évoquer la négation systématique de la Turquie. En réponse à la position de la Turquie, les pays occidentaux pouvant faire infléchir sa position ont choisi le silence. La France vient de rompre ce silence complice43. La décision de l'Assemblée Nationale en date du 29 mai 1998 revêt, en cela, un caractère symbolique très important. Il serait souhaitable que la décision de la France fasse évoluer les auteurs de thèses tendant à banaliser le génocide arménien. Parmi ces thèses, il convient d'évoquer la déclaration du Vatican sur la Shoah en date du 12 mars 1998. Cette déclaration avait pour but d'expliquer l'attitude passée et la position actuelle de l'Eglise catholique vis-àvis du génocide juif. Le Vatican a cherché à démontrer les origines antichrétiennes de la politique du IIIème Reich et de l'antisémitisme et ainsi à s'exonérer de toute responsabilité dans la Shoah. Par comparaison aux autres drames subis lors du XXème siècle, la déclaration du Vatican fait référence à celui vécu par les Arméniens. 40 Deuxième illustration jurisprudentielle de ce type de faute après la célèbre affaire Branly Le silence gardé concernant le génocide arménien ou l'utilisation du terme "massacres" en lieu et place de "génocide" traduisent fréquemment un souci de négation. A ce propos, voir "Les Arabes dans l'Histoire", Bernard Lewis, Ed. Champ Flammarion, 1996, p. 215 et s.; "Histoire du Moyen Orient", Bernard Lewis, Ed. Albin Michel, 1997, p. 375 et s.; "Minorités en Islam, Géographie politique et sociale", Xavier de Planhol, Ed. Géographes Flammarion, 1997, p. 394 et s. 42 Sur la minoration outrancière, voir Crim, 17 juin 1997, Dalloz 1998, Jurisprudence, p. 50; Il résulte de cet arrêt, rendu sur le fondement du délit de contestation, que si la contestation du nombre des victimes de la politique d'extermination dans un camp de concentration n'entre pas dans les prévisions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, la minoration outrancière de ce nombre caractérise le délit de contestation de crimes contre l'humanité prévu et puni par ledit article, lorsqu'elle est faite de mauvaise foi. Cette jurisprudence semble pouvoir être transposée au plan civil afin de sanctionner ceux qui tendent à minorer le nombre de victimes du génocide arménien. 43 Sur le silence, voir "Le crime de silence", Gérard Chaliand, in "Tribunal permanent des peuples", précité, p. 373 et s. 41 18 L'utilisation du seul terme "massacres" pour les Arméniens tandis que les expressions "génocide" et "victime d'idéologies racistes" sont employées pour les juifs et les gitans traduit une volonté de banalisation du génocide arménien et s'inscrit dans une logique de négation. La reconnaissance par la France du génocide arménien accentue la volonté de banalisation de la part du Vatican. Cette attitude apparaît fautive et devrait, en toute logique, faire l'objet d'une sanction. De même, le débat sur l'unicité de la Shoah semble désormais dépassé en France44. La position qui consiste à considérer la Shoah comme un fait unique de l'histoire et à réserver à ce seul événement le terme de génocide n'a plus lieu d'être, en France, depuis la déclaration de l'Assemblée Nationale du 29 mai 1998. La défense de la thèse de l'unicité de la Shoah et par conséquent la déqualification de tout génocide en simples massacres (en particulier le génocide arménien) apparaît fautive et méritera également d'être sanctionnée. Olivier ROUMELIAN Avocat 44 Voir notamment "La concurrence des victimes", Jean-Michel Chaumont, Ed. La découverte, 1998, p. 138 et s.; "Le refus du sens", José Santuret, Ed. Ellipses, 1998 19 Actualité du génocide des Arméniens Les 16, 17 et 18 avril 1998 s'est tenu dans l’amphithéâtre Richelieu de l’Université de la Sorbonne Paris, un colloque international sur "l’actualité du génocide des Arméniens". Organisé par le Comité de Défense de la Cause Arménienne, l’événement était une première en France, depuis la reconnaissance du génocide par le Tribunal Permanent des Peuples en 1984. Colloque sur l’actualité du génocide des Arméniens : Pourquoi ? Comment ? Le 16 avril 1998, une petite foule se pressait dans le hall de la Sorbonne, désertée pour cause de vacances universitaires. Quelques 600 personnes, faisaient la queue devant l’entrée de l’amphithéâtre Richelieu pour assister aux trois jours de débats du colloque international organisé par le Comité de Défense de la Cause Arménienne (CDCA) sur "l’actualité du génocide des Arméniens". Universitaires ou simples sympathisants, Arméniens d'origine ou non, tous avaient tenus à participer à cette première française, depuis la reconnaissance par le Tribunal Permanent des Peuples45 en 1984, de la réalité du génocide des Arméniens. En France, ce colloque se déroulait à la fin du procès de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux pendant la guerre, Maurice Papon46, pour "crimes contre l'humanité". Il s'inscrivait dans une actualité internationale marquée par les procès, devant les Tribunaux Pénaux Internationaux (TPI)47, des criminels de guerre de l'exYougoslavie ou du Rwanda ; et par la création, toute proche, en juin 1998, à Rome, de la Cour Criminelle Internationale (CCI)48. Pour les Arméniens de France, le colloque 45 Le crime du silence. G. Chaliand (ed.). Préface de P. Vidal-Naquet. Paris. 1984. S. Garibian, Haïastan, n° 596, avril 1998, p.14. Paris. 47 S. Garibian, Haïastan, n° 586, avril 1996, p.8. Paris. 48 S. Garibian, Haïastan, n° 597, mai 1998, p.7. Paris. 46 20 organisé par le CDCA était surtout la suite logique des procès attentés contre l'historien anglo-américain, Bernard Lewis, trois ans auparavant. Le 21 juin 1995, en effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris condamnait Bernard Lewis, spécialiste de l'histoire du Moyen-Orient, à un franc de dommage et intérêt pour avoir dépassé ses prérogatives d'historien et manqué à ses devoirs d’objectivité et de prudence, en déclarant dans une interview accordée au quotidien français, Le Monde49 que la thèse du génocide constituait une "version arménienne de l'histoire". Le tribunal relevait que Bernard Lewis avait passé sous silence les éléments retenus par les organismes internationaux50. Peu de temps auparavant, le 14 octobre 1994, l'affaire avait été portée devant la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris par le CDCA qui attaquait Bernard Lewis et le journal Le Monde, au pénal. Le plaignant se fondait sur la loi dite "Gayssot", qui sanctionne, en France, la contestation des crimes contre l’humanité. Au cours de cette audience, le ministère public, par l’intermédiaire du procureur général devait indiquer : "ces événements constituent un génocide... il m’apparaît qu'il y vraiment démarche négationniste... le délit est caractérisé. Il y a bien négation de crime contre l’humanité". L'action menée par le CDCA, sera finalement jugée irrecevable par le tribunal, en raison du caractère limitatif de la loi "Gayssot". En effet, la loi française ne prévoit de sanction qu'à l'encontre des "négateurs" du seul génocide juif, à moins de faire intervenir une jurisprudence pour le cas arménien comme le demandaient les avocats de la partie civile. Mais pour le CDCA, l'objectif avait été atteint : le tribunal ne s’était pas prononcé sur la "réalité" mais la "recevabilité" de l'action par rapport au droit français. Le caractère de "génocide" des massacres arméniens avait pu, pour la première fois, être démontré devant la justice française. Pour le CDCA, "l'affaire Lewis" constituait donc un succès et lui permettait de se restructurer après une éclipse de plusieurs années. Avec des moyens humains limités et constitués, pour l'essentiel de vieux "routiers" de la vie politique arménienne et de 49 Le Monde, 16 novembre 1993, Paris. L'action au civil a été menée à l'initiative du Forum des associations. L'un des avocats de la partie civile était Maître Patrick Dévedjian, par ailleurs Député-Maire d'Antony. 50 21 jeunes issus des rangs du Nor Seround51, il décidait de poursuivre la lutte contre le négationnisme en obtenant du Parlement français l'extension de la loi Gayssot au génocide des Arméniens. Pourtant, l'affaire Lewis avait démontré que le négationnisme turc s'était structuré. "L'affaire Lewis (...) a entraîné une prise de conscience des proportions qu'avait atteintes l'entreprise turque de négationnisme, désormais relayée par des universitaires de renom. (...) Le négationnisme turc prenait alors un tour nouveau, plus insidieux" expliquera ainsi Ara Krikorian, président du CDCA52, au cours d'une interview accordée à la presse arménienne. "L’idée d'un colloque s'est peu à peu imposée comme la plus adéquate pour imposer la réalité du génocide auprès de la communauté des hommes politiques et des intellectuels français". Un sentiment qui devait bientôt être relayé par les universitaires : "Le négationnisme turc (...) a joué un rôle positif puisqu'il énonçait des mensonges auxquels il était nécessaire de répondre indirectement. Ainsi la recherche a avancé avec, au premier plan, un certain nombre de chercheurs américains, en particulier Vahakn Dadrian qui a apporté sa connaissance des archives des diplomaties et des chancelleries ainsi que celle des travaux publics en Turquie même"53, devait ainsi déclarer Yves Ternon, Docteur en histoire à l’université de Paris IV, quelques jours avant l’événement. Dès lors, le titre du colloque, "l’actualité du génocide des Arméniens" devait s'imposer de lui-même. Une "actualisation" d'autant plus pressente que le précèdent colloque qui s'était déroulé à Erevan, en 1995, et avait réuni la plupart des spécialistes mondiaux du génocide n'avait traité "non pas du génocide des Arméniens, mais des génocides"54. Enfin, le rôle particulier joué par la France dans le Caucase en faisait un terrain d'action privilégié. "En 1996, lors de la visite de Robert Kotcharian, alors Président du Karabagh, nous avions reçu la demande de mettre en avant la question du génocide parce que c’était pour lui une arme de première importance, à la fois politique, morale et idéologique, avouera Ara Krikorian (...), surtout à une époque où la France est 51 Le mouvement de jeunesse du Parti Dachnak en France. M. Nichanian, Interview de Ara Krikorian, Nouvelles d’Arménie magazine, n¡32, avril 1998, p.39. Paris. 53 S. Garibian et S. Ananian, Interview de Yves Ternon, Haïastan, n°595, mars 1998, p.8, Paris. 52 22 coprésidente du groupe de Minsk (OSCE) et a une influence déterminante sur le cours des événements dans le conflit du Karabagh"55. En ce qui concerne l'organisation, le CDCA décidera de faire appel à un comité de pilotage56 composé d'intellectuels arméniens de France et d'Yves Ternon, afin de définir le programme et de choisir les participants. L'organisation pratique et la recherche de financement étaient, elles, dévolues au CDCA57. "Près de 70 personnes ont été contactées pour participer au colloque. Toutes ont donné un accord de principe. Mais certaines, prises par des contraintes extérieures, n'ont pas pu, à leur grand regret concrétiser leur souhait" devait expliquer un militant du CDCA. Quant au public : "Nous visions un public universitaire et scolaire de préférence non-arméniens. Il est temps d’intégrer la question du génocide dans un cadre plus général". "Il fallait absolument ouvrir le débat" déclarera Yves Ternon. Conséquences de la négation du Génocide des Arméniens. Une grande partie du colloque - auquel une trentaine d'historiens, juristes, spécialistes en sciences politiques et psychanalystes participaient - a été consacrée à la question de la mémoire, et du comparatisme, démontrant, ainsi, une continuité entre les questions historiographiques liées au génocide58, et celles, politiques, juridiques et psychologiques, consécutives à sa négation. 54 S. Garibian et S. Ananian, Interview de Yves Ternon, Haïastan, n°595, mars 1998, p.8, Paris. M. Nichanian, Interview de Ara Krikorian, Nouvelles d’Arménie magazine, n°32, avril 1998, p.39. Paris. 56 Le comité de pilotage était composé de Janine Altounian, Mireille Bardakdjian, Alice Donikian, RoseMarie Frangulian, Dzovinar Kévonian, Raymond H. Kevorkian, Claire Mouradian, Claude Mutafian, Héléne Piralian, Olivier Roumélian, Anahide Ter Minassian, Taline Ter Minassian, Yves Ternon. 57 Le budget du colloque s'est élevé à 500.000 fr., financé pour l'essentiel par des organisations arméniennes et françaises (Fondation Bullukian, le Catholicossat d'Antélias, la Croix Bleue des Arméniens de France, la Maison de la Culture Arménienne d'Alfortville, Commit du 24 avril (Paris), UGAB, ministère français des Affaires Etrangères...) mais aussi grâce par des souscriptions. 58 Auxquelles étaient consacrées les deux premières parties. Si l'on excepte l'intervention de Richard G. Hovannissian, consacrée au négationnisme. 