ÉTUDE Cet article présente les principales conclusions d’une étude documentaire réalisée en mai 2002 sur le marketing des bibliothèques et centres de documentation. Elle aborde les questions suivantes : comment le marketing estil intégré dans la formation des professionnels de l’information ? Qu’est-ce qui est fait pour en promouvoir l’intégration dans la gestion des services d’information et de documentation ? Quelles sont les techniques que ces services empruntent au marketing pour mieux comprendre leur environnement, écouter et satisfaire les besoins de leurs usagers et non-usagers, optimiser leurs prestations et communiquer efficacement avec leurs différents publics ? par INGRID TORRES ENAC, Toulouse Le marketing des services d’information et de documentation : une étude documentaire L’EFFICACITE DES TECHNIQUES DE MARKETING n’est plus à démontrer. Il en existe aujourd’hui de nombreuses applications spécifiques telles que le marketing bancaire, le marketing industriel, le marketing des services, le marketing politique, etc. Depuis les années soixante-dix, on a vu apparaître un certain nombre d’ouvrages et d’articles consacrés aux organismes publics et à but non lucratifs. L’ouvrage le plus important étant celui de Philip Kotler intitulé Marketing for non-profit organizations (édité pour la première fois en 1975). Le marketing des services d’information et de documentation s’est tout naturellement inscrit dans cette évolution. Pour définir succinctement le marketing documentaire, nous rappellerons que c’est une adaptation de certaines techniques, issues des théories du marketing, à la gestion des services d’information et de documentation dans le but de permettre à l’organisation de s’adapter à son environnement, de connaître ses forces et faiblesses, et de mieux répondre ainsi aux différentes attentes de ses usa290 • Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 gers. On peut parler d’une philosophie de gestion qui place l’usager des services documentaires au centre des préoccupations. L’objectif étant de développer au maximum les échanges entre le service d’information et les différentes catégories d’utilisateurs. Marketing et documentation se rejoignent donc autour des concepts de relation et d’échange. L’étude documentaire dont nous présentons ici les conclusions a été réalisée dans le cadre de l’Institut des cadres supérieurs de la vente. Elle aborde les questions suivantes : comment le marketing est-il intégré dans la formation des professionnels de l’information ? Qu’est-ce qui est fait pour promouvoir l’intégration du marketing dans la gestion des services d’information et de documentation ? Et quelles sont les techniques que ces services empruntent au marketing ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons recherché le maximum de documents publiés en langue française traitant du marketing documentaire. Nous avons réussi à en rassembler et analyser une quarantaine. Afin de savoir ce qui est fait pour sensibiliser les professionnels de l’information et de la documentation au marketing documentaire, nous nous sommes intéressée aux actions des organismes de formation ainsi qu’à celles des associations professionnelles de ce secteur. 1 Les moyens de faire connaître le marketing des services d’information et de documentation Pour savoir si les professionnels ont suffisamment de moyens leur permettant de prendre connaissance de l’existence d’un marketing spécifique à leur activité, nous avons dégagé deux axes principaux d’investigation : la formation initiale et continue, et les manifestations professionnelles. Le marketing dans la formation des professionnels de l’information La formation initiale est la première étape de l’intégration du marketing dans les pratiques professionnelles. Vient ensuite la formation continue qu’assurent des associations et des institutions. En ce qui concerne le marketing dans la formation initiale, nous avons surtout recueilli des informations relatives aux écoles étrangères (belge, québécoise, tunisienne, marocaine, sénégalaise, etc.). À l’École des sciences de l’information (ESI) de Rabat, par exemple, le marketing fait partie des cours d’un module de quatrième année. Il en est de même pour l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de Montréal, où les principes du marketing sont enseignés à tous les étudiants depuis 1986. En France, les étudiants en sciences de l’information ont très peu d’heures de cours pour découvrir le marketing (ou « mercatique » dans certains établissements). Ces heures sont en général intégrées au module d’enseignement concernant le management des services d’information et de documentation (SID). On trouve des cours plus poussés de marketing à partir du niveau bac+4, pour la principale raison que le marketing est une discipline de Ingrid Torres gestion qui est essentiellement est facilitatrice pour l’information pratiquée par les cadres et resdocumentaire à la