Diagnostic génétique pour la prise en charge des patientes

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HIGHLIGHTS 2015
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Génétique
Diagnostic génétique pour la prise
en charge des patientes atteintes
de cancer du sein: BRCA et au-delà
Silvia Miranda Azzarello-Burri, Dunja Niedrist, Anita Rauch
Institut für Medizinische Genetik, Universität Zürich
Un gène, différents cancers
Depuis le 1er janvier 2015, le séquençage à haut débit
figure dans la Liste des analyses. Dès lors, il est à pré­
sent possible de réaliser simultanément des analyses
génétiques moléculaires à visée diagnostique de plu­
sieurs gènes causaux potentiels à moindre coût, dans
des délais raisonnables et sous la protection de la Loi
fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH). Ainsi,
il est actuellement possible de réaliser un diagnostic
génétique élargi en cas de suspicion d’affections tumo­
rales héréditaires.
Le cancer résulte dans tous les cas d’altérations géné­
tiques. En cas de cancer sporadique ou non héréditaire,
les altérations génétiques (au niveau d’oncogènes ou
de gènes suppresseurs de tumeurs) surviennent au
cours de la vie dans le cadre des divisions cellulaires et
sous l’influence de facteurs environnementaux délé­
tères. En cas de cancer héréditaire, une altération géné­
tique, le plus souvent au niveau d’un gène suppresseur
de tumeurs, est déjà présente à la naissance (mutation
de la lignée germinale). Par la suite, une deuxième alté­
ration génétique au niveau du gène correspondant se
produit alors relativement facilement, amorçant ainsi
la cancérogenèse. Dans le cadre du cancer héréditaire,
il est donc fréquent que le carcinome survienne à un
âge jeune, que de multiples tumeurs primaires se déve­
loppent ou que plusieurs membres d’une même famille
soient atteints de cancer. Comme décrit précédem­
ment, même si une seule altération génétique suffit à
conférer une prédisposition tumorale, de multiples
altérations génétiques (telles qu’altérations épigéné­
tiques, stabilisation des télomères, angiogenèse tumo­
rale et mécanismes génétiques menant à une résistance
thérapeutique) sont toujours nécessaires à une pro­
gression tumorale ultérieure avec invasion et dévelop­
pement de métastases.
maladie fréquente d’une manière générale, cependant
env. 1–3% de la population présentent un risque accru
de cancer lié à une mutation d’un gène connu. L’identi­
fication de ces personnes à risque accru fait partie de
nos missions et tâches de médecin. Une anamnèse
familiale positive peut être indicative, mais des muta­
tions de la lignée germinale peuvent également sur­
venir de novo alors que l’anamnèse familiale est sans
particularité (les mutations au niveau de gènes asso­
ciés à un risque de cancer sont généralement trans­
mises à la génération suivante avec une probabilité de
50%). Il convient également de signaler qu’un gène
peut être associé à différents cancers. Ainsi, les muta­
tions du gène BRCA1 peuvent par ex. être à l’origine
d’un risque accru de cancer du sein, des ovaires, mais
également de la prostate et du pancréas. Le thème le
plus fréquent dans notre consultation d’oncogéné­
tique est le cancer du sein. Les deux principaux gènes
qui sont associés aux formes familiales de cancer du
sein et des ovaires sont les gènes BRCA1 et BRCA2/
FANCD1 (à l’échelle mondiale, la fréquence des porteurs
de mutations est estimée à env. 1 : 400 et le risque de
cancer du sein chez les porteuses de mutation peut at­
teindre jusqu’à 85% env.). Par ailleurs, il existe d’autres
gènes pour lesquels des mutations sont responsables
d’un risque vie entière de cancer du sein fortement
augmenté (entre autres TP53, PTEN, CDH1 et STK11) ou
modérément augmenté (entre autres CHEK2, PALB2/
FANCN, ATM, NBN, RAD51C/FANCO et RAD51D). Les
mutations au niveau de ces gènes sont assez rares,
mais dans des études relativement non sélectionnées,
de telles mutations ont néanmoins été identifiées chez
env. 4% des sujets.