55 23 En effet, le débat sur le génocide des Arméniens ne se résume plus aujourd'hui à la question "y-a-t-il" ou "n'y a-t-il pas de preuves ?" de génocide. Il doit désormais porter sur la qualité, la négation et les conséquences d'une "preuve", désormais établie. Le "sens de la recherche historique" n'est donc plus d'alimenter la "preuve de génocide" mais de l'affiner, en acceptant ou en rejetant, sur des critères exclusivement scientifiques, les nouvelles sources. Mais, paradoxalement, plus la recherche historique sur le génocide des Arméniens semble avancer, plus la lutte contre le négationnisme se déplace sur le terrain universitaire. Car accumulations de témoignages, de sources ne suffisent pas, explique Richard G. Hovhanessian59 : là où la négation obstinée du génocide est peu efficace, le négationnisme turc s'appuie maintenant sur des chercheurs d'envergure internationale comme Robert Shaw ou Bernard Lewis. Ceux-ci, usant des tactiques des négationnistes de l'Holocauste sont loins de nier les massacres ou les déportations. Ils relativisent, simplement la portée des événements, les banalisent ou les rationalisent en les plaçant dans le contexte de la Première Guerre Mondiale. Malgré sa reconnaissance par un certain nombre d'instances internationales comme l'ONU, le génocide arménien est loin de bénéficier d'une reconnaissance comparable à celle de l'Holocauste et est, sans cesse, convoqué à des examens de passage. Cette "demi-reconnaissance" peut parfois, conduire à son instrumentalisation politique comme cela fut le cas du temps de l'URSS. Mais, pour Janine Altounian60 et Mireille Bardakdjian61, les conséquences de cette situation biaisée sont avant tout psychologiques. Le génocide des Arméniens reste l'"élément fondateur" de la mémoire en diaspora et constitue "l'essentiel de son identité". Le peu de place que consacrent les manuels scolaires au génocide des Arméniens ne fait d'ailleurs qu'accentuer l'ampleur du désastre. Il met en conflit, chez les jeunes générations, une histoire familiale avec l'histoire officielle enseignée à l’école. 59 UCLA - University of California, Los Angeles, CA (USA), Professor of Armenian and Near Eastern History, Associate Director of the G.E. von Grunebaum Center for Near Eastern Studies. 60 Traductrice de Freud. Equipe éditoriale des oeuvres complètes de Freud (PUF), Paris (France). 24 Un autre risque majeur de cette "demi-reconnaissance" est de voir s’élever une échelle dans l'horreur, une compétition entre les victimes de génocides, voire une indifférence réciproque. L'attitude du mouvement sioniste à l’égard du génocide des Arméniens est à cette égard exemplaire comme en témoigne Yaïr Auron62, professeur à l’université de Tel Aviv. Tandis que dans les ghettos d'Europe de l'Est, l'ouvrage de Franz Werfel, "les Quarante Jours du Moussa Dagh"63 eu un retentissement énorme pendant la seconde guerre mondiale, le public israélien est aujourd'hui indiffèrent et ignorant de la question du génocide des Arméniens : "Après une enquête personnelle, 86 % des étudiants israéliens ne savent rien de cette question". Doit-on voir, s'interroge le chercheur, dans la politique de l'Etat hébreu, visant à restreindre la dimension du génocide au seul cas de l'Holocauste, l'unique cause de cette situation ? Une approche comparatiste des génocides doit donc éviter l’écueil de la compétition. Elle doit servir exclusivement la cause de la recherche historique ou la prévention. Ainsi, le rôle de la reconnaissance du génocide, n'est pas tant d'absoudre les bourreaux ou de soulager les victimes que d'en tirer un enseignement. La reconnaissance du génocide des Arméniens aurait pu, en effet, servir à la mise en place de moyens de préventions qui ont fait défaut lors du génocide Rwandais. "Le silence de l'histoire est tantôt un piège, tantôt une injure, ou les deux à la fois" conclura Jacques Francillon64. 61 DEA en Histoire orale. Enseignante, Paris (France). Seminar Hakibbutzim Teachers College, Lecturer in Contemporary Judaism, Tel Aviv (Israel). 63 Franz Werfel, préface de Elie Wiesel, "les quarante jours du Moussa Dagh", éd. Albin Michel, Paris, 1986. 64 Faculté Jean Monnet de Sceaux, Professeur en droit pénal (France). 62 25 L'histoire comme preuve suffisante mais non nécessaire du génocide? La question du génocide des Arméniens est-elle une question historique "achevée" ? Prenant la parole après Stéphan H. Astourian65 et Aram Arkun66 qui introduisaient le contexte historique en traitant des relations arméno-turques dans l'empire ottoman, trois chercheurs ont démontré au contraire, que de nouvelles perspectives de recherches s'ouvraient sur le génocide des Arméniens. Hilmar Kaiser67, Roupen Adalian68, et Meroujan Garabetian69 ont ainsi pour la première fois fait le point sur le contenu des archives des acteurs de la Première Guerre Mondiale. Selon eux, les archives allemandes et italiennes, et en particulier celles du Ministère des Affaires étrangères allemand détiendraient encore des rayons entiers d'informations consacrées au génocide des Arméniens. Pour Hilmar Kaiser, celles-ci iraient bien au delà de celles communiquées par Lepsius qui - entre autres "par nationalisme allemand" - aurait manqué d'objectivité dans sa sélection70. Le contenu des archives américaines et du Vatican serait, de la même façon, impressionnant par sa qualité, son envergure et sa couverture des faits. Quant aux archives russes, elles n'auraient jusqu'ici été qu'abordées et sont loin d'avoir fait l'objet d'une fouille systématique. L'intervention de Ara Sarafian71 a permis d'apporter quelques éclaircissements sur le cas des archives ottomanes. Lesquelles restent inaccessibles malgré les manipulations évidentes dont elles ont fait l'objet. Mais, pour Ara Sarafian, les témoignages des témoins "neutres" comme Henri Morgenthau et les missionnaires américains suffisent 65 UCLA - University of California, Professor, Los Angeles, CA (USA). Krikor and Clara Zohrab Information Center, Assistant Director, New-York, NY (USA). 67 Chercheur à l'Institut Universitaire Européen de Florence (Italie). 68 Director, ANI - Armenian National Institute, Washington, DC (USA). 69 Chercheur à l'Institut d'Histoire de l'Académie Nationale des Sciences, Erevan (Arménie). 70 Par un hasard de calendrier, se tenait le 22 avril à l’Académie National des Sciences de la République d’Arménie, un colloque à l'occasion du 140ème anniversaire de la naissance de Johannes Lepsius (18581926). 71 University of Michigan, department of History, Ann Arbor, MI (USA). 66 26 amplement à l’établissement de la preuve de génocide : point n'est besoin de faire appel aux sources ottomanes pour établir le caractère génocidaire des événements de 1915. D'autant que l’impossibilité d'effacer un crime comme celui du génocide des Arméniens du fait du traitement administratif qu'il génère peut être aussi établi au travers des sources arméniennes. Comme l'a montré Raymond Kevorkian72, ce traitement administratif peut parfois aller jusqu'au détail comme se fut le cas pour les camps de concentration implantés en Mésopotamie-Syrie - où étaient relevés quotidiennement le nombre de morts, le traitement des survivants et leurs conditions de détention -. De la même manière on peut établir l'ampleur des préjudices matériels : pour Dikran Kyoumjian73 "on peut chiffrer à 7 milliard de dollars, les avoirs arméniens détenus sous différentes formes (coffres forts, assurances vie non réclamées, actions de société...) par les banques occidentales à la veille du génocide. Ceux-ci pourraient être légitimement réclamés par les héritiers". Sans parler des monuments arméniens de Turquie, qui devraient, à l'avenir, faire l'objet de démarches du Catholicossat d'Istanbul, de l'UNESCO et du gouvernement arménien. Enfin, comme l'a montré Anahide Ter Minassian74 en prenant l'exemple de la région de Mouch, grâce à l’étude ethnologique, géographique et démographique d'une région on peut parfois reconstituer le fil des événements presque heure par heure en faisant appel à la micro-histoire. Cependant, toute source ne peut être retenue comme élément de preuve. L'un des dangers est de s'appuyer sur des documents ou une iconographie75 historiquement douteux. A l'heure où la lutte contre le négationnisme semble se déplacer sur le terrain universitaire, certains documents ne résistent plus aujourd'hui à l'expertise des chercheurs. Témoins, les documents Andonian (le fameux télégramme de Talaat Pacha) 72 Docteur en Histoire, Paris IV (France). Conservateur de la Bibliothèque Nubar. Haig and Isabel Berberian College, professor, California State University Fresno, CA (USA). 74 Maître de Conférences honoraire à l’Université de Paris I (France). 75 Voir à ce sujet l'exposition itinérante de photos consacrée au génocide, "Images de notre siècle : le génocide des Arméniens 1915-1916" présentée par l'association Terre et Culture, en octobre 1995, à Paris. Selon Dzovinar Kévonian, une des organisatrices : "Elle a permis de montrer qu'un bon nombre des photos traditionnellement présentées comme datant du génocide, ont été mal attribuées et datent d'autres époques, antérieures ou postérieures". 73 27 et "la petite phrase d'Hitler", explique Yves Ternon76. Non pas faux, mais aux origines incertaines et donc attaquables. Dans le premier cas, les télégrammes ont été perdus (sans jamais être enregistrés comme pièce à conviction) lors de leur présentation au procès de Telhérian et ne sont connus que par leurs fac-similés. Dans le second, si il existe un témoignage écrit de cette phrase qui aurait été prononcée avant l'invasion de la Pologne (et non pas pour annoncer l'Holocauste !), il serait le fait d'un anonyme. Et, par conséquent, n'aurait pas été présenté au Tribunal de Nuremberg où il aurait pu être dûment enregistré... Comité de Défense de la Cause Arménienne 76 Docteur en Histoire - Université Paris IV (France). 28 LA COMMUNAUTE FACE A UN LEWIS DEGUISE : AFFAIRE VEINSTEIN Gilles Veinstein, spécialiste de l’Empire ottoman, a été élu le 29 novembre 1998 par ses pairs à la chaire d’histoire turque et ottomane du Collège de France, en dépit de propos qui peuvent s’interpréter comme une forme de révisionnisme. Cette élection pour le moins contestable, résultat du vote favorable de 18 professeurs au sortir d’un scrutin très serré, souligne l’incapacité actuelle de la communauté arménienne de France à organiser efficacement la défense de ses intérêts. Ignorance ou indifférence ? LE CONTEXTE A l’origine de la polémique, un article portant sur la question arménienne, publié en 1995 dans la revue L’Histoire, dans lequel Gilles Veinstein remet en cause l’existence d’un génocide arménien. Quelques années de “ réflexion ” plus tard, M.Veinstein tient sensiblement les mêmes propos, et dit d’ailleurs qu’il écrirait aujourd’hui “ la même chose mais pas de la même façon ”…77 Malgré ses dénégations, l’on a pu constater dans la presse arménienne mais aussi dans la lettre qu’il a adressée à l’un des administrateurs du Collège de France, Gilbert Dagron, que la nature de son discours permet de classer son auteur dans la catégorie “ révisionniste ” ou “ contestationniste ”78. LES SUITES MEDIATIQUES Pour mieux comprendre le procédé utilisé par M.Veinstein pour galvauder la définition du terme génocide, évoquons d’abord la polémique qui a nourri les pages “ Débats ” du 77 Voir l’entretien accordé à “ La Lettre de l’UGAB ”en date du lundi 23 novembre 1998 ; voir le même entretien publié par le Journal Haratch, du vendredi 27 novembre(n°19.518) et des samedi-dimanche 2829 novembre(n°19.519) 1998. 78 Néologisme que l’on doit à Me Olivier Roumélian dans son mémoire intitulé “ Faut-il interdire de contester l’existence des crimes contre l’humanité ? ”, EFB 1996 ; voir également du même auteur “ Le génocide arménien et le droit français ”. 29 quotidien Libération à la suite d’un article de Catherine Coquio79. Celle-ci lançait le 28 décembre 1998 un appel très clair : “ Gilles Veinstein qui ne reconnaît pas le génocide arménien, a été élu au Collège de France. Le gouvernement doit refuser cette nomination ”. En insistant sur la lourde responsabilité du Collège de France, elle allait jusqu’à écrire que “ le récent vote équivaut à reconnaître un discours négationniste ”. Son analyse n’est, du reste, pas passée inaperçue. Dès le 31 décembre 1998, Michel Cahen80 lui reprochait dans le même quotidien81 de brouiller le débat en confondant “ ceux qui nient l’ampleur et la réalité du génocide arménien, et ceux qui refusent de l’imputer à l’Etat turc. ” Egalement au chapitre des réactions, Libération publiait mercredi 6 janvier 1999 un article intitulé “ Mauvais procès contre un historien ”, sous la plume de Pierre Chuvin82. Difficile d’oublier ce dernier, car sa qualité de membre du comité de rédaction de la revue L’Histoire avait grandement facilité la publication de l’article de son ami Veinstein en 1995… Difficile aussi de s’étonner de son irritation : “ Les attaques en négationnisme du génocide arménien dont vient de faire l’objet Gilles Veinstein, historien reconnu par ses pairs, sont aussi injustes qu’absurdes ”. Dans ce long article, il explique qu’il n’admet pas que les propos de M.Veinstein soient assimilés à ceux de Lewis, et s’appesantit longuement sur le fait que l’orientaliste nie des faits, alors que son ami ne nierait pas les massacres et les atteintes aux droits de l’Homme. 