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Le suicide
assiste
COLLECTION « SCIENCES SOCIALES »
La collection « Sciences sociales » regroupe des ouvrages portant sur
l'analyse et les théories sociales de la société canadienne, sur la justice
et les problèmes sociaux et sur l'économie politique. La collection,
conformément à la philosophie de la maison d'édition, accueille des
manuscrits de langues française et anglaise.
Sous la direction de Marie-Blanche Tahon
Comité éditorial
Caroline Andrew, science politique, Université d'Ottawa
Gilles Breton, science politique, Université d'Ottawa
Jean-François Côté Ballard, Université du Québec à Montréal
François Houle, science politique, Université d'Ottawa
V\N
Le suicide
assisté
Héraut
des moralités changeantes
Joane Martel
SCIENCES Théories
SOCIALES
sociales
N°27
LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ D'OTTAWA
Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne
des sciences humaines et sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de
recherches en sciences humaines du Canada.
Les Presses de l'Université d'Ottawa remercient le Conseil des Arts du Canada
et l'Université d'Ottawa de l'aide qu'ils apportent à leur programme de
publication.
Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition
(PADIÉ) pour nos activités d'édition.
Catalogage avant publication de la Bibliothèque nationale du Canada
Martel, Joane, 1962Le suicide assisté : héraut des moralités changeantes / Joane Martel.
(Sciences sociales, ISSN 1480-4719 ; n° 27. Théories sociales)
Comprend des réf. bibliogr. et un index.
ISBN 2-7603-0539-2
1. Aide au suicide—Aspect moral—Canada. 2. Aide au suicide—
Droit—Canada. 3. Rodriguez, Sue, 1950-1994—Procès, instances, etc. 4. Droit à
la mort—Canada. 5. Droit et morale.
I. Titre. II. Collection: Sciences sociales ;27. III. Collection: Sciences
sociales. Théories sociales.
R726.M37 2002
179.7
C2002-902567-2
UNIVERSITÉ D'OTTAWA
UNIVERSITY OF OTTAWA
Révision linguistique et correction d'épreuves : Yvan Dupuis
« Tous droits de traduction et d'adaptation, en totalité ou en partie, réservés
pour tous les pays. La reproduction d'un extrait quelconque de ce livre, par
quelque procédé que ce soit, tant électronique que mécanique, en particulier
par photocopie et par microfilm, est interdite sans l'autorisation écrite de
l'éditeur. »
ISBN 2-7603-0539-2
ISSN 1480-4719
© Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2002
542, King Edward, Ottawa, Ontario, Canada K1N 6N5
[email protected] http://www.uopress.uottawa.ca
Imprimé et relié au Canada
Table des matières
Avant-propos
ix
Introduction
1
Chapitre 1 Une histoire morale et pénale du suicide
9
1.1. Tolérance et superstition : la double réaction sociale
au suicide dans l'Antiquité
9
1.2. Doctrine chrétienne et justice séculière au Moyen Âge
13
1.2.1. Les pratiques populaires à l'égard du suicide
dans le haut Moyen Âge
15
1.3. La criminalisation du suicide au quatorzième siècle
17
1.4. Les réformes tudoriennes
21
1.5. L'influence des Lumières sur la sécularisation du suicide ... 23
1.6. Le mouvement de réforme sociale et juridique
au dix-neuvième siècle
27
1.7. L'évolution des lois canadiennes sur le suicide
32
1.8. La remise en question actuelle du suicide assisté
41
1.8.1. Les sources technologiques, économiques et sociales .. 41
1.8.2. Les particularités du suicide assisté au Canada
43
vi
LE SUICIDE ASSISTÉ
Chapitre 2 Réflexion théorique sur le prévisible :
le suicide assisté, héraut des moralités changeantes
53
2.1. Vers une sociologie contemporaine de la moralité
54
2.2. Lorsque les moralités sont incorporées dans le droit
58
2.3. La recherche sociologique sur le suicide
61
2.4. Le choix de l'affaire Rodriguez
67
2.5. Les circonstances de l'affaire Sue Rodriguez
relative au suicide assisté
69
2.5.1. Les principaux adversaires
69
2.5.2. Les groupes en faveur de la décriminalisation
du suicide assisté
72
2.5.3. Les groupes opposés à la décriminalisation
du suicide assisté
74
Chapitre 3 Les plaidoyers en faveur de l'aide au suicide :
un vent de changement dans les moralités
81
3.1. La pluralité et l'innovation du discours
81
3.1.1. Sue Rodriguez
84
3.1.2. La COPOH
87
3.1.3. La Coalition
90
3.1.4. La Société pour le droit de mourir
92
3.1.5. Mourir dans la dignité
94
3.2. Des techniques de persuasion juridiques et collectives
3.3. Des enjeux pragmatiques exigeant compensation
98
101
3.4. Attentes pragmatiques et morales face au droit pénal ...... 106
3.5. Conclusion
109
INTRODUCTIONN
vii
Chapitre 4 Vers une réaffirmation du statu quo :
la mission des opposants à la décriminalisation
du suicide assisté
117
4.1. Des objectifs de nature morale
117
