Algèbres à involution et invariants cohomologiques Nicolas Garrel 20 octobre 2014 Table des matières Introduction 2 1 La cohomologie galoisienne dans une coque de noix 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 Descente galoisienne . . . . . Cocycles . . . . . . . . . . . . Suites exactes et cohomologie Groupe de Brauer . . . . . . Cup-produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 4 5 6 7 2 Formes quadratiques 8 3 Algèbres à involution 11 2.1 Anneau de Witt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 2.2 Hauptsatz et premiers invariants . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 2.3 Invariants cohomologiques et conjecture de Milnor . . . . . . . . 10 3.1 Formes bilinéaires et adjonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 3.2 Approche systématique des invariants cohomologiques . . . . . . 12 3.3 Quelques invariants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1 Introduction Une des raisons qui poussent à étudier les formes quadratiques est qu'elles interviennent de manière cruciale dans la classication des groupes algébriques. On rappelle qu'un groupe algébrique sur un corps k est une variété algébrique G sur k munie d'un morphisme G × G → G tel que pour toute extension K/k , l'application G(K) × G(K) → G(K) munisse G(K) d'une structure de groupe. L'étude des groupes algébriques est une branche fondamentale des mathématiques dont l'importance se fait également sentir du côté de la physique théorique. On peut montrer qu'un groupe algébrique simple (pas de sous-groupes connexes distingués), déployé (hypothèse technique toujours vériée sur un corps séparablement clos) et simplement connexe (hypothèse bénigne, tout groupe simple déployé s'obtient comme quotient d'un groupe simplement connexe par un sousgroupe ni de son centre) est entièrement caractérisé par son diagramme de Dynkin, qui est une donnée combinatoire qu'on sait parfaitement calculer. On obtient ainsi la liste complète de ces groupes (j'omets ici les groupes dits exceptionnels, au nombre de 5) : • type An : SL(V ) où V est un k -espace vectoriel de dimension n + 1 ; • type Bn : Spin(V, q) (revêtement universel de SO(V, q), qu'on décrit à partir de l'algèbre de Cliord) où q est une forme quadratique non dégénérée de partie anisotrope de dimension 1 sur V , k-espace vectoriel de dimension 2n + 1 ; • type Cn : Sp(V, b) où b est une forme alternée non dégénérée sur V , k espace vectoriel de dimension 2n ; • type Dn : Spin(V, q) où q est une forme quadratique hyperbolique sur V , k -espace vectoriel de dimension 2n. Cela étant dit, on souhaiterait se débarrasser de la condition de déploiement. Une façon de procéder est d'appliquer un processus de descente (voir la partie 1) puisqu'on sait traiter le cas d'un corps séparablement clos. C'est Weil qui a alors compris qu'il fallait sortir du cadre des formes bilinéaires au prot des algèbres à involution (voir partie 3). 1 1.1 La cohomologie galoisienne dans une coque de noix Descente galoisienne Une situation des plus classiques en algèbre est la suivante : on dispose d'un objet A (en un sens vague) déni sur un corps k (idem), et on en déduit de façon canonique pour toute extension K/k un objet AK déni sur K . C'est ce qu'on appelle un processus d'extension des scalaires. En général, ce type d'extension s'accompagne d'une perte d'information sur A (mais pas toujours). Considérons quelques exemples : 2 • sur les espaces vectoriels, l'extension des scalaires préserve la dimension (dimk V = dimK VK ), donc on conserve toute l'information ; • en ce qui concerne les formes quadratiques en revanche, on sait que toutes les formes quadratiques non dégénérées de même dimension sont isométriques sur un corps algébriquement clos (en fait, quadratiquement clos). Donc par exemple les formes quadratiques x2 + y 2 et x2 − y 2 , qui ne sont pas isométriques sur R, le deviennent sur C. Il devient donc évident qu'on ne saurait disposer d'une opération inverse à l'extension des scalaires. La