Chapitre
1
Le « découplage » des deux Europe
(1947-1950)
Planduchapitre
Section 1 La mise en place de la coopération économique entre
les États européens : le Plan Marshall et lOrganisation
européenne de coopération économique (OECE)
§1. La mise en place dune organisation répartissant laide du Plan Marshall :
lOECE
§2. Le travail effectué dans le cadre de lOECE
§3. Le bilan sur le travail effectué par lOECE (1948-1959)
Section 2 La difficile émergence dune défense structurée de lEurope
de lOuest
§1. Le Traité de Dunkerque et le Traité de Bruxelles (lUnion occidentale)
§2. Le Traité de lAtlantique Nord
Section 3 Lamorce dune Europe politique : le Conseil de lEurope
RÉSUMÉ
Cette période se caractérise par la mise en place de différentes structures devant
permettre à lEurope de lOuest de saffirmer dans les domaines militaire, politique et
économique et dêtre ainsi capable de résister à un possible conflit avec le bloc de lEst.
3. En 1945, lEurope, qui a subi trois guerres en soixante-dix ans (ou deux conflits
mondiaux en une génération), est dévastée et divisée. Les États-Unis, dont la
générosité nest pas parvenue à redresser les économies européennes, nentendent
pas poursuivre leurs tentatives bilatérales de sauvetage. Ils incitent les États du
vieux continent à sunifier. Les États-Unis sont daccord pour payer, mais
exigent comme interlocuteur une organisation.
4. Limpulsion américaine intervient en 1947, année où la crise ôte aux pays euro-
péens tout espoir de regagner la prospérité avec leurs seules forces. Les États-Unis
ont besoin dune Europe solide afin détablir économiquement le libre-échange,
politiquement la démocratie, et, en termes géopolitiques, pour faire contrepoids
au communisme.
5. La pression en faveur de lunion des États et le climat de guerre froide font ainsi
naître les premières organisations européennes entre 1947 et 1949. La coopération
européenne va se développer en trois étapes et sur trois plans différents :
économique, avec le Plan Marshall et la création de lOrganisation euro-
péenne de coopération économique (ci-après OECE) ;
politique et parlementaire, avec le Conseil de lEurope ;
diplomatique et militaire, avec le pacte de Bruxelles et le pacte Atlantique.
Section 1 La mise en place de la coopération
économique entre les États européens :
le Plan Marshall et lOrganisation
européenne de coopération économique
(OECE)
6. La situation économique des pays dEurope saggravant, lhiver 1946-1947 fut
très dure. Les productions agricole et industrielle étaient insuffisantes. Il fallait
importer de la nourriture, des matières premières, des produits énergétiques, des
machines pour remplacer loutillage hors dusage, alors quil ny avait pas
grand-chose à exporter. Les États européens devaient faire face à un énorme
déficit commercial et un déficit de la balance des paiements qui ne pouvaient
plus être comblés en raison de lépuisement des réserves en or et en devises. Des
crédits avaient déjà été octroyés par les États-Unis sur cette période (15 milliards
de dollars en deux ans).
7. Le relèvement européen était nécessaire à lordre mondial. La moitié du terri-
toire européen venant de passer sous la férule soviétique, les États-Unis sont
soucieux de lutter, à la fois pour la démocratie et contre la politique expansion-
niste de Staline. Concrètement, lURSS a fait « main basse », après 1945, sur
500 000 km
2
équivalant à 22 millions dhabitants et recouvrant les États baltes,
lancien territoire polonais de Biélorussie, lUkraine, la Ruthénie subcarpatique
et la Moldavie ; lURSS a piloté le « glissement » de la Pologne vers lOuest au
détriment de lAllemagne qui perdit des territoires au profit de cette dernière.
18 LE PUZZLE DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
8. Indirectement, lURSS simplante grâce au parti communiste en Roumanie, en
Bulgarie et en Pologne. En Europe occidentale, lassociation du parti communiste
aux gouvernements français, italien et belge, apparaît aux Américains comme une
menace. Pour « endiguer » le danger soviétique, il faut une solidarité entre Euro-
péens et Américains (une solidarité atlantique) dans le but de renforcer la stabilité
politique des pays concernés. Ainsi, cest sous la menace soviétique et sous
linfluence américaine que samorce le premier temps de la construction
européenne.
