Réparation dossier thématique Nouvelle stratégie thérapeutique dans le glioblastome combinant un inhibiteur de la réparation de l’ADN (Dbait) à la radiothérapie Novel therapeutic strategy combining an inhibitor of DNA repair (Dbait) to radiation therapy in glioblastoma Julian Biau1, 2, Emmanuel Chautard1 Malgré un traitement agressif (chirurgie-radiothérapie-chimiothérapie), la survie des patients reste catastrophique. La plupart des glioblastomes récidivent en territoire irradié, laissant penser qu’accroître l’efficacité de cette radiothérapie, en particulier en l’associant à des thérapies moléculaires, pourrait aboutir à l’augmentation significative du contrôle local et, éventuellement, de la survie de ces patients. La cytotoxicité de la radiothérapie est principalement liée aux cassures double-brin (CDB) de l’ADN. La stratégie utilisée ici consiste à sensibiliser les tumeurs en employant une nouvelle famille de perturbateurs de la réparation des dommages : les molécules Dbait. Ce sont de courts fragments d’ADN double-brin stabilisé chimiquement. Les molécules leurres Dbait imitent des CDB et désorganisent la réponse cellulaire aux dommages en fixant et en perturbant l’activité de DNA-PK, induisant l’hyperphosphorylation de ses protéines cibles. Cette hyperphosphorylation perturbe la signalisation des dommages, ce qui a pour conséquence d’inhiber leur réparation. Par ce biais, on inhibe une fonction et non plus une cible, concept novateur en cancérologie. Summary RÉSUMÉ »»Le glioblastome est la plus fréquente des tumeurs cérébrales primitives. Mots-clés : Glioblastome − Radiothérapie − Dbait − Inhibiteur de la réparation de l’ADN. 1 Département de ­radiothérapie, laboratoire de radio-oncologie expérimentale, centre Jean-Perrin, ClermontFerrand ; EA7283 CREaT, université d’Auvergne, Clermont-Ferrand. 2 Équipe “Recombinaison, réparation et cancer : de la molécule au patient”, CNRS UMR3347, Inserm U1021, Institut Curie, Paris. 166 L es glioblastomes, tumeurs primitives du système nerveux central les plus fréquentes, constituent malgré leur rareté relative une cause importante de morbidité et de mortalité, et représentent un problème de santé majeur (1). Classiquement, ces tumeurs sont traitées par chirurgie puis radiochimiothérapie (témozolomide) puis chimiothérapie seule. Malgré les bénéfices apportés par la radiothérapie, qui reste un traitement de référence, la médiane de survie des patients atteints de glioblastome est inférieure à 14 mois (2), le plus souvent en raison d’une récidive à l’intérieur même Glioblastoma is the most frequent cerebral malignancy. Despite aggressive treatment (surgery-radiotherapychemotherapy), survival remains poor. Tumor recurrence occurs mostly in the irradiated field. Increasing radiotherapy efficacy, especially in combination with molecular therapy, might significantly increase local control, eventually leading to an increase in patients’ survival. Radiotherapy cytotoxicity is mainly due to DNA double-strand break (DSB). The strategy developed here consists in sensitizing tumor cells with a new family of DNA repair pathway inhibitors: Dbait molecules. Dbait molecules consist in stabilized double-strand oligonucleotides. Dbait molecules mimic DSB and disorganize the cellular response to damages by fixing and hyperactivating DNA-PK activity leading to hyperphosphorylation of its targets. This hyperphosphorylation disturbs DNA damage signaling, leading to DNA repair inhibition. Therefore, a whole function is inhibited and not a specific target, which is an innovative concept in oncology. Keywords: Glioblastoma − Radiotherapy − Dbait − DNA repair inhibitor. du volume irradié (3). L’échec des traitements actuels impose donc d’identifier et de valider de nouvelles cibles thérapeutiques. La compréhension des mécanismes biologiques de la radiorésistance à l’origine de la récidive laisse espérer l’émergence de nouvelles cibles thérapeutiques, dont la neutralisation, associée à un ciblage spatial de haute précision de l’irradiation, pourrait améliorer l’efficacité antitumorale de cette dernière. L’ADN est une cible majeure de la mort cellulaire par irradiation (4). Il a été montré que ce sont les cassures double-brin (CDB) qui, même si elles sont minoritaires, Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 Nouvelle stratégie thérapeutique dans le