question devient plutôt : étant donné un objet X déni sur K , quels sont les diérents objets A dénis sur k tels que AK ' X ? C'est ce qu'on appelle un problème de descente. Posons un cadre explicite : on considère comme objets (sur k) des k-espaces vectoriels de dimension nie V munis d'un tenseur Φ ∈ V ⊗p ⊗ (V ∗ )⊗q (c'est équivalent à la donnée d'une application linéaire V ⊗q → V ⊗p ). Dans ce cas l'extension des scalaires est évidente : on prend juste VK = V ⊗k K muni des tenseurs ΦK = Φ ⊗k 1K . Regardons quelles structures on obtient pour certaines petites valeurs de p et q : • p = q = 0 : on retombe sur le cas des simples espaces vectoriels (de dimension nie) ; • p = q = 1 : un espace vectoriel muni d'un endomorphisme distingué (i.e. un k[X]-module de type ni de rang nul) ; • p = 0, q = 2 : un espace vectoriel muni d'une forme bilinéaire, i.e. un espace quadratique ; • p = 1, q = 2 : un espace vectoriel muni d'une application bilinéaire, i.e. une k-algèbre (a priori ni associative ni unitaire, mais il est clair que ces propriétés sont préservées par extension/descente). On omettra souvent de faire la distinction entre un objet et l'espace vectoriel sous-jacent, et on dira donc qu'un vecteur est un élément de l'objet. Deux objets (V, Φ) et (W, Ψ) sont isomorphes s'il existe un isomorphisme k -linéaire f : V → W tel que f ⊗p ⊗ (f ∗ )⊗q envoie Φ sur Ψ. Cela correspond bien à la dénition évidente dans le cas des espaces quadratiques et des algèbres. On se penche sur le cas où K/k est galoisienne, et on note G le groupe de Galois de l'extension. Si A est un objet (V, Φ) (de type (p, q)) sur k, alors G agit naturellement sur AK (par σ(v ⊗ λ) = v ⊗ σ(λ)), et A est naturellement caractérisé dans AK comme l'ensemble des points xes de l'action, qu'on note AG K . Cette action vérie la dénition suivante : Dénition 1.1.1. Soit G le groupe de Galois d'une extension galoisienne K/k, et soit V un K -espace vectoriel. Une action de G sur V par automorphismes k -linéaires est dite semi-linéaire continue si : • ∀σ ∈ G, ∀λ ∈ K, ∀v ∈ V, σ(λv) = σ(λ)σ(v) ; • pour tout v ∈ V , il existe une extension nie L/k telle que Gal(K/L) ⊂ G xe v . Remarque 1.1.2. Le terme continu vient du fait que si on munit G de sa topologie pronie canonique et V de la topologie discrète, la deuxième condition équivaut à ce que l'application G × V → V donnée par l'action soit continue. Donc pour qu'un objet X sur K vienne d'un objet sur k, il est nécessaire 3 qu'il soit muni d'une action semi-linéaire continue de G. Réciproquement, on a le résultat de descente suivant : Proposition 1.1.3. Soit X un objet sur K muni d'une action semi-linéaire continue de G. Alors l'ensemble des points xes X G est un k-objet tel que l'application canonique X G ⊗k K −→ X soit un isomorphisme. On en est donc réduit à trouver, pour un X xé, toutes les actions semilinéaires continues de G sur X , puis à trouver celles qui induisent des objets isomorphes sur k. 1.2 Cocycles Tout se passe mieux (si si) en étudiant une situation relative : on choisit un objet A déni sur k et on considère X = AK . Mais le fait de l'écrire sous la forme AK fait qu'on dispose d'une action canonique de G sur X , à laquelle on va comparer les autres. Dénition 1.2.1. On note ϕ : G → Autk (X) l'action canonique de G sur X = AK . Soit ψ : G → Autk (X) une autre action semi-linéaire continue. On appelle cocycle associé à cette action l'application a : G −→ σ 7−→ AutK (X) aσ = ψ(σ) ◦ (ϕ(σ))−1 . Les cocycles sont donc en correspondance avec les actions semi-linéaires continues, donc à chaque cocycle correspond un objet sur k obtenu par descente. On en a la caractérisation explicite suivante : Proposition 1.2.2. Les cocycles sont exactement les fonctions continues G → AutK (X) (où AutK (X) est muni de la topologie discrète) vériant aστ = aσ σ(aτ ). a : (1) Deux cocycles a et b correspondent à des objets isomorphes sur k si et seulement si ils sont cohomologues, i.e. s'il existe c ∈ AutK (X) tel que aσ = c−1 bσ σ(c). (2) On en