bibliothèque ponsables de services de docudocumentation de l’École nationale mentation. de l’aviation civile (ENAC, Il semble que les pays anglo<www.enac.fr>) à Toulouse et saxons mesurent mieux ce que le marketing peut apporter à leurs membre active du bureau de l’ADBS centres de documentation. Ce Midi-Pyrénées. Elle poursuit phénomène est peut-être dû au actuellement des études à l’Institut fait que les SID doivent, en de formation des cadres supérieurs majeure partie, trouver seuls une de la vente (ICSV), rattaché au CNAM, part importante de leur financequi prépare au diplôme de cadre ment. Il est donc nécessaire d’enmarketing. C’est dans ce contexte seigner l’approche marketing aux qu’elle a entrepris l’étude étudiants en information docudocumentaire dont elle présente ici mentaire afin que, une fois en les conclusions. (Téléphone 06 86 75 fonction, il puissent faire vivre les 83 15, courriel [email protected]) organismes pour lesquels ils travaillent. Cela permet de mieux leur faire prendre conscience de l’importance de l’usager et de ses besoins. Cette approche les initie également aux méthodes de communication avec les publics. De plus elle leur donne des notions de planification stratégique. Il semble qu’en France le marketing des services d’information et de documentation ne soit pas une priorité absolue dans la formation initiale. Il semble que l’on ne voie pas le marketing dans sa fonction stratégique mais plutôt dans sa fonction opérationnelle (techniques d’enquêtes, de communication, etc.). Dans le domaine de la formation continue, on trouve en 2001-2002 plusieurs stages formant ou initiant au marketing. Voici quelques exemples d’organismes de formation qui proposent des stages en rapport avec ce sujet. • ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation) : - Étudier les besoins des utilisateurs et tester leur satisfaction. Parmi les objectifs : faire des enquêtes permettant à des non-statisticiens de traiter complètement des enquêtes, connaître les logiques d’usage et les systèmes de représentation des utilisateurs. Durée : deux jours à Paris. • ENSSIB (École nationale supérieure des Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 • 291 ÉTUDE LE MARKETING DES SERVICES D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION sciences de l’information et des bibliothèques) : - Élaborer la stratégie marketing de la bibliothèque ou du centre de documentation. Contenu : ciblage du public, conception de l’offre de service, positionnement, principes de base de la communication du service d’information et de documentation et principes de mise en œuvre de la stratégie marketing. Durée : 9 semaines à distance et trois jours en présentiel à Villeurbanne. • LRA (Les Rencontres d’affaires) : - Manager et positionner votre service information/documentation. Objectifs : identifier et caractériser les interlocuteurs et partenaires internes et leurs attentes, assurer la promotion et la valorisation du service en interne. Durée : trois jours à Paris. - Meilleures pratiques de communication pour positionner votre service information-documentation. Parmi les objectifs : évaluer l’image, la qualité et la perception des produits et services documentaires, positionner son service en interne. Durée : deux jours à Paris. • SERDA (Société d’études et de réalisations en documentation et archivage) : - Web marketing et stratégie du service information/communication. Objectifs : définir la stratégie et l’offre du service d’information, élaborer sa politique de communication et choisir des supports efficaces, mettre en place un plan de développement du service. Durée : deux jours à Paris. - Documentaliste : organiser et optimiser votre fonction. C’est un stage qui permet aux professionnels en poste qui n’ont pas suivi de formation initiale en documentation de consolider leurs connaissances du métier. Et parmi les objectifs pédagogiques on retrouve une partie sur les principes de gestion et le marketing documentaire. Un des buts étant de savoir analyser la demande et les besoins des utilisateurs dans une pré-étude marketing. Durée : huit jours à Paris. Ce que nous avons retenu de cette partie de notre étude est que le marketing n’apparaît pas comme une nécessité, en tout cas pas comme une priorité pour la majorité des organismes de formation en documentation et sciences de l’information. Beaucoup reste à faire pour développer l’enseignement de cette discipline en France. Il existe pourtant un manuel rédigé par le Canadien Réjean Savard en 1988 pour l’Unesco, intitulé Principes directeurs pour l’enseignement du marketing dans la formation des bibliothécaires, documentalistes et archivistes [1], qui est un outil très précieux pour les enseignants qui souhaitent initier leurs élèves au marketing. 