4.2. Consensualisme du discours : un plaidoyer
pour la tradition
121
4.2.1. Le PEP
126
4.2.2. Conférence des évêques catholiques du Canada /
Evangelical Fellowship of Canada
130
4.2.3. Pro-vie/PPLS
133
4.3. Le caractère social des techniques de persuasion
138
4.4. Des enjeux pensés sous l'angle de la politique
et du corporatisme
141
4.5. Attentes symboliques et morales face au droit pénal
145
4.6. Rapports de force entre moralités rivales
147
Chapitre 5 L'étroite majorité du jugement Rodriguez :
un rôle annonciateur des moralités changeantes
157
5.1. Le jugement de la majorité opposé à la décriminalisation
du suicide assisté
159
5.1.1. Le caractère sacré de la vie ou l'application stricte
d'un principe fixe
159
5.1.2. Confirmation du caractère sacré de la vie
dans le droit pénal
162
5.2. Le jugement dissident en faveur de la décriminalisation
du suicide assisté
5.2.1. Pluralisme et égalité
163
163
5.2.2. Un nouveau rôle instrumental pour le droit pénal ... 166
5.2.3. Une affaire de dignité humaine et d'autonomie
167
5.2.4. Le caractère éthique de l'enjeu
169
5.2.5. Un rôle axiologique pour le droit pénal
170
viii
LE SUICIDE ASSISTÉ
5.3. Le compromis auquel ont abouti les juges dissidents
173
5.4. Le jugement de la majorité : une victoire incontestée
servant des intérêts privilégiés ?
175
5.5. Le jugement de la majorité : une victoire trompeuse
177
Conclusion
Vers une sociologie de la moralité du droit ? ... 185
6.1. Vers une sociologie de la moralité du droit
188
6.2. Un rôle annonciateur pour l'affaire Rodriguez 1
192
Appendice
199
Bibliographie
205
Index
215
Avant-propos
Un livre est la résultante d'un cheminement intellectuel parsemé de
doutes, d'embâcles, d'heureux hasards et de satisfactions. Je tiens à
exprimer ma gratitude à tous ceux et celles qui ont contribué de près
ou de loin à l'aboutissement de ce projet et à lui donner son ton et sa
tournure. Je pense particulièrement à Danielle Laberge, Alvaro Pires,
Pierre Lascoumes et Jacques Beauchemin, lectrice et lecteurs critiques
et scrutateurs sans qui l'orientation théorique du livre n'aurait pas été
aussi riche en possibilités. Je pense également à Yves Gendron, Yvan
Dupuis ainsi qu'aux évaluateurs anonymes qui, pour fins de
publication, ont contribué à l'épuration ainsi qu'à la clarification du
texte. Je tiens aussi à remercier Lynne Mackay pour la qualité de la
mise en page du présent ouvrage.
Une partie de ce livre a été réalisée dans le cadre d'une thèse de
doctorat subventionnée par le Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada et couronnée de la médaille d'or académique du
gouverneur général du Canada. L'ouvrage est publié grâce à une
subvention de la Fédération canadienne des sciences humaines et
sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en
sciences humaines du Canada.
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Introduction
En 1993, Sue Rodriguez, une Canadienne résidant dans la province de
la Colombie-Britannique, fit la une des médias canadiens et attira une
attention quasi sans précédent partout dans le monde. Cette attention
était de nature médiatique, bien sûr, mais elle était également, et
surtout, de nature politique. Arrivée à la phase terminale d'une maladie dégénératrice et irréversible — et souhaitant se suicider au moment
où sa maladie lui occasionnerait des souffrances physiques et des
indignités mentales qu'elle jugerait intolérables —, Sue Rodriguez
demandait aux tribunaux canadiens de lui accorder une exemption
constitutionnelle lui permettant de contrevenir à une section du Code
criminel et ainsi de mettre fin à ses jours avec l'aide d'un ou d'une
médecin.
Là résidait tout le caractère inusité et problématique de la
situation. D'abord, le suicide assisté (même médicalement assisté) est
un crime au Canada depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle et,
mis à part Sue Rodriguez, personne n'avait jamais auparavant contesté
le caractère criminel du suicide assisté. De plus, la décision relativement à la requête de Sue Rodriguez que devait prendre la plus haute
instance judiciaire canadienne, la Cour suprême du Canada, pouvait
ouvrir la porte à une décriminalisation potentielle de l'aide au suicide.
Le Canada n'était pas le seul pays occidental à faire face, en 1993,
aux problèmes que pose le suicide assisté, notamment du fait des
« progrès » de la médecine en matière de prolongation de la vie
humaine. Les États-Unis, l'Australie et les Pays-Bas figurent parmi les
nombreuses nations qui, encore aujourd'hui, sont aux prises avec
divers dilemmes sociaux liés directement ou indirectement à la question de l'euthanasie (dont le suicide assisté est un type particulier).