Syndrome de Li-Fraumeni
(mutation du gène TP53)
Parmi les cancers les plus fréquents en Suisse figurent
Silvia Miranda
Azzarello­Burri
en première position le cancer de la prostate, en
Le syndrome de Li­Fraumeni (mutation du gène TP53)
deuxième position le cancer du sein et en troisième
est associé à un risque de cancer du sein d’env. 80–90%,
position le cancer du côlon. Le cancer est certes une
en particulier déjà avant l’âge de 30 ans. En outre, de
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Le diagnostic génétique d’oncogènes connus au moyen du séquençage à haut débit est réalisé à partir d’un échantillon sanguin
prélevé sur tube EDTA. En fonction de la mutation détectée, des recommandations de traitement et de surveillance individuelles sont formulées.
multiples tumeurs primaires peuvent déjà survenir à
un âge jeune, tels que les sarcomes des tissus mous, les
ostéosarcomes, les tumeurs cérébrales, les carcinomes
corticosurrénaliens, les leucémies, les cancers du côlon,
etc. Compte tenu de la sensibilité aux rayonnements
observée dans le cadre du syndrome de Li­Fraumeni,
avec un risque d’induction de tumeurs secondaires, il
est conseillé de privilégier une mastectomie par rap­
port à une chirurgie conservatrice pour le traitement.
Pour le dépistage, une IRM annuelle et un examen
clinique bisannuel sont recommandés à partir de l’âge
de 20–25 ans. Les mammographies sont controversées
en raison de l’exposition aux radiations et de leur sen­
sibilité limitée.
Tableau 1: Examens de dépistage recommandés
en cas de syndrome de Cowden.
– Echographie thyroïdienne annuelle
– Examen clinique avec inspection cutanée chez les enfants
de moins de 18 ans et les adultes
– Palpation des seins mensuelle et dépistage annuel
par mammographie ou IRM
– Echographie transvaginale ou biopsie de l’endomètre
chez les femmes à partir de 30 ans
– Coloscopie à partir de 35 ans, en fonction des polypes
présents
– Imagerie des reins (TDM ou IRM) tous les 2 ans à patir
de l’âge de 40 ans.
En fonction de l’anamnèse familiale, le dépistage devrait débuter 5 à
10 ans avant l’âge le plus jeune de survenue de la maladie dans la famille.
lipomes, macules pigmentées dans la région du pénis)
Syndrome de Cowden
(mutation du gène PTEN)
et outre le risque de cancer du sein, les patients qui en
sont atteints ont également un risque accru de déve­
lopper d’autres tumeurs, avant tout des tumeurs thy­
Le syndrome de Cowden (mutation du gène PTEN) est
roïdiennes dès l’enfance et un cancer de l’endomètre.
également associé à un risque vie entière de cancer du
Le diagnostic de suspicion devrait toujours être posé
sein pouvant atteindre jusqu’à env. 85%, en fonction
chez les patients présentant une macrocéphalie asso­
des sources bibliographiques. Ce syndrome illustre
ciée à un autisme ou un retard de développement, aux
parfaitement le fait qu’en plus de l’analyse de l’arbre
anomalies dermatologiques susmentionnées, à des ano­
généalogique, certaines anomalies au niveau de l’exa­
malies vasculaires telles que des malformations artério­
men clinique peuvent également fournir une orienta­
veineuses ou des hémangiomes, ou à des polypes gastro­
tion. Les anomalies cliniques typiques en cas de muta­
intestinaux. Les examens de dépistage recommandés
tion du gène PTEN sont la macrocéphalie, les anomalies
dans le cadre du syndrome de Cowden sont présentés
cutanées (trichilemmome, papules papillomateuses,
dans le tableau 1.
