Les sauterelles « envahiront ta
maison… [Phénomène] que tes
pères et les pères de tes pères n’ont
pas vu depuis le jour où ils ont
existé sur cette terre jusqu’à ce
jour » (10, 6). La plaie qui
s’annonce est quelque chose de
radicalement nouveau, de
fondamentalement différent du
passé. Et là, pharaon comprend qu’il
ne peut laisser le temps s’écouler
sans changer, sans se rétracter :
« Pharaon se précipita pour
convoquer Moché et Aharon »
(10, 16), il précipite les événements
car il saisit, provisoirement, qu’il ne
peut rester sur ses positions et il
déclare : « Et à présent [dans ce
présent qui ne ressemble plus
au passé], supporte de grâce ma
faute » (10, 17). Puis, la plaie se
termine ; et pharaon retourne dans
son temps, dans son état de rigidité
déconcertante où le temps reste ce
qu’il est. C’est la raison pour
laquelle la plaie suivante est celle de
l’obscurité, suspension du passage
du jour à la nuit, du temps qui
passe et qui change.
Face à pharaon qui ne veut
pas changer et qui laisse le temps
passer sans faire son œuvre comme
on dit, la Torah (12, 34) raconte
que les enfants d’Israël ont emporté
la pâte avant qu’elle ne fermente,
c'est-à-dire avant que le temps ne
produise son effet sur elle. La matsa
représente le mouvement de
résistance au mouvement des
choses qui deviennent ce qu’elles
doivent devenir à cause du temps.
La matsa signifie la brisure du cycle
du temps ; et invite ainsi les
hommes à ne pas devenir ce que le
temps a décidé pour eux.
A plusieurs reprises, dans le
récit de la sortie d'Egypte, Moché
intercède auprès de D.ieu pour faire
cesser les plaies qui s’abattent sur le
pays des pyramides. C’est le cas pour
les plaies des grenouilles (Chemot 8,
8), des bêtes sauvages (8, 26), de la
grêle (9, 33). On peut s’étonner de
ces prières en faveur de pharaon dans
la trame du récit de la sortie d’Egypte.
Que nous enseignent-elles ? De plus,
pourquoi D.ieu attend-Il, pour faire
cesser la plaie, la prière de Moché ?
Rabbi Sim’ha Bouném de
Pchiss’ha (Kol Sim’ha sur Vaéra)
explique que D.ieu a ainsi inscrit dans
les structures mêmes des lois du
monde, la possibilité pour un tsadik
de modifier, de bousculer, les lois de
la nature par la force de sa prière. Si
D.ieu avait laissé les plaies se
terminer par elles-mêmes, c’est
comme si les lois de la nature
régissaient l’histoire. Mais avec
l’intervention de Moché qui prie, c’est
le tsadik, prototype de l’homme juste
et idéal, qui modifie les destinées de
la nature pour le bien.
Il importe à l’homme de savoir
que rien n’est jamais écrit pour de
bon. Tel est le sens des
enseignements talmudiques selon
lesquels la prière d’un tsadik peut
annuler un mauvais décret ou même
adresser une prescription au ciel
(« tsadik gozer veHachem
mekayem »). Cette faculté que le
judaïsme confère à la prière ne
constitue pas seulement une donnée
métaphysique ou théologique. Elle a
même des incidences juridiques.
Prenons le cas d’un ‘hokher c'est-à-
dire d’un homme qui loue un champ
pour le cultiver et qui paie la location
de ce champ en nature (une certaine
quantité de fruits fixée à l’avance
constitue le paiement). Le Talmud
(Baba Metsia 106a) enseigne : soit le
propriétaire d’un champ qui fixe à son
‘hokher de semer du blé, mais le
‘hokher sème de l’orge.
C’est le feu qui grille l’agneau
et non la broche métallique. On ne
peut observer la Torah de loin car
c’est un système de vie qui s’élabore
de l’intérieur. Tant qu’on n’a pas vécu
un vrai chabbat, on ne peut qu’en
avoir une idée inexacte, erronée et
s’imaginer que c’est là une difficile
épreuve alors que l’observance du
chabbat est précisément ce qui rend
ce jour si particulier, si élevé.
La Guemara (ibidem) poursuit en
expliquant que c’est avec une broche
de bois que l’on grille l’agneau de
Pessa’h mais pas n’importe quel bois.
On n’utilise pas le bois du palmier ni
celui du figuier, ni celui du chêne, du
caroubier, du sycomore mais on
utilise le bois du grenadier. La
Guemara explique que même si ces
bois sont secs à l’extérieur, ils restent
humides à l’intérieur. Ainsi quand on
utilise des tiges issues de ces bois,
quand on embroche la viande ou
qu’on la met au feu, le bois expulse
de l’eau. Du coup, une partie de
l’agneau de Pessa’h est cuite (feu et
eau) et non grillée. Par contre, le
grenadier est sec à l’extérieur ainsi
qu’à l’intérieur et ne dégage aucune
humidité.
Si on veut avoir accès à la
lumière de la Torah et à sa chaleur, il
faut l’accueillir, la Torah, telle qu’elle
est, sans la juger, sans l’approcher
avec cette humidité qui nous habite,
c'est-à-dire sans considérer son
opinion ou son avis personnel, sans
prendre en compte ce qui vient de soi
donc sa subjectivité. Tel le bois du
grenadier, le juif accueille le judaïsme
sans rien considérer de ce qui vient
de lui car la Torah ne demande pas à
être jugée.