9. En février 1947, alors que la Grande-Bretagne se déclare hors détat de
sopposer efficacement à laction des communistes en Grèce et daider la Turquie
à résister aux pressions soviétiques, la « doctrine Trumann », énoncée par le
nouveau président des États-Unis le 12 mars 1947 et entérinée par le Congrès
américain dès le mois de mai, consiste à fournir des secours, y compris militaires,
aux mouvements dindépendance en Grèce et en Turquie contre les communistes.
10. Aussi, dans le cadre de la politique de « containment » visant à sopposer à
lextension de la zone dinfluence soviétique en Europe de lOuest, le général
Marshall, conseillé par les sous-secrétaires Dean Acheson et William Clayton,
décida-t-il de proposer un plan daide économique à lEurope. Le 5 juin 1947, à
lUniversité dHarvard, le général G. Marshall, secrétaire dÉtat aux affaires étran-
gères, propose une aide financière globale des États-Unis au relèvement des Euro-
péens. Cette aide est subordonnée au fait que ces pays se rassemblent au sein dune
institution chargée de la gestion collective de laide (après évaluation des besoins
et des actions à mener) et de lélaboration dun programme de reconstruction
européenne (« Cest laffaire des Européens »).
11. Linvitation adressée à tous les pays dEurope place les Soviétiques devant
lalternative daccepter le Plan Marshall ou dendosser la responsabilité de la
division de lEurope. Les Soviétiques refusent le 2 juillet 1947 de se joindre à la
conférence sur le Plan Marshall. Cette réaction entraîne immédiatement la scis-
sion de lEurope. Le refus des Soviétiques sexpliquait par le fait quils considé-
raient ce plan de relèvement comme un empiétement sur la souveraineté natio-
nale et sopposaient à ce quil profitât à dautres pays que les seules victimes de
lAllemagne nazie. Le refus soviétique entraînait celui des pays satellites comme
la Tchécoslovaquie qui, en dépit de son intention daccepter, fut obligée de faire
marche arrière.
12. Le Plan Marshall devient une opération purement « occidentale ». Sil na pas
divisé lEurope, il fut le révélateur de la fracture profonde entre deux Europe. Les
pays de lOuest allaient sorganiser entre eux et avec les États-Unis, alors que
lUnion soviétique allait renforcer sa mainmise sur lEurope orientale. Le Komin-
form sera créé en octobre 1947, et une coopération économique mise sur pied, en
1949, avec linstitution du Comecon.
Aussi, à partir de 1947, lunification ne pouvait plus être celle de la grande
Europe, mais de chacune des deux Europe qui sorganisaient parallèlement.
CHAPITRE 1LE«DÉCOUPLAGE »DES DEUX EUROPE (1947-1950) 19
§1. La mise en place dune organisation répartissant
laide du Plan Marshall : lOECE
13. Pour répondre à la proposition américaine, les gouvernements français et
britannique organisèrent à Paris une conférence sur la coopération économique
européenne, à laquelle participèrent tous les pays dEurope occidentale (à lexcep-
tion de lEspagne, alors tenue à lécart des démocraties à cause du régime du
général Franco). Cétait la première conférence européenne depuis la guerre. Du
12 juillet au 22 septembre 1947, fut établi un inventaire des ressources et des
besoins et un programme commun de relèvement conformément aux exigences
américaines. Les Européens devaient sengager à ne plus avoir besoin daide en
1952 et à faire des progrès dans la voie de la coopération et de lunité. Les
États-Unis ne voulaient pas imposer un plan de reconstruction. Le 3 avril 1948,
le congrès rappellera les avantages dun grand marché intérieur sans frontières
douanières à lexemple des États-Unis et, chaque année, en votant les crédits
Marshall, sinquiétera des progrès de lunification.