292 • Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 Le marketing dans la littérature et les manifestations professionnelles Après avoir considéré les formations, nous nous sommes demandé ce qui a été fait par ailleurs depuis une trentaine d’années pour faire connaître le marketing des services d’information et de documentation. Nous avons distingué deux axes principaux : les publications et les manifestations professionnelles. Les publications professionnelles sont très importantes pour donner des notions de marketing et expliquer l’intérêt de cette technique pour le management des services d’information et de documentation. La recherche documentaire que nous avons menée nous a permis de constater que les premières publications qui relient directement le marketing et les services d’information datent du début des années soixante-dix. C’est en Amérique du Nord qu’elles apparaissent en premier lieu : d’après Réjean Savard, enseignant et chercheur qui fait autorité dans ce domaine, ce serait d’abord dans les bibliothèques publiques que l’on a compris l’intérêt du marketing des services. Alors qu’en Europe il semble que c’est au contraire dans les centres de documentation que l’on a commencé à s’en préoccuper. Parmi la quarantaine de documents que nous avons rassemblés [voir ci-contre], nous trouvons une majorité d’articles et une dizaine d’ouvrages traitant de près ou de loin du marketing des services d’information. Le texte le plus ancien que nous ayons repéré en langue française date de 1971. C’est un article de Daniel Tixier intitulé « Marketing et bibliothèques » qui est paru dans le Bulletin de l’Association canadienne des bibliothèques de langue française en septembre 1971 [16]. Le deuxième texte le plus ancien, toujours en langue française, date de 1974. Il est signé de Jean-Marc Fontaine et Marie Brisebois-Mathieu, dans la revue de l’ASTED Documentation et bibliothèques [17]. On remarquera que ces deux revues sont canadiennes. Depuis le début des années quatre-vingt paraissent en nombre de plus en plus élevé des articles et monographies traitant de l’application du marketing aux services d’information. Il est publié chaque année (en langue française) au moins un document sur le sujet. En France, l’ouvrage le plus récent date de 2001. Il est l’œuvre de Florence Muet et JeanMichel Salaün, et s’intitule Stratégie marketing des services d’information : bibliothèques et centres de documentation [8]. On constate également une évolution des propos, entre 1971 et 2001, d’une sensibilisation d’ordre général à des applications spécifiques : en 1971 nous trouvions un article de 11 pages qui expliquait ce qu’est le marketing, alors qu’en 2001 nous avons affaire à un ouvrage de 217 pages où l’on explique essentiellement comment appliquer les techniques du marketing à la gestion des Documents en français relatifs au marketing documentaire ette bibliographie sur le marketing des serCorganisée vices d’information et de documentation est par type de documents et classée par ordre croissant de date de publication. Ouvrages [1] SAVARD Réjean. Principes directeurs pour l’enseignement du marketing dans la formation des bibliothécaires, documentalistes et archivistes. Unesco, 1988 [2] BANQUE INTERNATIONALE D’INFORMATION SUR LES ETATS FRANCOPHONES. Le marketing de l’information, actes du séminaire international sur le marketing de l’information, Tunis, 4-6 mai 1992. Bief, 2002 [3] SALAÜN Jean-Michel. Marketing des bibliothèques et des centres de documentation. Éditions du Cercle de la librairie, 1992 [4] SUTTER Éric. Le marketing des services d’information : pour un usage de l’information documentaire. ESF Éditeur, 1994 [5] SACRÉ Isabelle. Les formations en information-communication. L’Harmattan, 1999 [6] L’évolution de la fonction informationdocumentation : résultats de l’enquête ADBS 1999. ADBS Éditions, 2000 [7] SAVARD Réjean. Le marketing des bibliothèques à l’heure du changement et de la mondialisation. IFLA, 2000 [8] MUET Florence, SALAÜN Jean-Michel. Stratégie marketing des services d’information : bibliothèques et centres de documentation. Éditions du Cercle de la librairie, 2001 [9] GIAPPICONI Thierry. Manuel théorique et pratique d’évaluation des bibliothèques et centres documentaires. Éditions du Cercle de la librairie, 2001 Parties d’ouvrages [10] CANTOROVICH Marianne. Documentaliste : métier mal connu et reconnu. In : IDT 91 : L’information, une dynamique pour l’Europe. 9e congrès sur l’information, la documentation et le transfert des connaissances, Bordeaux, 28, 29, 30 mai 1991. P. 37 à 41 [11] SAVARD Réjean. Perspectives stratégiques pour le management des services d’information marketing et gestion de la qualité. In : IDT 91 : L’information, une dynamique pour l’Europe. 