déduit le résultat de base de la théorie de la descente galoisienne : Dénition 1.2.3. On note Z 1 (G, AutK (X)) l'ensemble des cocycles, et a ∼ b la relation être cohomologue . On note H 1 (G, AutK (X)) et on appelle premier ensemble de cohomologie le quotient de Z 1 (G, AutK (X))/ ∼. Théorème 1.2.4. Soit A un objet sur k. L'ensemble des classes d'isomorphismes sur k d'objets qui deviennent isomorphes à AK quand on les étend à K (ce qu'on appelle des formes galoisiennes de A) est canoniquement en bijection avec H 1 (G, AutK (AK )). La classe de A correspond à la classe du cocycle trivial aσ = Id. 4 Exemple 1.2.5. On a déjà remarqué que comme les espaces vectoriels sont classiés par leur dimension, AK détermine complètement A dans le cas p = q = 0. Comme le groupe d'automorphismes de AK est alors GLn (K) où n est la dimension, on en déduit le théorème de Hilbert 90 : H 1 (G, GLn (K)) = {∗}. Exemple 1.2.6. On considère la forme quadratique standard P 2 Q = xi sur Rn . Toutes les formes quadratiques non dégénérées en dimension n sont des formes galoisiennes de Q pour l'extension C/R. D'après le théorème classique de classication des formes quadratiques sur R, on en déduit une bijection ca- nonique : H 1 (G, On (C)) ' {(r, s) ∈ N2 | r + s = n}. Exemple 1.2.7. On considère l'algèbre A = Mn (k) (objet de type (1, 2)). On peut alors montrer que les formes galoisiennes de A sont exactement les kalgèbres centrales simples de dimension n2 (déployées sur K , cf infra). Comme tout automorphisme de A est intérieur, on a AutK (AK ) ' P GLn (K). Donc on obtient une bijection canonique H 1 (G, P GLn (K)) ←→ algèbres centrales simples de dimension n2 (déployées sur K ). 1.3 Suites exactes et cohomologie Il est relativement clair qu'on peut en fait dénir H 1 (G, A) dès que G est un groupe topologique agissant de façon continue sur un groupe A, par les mêmes formules (1) et (2). Il est alors facile de voir que H 1 (G, •) est un foncteur de la catégorie des G-groupes vers les ensembles pointés. On peut utiliser cet ensemble pour répondre à la question naturelle suivante : Question 1.3.1. Soit B un G-groupe, et A un sous-G-groupe distingué. On a alors une structure naturelle de G-groupe sur C = B/A. A-t-on nécessairement C G = B G /AG ? En général, on ne peut pas relever un élément G-invariant de C en un élément G-invariant de B . En eet, soit [b] ∈ C G avec b ∈ B . On voudrait pouvoir choisir b ∈ B G . Par hypothèse, pour tout σ ∈ G, on a σ(b) = baσ avec aσ ∈ A. Il est alors facile de vérier directement que (aσ ) est un cocycle, que sa classe dans H 1 (G, A) ne dépend que de [b], et qu'on peut choisir b ∈ B G si et seulement si cette classe est triviale. On obtient donc une suite exacte d'ensembles pointés (le noyau est déni comme l'ensemble des éléments qui s'envoient sur l'élément distingué, ce qui correspond bien au noyau pour les groupes) 1 → AG → B G → C G → H 1 (G, A). On peut vérier qu'elle s'étend en 1 → AG → B G → C G → H 1 (G, A) → H 1 (G, B) → H 1 (G, C). Pour pouvoir aller plus loin, on a besoin d'hypothèses de commutativité. 5 Dénition 1.3.2. Si A est un G-groupe abélien (on parle alors de G-module), on pose pour tout n > 1 H n (G, A) = Z n (G, A)/B n (G, A) où Z n (G, A) = Ker(dn ) et B n (G, A) = Im(dn−1 ) avec dn : F(Gn , A) −→ f 7−→ F(Gn+1 , A) Pn−1 (σ0 , . . . , σn ) 7→ σ0 (f (σ1 , . . . , σn )) + i=0 (−1)i+1 f (σ0 , . . . , σi σi+1 , . . . , σn ) +(−1)n+1 f (σ0 , . . . , σn−1 ) On pose également H 0 (G, A) = AG . En particulier, tous les H n sont des groupes abéliens (y compris le H 1 , qui est bien canoniquement le même que celui déni plus haut). On peut alors vérier : Théorème 1.3.3. Les H n (G, •) sont des foncteurs de la catégorie des Gmodules vers celle des groupes abéliens. Pour toute suite exacte courte de Gmodules 0→A→B→C→0 on a une suite exacte longue canonique 0 → H 0 (G, A) → H 0 (G, B) → H 0 (G, C) → H 1 (G, A) → H 1 (G, B) → · · · → H n−1 (G, C) → H n (G, A) → · · · Notons que si B n'est pas commutatif mais que A est central dans B (donc a fortiori abélien), on a quand même une suite exacte d'ensembles pointés 1 → AG → B G → C G → H 1 (G, A) → H 1 (G, B) → H 1 (G, C) → H 2 (G, A). (3) Remarque 1.3.4. Les H 1.4 n (G, •) sont les foncteurs dérivés de H (G, •). 