79 Maître de conférences en littérature comparée et secrétaire de l’Association Internationale de Recherche sur les Crimes contre l’Humanité et les Génocides ;voir également la synthèse du Colloque du CDCA sur “ L’actualité du génocide des arméniens ” d’avril 1998 80 Enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux 81 Libération, jeudi 31 décembre 1998, Débats 82 Maître de Conférences à l’Université PARIS X NANTERRE 30 GENOCIDE OU PAS GENOCIDE ? Pour répondre à MM. Cahen et Chuvin, il serait presque suffisant de se référer à la lettre adressée par Gilles Veinstein à Gilbert Dagron83. Il y affirme que le terme de génocide s’applique en effet aux Arméniens, si on l’entend comme “ une amputation massive subie par une population ”, mais il poursuit en constatant “ qu’il n’y a pas de preuve d’une décision prise par le gouvernement de l’époque d’exterminer tous les Arméniens ”, -donc pas de plan concerté-. Cela revient exactement à dire qu’il n’y a pas eu de génocide arménien. Y a-t-il aujourd’hui, en France, une ambiguïté sur la définition du mot génocide ? Il a fait son apparition officielle pour la première fois dans l’acte d’accusation du Tribunal Militaire International de Nuremberg du 8 août 1945, et procède en fait de la définition donnée par le professeur Raphael Lemkin : “ le Génocide est un plan coordonné d’actions différentes qui tendent à détruire les fondations essentielles de la vie des groupes nationaux, dans le but de détruire ces groupes mêmes ”84. De cette définition, découle en fait les définitions retenues dans les textes internationaux85 ou le droit français86 sous la forme d’une incrimination qui ne laisse pas non plus d’ambiguïté en 83 Juillet 1998 Sur cette notion, voir également le Rapport de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. 85 Voir le rapport de la Sous-commission des droits de l’homme des Nations Unies en 1985 (et le livre de Varoujan Attarian, Le Génocide des Arméniens devant l’ONU, Ed. Complexe, Paris 1997) et la Résolution du Parlement européen du 18 juin 1987 : “ (…) est d’avis que les évènements tragiques qui se sont déroulés en 1915-1917 contre les Arméniens établis sur le territoire de l’Empire ottoman constituent un génocide au sens de la Convention pour la prévention et la répression de crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1948… ” 86 Art.211-1 du Nouveau Code pénal : “ Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre de membres de ce groupe, l’un des actes suivants : -atteinte volontaire à la vie ; -soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe ; -mesures visant à entraver les naissances ; -transfert forcé d’enfants. Le génocide est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.(…) ” 84 31 parlant de “ plan concerté ”. Pour faire une analogie, les propos de G. Veinstein reviennent à dire qu’une personne est un criminel qui n’a commis aucun crime, simplement un délit, mais qu’on veut bien qualifier de criminel s’il est précisé qu’il n’a commis qu’un délit. C’est dire en même temps une chose et son contraire. COMMENT QUALIFIER LES PROPOS DE G. VEINSTEIN ? La réponse paraît simple : c’est un refus d’attribuer la qualification de “ génocide ” à des faits reconnus comme tels par ses confrères spécialistes de la question, et dont les travaux ont été entérinés sur le terrain politique au plan international87 ainsi qu’au niveau national par plusieurs Etats88 ou Assemblées89 comme l’a fait récemment l’Assemblée Nationale française dans son vote du 29 mai 1998. Il ne s’agit peut-être pas tout à fait d’une négation globale et systématique car l’auteur a voulu donner un minimum de crédibilité à l’hypothèse qu’il avançait, il valait donc mieux prendre une partie des faits, et déformer une autre partie pour bénéficier de la confusion qui pouvait en résulter. Mais au total, en contestant la qualification reconnue de Génocide, Gilles Veinstein conteste les faits. Et là, bien qu’il se revendique de la rigueur scientifique de l’historien, ses arguments ne résistent pas à la logique. La preuve, et de son propre aveu : “ je dois vous dire que depuis 1995, je n’ai pas suivi toute la production comme je l’avais fait au moment de la rédaction de mon article. ”. A supposer qu’il ait fait ce travail en 1995, voici un historien qui affirme qu’il écrirait aujourd’hui la même chose qu’en 1995 mais qui avoue ne pas avoir suivi les avancées de ses confrères. 87 Voir le Rapport de la Sous-commission des droits de l’homme des Nations Unies en 1985 et la Résolution du Parlement européen du 18 juin 1987 précités. 88 D’Amérique latine ; la Grèce, Chypre,… 32 Dans le même esprit, il avance qu’il n’y a pas de preuve directe du Génocide parce qu’il y a quelques documents qui ne sont plus considérés comme ayant une valeur probatoire par les historiens du Génocide arménien. Chacun sait qu’en la matière, la preuve incontestable d'événements datant du début du siècle n’est pas chose facile à produire, d’autant que la Turquie se pose belle et bien en gardienne de l’impunité, ceux qui ont tenté d’accéder aux archives turques peuvent en témoigner. Quand bien même il existerait des documents qui n’ont pas une valeur proprement documentaire, peut-on occulter pour autant tous les autres et en déduire que les faits n’existent pas ? UN LEWIS DEGUISE On a fait grief à Catherine Coquio de pratiquer une interprétation trop large en comparant Gilles Veinstein à Bernard Lewis. Rappelons que le Tribunal de Grande Instance de Paris90 avait retenu la responsabilité pour faute de l’historien - faute par abstention -car“ c’est en occultant des éléments contraires à sa thèse que le défendeur avait pu affirmer qu’il n’y avait pas de preuve sérieuse du Génocide arménien ”. De manière très comparable, Veinstein occulte des éléments contraires à sa thèse et affirme qu’il n’y a pas de preuve directe du génocide arménien. Certes la revue L’Histoire ne peut être assimilée au journal Le Monde et la thèse de M.Veinstein se présente sous la forme dubitative mais il est clair qu’il s’agit d’une seule et même démarche. TROUVER UNE REPONSE POLITIQUE Il n’est pas utile, ici, d’ouvrir la réflexion sur le thème de la liberté d’expression de l’historien, argument retors que M.Veinstein va puiser dans l’arsenal de la mauvaise foi derrière lequel il s’abrite en jetant la confusion dans les esprits et les idées. De même, l’inanité de ses propos ne justifie aucunement l’ouverture d’un débat historique. 89 Par exemple le Sénat belge le 26 mars 1998. 33 Nous, communauté arménienne qui regrettons que notre histoire ne soit pas enseignée dans les manuels scolaires (dont on peut rappeler au passage que le contenu dépend très directement des enseignants du Collège de France) ; nous dont la communauté se dit indignée de voir le Sénat tarder à examiner la Déclaration de l’Assemblée Nationale, sommes-nous inconscients du danger que représente un Lewis déguisé qui débarque au Collège de France ? Y a-t-il encore des naïfs qui ne sachent pas qu’il existe des formes variées de nuisance à la vérité quand on occupe le degré de responsabilité de M.Veinstein dans la hiérarchie de l’enseignement ? Le CDCA doit-il rester seul dans son travail de sensibilisation et d’action ? Les universitaires - qu’ils soient ou non d’origine arménienne - doivent-ils se sentir soutenus dans leurs prises de positions ou sont-ils condamnés à se taire s’ils veulent conserver leurs postes? Poser ces questions n’est pas vétiller. Une fois de plus, nous avons confirmation que l’action collective est souvent la meilleure des réponses quand il s’agit de défendre des intérêts communs. Ces derniers méritent d’ailleurs à eux seuls une réflexion d’ensemble. A chacun, donc, de donner l’exemple et de prendre ses responsabilités. ROSTOM HANEDANIAN 90 TGI, 21 juin 1995 34 Mémoire et identité : Les enfants arméniens face à l'Histoire Depuis plusieurs années, psychologues, pédagogues, mais aussi psychanalystes, tirent la sonnette d'alarme. Tous affirment que le génocide de 1915 occupe une place centrale dans la mémoire collective des Arméniens. Jusque là, rien d'anormal, si l'on considère le sort réservé aux Arméniens en ce XXème siécle. Mais les spécialistes vont plus loin. Ils estiment que la catastrophe aurait altéré la représentation que les Arméniens ont d'eux-mêmes. Entre autres effets observés, ces derniers vivraient leur histoire comme un échec (dans leur insconscient collectif, bien sûr) et par voie de conséquence, auraient une forte tendance à se déprécier collectivement. Le phénomène a été étudié dans des populations d'enfants et désigné sous le terme générique d'"identité négative". 1- Mémoire collective 1915-1988 : la collusion Lorsque le séisme frappa l'Arménie, un matin de 7 décembre 1988, la guerre du Karabagh sévissait déjà depuis quelques mois. Ainsi, sur nos écrans, en Occident, les images de combat et de catastrophe se succédaient, parfois jusqu'à se confondre. Les pogroms anti-arméniens de Soumgaït et de Bakou, en Azerbaïdjan, étaient encore frais dans les mémoires. Enfin, en point d'orgue de cette période riche en événements dramatiques, se joignait une autre information : l'arrestation par les dirigeants soviétiques des leaders du mouvement du Karabagh, constitué en véritable gouvernement parallèle. "Catastrophe", "résistance", "arrestation", "massacres". Des événements qui n'avaient pas nécessairement de liens réels recevaient, chez les Arméniens de la diaspora, un écho particulier. C'est Pierre Verluise, journaliste français et auteur d'"Arménie, la fracture" 35 qui remarqua le premier l'existence de ce lien symbolique pour toute une communauté. Il établit que la ferveur des quelques Arméniens de diaspora présents sur les lieux du sinistre avait quelque lien avec le passé. Un témoin raconte : "j'ai vu un Arménien de la diaspora en train de s'avancer les bras pleins de couvertures vers les sinistrés d'un village. Il était transfiguré, illuminé de bonheur." Des années plus tard, certains Arméniens avoueront que l'aide qu'ils apportèrent était une manière d'aller au secours de ceux qui n'avaient pu être sauvés en 1915 et qui hantaient le souvenir de leurs propres parents. Verluise ne va pas jusque-là. Il note néanmoins : "On trouve à l'origine de ce sentiment et de cette solidarité, l'inquiétude collective des Arméniens quant à leur survie physique de minorité. Hantés par le génocide, ils surmontent par nature leur divergence quand elle est mise en question." Le noyau central de la mémoire En quelques mois, le tremblement de terre et les conflits politiques du Caucase avaient mis en branle le souvenir d'événements antérieurs. L'expression la plus spectaculaire de cet ancrage est venue sans doute des enfants français d'origine arménienne. Au grand étonnement de certains professeurs d'arménien, le bruit courait parmi les élèves que "les Turcs" étaient "responsables" de ce séisme. Nous avons donc décidé de les interroger individuellement (1), avec l'hypothèse de trouver chez eux une forte collusion entre le passé et le présent. Cette idée s'est trouvée confirmée. Voici ce qu'ils ont produit par écrit. Ainsi, explique Roubina, "Les Arméniens n'ont plus à boire, à manger, et plus d'endroit pour dormir, plus de maison. C'est à cause des Turcs qui se sont emparés de l'Arménie. Beaucoup d'Arméniens sont morts à cause de cette guerre". Rita (11ans) procède au même amalgame. Elle estime que la destruction des maisons et la "famine" en Arménie ont été provoquées par "des bombes venues des Turcs". Les résultats ont été à peu près semblables quelle que soit l'origine culturelle des jeunes sujets (Orient/Occident) et, plus étonnant encore, quel que soit leur niveau d'éducation arménienne (école journalière/centre hebdomadaire/aucun centre). Nous sommes passés à l'étape suivante en soumettant un questionnaire à choix multiples 36 à des enfants, dans une école arménienne de la banlieue parisienne. Les résultats ont été encore une fois révélateurs. Pour plus de la moitié des enfants interrogés, en effet, le nombre de victimes causées par le tremblement de terre du 7 décembre 1988 s'élève à 1 500 000 personnes (ce nombre étant celui des victimes du génocide arménien). Pour la moitié des enfants, ce séisme fut provoqué par les Turcs. Pour quatre cinquième d'entre eux, la guerre du Karabagh opposait les Arméniens aux Turcs (seuls 11% des enfants choisirent la réponse "Azéris"). Enfin, pour plus d'un enfant sur deux, c'est contre les Turcs que Vartan Mamigonian aurait résisté (un quart se sont toutefois souvenu des "Perses"). Pour autant, ces réponses ne doivent pas être considérées comme des erreurs fortuites. Elle viennent confirmer que le souvenir du génocide demeure, quatre générations après, le "noyau central" de la mémoire collective arménienne. 2-Mythe collectif Une histoire atemporelle Avant d'aller plus loin, faisons la distinction entre histoire et mythe. L'histoire, d'une part, consiste en une connaissance savante, élaborée, soumise à des vérifications et des règles particulières de construction. Le mythe, d'autre part, n'est pas nécessairement un travail de la conscience et constitue la colonne vertébrale d'une mémoire commune. L'histoire, à plus forte raison l'histoire officielle, n'est jamais débarassée du mythe ; on pourrait même dire que le second ne cesse jamais d'organiser la première. Toutefois, c'est ce dernier niveau qui prédomine dans le discours produit par les enfants : chez eux, la connaissance des événements n'a pas encore atteint le stade d'un savoir élaboré. Le mythe apparaît à nu, sans le vernis de la culture savante. Les dates qui émaillent leur texte n'ont pas la valeur informative que leur confèrent les adultes. Au contraire, les événements qu'ils rapportent appartiennent à un temps mythique. 