Réflexion éthique autour de la prise en charge de patients porteurs de bactéries hautement
résistantes : gestion des risques et respect des personnes
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non seulement au service de la santé publique mais aussi au service de l’individu c’est à dire dans le
respect de la personne et de sa dignité.
Or il se trouve que la prise en charge des malades porteurs de BHR pose difficulté particulière : ces
bactéries mettent en échec l’antibiothérapie classique et font en conséquence peser le danger d’une
contagion inter humaine dans un milieu à forte concentration de personnes vulnérables. Cette
menace contribue à réactiver des représentations et des peurs, pour une part inconscientes mais non
négligeables, qui vont orienter vers le choix de programmes de lutte offensive (véritable stratégie
militaire) et de solutions hygiénistes parfois radicales.
Regard (anthropologique et psychanalytique) sur les représentations et les peurs qui sous
tendent la perception du malade porteur de BHR et leurs possibles effets stigmatisants.
Le patient porteur de BHR est en effet perçu de manière ambivalente à la fois comme victime
(parfois même victime d’une « double peine » dans le cas des infections nosocomiales) mais aussi
comme suspect puisqu’il est agent transmetteur (potentiel ou actuel) de la bactérie par laquelle il est
infesté. Il devient alors l’ « autre » dangereux, nocif, abritant dans son organisme l’ennemi invisible à
combattre. Comme tel, il doit être identifié et signalé, distingué de la population des autres malades,
constituant au sein de celle-ci une population à risque (faisant courir un risque aux autres :les
malades ou les résidents dans un EHPAD, mais aussi le personnel soignant, les visiteurs, par
extension lors des transports, transferts, retours à domicile , quiconque entre en contact non protégé
avec lui.)
Le repérage et le signalement de tels malades ne va pas sans poser problème : ce qui n’est en effet
qu’un attribut accidentel de la personne (être porteur d’une bactérie) peut devenir au regard du
danger représenté une caractéristique essentielle de l’individu voire ce qui constitue son identité. Il y
a là l’effet d’un processus inconscient de substantialisation qui est un mécanisme de défense des
sujets qui se posent, par opposition, comme « sains » ou indemnes. On désigne alors les personnes
par le terme générique les « porteurs », les « contacts », comme on parlait des « pestiférés », des
« tuberculeux » ou des « sidéens » ou « sidaïques ». En répertoriant, en classant les individus, on
tente de délimiter des territoires, de marquer des frontières et des interdits de franchissement de
celles-ci pour éviter les confusions catastrophiques ; bref on tente de maîtriser le mal. C’est la peur
du contact avec l’autre qui pourrait contaminer qui s’exprime dans cette volonté de distinction des
individus et des comportements à adopter à leur égard.
On notera au passage que si la discrimination (notion d’ordre juridique) insiste sur les différences et
peut permettre de promouvoir des mesures de protection justifiées ; la stigmatisation, elle,
(représentation sociale alimentée par l’imaginaire collectif) est d’emblée la marque d’une
dépréciation, d’un discrédit, qui conduit à refuser à l’autre certains droits voire à lui dénier son statut
de sujet de droits, de personne et partant sa dignité. On pense aux stigmates comme marques
visibles sur le corps des esclaves, des prostituées ou des prisonniers des camps de concentration. La
stigmatisation a conduit historiquement à l’éviction et parfois à l’éradication de populations entières.