9e congrès sur l’information, la documentation et le transfert des connaissances, Bordeaux, 28, 29, 30 mai 1991. P. 42 à 46 [12] SUTTER Éric. Le marketing des services d’information : une démarche en trois phases. In : IDT 94 : Gérer l’information pour l’excellence de l’entreprise. Paris, 31 mai au 2 juin 1994. P. 199 à 203 [13] SAVARD Réjean. Application de l’audit marketing aux services et systèmes d’infor- mation. In : IDT 94 : Gérer l’information pour l’excellence de l’entreprise. Paris, 31 mai au 2 juin 1994. P. 204 à 209 [14] ACCART Jean-Philippe, RETHY MariePierre. Le marketing et la communication du service de documentation. In : Le métier de documentaliste. Éditions du Cercle de la librairie, 1999. Partie V, chapitre 14, p. 253 à 262. [15] ECIA. Techniques du marketing et techniques commerciales. In : Euroréférentiel I&D : référentiel des compétences des professionnels européens de l’information et documentation. ADBS, 1999. P. 50 et 51 Articles de revues [16] TIXIER Daniel. Marketing et bibliothèques. Bulletin de l’Association canadienne des bibliothécaires en langue française, septembre 1971, vol. 17, n° 3 [17] FONTAINE Jean-Marc, BRISEBOISMATHIEU Marie. Pour une analyse marketing de la bibliothèque. Documentation et bibliothèques, décembre 1974 [18] RAMBHUJUN Nardeosingh. Le marketing des bibliothèques universitaires : une approche théorique. Bulletin des bibliothèques de France, 1983, tome 28, n° 5, p. 485 à 496 [19] ADDA Glwadys. Le marketing documentaire. Revue maghrébine de documentation, octobre 1983, n° 1, p. 9 à 17 [20] RAMBHUJUN Nardeosingh. Le marketing des bibliothèques universitaires. Une étude de cas : les usagers de la bibliothèque universitaire de Bordeaux, section droit et sciences économiques. In : Bulletin des bibliothèques de France, 1984, tome 29, n° 1, p. 5 à 15 [21] BOUAZZA Abdelmajid. Le marketing au service des bibliothèques. Revue maghrébine de documentation, mars 1985, n° 3, p. 65 à 82 [22] SAVARD Réjean. Étude de milieu et stratégies de promotion des services documentaires. Documentation et bibliothèques, juilletseptembre 1986, p. 77 à 81 [23] SAVARD Réjean. L’enseignement du marketing aux spécialités de l’information documentaire. Arbido, 1987, n° 2 [24] SALAÜN Jean-Michel. Marketing des bibliothèques et des centres de documentation : analyse. Bulletin des bibliothèques de France, 1990, tome 35, n° 6, p. 346 à 355 [25] SALAÜN Jean-Michel. Marketing des bibliothèques et des centres de documentation : stratégies. Bulletin des bibliothèques de France, 1991, tome 36, n° 1, p. 50 à 57 [26] RANJARD Sophie. Le marketing documentaire. Archimag, septembre 1992, n° 57, p. 9 à 32 [27] SALAÜN Jean-Michel. Marketing et ser- vice public dans les bibliothèques. Arbido, 1994, n° 9 [28] SUTTER Éric. Benchmarking et management de l’information documentaire. Documentaliste - Sciences de l’information, 1994, vol. 31, n° 1, p. 44 à 46 [29] SALAÜN Jean-Michel. Adaptons le marketing aux logiques documentaires. Documentaliste - Sciences de l’information, 1996, vol. 33, n° 2, p. 75 à 81 [30] SAVARD Réjean, PAINCHAUD Mireille. L’attitude des bibliothécaires-documentalistes envers le marketing. Ibid., p. 67 à 74 [31] SUTTER Éric. Les démarches marketing et qualité sont complémentaires. Ibid., p. 82 à 85 [32] BORJA DE MOZOTA Brigitte. Esquisse d’un modèle de conception marketing de la documentation. Documentaliste - Sciences de l’information, 1997, vol. 34, n° 1, p. 3 à 12 [33] GIRARD-BILLON Aline, GIAPPICONI Thierry. L’évaluation dans les bibliothèques publiques françaises : une situation contrastée. Bulletin des bibliothèques de France, 1997, tome 43, n° 1, p. 78 à 81 [34] HADENGUE-DEZAEL Véronique. Compétences émergentes en information et documentation : résultats de l’enquête de l’URESID, 1997-1998. Documentaliste - Sciences de l’information, 1999, vol. 36, n° 3, p. 186 à 191 [35] SAUVE Jean-Marc. La politique des pouvoirs publics en faveur des métiers et des technologies de l’information. Documentaliste Sciences de l’information, 1999, vol. 36, n° 3, p. 166 à 170 [36] MEYRIAT Jean. Qualifications et certification des professionnels de l’I&D dans huit pays européens : brève présentation comparative. Documentaliste - Sciences de l’information, 1999, vol. 36, n° 2, p. 113 à 116 Sites Internet [37] ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation) : <www.adbs.fr> [38] SERDA (organisme de formation) : <www.serda.com> [39] CFMP (Centre de formation au management public) : <www.cfmp.tm.fr> [40] ADBS Normandie : <www.galilo.net/normandie-adbs> [41] ENSSIB (École nationale supérieure en sciences de l’information et des bibliothèques) : <www.enssib.fr> [42] EXPRESSODOC : <www.expressodoc. enssib.fr> [43] REDOC : <www-pole.grenet.fr/redoc> Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 • 293 ÉTUDE LE MARKETING DES SERVICES D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION services d’information. Toutes les publications que nous avons rassemblées sont parues dans des revues ou chez des éditeurs spécialisés. On retrouve principalement trois grands auteurs : outre le Canadien Réjean Savard, déjà cité, les Français Jean-Michel Salaün et Éric Sutter qui ont considérablement contribué au développement du marketing documentaire dans notre pays. Pour ce qui est des publications