14. Les Européens étaient fort divisés sur les moyens à mettre en œuvre pour
répondre aux demandes américaines. Pour sa part, Ernest Bevin, ministre britan-
nique des Affaires étrangères, nenvisageait, pour mettre en œuvre le Plan Mars-
hall, quune organisation temporaire. La France et lItalie défendirent durant la
conférence lidée dune intégration économique forte et durable. Tous les pays
étaient daccord pour abaisser les barrières douanières et transférer les devises. La
délégation française appuyée par celle de lItalie proposait daller jusquàlunion
douanière. Cependant, les Britanniques sy opposèrent, jugeant incompatibles le
maintien des préférences impériales avec le Commonwealth et linstauration
dune union douanière européenne. Les pays du Benelux (Belgique, Pays-Bas,
Luxembourg), bien que favorables à cette union douanière, ne voulaient pas y
entrer en labsence du Royaume-Uni. Quant aux Scandinaves, ils entendaient
rester entre eux. Toutefois, largement pour donner satisfaction aux États-Unis, le
rapport final du 22 septembre, qui évaluait le déficit européen à 22 milliards de
dollars pour une période de quatre ans et suggérait une aide américaine de
19 milliards, formulait plusieurs déclarations dintentions, reflétant bien ces diver-
gences : création dun groupe détude sur lunion douanière européenne, mise en
application de lunion douanière du Benelux pour 1948, projet de coopération
entre les trois pays scandinaves (Norvège, Suède, Danemark), déclaration fran-
çaise proposant de former une union douanière avec tous les pays qui le désire-
raient et, en raison de la réponse favorable de lItalie, décision de créer un
groupe avec cette dernière.
15. Il fut convenu quune organisation serait créée, non pour la seule période de la
mise en œuvre du programme daide, mais de façon permanente. Les négociations
entre les Européens aboutirent à la convention du 16 avril 1948 instituant lOrga-
nisation européenne de coopération économique (OECE), signée par lAutriche,
la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, lIrlande, lIslande, lItalie, le
Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, la
Suisse, la Turquie et les commandants militaires de zones occidentales
20 LE PUZZLE DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
doccupation en Allemagne (la République Fédérale en deviendra membre en
octobre 1949). Certains gouvernements (notamment la France) auraient voulu
que lOrganisation ait une certaine autonomie à légard des gouvernements avec
un comité exécutif fort et un Secrétaire général capable de prendre des initiatives
importantes de politique économique. Mais les Britanniques nétaient prêts à
accepter quune organisation entièrement contrôlée par un Conseil des ministres
représentant tous les États membres et décidant à lunanimité. Ils étaient soutenus
par les petits pays, également soucieux de défendre leur souveraineté, tels la
Suisse, lIrlande, les pays scandinaves qui étaient opposés à ce que lOECE puisse
jouer un rôle autonome. Cest finalement la conception britannique qui prévalut
et lOECE reçut la structure dune simple organisation de coopération intergou-
vernementale, ce qui allait limiter sa capacité daction.
16. Lorgane central était le Conseil des ministres, réuni plusieurs fois par an au
niveau des ministres des Affaires étrangères et de lÉconomie, et plus fréquemment
au niveau des ambassadeurs, représentants permanents. Les décisions du Conseil
engageaient les pays membres et devaient être prises à lunanimité. Si toutefois un
gouvernement nétait pas daccord, il ne pouvait pas faire opposition, mais simple-
ment sabstenir et ne pas appliquer la décision ou la recommandation adoptée par
les autres. Le Conseil était assisté dun Comité exécutif restreint, chargé de
préparer son travail, et de très nombreux comités techniques « horizontaux »
(politique, économie, fiscalité, commerce extérieur, paiements, main-dœuvre...)
et « verticaux » (énergie, sidérurgie, mécanique, chimie...) composés de fonction-
naires nationaux et dexperts. Un secrétariat fut constitué avec des fonctionnaires
détachés des administrations nationales, qui ne devaient recevoir dinstructions
que de lOrganisation, et était composé dune proportion croissante de fonction-
naires internationaux.
§2. Le travail effectué dans le cadre de lOECE
17. LOECE chargea un comité spécial de quatre personnes dexaminer les
programmes nationaux et de recommander une répartition équitable de laide
Marshall qui serait adoptée par le Conseil. LOECE se borna à formuler des direc-
tives non contraignantes pour que les États membres agissent dans les secteurs où
ils avaient tous des moyens daction : « stabilisation financière et monétaire, dévelop-
pement des exportations, réduction des importations en dollars non essentielles, moderni-
sation de lappareil de production, échange dinformations pour la coordination des
investissements ».
18. Mais la pression américaine conduisit lOECE à faire porter son effort sur
laccroissement du commerce intra-européen. Un « Code de libération des
échanges » fut adopté le 18 août 1950 : il prévoyait la suppression des contingents
dimportation (sauf pour le commerce dÉtat), qui sera progressivement réalisée au
cours des années suivantes. En même temps était créée, le 19 septembre 1950,
lUnion européenne de paiements, système de compensation multilatérale
permettant de surmonter lobstacle de la non-convertibilité des devises et
daccorder des crédits aux pays débiteurs. Le fonds de roulement était fourni par
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