0 Groupe de Brauer Si on revient à la situation où G = Gal(K/k), les modules les plus intéressants sont le module additif K et le module multiplicatif K ∗ . Le cas du premier est très vite réglé : Proposition 1.4.1. On a H 0 (G, K) = k et pour tout n > 1 H n (G, K) = 0. En revanche, le module multiplicatif est nettement plus intéressant. On sait déjà (par la théorie de Galois) que H 0 (G, K ∗ ) = k∗ et (d'après l'exemple 1.2.5) H 1 (G, K ∗ ) = 0. On a aussi une interprétation naturelle pour H 2 . Considérons la suite exacte de G-groupes 1 → K ∗ → GLn (K) → P GLn (K) → 1. La suite (3) s'écrit alors 1 → k ∗ → GLn (k) → P GLn (K)G → 0 → 0 → H 1 (G, P GLn (K)) → H 2 (G, K ∗ ). 6 Comme on a vu (exemple 1.2.7) que H 1 (G, P GLn (K)) classie les algèbres centrales simples de dimension n2 , cela suggère un lien entre H 2 (G, K ∗ ) et ces mêmes algèbres. Pour mieux comprendre ce lien, il faut élucider la structure de ces algèbres : Théorème 1.4.2 (Wedderburn). Soit A une algèbre centrale simple de dimension nie sur k. Il existe un unique r ∈ N et une unique k-algèbre centrale à division D (i.e. un corps non commutatif de centre k) telle que A ' Mr (D). Ce théorème de structure conduit à la construction classique suivante : Proposition-dénition 1.4.3. Deux algèbres centrales simples sont dites Braueréquivalentes si elles ont la même algèbre à division sous-jacente. On note Br(k) l'ensemble des classes d'équivalences pour cette relation. C'est un groupe abélien pour la loi induite par le produit tensoriel des algèbres, appelé groupe de Brauer de k. Une algèbre centrale simple A est dite déployée sur K/k si AK ' Mn (K). Les algèbres déployées sur une extension xée forment un sous-groupe noté Br(K/k) de Br(k). On a Br(k) = Br(ks /k) (ks est une clôture séparable de k ). On peut alors démontrer : Théorème 1.4.4. Les groupes H 2 (G, K ∗ ) et Br(K/k) sont canoniquement isomorphes, et l'application H 1 (G, P GLn (K)) → H 2 (G, K ∗ ) correspond à envoyer la classe d'isomorphisme d'une algèbre sur sa classe de Brauer. En particulier, H 2 (Gal(k), ks∗ ) = Br(k). 1.5 Cup-produit On termine cette partie par une très brève mention des cup-produits. Si A et B sont des G-modules, on peut dénir l'application bilinéaire suivante : Z p (G, A) × Z q (G, B) −→ (f, g) 7−→ Z p+q (G, A ⊗ B) ((σ1 , . . . , σp+q ) 7→ f (σ1 , . . . , σp ) ⊗ g(σp+1 , . . . , σp+q )) On vérie alors qu'elle induit une application bilinéaire en cohomologie H p (G, A) × H q (G, B) −→ H p+q (G, A ⊗ B) appelée cup-produit, et notée (a, b) 7→ a ∪ b. Notons que dans le cas particulier où A = B = Z/nZ (munis de l'action triviale de G), on a A ⊗ B = Z/nZ, donc le cup produit munit H ∗ (G, Z/nZ) = M H i (G, Z/nZ) i d'une structure d'anneau gradué. Dans le cas où G = Gal(k) et n = 2, on notera cet anneau H ∗ (k). 7 2 Formes quadratiques 2.1 Anneau de Witt On souhaite classier (à isométrie près) les formes quadratiques sur un corps quelconque. Enn presque. Il existe des personnes admirables qui travaillent sur les formes quadratiques en caractéristique 2. Nous ne serons pas de ceux-ci. Désormais tous les corps seront de caractéristique diérente de 2. En ceP qui concerne les notations, on écrira ha1 , . . . , an i pour la forme quadratique i ai x2i (on rappelle que toute forme quadratique peut se mettre sous cette forme, dite diagonale ). On notera H = h1, −1i le plan hyperbolique. Enn, on écrit n · q pour la somme orthogonale de n copies de q . Le point de départ est le classique théorème de Witt : Théorème 2.1.1. Soit q forme quadratique non dégénérée. Il existe alors une unique forme anisotrope qan et un unique r ∈ N tel que q ' qan ⊥ r · H. Une forme quadratique est dite hyperbolique si sa partie anisotrope est nulle, i.e. si c'est une somme directe de plans