37 C'était "il y a longtemps", écrivent-ils. "Avant, tout avant", c'est-à-dire au commencement. Et puis "la guerre continue", enchaînent-ils. C'était autrefois et c'est aujourd'hui. C'est là le propre du mythe : puisé dans le passé, il a le caractère d'une vérité permanente. Autrement dit, il reste, de par la force de son ancrage dans les consciences, y compris pour les adultes, un cadre d'interprétation des événements présents. Demeure, malgré le flou qui entoure leur connaissance, une certitude : "Je sais qu'il y a des Turcs. Et je sais que les Arméniens sont morts", écrit simplement Garo, 8 ans. Pour lui comme pour une majorité d'enfants, c'est là l'information essentielle, comme si en décrire les circonstances était superflu. A partir de ce noyau central d'information, chaque enfant bricole son histoire collective, utilisant des éléments glanés ici ou là, les sources allant de la conversation de table au film Mayrig.. "Les Arméniens se réfugient dans le Karabagh et essaient d'échapper aux Turcs", écrit Sonia, 11 ans. Les combinaisons auxquels procèdent les enfants sont propres à chacun et ont une espérance de vie très courte. Tous les agencements sont possibles du moment qu'ils procurent à l'enfant le sentiment d'une cohérence avec le noyau central. De sorte que leurs récits suivent à peu de chose près, le même fil conducteur, une sorte de "patron". En clair, le mythe collectivement partagé précède en chacun l'acquisition de la connaissance. Acte I : la vie au paradis Ce mythe collectif comporterait trois séquences. Tout commence, toujours, par le bonheur du peuple arménien en des temps immémoriaux. Puis survient la chute du paradis. Enfin, le cas échéant, les enfants évoquent le temps de la revanche sur l'envahisseur ou de la réparation. L'Arménie mythique est un pays paré de toutes les qualités. Elle n'est pas seulement "grande et riche", comme l'explique Johanna, 11 ans. Elle est aussi harmonieuse. "Un 38 jour, écrit Anahid 8 ans, il y avait des Arméniens qui vivaient dans une belle région". "Il y a très longtemps, vivaient des Arméniens qui étaient très heureux", confirme Lori, 8 ans. Pour Rafi, 8 ans, "l'Arménie était en paix, en Liberté". Même avis du côté de Léna 12 ans, pour qui "avant, la vie des gens était paisible". Vanig, 11ans, résume bien le sentiment des enfants de son âge : "il y a très longtemps, l'Arménie était un peuple tranquille, heureux et plein d'harmonie". La majorité des 150 enfants interrogés décrivent l'Arménie des temps premiers comme un paradis terrestre. Le pays, la nature et les hommes vivaient en osmose. Tout respirait la "paix", la "justice", la "liberté", l'"harmonie", la "beauté". Sur les dessins qu'ils produisent, même le soleil est de la partie : il sourit, jetant sur les hommes un regard bienveillant. En somme, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le caractère idyllique de l'Arménie décrite ici s'explique du fait même qu'elle est un paradis perdu. C'est là le principe de toute nostalgie. L'attachement à la terre des ancêtres puiserait son intensité dans un sentiment de perte collective. Acte II : les envahisseurs La croyance en cette Arménie harmonieuse, parée de toute sorte de richesses, a d'ailleurs une fonction logique au sein du mythe. Elle constitue une cause "suffisante" de la venue des ennemis. Le temps du bonheur "n'a pas duré très longtemps", poursuit Johanna, "car les Turcs ont su que l'Arménie était grande et riche et ont voulu faire la guerre pour l'avoir... ils étaient jaloux". Alors déferle l'invasion en un flot ininterrompu. " Un jour, des méchants venaient et les gentils les tuaient. Mais il en venait encore" (Harout, 9 ans). Cette vision dantesque est inspirée par le sentiment d'avoir été dépossédé. "Les Turcs ont tout pris" (Tamar, 8ans). "Les Turcs ont volé une montagne d'Arménie" (Panos, 8ans). "Les Turcs nous ont piqué : les terres, l'or, les maisons (Raffi, 8ans). Le "Turc" est l'incarnation de cette destruction et n'a pas d'autre fonction dans le 39 discours. Il est l'envahisseur, c'est là son essence. La nature des termes utilisés pour décrire ces événements varie. Certains sujets parlent de "génocide" et n'hésitent pas à le rapporter avec force détails. Le film Mayrig a eu un impact considérable sur les populations d'enfants ; en particulier, les scènes du "fer à cheval" et de "l'oasis" sont les plus citées. Il n'en reste pas moins qu'une majorité de jeunes sujets parlent de "guerre" ou de "bataille". Un sentiment est cependant commun à tous ces récits : celui d'une immense défaite. Acte III : le temps de la revanche L'acte trois n'apparaît pas systématiquent dans les textes. Son occurence dépend de la culture de l'enfant. "On se revengera", fait dire Arek, 9 ans, à un chevalier arménien mort sur le champ de bataille ; auquel un autre répond : "t'as raison". "Les Arméniens se rattrappent", écrit Raffi, 9 ans, pour qui les victoires militaires du Karabagh se gagnent contre l'ennemi de jadis. Le dernier acte est celui d'une normalisation. C'est le retour à un ordre tel qu'il existait avant la catastrophe. Les jeunes sujets semblent avoir besoin de conclure par une fin heureuse, sinon par une victoire. Alors, le roi d'Arménie, un brin messianique, réapparaît d'on ne sait où pour restaurer le bonheur et la paix. Au dessus du village reconstruit, le soleil rassure à nouveau les habitants de son sourire protecteur. 3-Crise d'identité Problème d'identification Que le génocide soit central dans la mémoire des Arméniens, voilà qui n'a rien de surprenant. Depuis quelques années, les interventions de psychologues, pédagogues, mais aussi psychanalystes, se sont multipliées pour étayer cette thèse, ponctuées de plusieurs parutions (voir bibliographie). Mais ce sont les conséquences psychologiques 40 de ce phénomène, multiples, qui "posent problème". Chez les enfants, cela se traduit entre autre par une vision défaitiste du rôle du groupe propre dans l'histoire. "Les Arméniens ont donné une montagne aux Turcs", ou "se sont enfuis", ou bien encore "n'ont pas su se défendre". Un enfant dessine Vartan Mamigonian allongé sur le sol, une flèche plantée dans le coeur. Au dessus de lui, un vieil homme est agenouillé - une légende le désigne comme le père de Vartan. Il est mort également, une flèche plantée dans le dos. L'ennemi, lui est triomphant sur son cheval. Il arbore un drapeau à croissant. Traditionnellement, la psychologie sociale définit l'identification comme procesus par lequel l'individu adhère à un groupe et adopte ses valeurs. Or, répétons-le, ce processus n'est possible que si l'adhésion au groupe représente pour le sujet un moyen de se valoriser socialement. Pour le dire autrement, on n'adopte pas une identité par hasard, mais en fonction de l'estime de soi qu'elle peut apporter. Les enfants, pour intégrer leur culture d'origine et construire leur identité, ont besoin de victoire, sinon de réussite collective. On comprend alors qu'une identité collective négative puisse poser aux enfants, comme aux adultes, quelques difficultés. Du rejet au mépris Il est rare que les sujets expriment ouvertement un rejet vis-à-vis de leurs origines. Nous voudrions néanmoins rapporter deux cas particulièrement spectaculaires, bien que de nature différente, où l'héritage historique posait un "problème d'identité". Le premier nous a été rapporté par S., une militante de 40 ans, et concerne un épisode de sa propre enfance. "...Un jour, j'ai dit à mes parents : "je ne veux plus être arménienne". Ils sont tombés des nus. Dans ma tête, c'était décidé. Pourquoi j'ai dit ça ? Je ne sais pas. ...J'avais cinq ans. Je crois que j'avais déjà conscience de la charge que ça allait 41 représenter." Cette dernière remarque en forme de boutade est la preuve que derrière un rejet apparent, l'enfant formulait en négatif la conscience de sa responsabilité. Elle effectuait, si l'on peut dire, l'intégration d'un désir familial, d'un projet collectif. En ce sens, le deuxième cas est beaucoup plus dramatique, puisqu'il est, à l'opposé, de l'ordre du mépris systématique. J. avait quinze ans et redoublait sa classe de troisième. Né en France, de père arménien, de mère italienne, il affirme ne pas se sentir à l'aise dans son école bilingue de la région parisienne. Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité arménienne lui inspire un humour corrosif. Quand quelqu'un aborde la question du Karabagh, les mots se font durs : "Les Arméniens me font rigoler avec leur char à deux balles". "Dans ce pays, y'a que des pauvres". L'image donnée par J. des Arméniens est celle de la misère, de l'impuissance, en un mot, de la défaite. "La preuve : les Arméniens ont été battus par les Turcs". J. conclut : "Les Arméniens me font pitié". Comment en effet J. pourrait-il s'identifier à un groupe qu'il exècre ? Les parents aussi Cette représentation négative de soi ne touche pas seulement les enfants, cela va de soi. Toutefois, il serait long de dresser l'inventaire de toutes les formes d'attitude qui traduisent cette propension à l'auto-dévaluation. D'autant que son expression dépend de variables culturelles sur lesquelles nous n'avons pas loisirs ici de nous étendre. D'autre part, un groupe constitué ne réagira pas comme un individu isolé (la revendication politique, par exemple, a précisément pour fonction de revaloriser l'identité culturelle). C'est pourquoi la violence avec laquelle s'exerce ce dénigrement est extrêment variable. Néanmoins, voici un exemple qui peut faire sourire. Prenons l'expression "Haïagagan Kordz" (travail d'Arménien), passée depuis longtemps dans le langage courant. Elle traduit, pour ceux qui l'utilisent, l'idée qu'un travail est baclé, ou qu'une activité ne se déroule pas selon les règles : une réunion d'association ou un spectacle qui prend du retard, des fautes de frappe sur un tract ou un programme, etc.. Les exemples ne 42 manquent pas où un partipant, pour juger négativement une activité, la qualifie d'"arménienne", là où le Français moyennement (nous ne dirons pas "normalement") raciste parle de "travail d'arabe". Derrière la boutade, pointe le mépris, et l'idée que tel ou tel dysfonctionnement est imputable à la nature même de l'Arménien. Tourner vers l'extérieur cette attitude correspond à du racisme. Tourner contre soi, elle devient une forme d'aliénation. Changement des mentalités ? Pour être tout à fait clair, disons que l'aliénation, dans ce cas, consiste à attribuer au groupe d'origine une position hiérarchiquement inférieure aux principaux groupes de référence. Ainsi, le "Français" et le "Juif", apparaissant comme les référents majeurs, représentent respectivement le modèle de société et le modèle de communauté. Ainsi, l'Arménien ne sera pas seulement jugé comme "irrespectueux des horaires" (comme le laisse entendre l'expression d'"heure arménienne"), "inorganisé" ou "individualiste", il sera finalement opposé, par comparaison, au Français, jugé "ponctuel", "rationnel", tandis que le Juif apparaitra "solidaire" avec les siens. On ne doit toutefois pas croire que l'identité négative se restreint au cadre anecdotique des "propos de comptoir". Au quotidien, le mépris de la culture d'origine, doublé d'une glorification de la culture "d'accueil", n'est pas sans conséquence sur les rapports sociaux et politiques ; sans doute ces processus ne sont pas totalement étrangers à la discrétion "pathologique" de la communauté arménienne de France. Le diagnostic établi ici pourra paraître incomplet, donc simpliste. Et d'autant plus expéditif que nous n'exposerons pas les diverses solutions pourtant existantes. Notons, en guise de conclusion un aspect encourageant de cette question. Les "spécialistes" en psychologie n'ont en réalité fait qu'approfondir un problème depuis longtemps pressenti par les populations concernées. Malgré son imprécision, le langage courant fait état d'un "complexe arménien". N'est-ce pas déjà la marque d'une prise de conscience ? Signe 43 d'une possible évolution des mentalités, le vocable est passé dans le langage présidentiel. Ainsi, Robert Kotcharian n'a-t-il pas déclaré à propos de la politique étrangère de l'Arménie : "Nous devons nous débarrasser de notre complexe"? Varoujan SARKISSIAN (1) Mémoire et identité collectives chez des enfants arméniens, Mémoire de diplôme de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale, Direction Denise Jodelet, Psychologie Sociale, 1994 Les Arméniens et l'Arménie La démission du Président Ter Pétrossian : une analyse juridique et politique L'équilibre des pouvoirs dans la Constitution arménienne 44 La démission du Président Levon Ter-Petrossian Une analyse juridique et politique91 La démission d'un Président de la République est un phénomène exceptionnel et extrême qui révèle l'épuisement de toutes les autres solutions constitutionnelles face à une crise politique grave. Dans le cas de la démission du Président de la République d’Arménie, Levon Ter-Petrossian, en février 1998, le phénomène est d'autant plus inquiétant que son départ n'est pas la conséquence de l'expression de la souveraineté nationale : le Président de la République a quitté son pouvoir, ni suite à une procédure de destitution initiée par le pouvoir législatif détenteur de la souveraineté nationale, ni par le peuple souverain. Du point de vue juridique, il est intéressant de savoir si des solutions à des crises politiques sont envisagées dans la Constitution arménienne. C'est de loin la raison d'être d'une Constitution. Si la réponse est négative, alors, il est possible de conclure que la Constitution d'Arménie a de sérieuses carences. En revanche, si la réponse est positive, c'est-à-dire, si la Constitution propose d'autres solutions, alors une autre interrogation se pose : pourquoi Levon Ter-Petrossian n'a pas pu faire usage des autres possibilités qui lui sont accordées par la Constitution mais il a opté pour la solution extrême, la démission? Nous allons donc examiner les solutions prévues par la Constitution pour être convaincus que l'ancien Président de la République a fait le meilleur des choix, s'il avait la possibilité d'en choisir un autre. Mais avant d'énumérer et de commenter ces solutions, nous allons survoler les événements politiques d'Arménie les plus significatifs qui l'ont conduit à démissionner. A - Les facteurs politiques de la démission du Président Ter-Petrossian D'une façon générale, le pouvoir du Président de la République, dans un Etat 91 . Le présent article est la version française de l'article paru en arménien dans Haratch le 23, 24 et 25 juin 1998 avec quelques modifications apportées par l'auteur. 