au niveau international, un calcul a été fait à partir de la banque de données Library litterature qui répertoriait en 1996 plus de 250 documents traitant du marketing des services d’information (principalement en anglais) [30]. Nous sommes certains que, six ans plus tard, ce nombre a sensiblement augmenté. On peut dire que les publications sur le marketing des bibliothèques et centres de documentation sont en nombre suffisant pour celui qui veut intégrer ces techniques dans la gestion de son service. Même si les professionnels n’achètent pas d’ouvrages sur le sujet (bien qu’il en existe plusieurs en français), ils ne peuvent éviter les articles parus dans les revues spécialisées en sciences et techniques de l’information, car, en majorité, les services de documentation sont abonnés à au moins une revue professionnelle. La littérature professionnelle étant un indicateur concret de l’intérêt porté à un sujet, on peut dire que le marketing est bien devenu un thème important en science de l’information. Mais si cela ne suffit pas à mettre les professionnels au courant de l’existence du marketing, il reste les manifestations, le plus souvent organisées par les associations. Nous entendons par manifestations professionnelles tous les congrès, colloques, journées d’étude, etc., proposés par les associations et institutions du secteur de l’information-documentation. Voici quelques exemples de manifestations importantes qui ont eu lieu ces dernières années dans le monde. Les salons IDT (Information, documentation, transfert des connaissances) programment chaque année en France des conférences sur différents sujets. Nous avons relevé principalement deux salons au cours desquels le sujet du marketing des services d’information et de documentation a été largement abordé : celui de 1991 [10] [11] et celui de 1994 [12] [13]. L’on peut également citer des séminaires comme celui qui s’est tenu à Tunis en 1992, sur l’initiative de la Banque internationale d’information sur les États francophones (BIEF), consacré au marketing de l’information [2]. Ou encore les conférences de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) qui ont lieu chaque année à l’occasion de son assemblée générale. L’IFLA a créé en 1997 une section Management et marketing qui a produit différents documents 294 • Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 relatifs au développement du marketing dans les bibliothèques et les centres de documentation1. Après un premier séminaire en 1997 à Copenhague, cette section a organisé des colloques satellites sur ce sujet lors des trois derniers congrès de la fédération : Marquetez votre bibliothèque (Bangkok, août 1999), Marketing et communications pour les bibliothèques (Jérusalem, août 2000) et La formation et la recherche sur le marketing et la gestion de la qualité en bibliothèque (à Montréal en août 2001, en marge de la conférence de Boston)2. Un signe très fort de l’intérêt de développer le marketing des services d’information est la création cette année par l’IFLA et 3M d’un prix international pour le marketing des bibliothèques. Ce prix récompense les bibliothèques qui ont mis en place des projets créatifs de marketing. Le gagnant devait recevoir mille dollars et une participation au congrès de l’IFLA 2002. Ces manifestations, organisées le plus souvent par de grandes associations ou institutions, représentent un moyen important de toucher les professionnels de l’information car cela officialise le marketing et lui donne ses lettres de noblesse. C’est l’occasion pour les professionnels de confronter leurs expériences et de prendre la mesure des avancées réalisées dans les autres pays. Malgré une littérature et des manifestations professionnelles où depuis une trentaine d’années le marketing des bibliothèques et centres de documentation apparaît de plus en plus, malgré des formations où le marketing est de plus en plus présent, il nous semble que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que cette technique s’impose vraiment auprès des professionnels de l’information. 2 Le marketing sur le terrain Comment les professionnels de l’information sur le terrain perçoivent-ils réellement le marketing ? Et quelle application concrète en font-ils ? La réponse n’est pas aisée, car il n’y a quasiment pas d’études sur ce sujet. À partir des documents que nous avons réunis, nous avons essayé de cerner leur perception du marketing, ainsi que les compétences émergentes en la matière dans leur profil professionnel, et enfin l’application réelle qu’ils font du marketing dans leurs services d’information. 