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Cancer gastrique diffus héréditaire
(mutation du gène CDH1)
En cas de mutation du gène CDH1, qui est responsable
du cancer gastrique diffus héréditaire, le risque de car­
cinome lobulaire du sein s’élève à env. 40–60%. Le can­
cer gastrique qui y est associé est un adénocarcinome
peu différencié de la paroi gastrique avec des cellules
en bague à chaton typiques et il survient le plus sou­
vent avant l’âge de 40 ans. Une surveillance endosco­
pique et biopsique conséquente est recommandée si
une gastrectomie prophylactique n’a pas été pratiquée.
Un dépistage du cancer du sein devrait également être
assuré, avec un auto­examen tous les mois et un exa­
men clinique par le médecin tous les 6 mois. Il convient
d’envisager la réalisation d’IRM, qui semblent plus
sensibles que la mammographie pour la détection du
carcinome lobulaire du sein.
Syndrome de Peutz-Jeghers
(mutation du gène STK11)
Le syndrome de Peutz­Jeghers (mutation du gène
STK11) est lui aussi associé à un risque de cancer du sein
d’env. 50%. Ce syndrome se caractérise par l’associa­
tion de polypes gastro­intestinaux, d’une pigmenta­
tion cutanéomuqueuse (macules foncées autour de la
bouche, des yeux, du nez, dans la région péri­anale et
au niveau de la muqueuse buccale) et d’un risque accru
de développer différentes tumeurs au niveau du gros
intestin, de l’estomac, du pancréas, des seins, des
Correspondance:
ovaires et du col de l’utérus. Dès lors, il existe un vaste
Dr Silvia Miranda Azzarello­
programme de dépistage en cas de syndrome de Peutz­
Burri
Jeghers.
Fachärztin für Medizinische
Genetik FMH
En plus des maladies prédisposant au développement
Institut für Medizinische
de tumeurs qui ont été mentionnées ci­dessus, d’autres
Genetik
Universität Zürich
gènes à pénétrance modérée associés au cancer du sein
Wagistrasse 12
sont actuellement connus, notamment les gènes CHEK2,
CH­8952 Schlieren
azzarello­burri[at]
medgen.uzh.ch
PALB2/FANCN, ATM, NBN, RAD51C/FANCO et RAD51D.
Plusieurs de ces gènes (ATM, NBN, gènes impliqués
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dans l’anémie de Fanconi) sont associés à des syn­
dromes sur un mode de transmission récessif et au
cancer du sein sur un mode de transmission domi­
nant. A cet égard, un conseil génétique s’avère aussi
tout particulièrement essentiel en cas de désir d’en­
fant. Par ailleurs, il convient de noter que différentes
recommandations de traitement et de surveillance
s’appliquent également aux cancers du sein avec des
mutations détectées au niveau d’un de ces gènes. Par
exemple, les patients atteints d’un syndrome d’ataxie
télangiectasie (lié à des mutations du gène ATM trans­
mises sur un mode autosomique récessif) présentent
une sensibilité accrue aux rayonnements et une telle
sensibilité aux rayonnements est également discutée
chez les porteurs hétérozygotes d’une mutation du
gène ATM.
Résumé
Ce bref tour d’horizon sur le cancer du sein héréditaire
a pour objectif de montrer à quel point il est essentiel
d’identifier les patients ayant un risque accru de déve­
lopper la maladie et de proposer un conseil génétique
aux personnes concernées, si elles le souhaitent, afin
de permettre la meilleure prise en charge individuelle
possible des patients et de leurs apparentés. Il s’agit là
d’un pas en direction de la médecine personnalisée!
Disclosure statement
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts financier ou personnel
en rapport avec cet article.
Références
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Springer 2010.
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LITERATUR / RÉFÉRENCES Online-Appendix
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SWISS MEDI CAL FO RUM
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