Après le séder de Pessa’h, on a
l’usage de lire le Cantique des
cantiques. Dans l’un de ses versets,
D.ieu dit à l’Assemblée d’Israël (4,
3) : « Ton front est telle une tranche
de grenade ». Le front fait allusion à
la dimension de la réflexion qui
accueille la Torah tel le bois issu du
grenadier en ne la jugeant pas à
partir de sa subjectivité mais en y
goûtant toute la saveur et la beauté
qui se révèle par une vie de mitsvot.
Jacky Milewski
Ainsi, l’homme doit changer, c'est-à-
dire devenir meilleur dans son
humanité, dans son caractère, se
travailler pour être différent en mieux
de ce qu’il a été s’il ne veut pas
devenir le fils de pharaon. Pour
soutenir l’homme dans cette
démarche, la Torah se dresse dans son
absolu, dans sa condition intemporelle.
Ainsi, à propos de la fête de Pessa’h et
de ses lois, la Torah insiste sur leur
caractère définitif et immuable :
« pour vos générations, loi
éternelle » (Chemot 12, 14), « Vous
observerez ce jour, loi éternelle »
(12, 17), « Vous protègerez cette
parole en tant que loi pour toi et
tes enfants, pour toujours » (12,
24). C’est parce que la Torah ne
change pas et de fait constitue un
repère solide, une référence valable
pour tous les temps, que l’homme peut
s’y référer et exprimer ce qu’il possède
de mieux en lui.
Pharaon a donc interverti les
rôles : parce qu’il refusait de changer,
il change la loi de D.ieu qui exige la
libération des enfants d’Israël. Quand il
le comprend enfin, c’est trop tard, la
dernière plaie s’est abattue sur
l’Egypte. Ce n’est qu’alors qu’il rend à
Israël sa liberté.
Jacky Milewski
Se produit ensuite une catastrophe
naturelle dans toute la région :
toutes les récoltes sont touchées,
celles de ce champ aussi. Comment
va-t-on statuer sur ce cas ?
Le ‘hokher peut-il argumenter : si
j’avais semé du blé, la récolte aurait
également été abimée. C’est un
sinistre régional auquel cas j’ai droit
à une diminution de mon paiement.
Ou bien, le propriétaire du champ
peut dire : si tu avais planté du blé
comme prévu, se serait accompli
pour moi le verset de Job (22, 28) :
« tu énonces une parole et Lui
[D.ieu] l’accomplira pour toi ». Je
n’ai évoqué dans mes prières que la
réussite en lien avec le blé, non avec
l’orge. Si tu avais semé du blé,
j’aurais peut-être été exaucé. D’un
côté, se présente un argument
logique (le blé se serait aussi
abimé), de l’autre, on avance un
argument métaphysique (« j’ai prié,
et ma prière aurait pu être prise en
considération si tu avais respecté les
termes du contrat »).
Le Talmud donne raison au
propriétaire et accepte l’argument de
la prière. Le propriétaire aurait
pu influer par sa
prière sur la
destinée de ses
récoltes de
même que
Moché épargne
l’Egypte de
souffrances
supplémentaires.
Moché prie et la
grêle cesse de
tomber ;
Le mois de nissan est le
septième à partir de tichri, et le
premier dans l’ordre de la Tora
où il est appelé « tête des mois »
ou « premier des mois ». Il est
également appelé « mois du
printemps » (Chemoth 34, 18),
en hébreu : ‘hodèch ha-aviv, ce
mot ha-aviv étant parfois
considéré comme acronyme de
av ha-yod beth (« père des douze
[mois] »). Le mois de nissan est
placé sous le signe zodiacal du
Bélier. L’agneau symbolise le
sacrifice de Pessa’h, le premier
sacrifice que le peuple juif
adressa à D.ieu juste avant sa
délivrance. Le peuple juif lui-
même est représenté par un
agneau (encerclé par soixante-
dix loups). Parmi toutes les
créations de D.ieu, l’agneau
possède la capacité innée
d’éveiller la miséricorde par sa
voix.
Bon mois de Nissan et Pessah
Cacher vésaméah' à tous !!
Jonathan Suède
Elève de Première
La Torah défend de cuire
l’agneau de Pessa’h c'est-à-dire de le
rendre apte à la consommation sous
l’effet conjugué du feu et de l’eau
(Chemot 12, 9). Il doit être grillé au
feu (tsli ech). La Guemara (Pessa’him
74a) explique qu’il est interdit d’utiliser
une broche en métal pour griller
l’agneau. En effet, quand une partie
d’une tige métallique est bouillante, sa
chaleur se propage dans la totalité de
la tige de sorte que l’agneau est grillé
par le biais du métal qui lui-même
brûle sous l’effet du feu. Or la Torah a
demandé à ce que l’agneau de Pessa’h
soit grillé au feu, directement, sans
intermédiaire (tsli ech).
Le petit agneau représente le peuple
d’Israël ; le feu renvoie à la Torah
(« ‘‘Ma parole n’est-elle pas comme le
feu ?’’, parole de D.ieu » (Jérémie 23,
29)).Cette parole divine éclaire les
esprits et réchauffe les cœurs. Mais
pour avoir accès à la Torah, on ne peut
passer par des intermédiaires,
l’apprendre de seconde main, rester à
distance des mitsvot et penser que l’on
peut imaginer ce qu’est une vie de
Torah.
elle reste en suspens dans le ciel
– nous dit Rachi sur Chemot 9,
33 -, retenue par la parole du
tsadik. C’est en construisant une
humanité emplie de tsadikim
que l’on changera la face du
monde.
Jacky Milewski