1 <http://www.ifla.org/VII/s34/somm.htm#2> 2 Les actes du séminaire de 2001 ont été récemment publiés : Education and research for marketing and quality management in libraries : satellite meeting, Québec, 14-16 August 2001, ed. by Réjean Savard, Saur, 2002. (Voir l’analyse de cet ouvrage parue dans notre numéro 3/2002, p. 143. Ndlr.) Le marketing dans la perception et dans les compétences des professionnels de l’information S’il n’existe pas beaucoup d’enquêtes ayant étudié la perception du marketing par les professionnels, on retrouve néanmoins, dans les documents que nous avons collectés, des témoignages qui n’augurent rien de bien encourageant. On remarque principalement que les professionnels ne retiennent du marketing que la partie visible de l’iceberg, c’est-à-dire la publicité. Une enquête relativement récente de Réjean Savard et Mireille Painchaud sur l’attitude des bibliothécaires-documentalistes envers le marketing [30] montre que les spécialistes (canadiens) de la documentation cherchent surtout à utiliser les techniques du marketing pour attirer des usagers. Ils se limitent au niveau opérationnel et occultent toute la partie stratégique du marketing. On s’aperçoit tout de même que 56 % des personnes ayant répondu à cette enquête accordent de l’importance à cette technique, bien qu’elles en aient une perception erronée. Il semble que l’origine et la connotation mercantiles du marketing rebutent des professionnels qui ont à cœur, pour la grande majorité, leur mission de service aux usagers et leur but non lucratif. Toujours d’après cette enquête, les facteurs qui amélioreraient la perception du marketing sont le niveau de professionnalisme, l’entreprenariat, la perception de la concurrence et la formation. Un sondage, réalisé par l’ADBS Normandie entre septembre et décembre 2001 sur son site Internet, vient malheureusement, cinq ans après, renforcer les conclusions de l’enquête précédemment citée. La question était : quel thème souhaiteriez-vous voir abordé lors d’une journée d’étude ? Six propositions étaient faites : indexation automatique et langage naturel, rôle du documentaliste dans l’intranet d’entreprise, rôle du documentaliste dans la veille, gestion des connaissances, marketing documentaire et valorisation de la fonction informationdocumentation, autres thèmes. Sur 118 personnes ayant répondu, quatre seulement ont voté pour le marketing documentaire contre plus de 70 % pour l’indexation automatique et le langage naturel. Cela montre que les professionnels continuent d’être plus préoccupés par la technique que par la gestion, le développement, la stratégie, etc. Puisqu’ils ne vendent rien, ils ne voient guère l’intérêt d’utiliser les techniques du marketing. Il devient urgent d’améliorer la compréhension du marketing si l’on veut que les professionnels de l’I&D puissent faire bénéficier leur service, et par là même leurs usagers, de l’efficacité de ces techniques. Et cela d’autant plus qu’on attend de plus en plus des bibliothécaires et documentalistes qu’ils aient des compétences en gestion. Les compétences et qualités mentionnées dans les profils de postes sont un bon indice de la mon- tée du marketing dans la profession. Nous n’avons pas trouvé d’études ayant analysé les offres d’emploi. Cependant nous avons trouvé, dans la quarantaine de documents rassemblés, quelques articles où les compétences requises étaient mentionnées. Par exemple, dans un texte de Christiane Volant sur l’évolution des fonctions d’informationdocumentation, écrit en 1997, est préconisée une double culture des professionnels de l’information : une culture technologique et une culture managériale, c’est-à-dire la capacité de conduire un projet, d’animer un réseau, d’avoir une approche marketing et de se positionner dans l’organisation3. Elle constate dans ce même texte une tendance à proposer des stages, en formation initiale, que l’on effectue dans les services de marketing, de veille, de développement, au sein de directions stratégiques ou de directions générales. Nous avons également consulté le Référentiel des compétences des professionnels européens de l’information publié en 1999 [15] afin de voir s’il mentionnait des compétences qui concerneraient le marketing. Nous en avons essentiellement trouvé de deux types : il s’agit de la maîtrise des techniques du marketing et de celle des techniques commerciales. D’après ce Référentiel, les techniques du marketing consistent à « analyser et situer la position de l’activité dans son environnement stratégique et concurrentiel, la promouvoir en élaborant et en mettant au point des outils appropriés de conquête du marché ». Voici quelques-unes des aptitudes requises : « - comprendre et savoir définir des termes comme : marché, usager, échantillon, indicateur, plan marketing, concurrent, marketing direct, impact, réseau de distribution ; - situer la concurrence ou les vecteurs d’information concurrents ; - réaliser une analyse quantitative ou qualitative des besoins et du marché ; - proposer et mettre en place une opération promotionnelle ; - concevoir un plan d’enquête, le tester, en organiser le déroulement et analyser ses résultats ; - déterminer le marché potentiel d’un produit ou d’un service, son positionnement et sa segmentation ; - construire et mettre en place un tableau de bord marketing ; - intégrer le résultat des études de satisfaction dans la stratégie marketing. » Le même Référentiel décrit ainsi les techniques commerciales : « établir et maintenir des relations avec des clients ou des partenaires dans le but de vendre des produits et des services ». Parmi les compétences nécessaires : 3 VOLANT Christiane. Évolution des fonctions d’informationdocumentation, Documentaliste - Sciences de l’information, 1997, vol. 34, n° 6, p. 307. Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 • 295 ÉTUDE LE MARKETING DES SERVICES D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION « - comprendre et savoir définir des termes comme : cible, publicité, distribution ; - repérer un prospect et le renseigner sur un produit ou un service d’information ; - préparer et réaliser un mailing, effectuer une relance ; - enregistrer, comprendre et traiter une réclamation ; - négocier les conditions particulières d’une vente : maniement des concessions et stratégies et tactiques de négociation, contrôle du processus ; - vérifier la satisfaction des clients. » En ce qui concerne les offres d’emploi, nous avons trouvé un témoignage démontrant que, sur le marché de l’emploi des pays anglophones, un certain nombre de postes a été proposé dont la responsabilité principale était en lien avec le marketing. En France, très peu d’offres demandent clairement des compétences en marketing. On cherche plutôt des qualités en communication, un sens aigu de l’analyse, une écoute active, etc. Pourtant, pour un professionnel de l’information, avoir des compétences en marketing serait un atout considérable pour son recrutement. Mais qu’en est-il de l’application des techniques du marketing une fois en poste ? Quelles sont les techniques à mettre en œuvre ? Les techniques du marketing documentaire Comme nous l’avons vu, les professionnels ne recourent pas beaucoup à la planification stratégique. L’on retrouve cette discrétion dans les documents que nous avons rassemblés. Ce sont surtout les ouvrages qui abordent la stratégie, le plus complet sur ce plan étant celui de Florence Muet et Jean-Michel Salaün intitulé Stratégie marketing des services d’information. Il est constitué de deux grandes parties : l’une sur le diagnostic (interne, externe, du public) et l’autre sur la stratégie (mission, objectifs, ciblage, offre de service, positionnement et planification). Parmi les techniques que nous avons répertoriées nous trouvons l’audit marketing documentaire, que Yawo Assigbley définit ainsi : « Une évaluation analytique, critique, systématique, indépendante, complète et périodique de l’environnement, des objectifs, des stratégies, des activités et de l’effort marketing d’un service d’information documentaire en vue de déterminer les problèmes et les opportunités et de recommander un plan d’action pour améliorer la performance marketing. »4 L’audit marketing permet aux services d’information et de documentation de se poser les bonnes questions afin de déterminer la situation passée, présente et future du service et, surtout, de déterminer les changements à apporter et la manière de les conduire pour repositionner les services d’information et de documentation et mieux servir les clients. 296 • Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 Il y a peu de SID qui appliquent l’audit marketing. C’est pourtant une technique efficace. Après avoir procédé à cet audit, un service est en mesure de définir une stratégie qui répondra aux questions : que voulons-nous faire ? Qu’allons-nous faire ? Comment allons-nous le faire ? Une fois les réponses formulées, il faut définir un plan stratégique. Il ne reste plus qu’à mettre en œuvre les éléments du plan marketing qui représente le passage de la stratégie à l’action. C’est là qu’intervient le marketing-mix, décrit par les deux schémas ci-contre. Le premier est le fameux schéma des « 4 P » et l’autre en est l’adaptation en documentation : l’offre de services y remplace le produit, la servuction5 remplace la distribution et le contrat remplace le prix. La notion de distribution dans les services d’information consiste en la proximité avec les publics, les horaires d’ouverture, la distribution interne, c’està-dire la fonctionnalité des installations, la cohérence des classements, la lisibilité de la signalisation, le délai de communication des documents, etc. L’outil le plus souvent cité est la communication marketing, qui réunit la publicité, la promotion et les relations publiques. Plusieurs canaux sont utilisés par les professionnels de l’information pour faire de la publicité, comme les dépliants, les brochures, les guides, les affiches, les macarons, etc. Les activités de promotion, comme l’animation dans les bibliothèques, stimulent l’utilisation de celles-ci tout en étant des activités d’information. Les relations publiques concernent surtout les communications indirectes avec les publics. Nous