2
LE SUICIDE ASSISTÉ
Certes, l'intérêt que suscite aujourd'hui l'euthanasie n'est pas nouveau
dans l'histoire de l'Occident, mais ses bases, elles, sont nouvelles.
L'Occident a, en effet, déjà connu la montée d'un mouvement euthanasique, surtout en Angleterre et aux États-Unis, avant la Deuxième
Guerre mondiale (Baudouin et Blondeau, 1993; Hollander, 1989).
S'appuyant sur un idéal eugénique, ce mouvement a été ultérieurement repris par l'idéologie nazie avec les conséquences que l'on
connaît bien. Aujourd'hui, par contre, l'euthanasie est problématisée
d'une autre façon sur la base de données contextuelles et conjoncturelles nouvelles.
Je pense ici, entre autres, à la technologie de pointe qui pousse
actuellement la médecine à reculer des frontières qui, autrefois,
pouvaient sembler infranchissables. En effet, cette technologie permet
d'allonger la vie humaine et de l'entretenir de façon quasi indéfinie. À
partir de ce moment, la mort prend de nouvelles dimensions. Pour certains, elle apparaît comme un terme pouvant être de plus en plus
repoussé, ce qui permet de le refouler davantage et de donner une légitimité renouvelée à la vie. Pour d'autres, par contre, la mort évoque la
prolongation des souffrances, la déshumanisation et l'angoisse. Cette
inquiétude fait naître aujourd'hui une vague de compassion envers la
personne mourante qui s'exprime dans un discours nouveau, axé sur
les notions de qualité de vie et de mort dans la dignité. Par l'entremise
de cette dialectique, la question du suicide assisté ressurgit sur la place
publique et se pose dans des termes tout à fait nouveaux.
Il convient d'ouvrir ici une courte parenthèse pour faire le point
sur ce qui différencie le suicide assisté de l'euthanasie. Les éthiciens
distinguent depuis longtemps deux formes moralement différentes
d'euthanasie. La première, l'euthanasie passive, a comme caractère
essentiel de laisser le processus naturel de la mort s'accomplir en s'abstenant d'administrer ou en cessant d'administrer un traitement médical de survie (par exemple : l'intubation, la chimiothérapie). La seconde
forme est constituée par l'euthanasie active qui a la particularité de
faire mourir sans causer de douleur, et avec son consentement, un
individu souffrant d'une maladie incurable ou en phase terminale,
habituellement au moyen d'une drogue. À cette distinction de base est
venue s'en greffer une autre, propre à l'éthique médicale. Il s'agit de la
différenciation entre l'euthanasie volontaire, qui se fait à la demande
d'une personne, et l'euthanasie involontaire qui, au contraire, se fait
sans son consentement (Doucet, 1990). Ces catégorisations sont loin de
INTRODUCTIONN
3
faire consensus chez les auteurs et chez les tenants et opposants à
l'euthanasie. Cela a pour effet d'embrouiller sérieusement le discours
sur l'euthanasie. De surcroît, d'autres notions, comme le meurtre par
compassion, la mort médicalement assistée ou l'aide au suicide,
viennent jeter davantage de confusion dans le débat. Dans le présent
ouvrage, je ne discuterai que de l'aide au suicide. Cette forme d'euthanasie volontaire active, je l'entendrai dans son sens large, c'est-à-dire
comme étant un acte participatoire par lequel une ou plusieurs personnes, pour différents motifs, choisissent de hâter leur mort naturelle
et de mettre fin à leurs jours et demandent expressément l'aide d'un
ou plusieurs autres individus pour mener à bien leur projet de suicide.
L'aide au suicide nécessite donc la présence d'au moins deux
personnes : la personne qui désire se suicider et qui commet elle-même
l'acte de suicide et la personne qui procure une aide (par exemple :
prescription de médicaments en doses létales, installation d'un dispositif d'injection de médicaments qui peut être utilisé par la personne
désirant mourir). Ma réflexion sur l'aide au suicide se concentrera sur
une affaire judiciaire précise — l'affaire Rodriguez — dans laquelle la
norme pénale sur le suicide assisté fut contestée pour la toute première
fois au Canada.
La problématisation récente du suicide assisté se déroule dans un
cadre mouvant et tumultueux, plusieurs États-nations ayant subi des
transformations sociales importantes, telles que la globalisation des
échanges, l'extension du néolibéralisme — et ses corollaires que sont le
pragmatisme économique et l'austérité budgétaire — et le renforcement appréciable de l'individualisme. Outre ces bouleversements, l'on
constate généralement un courant de contestation dans le monde
occidental qui se traduit, notamment, par un mouvement où les acteurs
cherchent des significations nouvelles, rejetant les référents sociaux et
moraux qui présidaient jusqu'alors à l'organisation des rapports
sociaux. Accompagnant ce rejet de maintes valeurs sociales et morales,
des revendications nouvelles — individuelles ou collectives —
surgissent et tentent d'acquérir une légitimité sociale, parfois par
l'entremise d'institutions telles que les tribunaux.