45 démocratique, est fondé sur deux colonnes, deux appuis : le peuple et le Parlement. En cas d'absence de l'un de ces appuis, le Président de la République peut asseoir sa légitimité politique en s'appuyant sur l'autre. Si un Président élu par le peuple perd avec le temps la confiance des électeurs, il peut s'appuyer sur le soutien de la majorité parlementaire. De même, si c'est le soutien du Parlement qui lui fait défaut, alors, le Président de la République peut s'appuyer sur le peuple afin de réaffirmer son pouvoir. Ceci peut se traduire notamment par la possibilité du Président de la République de dissoudre le Parlement. Par conséquent, la qualité la plus importante d'un homme politique est de pouvoir mettre tout en oeuvre afin de disposer du soutien d'au moins de l'une de ces deux colonnes, et au besoin, de prendre des mesures afin de remplacer la perte éventuelle de l'une d'elles par l'autre pour affirmer sa légitimité. Dans le cas de l'Arménie, nous le verrons plus tard, le Président arménien ne disposait pas de ces deux appuis ; au contraire, il avait bâti sa légitimité politique sur une troisième colonne, le Gouvernement, qui venait se substituer aux deux premières. a - Ce sont les élections présidentielles de 1996 qui sont à l'origine de la démission de L. Ter-Petrossian. Ces élections ont eu lieu dans un climat tendu qui a abouti aux manifestations, à l'intervention de l'armée et aux arrestations des 25 et 26 septembre 1996. Les pouvoirs constitutionnels attribués au Président arménien ont permis à L. Ter-Petrossian de rétablir l'ordre et de se maintenir au pouvoir. Probablement conscient de l'absence du soutien populaire mais convaincu de sa nécessité, le Président Ter-Petrossian a multiplié les tentatives de le reconquérir en 1997 : il y a eu la fameuse rencontre avec les journalistes le 26 septembre 1997, une rencontre qui n'était pas dans ses habitudes ; il y a eu aussi son article du 1er novembre 1997 paru dans le quotidien Hayasdani Hanrabédoutioun (République d'Arménie) intitulé "Guerre ou paix : le moment d'être sérieux". Tout ceci était probablement des tentatives d'explication pour regagner le soutien des citoyens. Aujourd'hui, certains hommes politiques arméniens, même parmi les proches de L. TerPetrossian, parlent de sa défaite (avec seulement 35 % des scrutins) et de l'incontestable 46 victoire de V. Manoukian (avec plus de 60 %) lors des élections présidentielles de 1996. Si nous admettons la véracité de ces chiffres, alors L. Ter-Petrossian devait son maintien au pouvoir non pas au soutien du peuple d'Arménie, mais exclusivement à l'intervention de l'armée arménienne en septembre 1996. b - La rupture des alliances au sein du Parlement arménien peut être considérée comme le deuxième facteur de la démission de L. Ter-Petrossian. Le Mouvement national arménien (MNA) et les partis politiques réunis autour de lui ont formé le bloc République qui a obtenu plus de 60 % des sièges de l'Assemblée nationale arménienne aux élections législatives de 1995. Etant une coalition de partis politiques soutenant L. Ter-Petrossian, le bloc République fut l'appui parlementaire du Président de la République, l'indispensable deuxième colonne. Mais, solide et stable en apparence, le bloc République a subi deux secousses. La première concerne les confrontations entre les dirigeants du MNA lui même, notamment l'isolement d'Edouard Yégorian, l'un des chefs du MNA. Etant partisan du rétablissement du dialogue avec les partis de l'opposition, E. Yégorian était convaincu de la nécessité de la dissolution anticipée de l'Assemblée nationale afin de conserver la paix civile. Pour faire adopter son approche à son parti, la stratégie de E. Yégorian fut d'être élu Président du MNA. Cette tentative sera avortée par l'élection de Vano Siradéghian à la présidence du MNA en fin 1997. Isolé ainsi à l'intérieur du MNA, E. Yégorian formera au sein du Parlement le groupe Patrie constitué d'anciens membres du MNA et quittera le bloc République. La deuxième secousse concerne la création, au deuxième semestre de 1997, du groupe parlementaire Gardiens du pays. Issus des rangs du bloc République, les Gardiens s'identifient avec Vazken Sarksian, ministre de la Défense d'Arménie, notamment sur la question du Haut Karabakh. Grâce au modus vivendi entre les partis de la majorité parlementaire, la formation du groupe Gardiens du pays ne déstabilisera pas dans l'immédiat le bloc République. C'est l'approche d'une signature imminente de l'accord proposé par l'OSCE sur la résolution du conflit du Haut Karabakh qui a divulgué les 47 contradictions internes du bloc République et a fragilisé ainsi son équilibre et sa cohésion. Ces deux ruptures auraient dû inquiéter les dirigeants du MNA. Mais ces derniers n'ont pas compris que les fissures au sein du bloc République pouvaient priver L. TerPetrossian d'une majorité parlementaire indispensable en temps de crise politique. Inconscient, le MNA ne prendra aucune initiative pour remplacer les partis politiques quittant la majorité par d'autres pour consolider le bloc République. Par ailleurs, l'affaiblissement systématique et l'aliénation des autres partis de l'échiquier politique par le MNA ne permettront pas la réalisation de nouvelles alliances. En d'autres termes, d'un côté l'implosion du MNA et de l'autre l'impossibilité de nouer de nouvelles alliances avec les partis de l'opposition ont dépourvu le Président de la République de la possibilité de s'abriter derrière une majorité parlementaire lors de la crise politique de février 1998. c - Dès lors, en l'absence de l'appui du peuple et du Parlement, le pouvoir politique de L. Ter-Petrossian était dépendant exclusivement de la troisième colonne, le Gouvernement. Cette dépendance a survécu jusqu'au jour où le Gouvernement a cessé de défendre le Président. L'attitude qualifiée de défaitiste de L. Ter-Petrossian dans les négociations sur le Haut Karabakh a joué un rôle déterminant dans le divorce entre le Gouvernement et le Président arménien. L'analyse de R. Kotcharian (Premier ministre), de V. Sarksian (ministre de la Défense) et de S. Sarksian (ministre de l'Intérieur) sur le Karabakh étant radicalement opposée à celle de L. Ter-Petrossian, les positions inconciliables se sont transformées en une confrontation verbale, notamment lors de la fameuse réunion du Conseil de sécurité d'Arménie en janvier 1998. Plus tard, le pays fut secoué par les attentats du 18 et 20 janvier 1998 qui avaient pour cible des personnalités politiques et militaires. Les attentats ont donné l'occasion aux 48 dirigeants du MNA d'inviter le Président de la République à prendre les mesures dictées par la situation : mettre en oeuvre le point 14 de l'article 55 de la Constitution, assumer son pouvoir constitutionnel de commandant en chef des armées et renvoyer le Gouvernement. Dès lors, le pays se retrouvait face à une crise institutionnelle pouvant conduire à la guerre civile. Partant des rapports de force examinés ci-avant, quelle issue constitutionnelle restait-il au Président de la République? B - Les pouvoirs constitutionnels du Président en cas de crise politique Dans son allocution du 3 février 1998, L. Ter-Petrossian a déclaré : "Compte tenu du fait que l'exercice des pouvoirs présidentiels définis par la Constitution présente, dans la situation actuelle, un réel danger de déstabilisation pour le pays, ... [j']annonce ma démission". ... Si je prends la décision de démissionner, croyez-le, cela signifie que je considère la solution alternative plus dangereuse pour notre Etat.92 Quels étaient les "pouvoirs constitutionnels du Président" auxquels L. Ter-Petrossian faisait allusion ? Est-ce qu'une solution autre que la démission était vraiment "plus dangereuse" pour l'Arménie ? Pour trouver des éléments de réponse, nous nous référerons à la Constitution arménienne. a - D'après le point 3 de l'article 55 de la Constitution, le Président de la République dispose du droit de dissoudre l'Assemblée nationale. Sa dissolution en février dernier aurait pu paraître comme un recours au peuple : Levon Ter-Petrossian aurait demandé au peuple d'élire une majorité parlementaire proche de ses orientations politiques. En même temps, il aurait annoncé que dans le cas où le peuple élirait une 92 . Voir la version française de l'allocution présidentielle dans La lettre de l'UGAB, n° 208, samedi 7 février 1998, p. 1. 49 majorité hostile, il présenterait sa démission. Deux issues étaient possibles. Soit l'opposition obtenait la majorité parlementaire et un nouveau Gouvernement, issu de ses rangs, aurait alors été constitué. Cette hypothèse, qui aurait traduit l'échec de L. Ter-Petrossian de pouvoir convaincre les électeurs, lui aurait servi d'argument valide pour annoncer sa démission. La deuxième hypothèse est celle où le MNA aurait été reconduit au Parlement, ce qui aurait impliqué que la majorité des électeurs aurait préféré la politique proposée par L. Ter-Petrossian. Le Premier ministre aurait alors présenté la démission du Gouvernement.93 Cette deuxième hypothèse aurait permis à L. Ter-Petrossian de disposer non seulement d'une majorité parlementaire, mais de reconquérir le soutien du peuple. En d'autres termes, les deux colonnes indispensables au pouvoir du Président auraient été reconquises et sa dépendance exclusive du Gouvernement aurait disparue. Le Président de la République n'a pas opté pour cette solution parce qu'il était évident que la majorité du peuple ne partageait pas ses points de vue et que le MNA ne serait pas reconduit à l'Assemblée nationale. Par conséquent, il n'y avait aucune garantie que les élections anticipées auraient assuré au Président de la République une majorité parlementaire qui aurait soutenu sa politique. Néanmoins, il était possible que L. TerPetrossian choisisse cette solution si la deuxième raison, le danger que les élections parlementaires anticipées auraient pu déstabiliser le pays, n'aurait dissuadé L. TerPetrossian. Dès lors, il devait chercher une autre solution constitutionnelle. b - Quand le fonctionnement des pouvoirs publics est menacé, le point 14 de l'article 55 de la Constitution permet au Président de la République de prendre des mesures qui ont pour objectif le rétablissement de l'ordre constitutionnel. L'usage de cette disposition était possible à l'occasion des attentats ci-avant mentionnés. Pour pouvoir appliquer le point 14 de l'article 55 de la Constitution, le Président arménien doit surmonter trois étapes ou obstacles successifs : 93 . Ceci est prévu par la Constitution : d'après l'article 74, le Premier ministre doit demander le vote 50 i - Le Président de la République doit consulter le Président de l'Assemblée nationale et le Premier ministre avant l'application du point 14 de l'article 55. Sous la lumière des événements de février, il est clair que le premier de ces deux hommes, B. Ararktsian (MNA), aurait donné son accord à l'application de cette disposition. Au contraire, le Premier ministre R. Kotcharian aurait très probablement exprimé son désaccord. Mais, même dans le cas d'opposition du Premier ministre, le Président de la République aurait pu l'appliquer, puisque, d'après la Constitution, il n'est pas lié par les avis du Président de l'Assemblée nationale ou du Premier ministre. ii - Après avoir surmonté cette première étape, le Président de la République se trouve alors face aux députés : la Constitution arménienne permet à au moins un-tiers de l'Assemblée nationale (c'est-à-dire 64 députés) de prendre l'initiative de suspendre l'application du point 14 de l'article 55. La procédure de suspension doit suivre les deux étapes suivantes : - Primo, au moins 64 députés doivent saisir la Cour constitutionnelle (Art. 100, Point 2 de la Constitution). En se référant aux événements de février 1998, il est possible d'affirmer que les partis de l'opposition, y compris les Gardiens du pays, disposaient au Parlement d'un nombre de députés supérieur à celui exigé par la Constitution pour pouvoir saisir la Cour constitutionnelle.94 - Secundo, l'Assemblée nationale examine la question de suspendre l'application du point 14 après réception de la conclusion de la Cour constitutionnelle (d'après la législation, la Cour constitutionnelle doit publier sa conclusion pendant les 24 heures qui suivent la réception de la saisine). L'Assemblée nationale, par la majorité des voix des députés présents, peut alors décider de suspendre l'application du point 14 de l'article 55 (Art. 71, et Art 81, al. 2 de la Constitution). Encore une fois, si nous prenons en compte le nombre des députés de l'opposition au début de cette année, l'Assemblée nationale aurait pu mettre fin à l'application du point 14 de l'article 55 de la Constitution.95 de confiance du Parlement après chaque élection législative. 