hyperboliques (en particulier une forme hyperbolique est de dimension paire). Il est facile de voir qu'une forme est hyperbolique si et seulement si elle est de la forme q ⊥ −q (il sut d'observer que ha, −ai ' H pour tout a ∈ k∗ ). On a en fait : Proposition 2.1.2. Deux formes quadratiques non dégénérées q et q0 sont isométriques si et seulement si elles sont de même dimension et q ⊥ −q0 est hyperbolique. Il est donc naturel de considérer les formes quadratiques modulo les formes hyperboliques. Plus précisément : Proposition-dénition 2.1.3. Deux formes quadratiques non dégénérées sont dites Witt-équivalentes si elles ont des formes anisotropes isométriques. L'ensemble des classes d'équivalences (toutes dimensions confondues) est noté W (k). C'est un anneau commutatif pour les lois de somme orthogonale et produit tensoriel, appelé anneau de Witt de k. Deux formes quadratiques non dégénérées sont donc isométriques si et seulement si elles ont même dimension et même classe de Witt. Notons que dans l'anneau de Witt, on a hai − hbi = ha, −bi, et hai · hbi = habi (on confondra souvent une forme quadratique et sa classe de Witt). 2.2 Hauptsatz et premiers invariants On remarque que la dimension d'une classe de Witt n'est pas dénie. En revanche, comme les formes hyperboliques sont de dimension paire, la parité de la dimension est bien dénie. On note e0 : W (k) → Z/2Z 8 l'application correspondante,qui est clairement un morphisme de groupes. Son noyau, noté I , est appelé idéal fondamental de W (k) ; il est constitué des classes de Witt de formes quadratiques de dimension paire. Il est donc engendré par les formes du type ha, bi. En vertu de l'égalité ha, bi = h1, ai − h1, −bi dans W (k), I est engendré additivement par les formes du type h1, −ai avec a ∈ k∗ . Le théorème suivant est appelé Hauptsatz (théorème principal) de la théorie des formes quadratiques. Cela devrait sure à indiquer qu'il est assez important. Théorème 2.2.1. On a T n∈N I n = {0}. Autrement dit une forme quadratique est hyperbolique si et seulement si elle est dans tous les I n . En vertu de la remarque précédente, I n est engendré additivement par les formes du type h1, −a1 i · · · h1, −an i. Une telle forme est notée hha1 , . . . , an ii, et est appelée n-forme de Pster. Si une forme est dans I , a-t-on un moyen de vérier qu'elle est dans I 2 ? On peut utiliser un autre invariant classique : le discriminant. Dénition 2.2.2. Soit q une forme quadratique non dégénérée, qu'on écrit ha1 , . . . , an i. Alors la classe de a1 · · · an dans k ∗ /(k ∗ )2 est bien dénie ; on la note det(q) et on l'appelle déterminant de q . n(n−1) On appelle discriminant de q , et on note disc(q), la quantité (−1) 2 det(q) ∈ ∗ ∗ 2 k /(k ) . On note e1 : I −→ k ∗ /(k ∗ )2 l'application induite par le discriminant. On remarque que c'est un morphisme de groupes, bien déni puisque le plan hyperbolique a un discriminant trivial. On a alors : Proposition 2.2.3. Le noyau de e1 est exactement I 2 . Pour aller plus loin, il faut introduire un invariant un peu plus compliqué. On rappelle que l'algèbre de Cliord C(q) d'une forme quadratique est l'algèbre universelle engendrée par V et sujette aux relations v · v = q(v). Proposition-dénition 2.2.4. Soit q une forme quadratique non dégénérée de dimension paire. Alors C(q) est une algèbre centrale simple sur k, et sa classe de Brauer est appelée invariant de Witt de q, et notée c(q). Elle ne dépend que de la classe de Witt de q. Comme il devient coutumier, on note e2 : I 2 −→ Br(k) l'application induite par l'invariant de Witt. On a alors encore une fois : Proposition 2.2.5. L'application e2 est un morphisme de groupes, et son noyau est exactement I 3 . Il serait fort appréciable de pouvoir poursuivre ces constructions et de dénir de nouveaux invariants pour chaque degré, mais l'imagination nit vite par s'épuiser. On adopte alors un point de vue plus formel. 