Ainsi, des demandes souvent nouvelles se trouvent de plus en
plus fréquemment soumises aux tribunaux pour que des balises
juridiques soient fixées. Par rapport à la gestion de la vie humaine, on
peut diviser ces demandes en deux types. Les premières ont trait au
statut juridique qu'il convient d'attribuer au corps humain dans le
4
LE SUICIDE ASSISTÉ
cadre de nouvelles pratiques sociales comme la maternité de substitution, les banques de sperme, les marchés d'embryons, la procréation
artificielle, la transplantation d'organes, les diagnostics prénatals ou
les expérimentations médicamenteuses. Dans ce type de demandes, le
but principal est de déterminer si le corps humain est un matériau de
laboratoire, un outil de commerce ou un appendice inévitable de la
« personne » humaine. De nature essentiellement philosophique, ces
demandes donnent lieu à de véritables affrontements entre deux
visions de la vie humaine où le sacré s'oppose à l'expérimental, l'être
humain au corps vivant, la subjectivité à la corporalité et la spiritualité
au pragmatisme.
Le second type de demandes soumises aux tribunaux porte particulièrement sur la libre disposition du corps humain et touche surtout
des pratiques telles que le transsexualisme, la cessation de traitements
médicaux et, enfin, certaines formes d'euthanasie telles que le suicide
assisté. Ces demandes ne regardent pas tant la vie qui se trouve menacée par autrui que le droit individuel et privé d'user de son propre
corps 1. Tenu de répondre à ces demandes (parce qu'il est sollicité), le
droit ouvre la porte à une remise en cause de l'universalité du principe
même de l'intangibilité du corps, et donc de l'inviolabilité de la
personne humaine. Ce rôle particulier du droit, surtout du droit pénal,
dans l'établissement ou la confirmation de normes sociales et morales
relatives à l'autogestion du corps est spécialement intéressant. Car,
bien sûr, la criminalisation de l'aide au suicide a aussi des racines profondément morales et, si le « crime » de l'aide au suicide fait problème
aujourd'hui, c'est, en partie, parce qu'il n'existe pas de consensus
moral concernant le mode de gestion sociale convenable dans les circonstances. Autrement dit, une bonne part de la problématisation
actuelle de l'aide au suicide réside dans la présence, dans la société
canadienne, de morales multiples dont certaines sont conventionnelles
et répandues alors que d'autres sont plus récentes et peut-être encore
marginales.
Mon objectif premier dans ce livre consiste, à l'aide d'une étude de
cas, à examiner le réagencement des morales et la place qu'occupé, ou
que tente d'occuper, le droit pénal dans ce réagencement. Dans ce
sens, je vais tenter de jeter un regard sociologique sur les divergences
d'ordre moral présentes aujourd'hui dans le domaine du suicide
assisté. Ce regard portera plus spécifiquement sur les répercussions de
ces divergences sur le droit pénal. Ma réflexion repose sur une base
INTRODUCTIONN
5
empirique qui, à mon avis, est particulièrement riche dans la quantité
et le contenu de sa documentation. Il s'agit de l'affaire judiciaire de Sue
Rodriguez et de son caractère sans précédent dans les annales judiciaires canadiennes.
Le choix de l'affaire Rodriguez est judicieux sur le plan
sociologique pour un certain nombre de raisons. D'abord, la décision
Rodriguez est survenue à la suite d'une série d'affaires judiciaires qui
ont forcé les tribunaux à se positionner face au conflit, apparemment
plus personnel que juridique, entre deux valeurs fondamentales au
Canada : la vie et le choix. On peut notamment penser à deux affaires
survenues au Canada dans lesquelles la vie et le choix ont été des
enjeux moraux essentiels, soit l'affaire Morgentaler concernant
l'avortement et l'affaire Tremblay c. Daigle ayant trait aux droits de
paternité sur un fœtus. C'est dans ce cadre que la contestation de Sue
Rodriguez s'inscrit, c'est-à-dire dans une résurgence, à l'échelle
nationale et internationale, d'un débat non seulement sur l'euthanasie,
mais aussi sur un enjeu tout à fait nouveau : l'autodétermination de
l'individu. Par ailleurs, le fait que l'affaire Rodriguez a été saisie par les
tribunaux et qu'elle a été le centre d'attention des médias a largement
contribué à lancer un débat de société sur l'aide au suicide au Canada.