94 . Dans cet article, nous nous appuierons sur la déduction qu'au début de l'année en cours le nombre de députés au Parlement soutenant L. Ter-Petrossian ne dépassait pas 53, c'est-à-dire, le nombre des députés du MNA. 95 . D'après la Constitution arménienne, les conclusions de la Cour constitutionnelle sont ni définitives ni obligatoires : même si la Cour conclue que les conditions sont réunies pour mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels, l'Assemblée nationale peut toujours y mettre fin. 51 C'est ici que l'on peut voir l'importance pour un Président de la République de disposer d'une majorité au sein de l'Assemblée nationale. L. Ter-Petrossian n'aurait eu aucune difficulté à appliquer le point 14 de l'article 55 de la Constitution en février 1998 si le MNA avait pris en son temps des mesures pour renforcer la majorité République au Parlement. iii - Au cas où l'Assemblée nationale n'aurait pas pu suspendre l'application du point 14, L. Ter-Petrossian serait heurté, cette fois-ci, au troisième obstacle, à la résistance du Gouvernement. Car, appliquer le point 14 de l'article 55 de la Constitution équivaut à saisir une partie des compétences du Gouvernement, y compris les pouvoirs des ministres de l'Intérieur et de la Défense, ce qui aurait pu provoquer des confrontations en haut lieu du pouvoir. Il est clair que l'usage de chacun des pouvoirs présidentiels examinés plus haut poursuivait le même objectif -- celui de résoudre la crise de février au profit du Président arménien en se "débarrassant" du Gouvernement. Ce résultat était recherché aussi bien par la dissolution de l'Assemblée nationale que par l'application du point 14 de l'article 55 de la Constitution. Mais outre les moyens examinés, il y avait un troisième moyen, plus direct, pour se "débarrasser" du Gouvernement : L. TerPetrossian pouvait tout simplement renvoyer le Premier ministre et les ministres de l'Intérieur et de la Défense. c - C'est le point 4 de l'article 55 de la Constitution qui réglemente la question de la démission du Gouvernement. D'après cette disposition : [Le Président de la République] nomme et renvoie le Premier ministre. Sur proposition du Premier ministre, nomme et renvoie les membres du Gouvernement. Dans les 20 jours qui suivent la motion de censure votée par l'Assemblée nationale, [le Président de la République] accepte la démission du Gouvernement, nomme un Premier ministre et forme le Gouvernement. 52 Comme le confirmait B. Ararktsian en janvier 1998, la censure du Gouvernement par l'Assemblée nationale d'Arménie n'était pas envisagée.96 Par conséquent, le renvoi du Gouvernement incombait exclusivement à L. Ter-Petrossian. Le Président de la République n'avait aucun empêchement pour renvoyer le Premier ministre, mais il ne pouvait pas renvoyer les ministres : d'après la disposition constitutionnelle susmentionnée, si le Premier ministre, même démissionnaire, ne demande pas expressément au Président de la République d'accepter la démission du Gouvernement, les ministres restent à leurs postes (une telle pratique institutionnelle a son précédent en Arménie : en 1997, lors de la démission du Premier ministre Armen Sarksian, tous les ministres de son Gouvernement sont restés à leur fonction). Par conséquent, en février 1998, le renvoi du Premier ministre en lui même n'était pas suffisant pour se "débarrasser" des deux ministres en question. La raison pour laquelle L. Ter-Petrossian n'a pas pu renvoyer le Gouvernement de R. Kotcharian relève des rapports de force entre le Président de la République et les ministres de l'Intérieur et de la Défense. Rappelons seulement le fait que dans les conditions d'impopularité et d'absence du soutien du Parlement, les renvoyer était équivalant à se défaire du dernier et du seul soutien sur lequel L. Ter-Petrossian s'appuyait encore. Politiquement, il ne pouvait pas renvoyer les ministres grâce auxquels il était devenu Président de la République. d - Outre la démission et les trois solutions examinées ci haut, il restait à L. Ter-Petrossian une quatrième et dernière solution prévue par la Constitution : celle de ne pas démissionner. En effet, aucune disposition constitutionnelle n'oblige le Président de la République à démissionner de sa fonction. La particularité de la Constitution arménienne réside dans le fait que, lorsque la majorité parlementaire est hostile au Président de la République, le régime fonctionne comme un régime parlementaire : le Président de la République reste à son poste mais perd une 96 . Voir Haratch, 31 janvier 1998, p. 1. 53 grande partie de ses pouvoirs constitutionnels. Le pays est dirigé par le Premier ministre et le Président de la République devient, tout au plus, une figure symbolique sans pouvoir réel.97 Probablement, une telle solution était inacceptable pour L. TerPetrossian, car, ceci n'était rien d'autre qu'une démission non-annoncée. En d'autres termes, dans les conditions d'absence d'appui du peuple, du Parlement et du Gouvernement, il restait à L. Ter-Petrossian une seule et dernière solution : démissionner. Conclusion Notre objectif n'était pas de porter un jugement de valeur sur les dirigeants politiques de la crise de février 1998 mais d'évaluer objectivement les facteurs et les circonstances politiques et juridiques qui ont concouru à la démission de Levon Ter-Petrossian. Et notre analyse a montré que si le pouvoir du Président de la République est bâti non pas sur le soutien du Peuple ou du Parlement mais sur le Gouvernement, alors ce pouvoir est dérisoire, il n'est qu'illusion. Khatchig SOUKIASSIAN Membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe 97 . Pour une description plus détaillée de la limitation des compétences du Président d'Arménie en cas de cohabitation, lire l'article du même auteur intitulé "Les pouvoirs constitutionnels du Président de la République et le régime institutionnel de la République d'Arménie" dans Haratch, 2 et 3 février 1996, p. 2. 54 L’équilibre des pouvoirs dans la Constitution arménienne “ On ne fournit pas une Constitution clef en main comme une usine de traitement des eaux. Il y a quelqu’un qui le fait, il s’appelle B..., c’est un Américain. Il arrive dans les pays, il dit “ voila, j’ai mon catalogue de Constitutions, ça vaut 250 000 dollars ”. A ma connaissance, il s’est fait refuser partout. Mais on l’a vu à Varsovie l’été dernier, et il était horrifié d’ailleurs, parce que les français se mêlaient de ces questions et le faisaient gratuitement, ce qui pour un Américain paraissait scandaleux, d’une part, que les Français puissent penser qu’il y a autre chose que les Etats-Unis et d’autre part, qu’ils ne fassent pas payer leur art ”. Propos d’un constitutionnaliste français (entretien, juin 1992)98 Constitution-. La IIIeme République d’Arménie s’inscrit dans le cadre général de l’importation des modèles institutionnels occidentaux99, dans les pays issus de l’éclatement du bloc soviétique. L’importation peut être définie comme le transfert, au sein d’une société donnée, d’un modèle, ou d’une pratique de nature politique, économique et sociale, forgé et inventé dans une histoire qui lui est étrangère, et qui relève d’un ordre social fondamentalement différent100. Ainsi, le transfert, au sein de la société arménienne, du modèle institutionnel français fondé sur la Constitution de 1958 a permis la nécessaire substitution de régimes politiques, évitant ainsi le vide institutionnel. Cependant, il a mis l’accent, d’une part, sur l’absence de maturation politico-historique adaptée de la société de réception ; d’autre part, sur l’impossibilité pour celle-ci de ne pas tenir compte, dans l’absorption du modèle, de sa propre spécificité structurelle. 98 Tiré de : “ les pèlerins constitutionnels ”, R DORANDEV, in Les politiques du mimétisme institutionnel, sous la direction d’Y. MENY, L’Harmattan, 1993. 99 Sur la notion : L’Etat importé, B. BADIE, Fayard, 1992. 100 Définition de B. BADIE in Ordre et désordre dans le monde, Cahier français, N°263. 55 Quatre années auront suffit à la jeune République d’Arménie pour adopter une Constitution démocratique101. Mais la substitution de régimes a pris une orientation plus économique qu’institutionnelle. Ainsi, la Constitution a été, en soi, un passeport d’entrée sur le marché libéral, et le tampon “ Etat de Droit ”, son visa crédibilisant son accès à la scène internationale. Séparation des pouvoirs-. Toutefois, la Constitution arménienne de 1995 s’est organisée autour des règles du jeu démocratique, en proclamant expressément, dans son article 5, que “ le pouvoir d’Etat est exercé conformément à la Constitution et aux lois, selon le principe de séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ”. Le second alinéa ajoute : “ les organismes d’Etat et les fonctionnaires ne peuvent faire que les actes autorisés par la législation. ” Il en résulte plusieurs remarques relatives à la réception de la notion de séparation des pouvoirs en Arménie. D’une part, la séparation des pouvoirs a été acceptée en réaction opposée au système antérieur : l’unité des pouvoirs. Son appréhension s’est donc faite en deux temps, l’un ayant conforté l’autre : une réaction d’auto-protection face à la concentration des pouvoirs, à laquelle s’est substituée une politique de mimétisme institutionnel102. D’autre part, l’alinéa 2 relatif au caractère légal des actes de puissance publique a été placé, semble-t-il, en complément du principe de séparation des pouvoirs. Non seulement ce principe colossal n’a pas fait l’objet d’un article pour lui-même, mais l’alinéa 2 fait office d’une interprétation restrictive, en en révélant une séparation oblique : l’objet de la séparation des pouvoirs est avant tout une protection contre une pratique administrative abusive. A contrario, s’il n’y avait pas de séparation des pouvoirs, les organismes d’Etat et les fonctionnaires pourraient faire des actes nonautorisés par la législation. 101 La proclamation d’indépendance datant du 21 septembre 1991, et l’adoption de la Constitution, du 5 juillet 1995. 102 Sur la notion : précité, Les politiques du mimétisme institutionnel. 56 La réception de la notion de séparation des pouvoirs semble paralysée par la crainte de la toute-puissance de l’administration elle-même. Elle s’attaque directement à de qui n’est pourtant que le bras séculier du véritable pouvoir ; ce qui crée un décalage dans l’article 5 entre la proclamation d’un principe et sa mise en œuvre abaissée au rang de l’administration. Equilibre des pouvoirs-. Une fois séparés, ces pouvoirs ont été organisés. Néanmoins, la notion d’équilibre des pouvoirs n’a pas été expressément évoquée dans la Constitution. Il semble que la théorie de l’équilibre des pouvoirs ait reçu une interprétation formaliste, où seule sa caractéristique fonctionnelle de mise en oeuvre de séparation des pouvoirs ait été retenue. La doctrine de l’équilibre des pouvoirs, en théorie constitutionnelle est fondée sur l’idée d’un contrôle réciproque et d’un balancement entre l’exécutif et le legislatif. Or, on ne comprend pas que séparation des pouvoirs suppose également collaboration des pouvoirs. Equilibre virtuel-. La construction de l’objet “ équilibre des pouvoirs ” restera virtuelle tant que l’irréductible conflit entre les pouvoirs demeurera plus politique qu’institutionnel. Les dirigeants politiques eux-mêmes se justifient pour des “ raisons politiques ” qui échapperaient au domaine de la Constitution103. Ainsi, ne pas comprendre la soumission de la décision politique au droit revient à, d’une part, trahir la définition de l’Etat de droit, dont on se réclame dans les textes, d’autre part, à créer une zone de non-droit ou le politique revendiquerait un intérêt supérieur à la Constitution. L’équilibre mimé est ainsi rendu virtuel par la bipolarisation d’un ordre attractif réel : un stratégie d’importation du modèle et une attraction du processus de décision politique 103 Pouvoirs, n°65, 1993, “ Réflexion sur la notion de transition démocratique en Europe occidentale et 57 par des pôles de pouvoirs concurrentiels. Mimétisme-. Le régime arménien est largement inspiré de la Constitution française de 1958, jusque dans sa terminologie : le “ Président de la République ”, élu au suffrage universel, “ garant de la constitution ”, peut “ dissoudre l’Assemblée Nationale ” ; le gouvernement, dirigé par le Premier ministre “ assure l’exercice du pouvoir exécutif ” (article 85 de la Constitution) ; l’Assemblée Nationale peut poser une “ motion de censure ” pour engager la responsabilité du gouvernement, et est également élue au suffrage universel. On retrouve ainsi en Arménie la double spécificité constitutionnelle de la France : un exécutif tout-puissant, et un régime dual104. Stratégie d’instauration-. Il semble que la préoccupation majeure des constituants arméniens n’ait pas tant porté sur le type de régime à adopter, que sur l’instauration d’une place prééminente d’un chef, d’une personnification du pouvoir : le Président de la République. La Constitution arménienne sera donc taillée aux mesures du Président en exercice, Levon Ter Petrossian, comme celle de 1958 l’avait été par le général De Gaulle. En février 1993, deux experts français ont été sollicités pour avis sur l’élaboration de la Constitution arménienne105. Il ne s’agissait pas pour eux d’imposer leur modèle à la société de réception. En règle générale, le rôle du pèlerin constitutionnel106 est de réagir à une demande. Le travail de l’expert était celui d’un technicien apportant des outils, mais laissant les constitutionnalistes arméniens construire leur propre Constitution, tout en ayant pour ligne de conduite de concilier stabilité et démocratie. En l’espèce, la demande était clairement formulée : légitimer un chef d’Etat aux pouvoirs étendus. Séduction-. La séduction de l’Arménie par le modèle français tient au premier critère de sa spécificité constitutionnelle : un exécutif tout-puissant. La France connaît le régime le orientale ”, C. BIDEGARAY, p. 143. 