glioblastome combinant un inhibiteur de la réparation de l’ADN (Dbait) à la radiothérapie A B CDB DNA-PKcs Dbait DNA ATM DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs DNA-PKcs Inhibiteurs Wortmannine Nu7441 Nu7026 SU11752 Vanilline … s H2AX -PKc sont à l’origine de la mort cellulaire radio-induite (5). La capacité des cellules cancéreuses à reconnaître les dommages de l’ADN, notamment les CDB, et à déclencher les mécanismes de réparation de l’ADN est un mécanisme majeur de résistance à la radiothérapie. La réparation des CDB de l’ADN se fait par 2 voies principales : la recombinaison homologue et le Non Homologous End Joining (NHEJ) [6]. De nombreuses études ont révélé une surexpression de l’ARNm et/ou des protéines de la voie de réparation du NHEJ, comme DNA-PKcs (sous-unité catalytique de protéine kinase dépendant de l’ADN) et KU80 dans les tissus cancéreux par rapport aux tissus sains, ainsi que dans les métastases par rapport aux tumeurs primaires (7, 8). Le taux de DNA-PKcs peut également être corrélé au stade tumoral et à la survie des patients (8, 9). L’ensemble de ces observations désigne la voie de réparation NHEJ comme une cible privilégiée pour augmenter l’efficacité thérapeutique des traitements anticancéreux, et notamment de la radiothérapie (10). Des sociétés pharmaceutiques se sont déjà impliquées dans ce domaine en développant des inhibiteurs classiques des enzymes de la voie NHEJ, mais elles se heurtent à 2 grands problèmes : le manque de spécificité de leur action et l’émergence de résistances dues à l’apparition secondaire de mutations sur la cible (figure). La stratégie utilisée ici consiste à sensibiliser les tumeurs radiorésistantes en utilisant une nouvelle famille d’inhibiteurs de la réparation de l’ADN : les molécules Dbait (DNA double-strand break bait). Il s’agit de courts fragments d’ADN double-brin stabilisés chimiquement, initialement développés par l’Institut Curie (équipe réparation, recombinaison et cancer du Dr Dutreix), et maintenant par DNA Therapeutics (Evry, France, www.dna-therapeutics.com). Les molécules Dbait désorganisent une cible critique : la voie NHEJ de réparation des CDB de l’ADN. L’aspect innovant des Dbait est leur mode d’action. Elles agissent en effet comme des leurres (“bait”) vis-à-vis des enzymes de réparation des CDB radio-induites de l’ADN en simulant une CDB. Une irradiation délivrée après administration de Dbait conduit ainsi à des CDB de l’ADN radio-induites non réparables par détournement et épuisement de l’activité de réparation dans les cellules durant la période de Ku 70/80 53BP1 Nbs1 Mre11 Xrcc4 Rad50 Ligase4 ??? Nbs1 Mre11 Rad50 ??? Rad51 53BP1 Exemples d’inhibiteurs de DNA-PKcs. Figure. Concept du ciblage de la voie de réparation NHEJ par Dbait : les inhibiteurs classiques de la voie de réparation des CDB ciblent uniquement une protéine de réparation (A) ; les molécules Dbait imitent des CDB qui hyperactivent les complexes DNA-PKcs et désorganisent le complexe NHEJ, qui n’est plus capable de réparer les véritables CDB. Le principe d’action des molécules Dbait a été décrit dans un film d’animation (15). traitement. Les molécules leurres Dbait désorganisent la réponse cellulaire aux dommages de l’ADN en fixant et en hyperactivant la kinase DNA-PKcs, induisant la phosphorylation de ses protéines cibles. L’hyperphosphorylation de protéines impliquées dans la réparation des CDB de l’ADN perturbe la signalisation du dommage, ce qui a pour conséquence d’inhiber la réparation des CDB de l’ADN (11). Par ce biais, on inhibe une fonction et non plus une cible, concept novateur en cancérologie (figure). Au laboratoire, ces molécules se sont montrées capables d’augmenter la radiosensibilité de cultures cellulaires, de tumeurs xénogreffées dérivées de mélanomes et de cancers de la tête et du cou (12), ainsi que la chimiosensibilité de tumeurs colorectales (13). Les premiers résultats précliniques concernant leur association à la radiothérapie dans le cadre du glioblastome sont prometteurs (14). Ces molécules font l’objet d’un essai clinique de phase I/ II (DRIIM : ClinicalTrials.gov#NCT01469455) en association avec la radiothérapie dans le cadre des métastases en transit de mélanome. ■ Références 1. DeAngelis LM. Brain tumors. N Engl J Med 2001;344(2):114-23. 2. 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