Cette affaire porte donc en elle les premiers germes d'une contestation
socio-juridique, dans l'arène publique, des morales établies. Elle
constitue ainsi un des premiers efforts de réflexion, sinon le premier,
sur le suicide assisté au Canada et les particularités qu'elle présentait
ont sans doute orienté le reste du débat sur l'euthanasie et l'aide au
suicide. Les particularités de l'affaire Rodriguez ainsi que son issue
constituent donc une base essentielle pour toute tentative de
compréhension du débat social — et des affaires judiciaires semblables
qui ont suivi le cas Rodriguez — sur le suicide assisté ou l'euthanasie.
L'affaire Rodriguez constitue également la toute première remise
en question des lois pénales canadiennes sur le suicide assisté depuis
leur création au dix-neuvième siècle. L'affaire est donc venue ébranler
sérieusement des modèles moraux établis et a fait figure de premier
espace social de légitimation ou de construction de valeurs morales
anciennes ou nouvelles. En tant que telle, la décision Rodriguez a donc
été un précédent dans la jurisprudence canadienne en matière de
suicide assisté. De nature à orienter vraisemblablement la conduite
future des magistrats dans des affaires analogues, la décision aide sans
aucun doute à déterminer la légitimité de diverses positions morales
6
LE SUICIDE ASSISTÉ
du point de vue du droit pénal. Bref, l'affaire Rodriguez est un événement marquant en ce qu'elle est le « baptême du feu » des textes de loi
canadiens sur l'aide au suicide et en ce qu'elle est à l'origine d'une
nouvelle harmonisation de diverses morales. À ce titre, elle est donc
un passage obligé pour mieux comprendre toutes les affaires
judiciaires du même genre qui ont suivi le cas Rodriguez.
Dans un autre ordre d'idées, peu d'auteurs reconnaissent
l'influence souvent déterminante des tribunaux dans la conciliation
des diverses morales. Pourtant, depuis l'avènement de la Charte
canadienne des droits et libertés, les tribunaux se sont vu attribuer des
pouvoirs de changement social sans précédent puisqu'ils ont
dorénavant la tâche de donner un contenu à des droits ou à des
libertés qui n'ont pas encore de substance juridique. Dans le débat
actuel sur le suicide assisté, les tribunaux constituent justement la
tribune principale par laquelle la morale dominante de la société
canadienne, la Charte et le droit pénal sont remis en question. Dans
cette perspective, le contenu discursif du dossier judiciaire soumis à la
Cour suprême du Canada est mis à contribution, d'abord afin de
mettre en évidence les contestations morales entourant le suicide
assisté (par exemple : acteurs, modes de légitimation, oppositions et
contradictions, alliances, résistances) et, ensuite et surtout, afin de
dégager ce qui n'est pas dit dans les écrits juridiques (par exemple :
enjeux, intérêts, attentes face au droit pénal). Une attention particulière
est également accordée à l'issue du litige, c'est-à-dire à la décision des
juges, de manière à déterminer en quoi et comment ceux-ci participent
à la problématisation morale de l'aide au suicide, ainsi qu'à la formalisation en droit de certaines expériences morales.
La réflexion qui sous-tend ce livre découle directement de la remise
en question récente du suicide assisté. Il importe donc d'inscrire cette
réflexion dans le contexte des bouleversements éthico-politiques actuels
qui accompagnent la problématisation du suicide assisté. Par
conséquent, de manière à mieux saisir le sens de la remise en question
actuelle du suicide assisté, le premier chapitre retracera les transformations que les modes de régulation morale et pénale du suicide ont
subies dans l'histoire de l'Occident. Tenant compte de cet historique,
le chapitre 2 posera les jalons théoriques dont ma réflexion s'inspire.
Cette prise de position particulière servira de point d'ancrage autour
duquel s'articulera, à partir du troisième chapitre, l'examen de l'affaire
Rodriguez.
INTRODUCTIONN
7
Dans l'affaire Rodriguez, deux camps tentent de faire légitimer, par
et dans le droit, leurs positions respectives quant à la décriminalisation
du suicide assisté. Cette confrontation entre deux camps ne doit pas
surprendre. Les principes binaires de fonctionnement de la justice
pénale et de son appareil judiciaire sont tels, au Canada, que les
tribunaux mettent nécessairement en présence des acteurs qui ne
peuvent être regardés que comme des adversaires (le « oui et le non »,
le « pour et le contre », le « vrai et le faux »). Les moyens termes étant
d'emblée exclus parce que non conceptualisés, le débat judiciaire met
donc toujours face à face des camps opposés. Le premier des deux
camps dans l'affaire Rodriguez se compose des tenants de la décriminalisation du suicide assisté. Ces derniers adoptent des positions
morales qui, comme nous le constaterons dans le chapitre 3, témoignent du caractère multiforme des valeurs et des intérêts qui sont
défendus. Les origines socio-politiques et morales des divers arguments seront mises en lumière de façon à rendre compte de la pluralité
des foyers d'expériences morales des acteurs et, donc, de leurs positions multiples sur le plan, par exemple, des objectifs, des techniques
de persuasion, des intérêts, des valeurs et des enjeux.