104 Sur la spécificité constitutionnelle de la France : les démocraties, O. DUHAMEL, Seuil, 1993. 105 M. Lesage, Professeur à l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne et M. Pochard, Conseiller d'Etat 58 plus présidentialiste qu’il soit en démocratie. Bien que son fondement soit profondément ancré dans le parlementarisme - le Président peut dissoudre l’Assemblée Nationale, et en contrepartie, l’Assemblée peut engager la responsabilité du gouvernement-, les pouvoirs considérables du chef de l’Etat conditionnent l’équilibre des pouvoirs : dissolution , recours au référendum, nomination du Premier ministre,... en font “ le plus gouvernementaliste des régimes parlementaires ”107. La spécificité constitutionnelle d’un Etat aussi hybride que la France était-elle importable dans la jeune République qui, de facto, n’a pas acquis une maturation politico-historique jumelle, mais qui juridiquement, se verrait propulsée subitement à sa maturité politique ? Il convient d’analyser les conditions dans lesquelles a été réalisée cette importation de technologie institutionnelle. Importateur-. L’importation a été l’objet d’une commande expresse d’un importateur. Celui-ci peut être défini comme l’acteur qui, dans l’Etat-client, prend l’initiative de la mise en place d’un système institutionnel, calqué sur le système préexistant et choisi d’un Etat-modèle. Théoriquement, il découle du principe de la souveraineté constituante que la Constitution doit venir du peuple. Dès lors, l’importateur est-il et peut-il être le peuple? L’importation - c’est-à-dire, faire venir de l’extérieur- traduit un manque, une carence à combler, due à l’incapacité matérielle et intellectuelle à produire sur place. La Nation ne peut donc pas décider de ce qu’elle ne comprend pas. La Nation, dans la logique d’importation, peut tout au plus, choisir parmi les modèles proposés, mais elle n’est plus dès lors, à l’initiative de la Constitution. En l’espèce, la Nation arménienne n’a été consultée que pour approuver un texte imposé ; l’importation institutionnelle étant restée “ affaires d’élites ”108. Le transfert de technologie a été réalisé dans le cadre d’une stratégie d’importation. L’importateur -ou le stratège- était le Président de la République, Levon Ter Petrossian, élu après l’indépendance de l’Arménie. L’objet de la stratégie était l’institutionnalisation d’un 106 Sur l’expression : précité, Les politiques du mimétisme institutionnel. Précité, in Les démocraties. 108 Tiré de : “ Les pèlerins constitutionnels ”, précité. 107 59 chef d’Etat puissant. L’hyper-présidentialisme du modèle français a permis au comité consultatif, nommé pour rédiger une Constitution, de présenter à L. Ter Petrossian un projet reflétant sa volonté. La Constitution n’émane donc pas du peuple. L’importateur ayant été l’un des acteurs conditionnant l’équilibre des pouvoirs ; peut-on dès lors parler d'“ équilibre ”? Bicéphalisme-. La séduction de l’Arménie par le modèle français a conduit à l’institutionnalisation d’un exécutif bicéphale, composé d’un Président de la République et d’un gouvernement dirigé par un Premier Ministre. Les propositions des experts américains tendaient - et tendent encore- à n’instituer qu’un Président de la République, seul détenteur du pouvoir exécutif. Néanmoins, un argument-clef a déterminé l’importateur à instituer une deuxième tête : le Premier ministre est un fusible109. Ainsi, l’argument du Premier Ministre-fusible tend à satisfaire aux préoccupations du pèlerinage constitutionnel en permettant au Président de la République d’incarner la stabilité et la continuité, en cas de crise gouvernementale, tout en répondant à la stratégie de l’importateur. Néanmoins, l’importation du Premier Ministre-fusible, dénudée de sa culture juridique résultant de la pratique des institutions françaises, aboutit à une pratique déstructurée, en ce qu’il n’existe pas de coutume de démission collective du gouvernement en cas de crise. L’article 55, point 4 de la Constitution arménienne donne au Président de la République le pouvoir de destituer le Premier ministre, conformément au principe de parallélisme des nominations. En pratique, lui seul sera tenu de démissionner en cas de crise ; le reste du gouvernement n’ayant aucune obligation, ni juridique, ni résultant de 109 Entretien de l’auteur avec M. le professeur Lesage, le 9-10-1998. 60 la pratique politique. Le Premier Ministre pourra donc être remplacé le cas échéant, mais les autres membres du gouvernement n’y seront pas tenus. Bien au contraire, cette pratique sera découragée par l’apparition, au sein du gouvernement, de nouveaux acteurs : les pôles de pouvoirs. Pôles de pouvoirs-. L’Arménie a repris le modèle français de la double élection populaire ayant une portée gouvernementale ; celle de l’assemblée Nationale et celle du Président de la République. La remise en cause du gouvernement par la première est mise en oeuvre par le mécanisme de la responsabilité devant les députés. Mais le caractère gouvernemental de l’élection présidentielle pose, lui, un problème d’adaptation : en France, lorsqu’un nouveau Président est élu, le Premier ministre, quel qu’il soit, lui présente aussitôt la démission du gouvernement, et un nouveau gouvernement est formé, sans que la lettre de la Constitution ait expressément posé cette prescription. En serait-il de même en Arménie ? Tout mécanisme juridique -aussi reproductible soit-il, en tant que technologie - donne naissance à un régime juridique, dont une pratique, résultant elle-même d’un environnement et d’une culture politique. Or, le texte importé ne posant pas expressément l’obligation pour le gouvernement de démissionner à l’élection d’un nouveau Président de la République, le maintien d’un gouvernement revendiquant son autonomie face à ces élections peut être envisagée. Cette pratique de la démission ne découle pas de la culture juridique de l’Arménie. L’attraction du processus de décision politique par les pôles de pouvoirs a pour effet de rendre désuète la pratique importée de la responsabilité collective du gouvernement. Ainsi, Vasken Sarkissian, ministre de la défense indétronnable depuis 1993 n’a, d’une part, démissionné à aucune alternance politique; d’autre part, conditionne, semble-t-il, la stabilité et la continuité de l’Etat, grâce à l’appui de la majorité parlementaire dont il est le parrain ; le mouvement Yergrabah ( “ les Gardiens du 61 Pays ”). Cohabitation-. L’autre aspect du bicéphalisme français tient à la situation résultant de la cohabitation au sein de l’exécutif, entre le Président de la République et le Premier Ministre. La question est de savoir si la cohabitation est possible en Arménie. La cohabitation, en règle générale, est caractérisée par l’absence de coïncidence ente la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Le Président de la République ne disposant plus de la majorité à l’Assemblée Nationale pour mettre sa politique en oeuvre ; la majorité qui s’y dessine, opposante, lui impose la nomination d’un Premier Ministre concurrent. Une dyarchie saurait-elle exister au sommet de l’exécutif arménien110? La cohabitation en Arménie est juridiquement possible, mais politiquement improbable. En Arménie, le Président de la République est élu pour 5 ans, le Parlement , pour 4 ans. Ce dernier peut dès lors acquérir une majorité hostile au Président en place. Le Président serait normalement tenu de nommer un Premier Ministre disposant de cette nouvelle majorité parlementaire, sous risque d’ingouvernabilité. Néanmoins, politiquement, l’attraction du processus de décision politique par les pôles de pouvoir rend illusoire l’éventualité d’une telle situation. L’exemple le plus marquant est celui de la démission du Président Ter Petrossian, ordonnancée par le ministre de la défense, notamment pour un désaccord sur le problème du HautKarabakh. La cohabitation semble aujourd’hui improbable car le Président de la République, qui pourtant avait été l’acteur autour duquel avait été bâti l’équilibre des pouvoirs semble stabilisé par les pôles de pouvoirs. 110 Selon l’expression du Général De Gaulle, in Discours de Bayeux, 16 juin 1946. 62 Equilibre latent-. Bien que la conception parlementariste de l’équilibre des pouvoirs ait fait l’objet d’une réception dérivée ; la Constitution arménienne a le mérite d’avoir semé les graines de la démocratie. Outre la pratique institutionnelle, deux conditions sont nécessaires pour rendre réel l’équilibre des pouvoirs : l’une négative ; ne pas tomber dans le piège d’une dérive institutionnelle, dans le cadre de la réforme annoncée , l’autre positive ; renforcer le rôle de la Cour Constitutionnelle. Bouc-émissaire-. Le caractère virtuel de l’équilibre des pouvoirs, bipolarisé par la stratégie d’importation et l’attraction des pôles de pouvoirs, n’a pas eu pour effet de déstabiliser l’institution qu’incarne le Président de la République. Bien au contraire, on considère qu’il est excessivement investi de pouvoirs. Historiquement, cette impression résulte d’une pratique autoritariste de l’ex-Président Ter Petrossian. Stratégiquement, elle fait de l’institution présidentielle un bouc-émissaire :celle-ci sert de personnification canalisatrice du mal social résultant de l’incompréhension du nouveau régime. On rejette ainsi sur le droit constitutionnel ce qui relève des querelles politiques. Il sert également, mais à peine, à masquer l’attraction exercée par les pôles du pouvoirs. L’institution bouc-émissaire est donc poussée à changer ; la Constitution, à être réformée. Réforme-. La réforme annoncée de la Constitution tend à modifier l’équilibre des pouvoirs, par la volonté de suppression du droit de dissolution dévolu au Président de la République. Bien heureusement, le Comité consultatif pour la réforme semble y avoir renoncé111. Cette volonté résultait d’une incompréhension de la nature du droit de dissolution, dans la société de réception. Sa suppression aurait abouti à une novation institutionnelle débouchant sur une dérive dangereuse - le Régime d’Assemblée - ou inadaptée - le Régime Présidentiel112. 111 Entretien de l’auteur avec A. Haroutiounian, vice-doyen de la faculté de droit d’Erevan et membre du comité consultatif pour la réforme, à Paris le 11-12-1998. 112 Loin d’être comprise comme un élément conditionnant l’équilibre des pouvoirs, le droit de dissolution est diabolisé par le caractère excessif du pouvoir de prononcer la peine de mort des députés, source concurrente de la légitimité du pouvoir. Cette diabolisation est encouragée par le lobbying américain, dans l’espoir d’une réforme favorable à une évolution vers le régime présidentiel américain. La réforme entend affaiblir les pouvoirs du Président de la République. Or, non seulement ce 63 Contrôle du pouvoir-. L’Arménie semble désormais en quête de sa spécificité structurelle : la conception arménienne de l’équilibre des pouvoirs doit être contrebalancée par un pouvoir juridictionnel autonome. Ainsi, la Cour Constitutionnelle arménienne a été instituée par les articles 96 et suivant de la constitution arménienne. Son rôle est celui de l’examen de la conformité des lois à la Constitution et de contrôle de la régularité de diverses élections. Elle peut être saisie, a priori, par le Président de la République, un tiers des parlementaires (44 députés), ou le gouvernement. Elle semble avoir été instituée dans la Constitution de 1995 par simple souci de s’aligner sur une logique d’instauration des cours constitutionnelles dans le monde ; gage du caractère démocratique du système adopté devant le regard paternaliste de l’occident. Cependant, son rôle est, pour l’instant, très secondaire. D’une manière générale, on ne peut pas concevoir de renforcer le pouvoir des juges, en leur permettant de faire jaillir une nouvelle source de droit. n’est pas le droit de dissolution qui fait du Président un maître tout-puissant, en ce qu’il reste un mécanisme très exceptionnel, rationalisé par des soupapes de sécurité, mais il est surtout, même lorsqu’il est utilisé dans le cadre d’une stratégie politique, le moyen de redonner la parole au peuple. Sa suppression, compte-tenu du paysage institutionnel de l’Arménie et de l’expérience passée des démocraties parlementaires, ne peut aboutir qu’à un déséquilibre des pouvoirs, en ce qu’il n’était que la contre-partie de la responsabilité gouvernementale. Ce déséquilibre aboutirait nécessairement à l’instabilité gouvernementale qui caractérise le Régime d’Assemblée. Dans le Régime d’Assemblée - ou Régime Conventionnel - , tout le pouvoir appartient à une assemblée qui le délègue à un exécutif, souvent pris en son sein, qu’elle contrôle totalement ; c’est donc un régime de confusion des pouvoirs entre les mains d’une chambre généralement unique. Le gouvernement de la Convention est un exemple de ce type de régime . Le paysage institutionnel arménien est dangereusement propice à l’instauration du régime d’Assemblée pour deux raisons : le monocamérisme et les pôles de pouvoirs. Régime présidentiel -. Celui-ci, à l’opposé des régimes parlementaires, est caractérisé par l’irrévocabilité des pouvoirs. Il en réalise une séparation stricte. Théoriquement, le régime présidentiel ne pose pas de problème. Pratiquement, il ne semble viable qu’aux Etats-Unis ; les autres expériences révélant l’instauration de régimes autoritaires. 