9 2.3 Invariants cohomologiques et conjecture de Milnor Tout part de la remarque que H 1 (k) = k∗ /(k∗ )2 et H 2 (k) = Br(k)[2] (2torsion du groupe de Brauer). En eet, si on écrit 1 → {±1} → ks∗ → ks∗ → 1 la suite exacte liée au morphisme x 7→ x2 , on obtient une suite exacte de cohomologie 1 → {±1} → k ∗ → k ∗ → H 1 (k) → 0 → 0 → H 2 (k) → Br(k) → Br(k) → · · · qui donne bien que H 1 (k) est le conoyau de x 7→ x2 sur k∗ , et que H 2 (k) est le noyau de x 7→ 2x sur Br(k). Qui plus est, si on note (a) la classe de a ∈ k∗ dans H 1 (k) par cet isomorphisme, alors on peut explicitement écrire e1 : I −→ hhaii 7−→ H 1 (k) (a) puisque det(hhaii) = −a mod (k∗ )2 . C'est nettement moins évident, mais on a une telle description aussi pour e2 : Proposition 2.3.1. On a un isomorphisme C(hha, bii) ' M2 ((a, b)k ) où (a, b)k est une algèbre de quaternions, dénie par deux générateurs i et j vériant i2 = a, j 2 = b et ij = −ji. De plus, la classe de Brauer de (a, b)k est égale au cup-produit (a) ∪ (b). On peut donc écrire e2 : I2 −→ hha, bii 7−→ H 2 (k) (a) ∪ (b). De là, il est naturel de poser : Dénition 2.3.2. Pour tout n > 1, on dénit un invariant cohomologique (parfois appelé invariant d'Arason ) par en : In −→ hha1 , . . . , an ii 7−→ H n (k) (a1 ) ∪ · · · ∪ (an ). Le résultat majeur est alors la conjecture de Milnor (démontrée par Voevodsky) : Théorème 2.3.3. Pour tout n ∈ N, en induit un isomorphisme entre I n /I n+1 et H n (k). Autrement dit, H ∗ (k) est naturellement le gradué de W (k) (pour la ltration I -adique). 10 On a donc une recette pour déterminer si deux formes quadratiques q et q 0 sont isométriques : d'abord on regarde si elles ont la même dimension. Si c'est le cas, on pose q 00 = q ⊥ −q 0 , et on calcule e1 (q 00 ). S'il est non nul, on s'arrête, q et q 0 ne sont pas isométriques. Si e1 (q 00 ) = 0, alors on peut calculer e2 (q 00 ), et vérier s'il est nul, et ainsi de suite. Qui plus est, un théorème nous apprend que si en (q 00 ) = 0 pour n la dimension de q 00 , alors on peut s'arrêter et q et q 0 sont isométriques. Noter qu'à partir de n = 3, en (q) n'est déni que si en−1 (q) = 0. 3 3.1 Algèbres à involution Formes bilinéaires et adjonction L'étude des formes quadratiques étant satisfaisante, on se tourne alors vers le problème évoqué dans l'introduction : généraliser la classication des groupes algébriques simples déployés, ceux-ci étant dénis en fonction de formes bilinéaires symétriques et alternées. L'idée est que si b est une forme bilinéaire non dégénérée (symétrique ou alternée) sur un espace vectoriel V , alors b induit une adjonction sur Hom(V ). Explicitement, si u est un endomorphisme de V , on dénit son adjoint par b(u(x), y) = b(x, u∗ (y)). Alors l'adjonction est un anti-automorphisme involutif de Hom(V ), i.e. c'est un automorphisme de groupe additif involutif qui renverse le produit. On appellera désormais une telle application une involution. L'exemple canonique est la transposition des matrices, qui est l'adjonction pour la forme quadratique h1, . . . , 1i. Réciproquement, considérons un anti-automorphisme d'algèbre quelconque σ de Mn (k) (quitte à choisir une base). Alors M 7→ σ(t M ) est un automorphisme de Mn (k), donc intérieur. On a donc C ∈ GLn (k) telle que σ(M ) = C t M C −1 , et σ est l'adjonction pour la forme bilinéaire dénie par C , et cette forme bilinéaire est déterminée à homothétie près par σ . Dans ce cas, σ est involutive si et seulement si la forme bilinéaire est symétrique ou alternée. Si l'involution σ n'est pas k-linéaire, elle se restreint en un automorphisme d'ordre 2 de k. On a alors kσ = k0 où k/k0 est une extension quadratique, et alors σ est l'adjonction pour une forme hermitienne h sur V (c'est-à-dire que h(y, x) = σ(h(x, y)) et h est σ -sesquilinéaire). On a donc une correspondance biunivoque entre involutions sur Hom(V ) et formes symétriques/alternées/hermitiennes à constante multiplicative près. Si on dénit les groupes algébriques cités en introduction en terme de l'involution associée à une forme symétrique/alternée (en eet, ils ne dépendent bien que de ladite forme à homothétie