Le second camp est constitué par les opposants à cette décriminalisation. Ici aussi, les valeurs et les intérêts sociaux qui sous-tendent
la prise de position des différents opposants sont multiples. Le chapitre 4 décrira leurs divers intérêts et fera état également de l'ampleur
des indignations morales et de la variété des moyens d'action mis en
œuvre pour exprimer ces indignations. Les chapitres 3 et 4 dressent
donc le portrait des rivalités, innovations et résistances morales
auxquelles a donné lieu l'affaire Rodriguez et qui lui étaient propres.
Bien entendu, toute discussion sur une affaire judiciaire quelle
qu'elle soit doit accorder une attention toute particulière à la décision
des juges. Dans l'affaire Rodriguez, à l'instar des groupes d'intérêts qui
sont intervenus dans cette affaire, les juges de la Cour suprême du
Canada étaient aussi divisés en deux camps. Les positions défendues
dans chacun de ces camps sont confrontées dans le chapitre 5 de façon
à faire ressortir les valeurs et les intérêts sous-jacents. Nous verrons
que les morales qui seront protégées juridiquement reposent non
seulement sur un processus d'évaluation et d'équilibration des valeurs
et des intérêts en présence, mais aussi sur une logique de formalisation juridique autonome qui n'a rien ou presque rien à voir avec les
logiques présentées par les différents intervenants. La décision des
8
LE SUICIDE ASSISTÉ
plus hauts magistrats canadiens laisse également entrevoir des changements importants dans les représentations sociales du suicide
assisté ainsi que dans le paradigme culturel de la morale dominante.
Note
1. La prise en charge sociale du corps humain n'est pas nouvelle. Michel
Foucault (1975) en fait l'analyse dans le cadre de ce qu'il appelle le biopouvoir, c'est-à-dire l'ensemble des techniques d'ordre politique qui ont pour
rôle de diriger la vie humaine. Selon Foucault, le bio-pouvoir se développe,
depuis le dix-septième siècle, selon deux axes : le dressage des individus par
le développement des disciplines (caserne, atelier, école) et la mise en place de
méthodes de contrôle des populations (démographie, santé publique,
statistiques).
1
Une histoire morale et pénale du suicide
Pour saisir la signification et la portée sociale des pratiques morales et
juridiques qui semblent liées au suicide assisté, il faut comprendre
d'abord dans quel contexte culturel et socio-politique elles sont
apparues. Ces nouvelles pratiques sont nécessairement tributaires de
la période au cours de laquelle elles émergent. Mais il ne suffit pas
d'inscrire l'émergence d'un débat social sur le suicide assisté dans le
cadre des transformations sociales d'aujourd'hui. Il faut aussi replacer
ce débat dans l'histoire des mutations de la perception sociale et
morale du suicide et de son expression sur le plan pénal.
On a longtemps pensé que le suicide a été un comportement
unanimement condamné parce qu'il viole le caractère sacré de la vie,
lequel est fondamental dans la culture occidentale. On pensait alors
que les normes morales et juridiques sur le suicide faisaient l'objet
d'un large consensus culturel (Hoffman et Webb, 1981). Or, l'histoire
nous montre tout autre chose. Elle nous montre plutôt que ces normes
morales et juridiques ont été le produit de rapports de pouvoir qui ont
varié selon les époques.
1.1. Tolérance et superstition : la double réaction sociale
au suicide dans l'Antiquité
La condamnation légale, morale ou religieuse du suicide remonte très
loin dans l'histoire de l'humanité. Déjà dans l'Antiquité, l'assassinat
de soi 1 est généralement condamné par la rhétorique. Cependant, il
fait très peu l'objet de sanctions pénales. Seules certaines sociétés le
sanctionnent par des lois spécifiques, mais très fragmentaires (Van
10
LE SUICIDE ASSISTÉ
Hooff, 1990). Par exemple, dans la Grèce antique, les quelques
dispositions juridiques relatives au suicide concernent surtout les
procédures d'inhumation des suicidés. Dans l'empire romain, par
contre, le système de lois, c'est-à-dire les Douze Tables, ne contient
aucune disposition sur le suicide (Marra et Orrù, 1991). Par contre,
dans la ville de Rome, la mort volontaire d'un citoyen est considérée
comme un droit dès la fondation de la ville en 753 av. J.-C. (Cohen,
1988). Malgré cette liberté reconnue aux citoyens, certains types de
suicide retiennent quand même l'attention de l'État romain. Le premier type de suicide est celui qui est commis par des individus accusés
pour une affaire pouvant entraîner, s'ils sont trouvés coupables, la
confiscation de leurs biens. S'il est commis pendant la durée du procès,
le suicide est alors ordinairement perçu soit comme un geste hostile à
l'égard de l'empereur ou de l'État, soit comme un geste visant à se
protéger contre la confiscation des biens (et à les sauvegarder pour les
héritiers). Le suicide est alors un aveu de culpabilité. Il entraîne immédiatement la saisie de la fortune du coupable par l'État, au détriment
de la famille du suicidé. Cette sanction visait non pas à condamner le
suicide en soi, mais plutôt à éviter que l'État ne soit lésé par l'évasion
fiscale ou autrement (Marra et Orrù, 1991 ; Van Hooff, 1990). D'autres
formes de suicide intéressent également l'État romain. Celui du soldat,
par exemple, nuit considérablement à la société romaine qui a un
perpétuel besoin d'un large contingent de soldats pour assurer ses
conquêtes territoriales, pour administrer ses nombreuses colonies ou
pour les défendre. Le soldat était condamné en tant que déserteur, et
l'État s'arrogeait alors le droit de faire main basse sur ses biens. Le
suicide d'un esclave est aussi fortement condamné, surtout par la
classe possédante qui considère l'esclave essentiellement comme un
bien matériel. Le suicide est interdit aux esclaves pour deux raisons :
d'abord parce qu'il entraîne des pertes économiques et, ensuite, parce
que les esclaves ne sont pas des citoyens romains. Bref, les exceptions
prévues par les lois romaines sur le suicide avaient pour but de prévenir des pertes de revenus pour l'État et pour les classes dirigeantes.
