I LE MUSICIEN « CLASSIQUE »
A. L'interprète et les pratiques d'invention : un éloignement progressif
Jusqu'au XVIIIè s., le travail du musicien s'étendait du champ de l’interprétation à ceux de
l'improvisation et de la composition, ou de l'écriture en générale ( l'instrumentation par exemple). Durant tout
le Moyen-Age et la Renaissance, l'improvisation tenait une place de choix dans l'apprentissage et dans la
pratique de la musique. Dans la musique vocale : improvisation de canons, de gymels, de faux-bourdons...
mais aussi dans la musique instrumentale : ornementation ou diminution à partir de la mélodie d'une
chanson, d'une danse... Ces mélodies, mais aussi des basses obstinées, servaient de matériaux à la fois à la
composition et à l'improvisation.
A l'époque Baroque, l'improvisation et le répertoire continuent de maintenir des liens étroits. Des
chorals, des airs ou des suites harmoniques servent toujours comme base d'improvisation et comme matériel
de composition1, et le répertoire écrit exige de l'interprète une grande part d'invention. La partition est à cette
époque un outil qui permet de noter l’œuvre, la composition elle-même, mais pas sa restitution. Par exemple,
la notation d'une grande partie des opéras français et italiens du XVIIè s. et du début du XVIIIè ne laisse
apparaître que les parties vocales et la basse instrumentale, laissant aux interprètes le choix de
l'instrumentation. Dans certains opéras de Scarlatti, on trouve même des récitatifs pour lesquels seuls le texte
et la basse chiffrée sont notés !
L'art d'accompagner avec les instruments polyphoniques à partir d'une basse chiffrée (ou non),
constitue également une forme d'improvisation, souvent liée dans les traités de l'époque à l'art de la
composition. Leurs titres expriment bien ce fait : Traité d'accompagnement et de composition de Campion
(1716), Abrégé des règles de composition et d'accompagnement de de Vismes du Valgay (1777), Traité
d'harmonie et d'accompagnement de Tomeoni.... Le musicien accompagnateur est donc à la fois interprète et
improvisateur, et s'il n'est pas lui-même compositeur, il maîtrise et manipule les principes de la composition.
Voici ce qu'écrit Rameau dans la préface de son traité d'harmonie, en 1722 :
« Ces deux derniers livres [le troisième pour la composition et le quatrième pour
l'accompagnement] ont beaucoup de rapport ensemble, c'est pourquoi ils seront également
utiles aux personnes qui ne voudront s'attacher qu'à la pratique de la composition, ou à celle de
l'accompagnement. »2
1 Dont le plus célèbre exemple est sans doute la Folia, utlisée par de nombreux compositeurs comme Frescobaldi,
Lully, d'Anglebert, Marais, C.P.E. Bach, Listz et bien sûr Corelli.
2 Jean-Philippe Rameau, Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, Ballard, Paris, 1722, préface.
5