près), on peut essayer d'appliquer des méthodes de descente à Mn (ks ) muni d'une involution. On obtient alors une algèbre A munie d'une involution σ . Comme on doit avoir A ⊗k ks ' Mn (ks ), A doit être centrale simple. Si on applique les constructions de groupes algébriques dans le cas A = Mn (k), alors σ est l'adjoint d'une forme bilinéaire symétrique/alternée et on se retrouve avec les groupes décrits dans l'introduction, avec Spin(V, q) déployé si la partie anisotrope de q est de 11 dimension minimale. Noter que le cas hermitien est plus subtil, et correspond (de manière cachée) aux groupes de type An . Pour ne pas surcharger la discussion, je passe dessus. Si A n'est plus déployée, l'involution n'a plus d'interprétation en terme de forme bilinéaire symétrique/alternée, mais permet toujours de dénir des groupes algébriques. Par exemple, si A est une algèbre centrale simple munie d'une involution σ , on peut dénir Iso(A, σ) = {a ∈ A | aσ(a) = 1} qui, dans le cas où A est déployée et σ correspond à une forme symétrique (resp. alternée, hermitienne), n'est rien d'autre que le groupe orthogonal (resp. symplectique, unitaire) associé. Si σ est l'identité sur le centre k de A, on dit que l'involution est de première espèce. Si σ se restreint en un automorphisme d'ordre 2 de k, on dit que σ est de deuxième espèce, ou unitaire. Si se penche sur les involutions de première espèce, on voit qu'on peut en distinguer deux types : celles qui, une fois étendues à une clôture séparable, correspondent à une forme bilinéaire symétrique, et celles qui correspondent à une forme alternée. Pour voir que cette distinction est bien dénie, on observe que dans le premier cas A+ = {a ∈ A | σ(a) = a} est de dimension n(n + 1)/2, et dans le deuxième cas il est de dimension n(n − 1)/2 (ce qui est invariant par extension des scalaires). Dans le premier cas, on dit que l'involution est orthogonale, et dans le deuxième on dit qu'elle est symplectique. On est donc amené à étudier les algèbres à involution, i.e. les algèbres centrales simples munies d'une involution, et on souhaiterait étendre les méthodes qu'on a appliqué aux formes quadratiques, puisqu'elles en sont en un certain sens une généralisation. 3.2 Approche systématique des invariants cohomologiques On souhaiterait obtenir d'aussi beaux résultats pour les algèbres à involution que pour les formes quadratiques (ne serait-ce que pour les involutions orthogonales, qui en sont la généralisation directe). Malheureusement, la situation est très nettement plus compliquée, et on ne dispose que d'une petite poignée d'invariants. Une première diculté est que même sur les algèbres déployées, on ne peut pas adapter directement les invariants des formes quadratiques : en eet, si σ correspond à une forme quadratique q , elle correspond aussi à λq pour tout λ ∈ k . Or en général ei (λq) 6= ei (q), donc les invariants d'Arason n'ont pas d'équivalents immédiats (mais voir la sous-partie suivante pour le cas du discriminant et de l'algèbre de Cliord). Notons aussi que dans le cas des involutions symplectiques, dans le cas déployé elles sont entièrement caractérisées par leur dimension, tandis que dans le cas général leur structure est très riche. On ne peut donc absolument pas se 12 reposer sur le cas déployé pour développer une quelconque intuition. On en vient donc à suivre une approche plus systématique des invariants. Que demande-t-on à un invariant cohomologique ? S'inspirant du cas des formes quadratiques, on veut associer à toute algèbre à involution (A, σ) un élément f (A, σ) ∈ H d (k) (on dit que d est le degré de l'invariant). On veut aussi que, si K/k est une extension, alors l'invariant f (AK , σK ) ∈ H d (K) soit l'image de f (A, σ) par l'application naturelle H d (k) → H d (K). On voit donc qu'on demande une certaine propriété de fonctorialité. Précisément, si G est un groupe algébrique, alors un invariant cohomologique (de degré d) de G est un morphisme de foncteurs H 1 (•, G) −→ H d (•) où les foncteurs