Les connaissances actuelles sur la Grèce et la Rome antiques
permettent de croire que les sanctions pénales à l'égard du suicide
étaient, à quelques exceptions près, rares sinon inexistantes. Cette
absence quasi totale de sanctions ne doit toutefois pas être interprétée
comme une indication des sentiments populaires ou de la morale
collective à l'égard du suicide dans ces civilisations. À mon avis, il faut
éviter de considérer la question du traitement historique du suicide
UNE HISTOIRE PÉNALE ET MORALE DU SUICIDEE
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sur la base du postulat que l'existence de sanctions pénales à l'égard
du suicide reflète fidèlement l'état des sentiments collectifs — comme
l'a supposé d'emblée Durkheim (1897) dans son étude classique sur le
suicide. Les perceptions et les pratiques sociales et morales de même
que les mesures légales constituent, certes, des aspects complémentaires de l'analyse historique du traitement du suicide, mais il serait
naïf de croire qu'elles sont parfaitement ou constamment liées les unes
aux autres. Autrement dit, il se peut qu'à certaines époques les réactions légales face au suicide soient fortes alors que la société civile, elle,
est largement tolérante. Il se peut aussi qu'en d'autres temps la moralité publique condamne plus rigoureusement le suicide et que cela se
traduise dans certaines pratiques alors que, légalement, le suicide n'est
nullement, ou pratiquement pas, puni. C'est, en l'occurrence, ce qui
s'est passé dans l'Antiquité.
En effet, malgré l'absence de lois sur le suicide à cette époque, il y
a, selon Van Hooff (1990), un important sentiment collectif de répulsion à l'égard de la personne qui se tue, sentiment auquel s'associent
certaines pratiques populaires. Par exemple, dans plusieurs pays du
monde antique, on a coutume d'effacer à jamais la mémoire du suicidé
des rites familiaux destinés à honorer les morts bien aimés. Il est
également habituel de laisser le corps du suicidé dans la nature, sans
inhumation, et de le livrer aux bêtes sauvages. Ce refus d'inhumation
ne visait pas à sanctionner collectivement les comportements suicidaires. Il n'était pas non plus de nature morale, contrairement à ce qu'a
soutenu Durkheim (1897). Il relevait plutôt d'une coutume de nature
magique, une façon pour les vivants de se purifier eux-mêmes (Marra
et Orrù, 1991).
Quant aux juifs, ils sont guidés par une prohibition religieuse
générale contre le suicide qui découle de l'idée que la vie humaine est
entre les mains de la Providence et de la souveraineté de Dieu et que
le suicide usurpe un pouvoir qui n'appartient qu'à ce dernier (Cohen,
1988). Malgré le caractère imprescriptible de cette prohibition, la
punition attachée à la désobéissance est relativement clémente. Elle
porte surtout sur l'élimination de certains passages dans les prières et
sur l'imposition de restrictions quant aux rites d'enterrement. Par
exemple, les juifs doivent attendre le coucher du soleil pour inhumer,
en secret, les suicidés. Il leur est alors défendu de pleurer sur le corps
et, dorénavant, nul ne peut évoquer la mémoire du défunt, en bien ou
en mal (Van Hooff, 1990). La religion juive prévoyait, toutefois,
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LE SUICIDE ASSISTE
certaines exceptions où le suicide devient une issue acceptée et même
souhaitable. Il est préférable au meurtre d'un innocent, à l'inceste ou
à d'autres activités sexuelles non naturelles et, enfin, au reniement de
Dieu (Cohen, 1988). Pour les juifs, ces trois valeurs sont intrinsèquement plus importantes que la préservation à tout prix de la vie
humaine.