64 Le rééquilibrage des pouvoirs doit passer, selon le comité consultatif, par l’autonomisation de la Cour Constitutionnelle, par l’élargissement de la saisine à d’autres acteurs ; notamment les tribunaux. En définitive, la Constitution arménienne est en pleine réforme. Le comité consultatif est composé d’autant de juristes que de représentants de partis politique qui semblent chacun assurer la défense de ses propres intérêts ; leur poids ne saurait être négligé. L’Arménie est le premier pays issu du bloc soviétique a avoir amorcé une réforme constitutionnelle, en instituant un comité consultatif. Il semble que le mouvement des réformes commence à se propager dans le reste des ex-Etats socialistes. Il ne faut pas, selon nous, analyser cette situation comme un échec des Constitutions nouvellement adoptées, mais plutôt comme la jouissance de leur capacité à se réformer ; ce dont elles avaient été amputé pendant soixante dix ans. Sévag TOROSSIAN 65 Les Arméniens et leur communauté Essai sur l'unicité de la communauté arménienne 66 ESSAI SUR L’UNICITE DE LA COMMUNAUTE ARMENIENNE Le thème de l’unicité (c’est-à-dire ; ou règne l’unité) de la communauté arménienne de France a toujours paru illusoire : son épanouissement a été découragé par un double mouvement inverse fondé sur la discrétion, facteur d’assimilation d’une part, et la division, d’autre part. L’unité, bien que toujours souhaitée, s’est rencontrée autour d’événements sans équivoque (reconnaissance du génocide arménien, procès de B. Lewis). Toutefois, le dialogue sur la convergence a toujours été évité, car devenant très vite passionné. Une carence structurelle La configuration communautaire arménienne a dessiné une diversité conflictuelle et n’a jamais pris une forme structurelle. Cette carence de structures à l’échelle communautaire a, en France, eu pour conséquence la production de plusieurs centaines d’associations. Quelques rares associations sont devenues quasi-représentatives de facto par leurs objectifs incontestables (Comité de commémoration du 24 avril; CDCA pour l’action politique). Pourtant, le règne des associations n’a pas atteint un stade de floraison qui aurait entraîné la participation de la communauté dans son unanimité - à défaut, dans sa majorité -. Il s’analyse plutôt comme un tribalisme associatif ayant créé des sphères de pouvoirs, voire des sphères d’amitié, excluant ainsi les non-initiés ; c’est-à-dire, les individus non-issus de la culture associative produite par ladite sphère. La carence structurelle de la communauté se traduit donc avant tout en termes d’exclusion : ne pas appartenir à une sphère de pouvoir ou d’amitié est une assimilation préméditée, poussée par les sphères qui ont moins pour préoccupation de retenir un individu dans le cadre communautaire, que de le faire adhérer à sa culture associative, 67 qu’elle veut universelle. Néanmoins, la communauté dans son entier s’est définie par une identité centrifuge : son fondement est la “ Cause arménienne ”, axée, soit vers le passé (le 24 avril 1915 pour l’approche politique ; “ les traditions ” d’une manière générale, pour une approche culturelle), soit vers l’extérieur (l’Arménie et le Karabakh depuis quelques années). Ainsi, les causes fédératrices de l’identité de l’Arménien de France ne sont fondées, ni sur lui-même, ni sur l’avenir ; ce qui permet de douter de la viabilité d’un système conservateur dans ses méthodes politiques. Le passé et l’extérieur doivent être conservés dans le cadre d’un programme national, non-fondé sur une névrose traumatique (impossibilité de vivre au présent et de se projeter dans l’avenir), mais sur un schéma de vie et de construction permanente d’une identité bi-culturelle. Une volonté fédératrice Dès lors, la communauté arménienne, consciente de sa carence structurelle est-elle capable ou a-t-elle la volonté de combler son manque, en créant une structure fédératrice, comme un Conseil national des Arméniens de France. D’une part, la conscience de la carence n’implique pas nécessairement la volonté de la communauté - et de ses représentants - de créer une superstructure, qui serait certainement perçue comme une limite aux sphères de pouvoirs existants, ou par interprétation dérivée, source concurrente de pouvoir ? La question se pose de savoir si la division elle-même n’est pas implicitement souhaitée par les sphères de pouvoir les plus représentatives. Non seulement certaines voient leur culture associative profondément ancrées dans des clivages traditionnels - voire familiaux -, mais ils sont parfois eux-mêmes encadrés par des directives transnationales ( à titre d’exemple : l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance -UGAB-, le parti 68 Dashnag), qui renforce l’impossibilité d’aborder un consensus. D’autre part, l’exportation des politiques elles-mêmes en France, a freiné l’accessibilité à la culture politique française. Le militantisme à l’état pur s’est opposé à la maturité politique française fondée sur l’éducation juridique, bastion de la rationalité caractérisant la société moderne, et a suscité des sentiments d’incompréhension, presque d’injustice engendrée par la société d’accueil. La compétence politique (dans le sens large : diriger et représenter) dans le cadre communautaire n’a donc pas été fondée sur la professionnalisation, caractérisant toute politique moderne, mais sur le culte de la personnalité ; créant ainsi un fossé entre deux univers politiques ; celui de la société dominante, et celui de la communauté. Néanmoins, rien ne permet de préfigurer un refus total d’institutions représentatives de la communauté. S’il n’en existe pas encore, certains mouvements, comme le Comité de commémoration du 24 avril profilent des organisations en germe. Toutefois, leurs objectifs sont fondés sur une revendication propre à la communauté arménienne, et non sur la représentation pour une participation politique aux affaires de la France, instituant un potentiel électoral. Son approche politique reste donc introvertie. La configuration traditionaliste de la communauté semble donc, d’une part, autoriser l’émergence de nouveaux mouvements, mais de manière ciblée et limitée; d’autre part, décourager les nouveaux mouvements naissant hors du cadre des sphères traditionnelles de pouvoirs. La tentative de la jeunesse L’exemple le plus illustrant est celui du mouvement des “5 associations” ; union de 5 associations de jeunesse (COPEA, Nor Seround, UGAB jeune, Terre et Culture, Yan’s).Le mouvement est parti d’événements unificateurs (Soirée dansante organisée pour récolter des fonds pour le “ procès Lewis ”, veillée du 24 avril 1998) pour évoluer 69 dans un contexte libre de toute revendication ; uniquement fondé sur l’appartenance à la même communauté et la volonté de vivre ensemble (ce qui se rapproche de la définition du concept de Nation). Ainsi, des événements fédérateurs ont été organisés, mais sans réel projet politique : une conférence ayant réuni 300 personnes (“ sexes, mensonges et traditions ”, mai 1998), une soirée dansante de 700 personnes (Poterne des peupliers, novembre 1997) et une soirée dansante de plus de 1300 personnes (Tapis rouge, novembre 1998). Plusieurs éléments tendent à démontrer l’impossibilité actuelle pour un tel mouvement d’évoluer dans un contexte externe aux structures traditionnelles de la communauté ; certains en sont indépendants, d’autres lui sont propres. La première approche tient à la légitimité des mouvements de jeunesse dans la communauté, qui ne semble se retrouver que dans les mouvements encadrés, avec plus ou moins de contrainte, par des associations-mères, dont elles émergent. Le mouvement des 5 associations n’est pas né d’une initiative dirigée par des associations-mères, bien que sa formation ait nécessité l’approbation de certaines d’entre elles ; mais de lui-même. Néanmoins, cette naissance libre de contrainte n’a pas effacé les clivages traditionnels, qui ont affecté le travail, qui pour l’instant , ne s’est concrétisé que par des réunions événementielles. Sa légitimité n’a pas pénétré la conscience collective. 1997 a été une phase de mise à l’épreuve ayant admis une couverture médiatique, pour, un an plus tard, essuyer un vide médiatique, et ne plus être considéré par là même comme un événement de l’actualité communautaire. La sélection de l’actualité semble bien rejoindre la double auto-limite de la vie communautaire : culture associative, culture centrifuge. 70 La seconde approche est fondée sur l’absence de projection du mouvement lui-même dans un cadre autre qu’événementiel (organiser des soirées). Le mouvement reste donc un potentiel latent, mais pas tout à fait en germe, pour ne pas avoir atteint le stade d’une conscience unificatrice qui permettrait de situer son rôle dans la communauté; voire d’une manque de cohérence de certains membres mêmes dont la croyance au mouvement reste fragile. En règle générale, la naissance des nouveaux mouvements est dans la communauté le fruit d’élans d’enthousiasme dénudés de réel capacité d’action politique. Ainsi, la volonté d’action politique (diriger un groupe communautaire) est dissociée de la capacité d’action fondée sur une formation professionnelle, et dont les réels détenteurs ont été les déserteurs de la communauté, dans une assimilation préméditée (ou alors, ils ont gardé une attache très limitée au cadre communautaire, tout en préservant leur sphère “ d’arménité ”; souvent limité au cadre familial). Des bergers pour les bergers La capacité d’action politique du potentiel des acteurs assimilés a été l’un des éléments manquants à la structuration unitaire de la communauté arménienne. Leur assimilation a été favorisée par un double mouvement d’absorption de la société dominante, caractérisée par la reconnaissance par tous de leurs talents, et de reflux par le cadre communautaire, qui demandait beaucoup d’investissement personnel sans contre-partie réelle, et qui était déjà revendiqués par les gardiens de la communauté. L’émergence des nouveaux mouvements dans la communauté semble entrer dans le cycle répétitif du traumatisme de l’orphelin, ou la privation de l’élite compétente de perpétue de génération en génération (en partant du génocide), pour voir émerger des actions de bricolage organisationnel dont les acteurs non-spécialisés deviennent incontournables, dans une logique de survie. Ce schéma ne semble pas viable au long terme et semble annoncer une assimilation 71 grandissante. Mais ce schéma est réversible et dépend fondamentalement de la résistance au changement de l’ordre communautaire. Faudra-t-il des Bergers pour les bergers ? Assemblée des Etudiants 72 Bibliographie générale LES ARMENIENS ET LE GENOCIDE DE 1915 Le génocide arménien et le droit français : - Livres Mgr Balakian, "Le golgotha arménien", tome 1 : Vienne, 1920, tome 2 : Paris, 1959 Jean-Marie Carzou, "Arménie, 1915 : Un génocide exemplaire", Flammarion, 1975 Gérard Chaliand, "Les Temps Modernes", 1988 Jean-Michel Chaumont, "La concurrence des victimes", Ed. La découverte, 1998 Vahakn N. Dadrian, "Autopsie du génocide arménien", Ed. Complexe, 1995 Vahakn N. Dadrian, "Histoire du génocide arménien", Ed. Stock Leslie A. Davies, "La province de la mort", Ed. Complexe, 1994 Richard G. Hovanissian, "The armenian genocide in perspective", New Brunswick, 1986 Johannes Lepsius, "Rapport secret sur les massacres d'Arménie", Ed. Payot, 1987 Bernard Lewis, "Les Arabes dans l'Histoire", Ed. 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Complexe, 1997 Haratch, n°19.518 du vendredi 27 novembre et n°19.519 des samedi-dimanche 28-29 novembre 1998 74 “La Lettre de l’UGAB”en date du lundi 23 novembre 1998 Libération, jeudi 31 décembre 1998, Débats Me Olivier Roumélian, “Faut-il interdire de contester l’existence des crimes contre l’humanité?”, Mémoire EFB 1996 Rapport de la Sous-commission des droits de l’homme des Nations Unies en 1985 Mémoire et l’identité des enfants arméniens : Selim Abou, L'identité culturelle : relations interéthniques et problèmes d'acculturation, Editions Anthropos, 1981 Janine Altounian, Ouvrez-moi les chemins d'Arménie. Un génocide au désert de l'inconscient, Confluents psychanalytiques, Les Belles Lettres, 1990 Carmel Camilleri, Changements culturels, problèmes de socialisation et de construction de l'identité, Colloque de Syracuse, 1982 Martine Hovanessian, Le lien communautaire : trois générations d'Arméniens, L'ancien, le nouveau, A. 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