en question vont de la catégorie des extensions de k vers celle des ensembles pointés. On retrouve le cas des algèbres à involution puisque en vertu de la discussion de la première partie, on a des équivalences : H 1 (K, P SOn (K)) ←→ classes d'isomorphismes d'algèbre à involution orthogonale de degré n H 1 (K, P Sp2n (K)) ←→ classes d'isomorphismes d'algèbre à involution symplectique de degré 2n. Le cas des involutions unitaires est un peu plus subtil et est laissé de côté ici. Les invariants de degré d d'un groupe algébrique G forment un groupe additif noté Inv d (G) (provenant du fait que H d (K) n'est pas seulement un ensemble pointé mais un groupe abélien). On peut alors essayer de caractériser ce groupe en fonction des propriétés de G. Par exemple, on peut montrer que si G est connexe, alors Inv 1 (G) est trivial, et que si G est simplement connexe Inv 2 (G) aussi. En particulier, comme P Sp est connexe, les algèbres à involution symplectiques n'ont pas d'invariant de degré 1. En revanche, P SO2n a deux composantes connexes, et on peut montrer que cela implique Inv 1 (P SO2n ) ' Z/2Z. L'unique invariant de degré 1 des algèbres à involution orthogonales de dimension paire est le discriminant, construit dans la sous-partie suivante. De même, le fait que P Sp2n ait un revêtement universel double implique que Inv 2 (P Sp2n ) ' Z/2Z, et l'unique invariant non trivial de degré 2 est la classe de Brauer de l'algèbre. 3.3 Quelques invariants On présente ici quelques invariants élémentaires. En dimension impaire, on ne peut pas dénir le déterminant d'une involution orthogonale, puisque det(q) 6= det(λq). Cependant, une algèbre à involution de première espèce de dimension impaire est nécessairement déployée, donc l'étude des involutions peut entièrement s'y ramener à celle des formes bilinéaires. Considérons donc une algèbre à involution orthogonale de dimension paire (A, σ). 13 Tout d'abord, un petit point sur les traces et les normes réduites. Comme sur toute algèbre de dimension nie, on peut dénir sur A une trace et une norme en prenant respectivement la trace et le déterminant de La : x 7→ ax pour tout a ∈ A (en considérant A comme un k-espace vectoriel). Dans le cas d'une algèbre centrale simple de dimension n2 , cette trace s'écrit nTA et cette norme s'écrit NAn , où TA et NA sont appelées trace réduite et norme réduite de A. On peut alors dénir une notion de déterminant : Proposition-dénition 3.3.1. Pour tous a, b ∈ A− = {x ∈ A | σ(x) = −x}, on a NA (a) ≡ NA (b) mod (k ∗ )2 . On appelle déterminant de σ la classe commune dans k∗ /(k∗ )2 . Si A est déployée et σ est associée à une forme quadratique q , alors det(σ) = det(q) (ce qui est bien déni en dimension paire puisque det(λq) = λn det(q) et n est pair). On peut également considérer la forme quadratique Tσ (x) = TA (xσ(x)). On note Tσ+ sa restriction à A+ . Proposition 3.3.2. On a det(σ) = 2m det(Tσ+ ), où dim(A) = (2m)2 . De plus, l'invariant de Witt de Tσ est également exprimable : Proposition 3.3.3. On a 0 (−1, det(σ))k + [A] c(Tσ ) = (−1, −1)k (−1, −det(σ))k + [A] si m ≡ 0 mod 4 si m ≡ 1 mod 4 si m ≡ 2 mod 4 si m ≡ 3 mod 4 Il existe un certain nombre d'autres constructions, notamment on peut dénir un analogue de l'algèbre de Cliord (en fait, de la partie paire de l'algèbre de Cliord, qui est invariante par multiplication par un scalaire), ce qui ore quelques invariants intéressants. Références [1] Skip Garibaldi, Alexander Merkurjev, and Jean-Pierre Serre. Cohomological Invariants in Galois Cohomology. AMS, 2003. [2] Philippe Gille and Tamás Szamuely. Central Simple Algebras and Galois Cohomology. Cambridge University Press, 2006. [3] Max-Albert Knus, Alexander Merkurjev, Markus Rost, and Jean-Pierre Tignol. The Boof of Involutions. AMS, 1998. [4] T.Y. Lam. Introduction to Quadratic Forms over Fields. AMS, 2004. [5] Anne Queguiner. Cohomological invariants of algebras with involution. J. Algebra, 1997. [6] Jean-Pierre Serre. Cohomologie galoisienne. Springer-Verlag, 1994. 14