À Athènes, le suicidé fait l'objet d'un rituel populaire très particulier qui consiste à trancher la main « responsable » de l'acte, perçue
comme un organe autonome et ennemi de soi, et à l'enterrer séparément du reste du corps (Stephen, 1845 :108). Cette coutume d'enterrer
la main trouve, elle aussi, sa justification dans un besoin ou un goût, à
l'époque, pour les rituels de purification ainsi que dans diverses superstitions issues des multiples cultes polythéistes qui se pratiquent dans
l'Antiquité. Toutefois, l'attitude des Athéniens à l'égard du suicide
n'est pas uniquement issue d'une morale de nature populaire et
informelle. Par le moyen des tribunaux, les cités-États établissent un
véritable système de contrôle social du suicide. Ceux qui envisagent
le suicide peuvent vraisemblablement obtenir une autorisation
préalable lorsque le suicide est motivé pour des raisons comme la
défense de l'honneur, le désespoir d'avoir perdu son honneur, une
diminution de la qualité de vie (occasionnée par des souffrances
chroniques, un handicap physique ou une maladie mentale), pour
s'épargner les souffrances et l'indignité des infirmités de la vieillesse
ou tout simplement par lassitude de la vie (Cohen, 1988). Tout suicide
non approuvé par le tribunal était considéré comme une offense
politique contre l'État et était puni de dédain pour le cadavre, de
restrictions dans les rites d'inhumation ou d'infamie envers la
mémoire du suicidé. Pour les individus qui avaient tenté sans succès
de se donner la mort, les tribunaux imposaient des sanctions d'ordre
économique et politique, soit une amende et la perte de droits politiques (Van Hooff, 1990).
Outre les manifestations économiques ou politiques du caractère
condamnable du suicide ou de la tentative de suicide, c'est surtout la
combinaison de superstitions et de croyances religieuses qui a fait que
certaines formes de suicide ont été punies de façon informelle dans les
sociétés antiques. Malgré l'existence de quelques lois ponctuelles ou de
prescriptions rituelles populaires à l'égard de la personne qui se
donnait volontairement la mort, les sociétés classiques demeuraient
généralement tolérantes envers le suicide. Mais, dès le début du Moyen
UNE HISTOIRE PENALE ET MORALE DU SUICIDEE
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Âge, le suicidé fera l'objet d'une véritable condamnation religieuse
ainsi qu'à une répugnance populaire et à des châtiments féroces dont la
cruauté augmentera considérablement pendant toute cette période.
Mais, avant d'aborder le Moyen Âge, il convient de faire une
importante mise au point. Dans ce chapitre, il est insuffisant de faire
uniquement le survol historique des perceptions sociales et des lois sur
le suicide dans le contexte particulier du Canada. Cela ne suffit pas
parce que le Canada est un pays dont le droit est encore jeune, surtout
en ce qui concerne le suicide, comme nous le verrons plus loin. En
outre, la chose est impraticable parce qu'à ce jour l'histoire du suicide
au Canada reste à faire. Il convient donc d'aller voir ailleurs ce qu'on
a fait du suicide. Une des réalités historiques indéniables du Canada
est qu'il est demeuré longtemps sous la domination anglaise et que ses
lois pénales se sont largement inspirées du droit anglo-saxon. Jusqu'à
preuve du contraire, c'est-à-dire jusqu'à ce que des études historiques
viennent détruire les idées reçues, il est permis de supposer que le
rayonnement de l'Angleterre et du droit anglo-saxon a influencé les
pratiques juridiques (peut-être même les pratiques sociales) canadiennes à l'égard du suicide. L'historique que je vais tracer du suicide
va donc porter, en bonne partie, sur les pratiques et les politiques
anglo-saxonnes, et notamment anglaises, à l'égard du suicide.
1.2. Doctrine chrétienne et justice séculière au Moyen Âge
L'Église chrétienne est l'une des premières institutions à condamner le
suicide sous toutes ses formes. Au concile d'Arles, en 452, elle déclare
que le suicide est un acte inspiré par le diable et le condamne, quoique
seulement moralement au début. Le fait que ce concile rejette le suicide
est purement économique et vise essentiellement à protéger les seigneurs. En effet, la condamnation ne s'adresse qu'aux serfs dont le
servage est primordial au système féodal du début du Moyen Âge et
dont le suicide entraîne des pertes économiques importantes pour le
seigneur. En réalité, la position prise au concile d'Arles est une simple
récupération de l'ancienne législation romaine.
Un siècle plus tard, un décret ecclésiastique vient cependant imposer une première sanction religieuse aux suicidés : l'interdiction de
toute sépulture chrétienne et des rites qui y sont associés ainsi que
l'interdiction de traiter le corps avec respect. Non seulement les
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