avons recueilli également un article d’Éric Sutter sur le benchmarking qui démontre que cet outil peut parfaitement être pratiqué dans les services de documentation [28]. La définition qu’il en a donné est la suivante : « Démarche adoptée par les entreprises, qui consiste à évaluer produits, services et méthodes de travail par rapport à ceux de ses concurrents les plus performants ». Les bibliothèques et centres de documentation utilisent beaucoup cet outil en comparant leurs systèmes de prêt, leurs horaires, leurs classements, leurs prestations, etc. Cela permet de s’assurer, avant de la reproduire au sein de sa propre structure, qu’une expérience qui a été menée dans une autre a bien eu des effets positifs. L’analyse du public est un autre type d’outil. En trente ans, les études ont connu une évolution constante. Elles sont passées d’une simple analyse des besoins globaux des usagers à une analyse 4 ASSIGBLEY Yawo, L’application de l’audit marketing dans les services d’information documentaire, in Séminaire international sur le marketing de l’information, Tunis, 1992 [2]. 5 Contraction de « service » et « production ». Cela signifie que l’usager est un des acteurs de la production du service. Schéma A : Schéma représentant le marketing-mix (en anglais : Les 4 P = Product, Price, Place, Promotion) Produit Schéma B : Marketing-mix appliqué aux services d’information et de documentation Distribution Offre de service USAGERS CIBLE Prix Servuction* Communication Contrat Communication D’après l’ouvrage de Jean-Michel Salaün : « Marketing des bibliothèques et des centres de documentation » structurée des différents types de besoins des segments. Il y a deux types de méthodes d’analyse : - les méthodes quantitatives : méthodes normatives (indicateurs de satisfaction), statistiques conventionnelles (images des collections, de l’usager et de l’utilisation réelle des produits), indicateurs de performance (évaluation des performances des services documentaires, de leur capacité à satisfaire les besoins des usagers) ; - les méthodes qualitatives : journal ou enregistrement par les usagers (fournit une image photographique de l’utilisateur, de ses problèmes et de ses souhaits), enquêtes d’opinion (par questionnaire, interview personnelle ou focus group, servant à la détermination des usagers, de leurs comportements et de leurs besoins)6. Il existe de nombreuses techniques issues du marketing que l’on peut appliquer à la gestion des services d’information et de documentation. Certaines sont d’ailleurs utilisées sans que le professionnel qui les applique ne se rende compte qu’il se sert d’un des nombreux outils du marketing. Les techniques du marketing pénètrent par de multiples canaux les bibliothèques et les services d’information. Les plus courantes sont les études du public et la communication. Mais ces emprunts se font au coup par coup. Ils sont bien sûr très utiles mais ceux qui les appliquent ignorent souvent l’intérêt principal de cette discipline qui est la mise en place d’une stratégie globale. 6 Voir par exemple à ce sujet : RANJARD Sophie, Évaluer la demande et les besoins en informations : pour des enquêtes croisées, Documentaliste - Sciences de l’information, mars 2001, vol. 38, n° 1, p. 14-23. 3 Conclusions Notre étude documentaire nous a montré que si, d’une manière générale, le marketing est présent dans la formation des professionnels de l’information, il reste des manques qu’il nous semble important de combler. Il y a un gros effort à faire au niveau de la formation initiale qui devrait sans aucun doute proposer systématiquement des cours de marketing aux futurs professionnels ou les développer lorsqu’ils existent déjà. Pour ce qui concerne la formation continue, il faudrait arriver à démontrer qu’il y a un réel besoin et donc un marché pour la formation au marketing documentaire ; cependant, même si des formations se développent petit à petit, elles restent principalement centralisées en région parisienne. Cette étude se conclut sur le constat que, malgré les efforts déployés par les organismes de formation et les associations pour faire connaître cette discipline aux professionnels de l’information, ceux-ci en ont une vision erronée et partielle, et méconnaissent donc les techniques de gestion qui en découlent, bien que parfois ils en utilisent inconsciemment certaines. Nous avons vu pourtant que beaucoup d’outils marketing peuvent être adaptés aux services d’information qu’ils aident à mieux comprendre leur environnement, à écouter et satisfaire les besoins des usagers et non-usagers, à optimiser les prestations et à communiquer efficacement avec leurs différents publics. Il est donc indispensable d’avoir ne serait-ce que des notions de marketing, pour mettre toutes les chances de son côté et développer son service d’information, le rendre indispensable et performant. MAI 2002 Documentaliste - Sciences de l’information 2002, vol. 39, n° 6 • 297