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La mauvaise performance européenne s’explique à la fois par la faiblesse de l’utilisation du
travail et l’insuffisance de la productivité (Graphique 10). Que la productivité soit jugée trop faible en
Europe peut paraître surprenant, au regard des statistiques de productivité (horaire) disponibles pour la
France, l’Italie ou l’Allemagne. Mais ces statistiques sont trop flatteuses et doivent être corrigées pour
prendre en compte le fait qu’en Europe beaucoup de travailleurs peu qualifiés ont été écartés des marchés
du travail et ne sont pas présents dans les statistiques de productivité.
L’Europe souffre enfin d’un manque de résilience face aux chocs conjoncturels. Pour illustrer
cette affirmation on peut comparer la manière dont l’Europe continentale a réagi au ralentissement
américain au cours des trois dernières années avec les réactions observées au sein d’économies plus
robustes, telles que le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande ou le Royaume-Uni.
Cela peut surprendre mais la faible résilience des grands pays d’Europe continentale ne
s’explique pas par une vulnérabilité particulière dans les domaines exposés à la globalisation que sont les
exportations et l’investissement. Non, cette faible résilience vient d’une surréaction à la baisse de la
consommation des ménages et du logement. Nous sommes donc en présence d’un véritable paradoxe
européen : ce sont les segments en théorie les plus protégés, les plus préservés de l’économie qui se sont le
plus affaissés à la suite du ralentissement mondial.
Pour sa part, le groupe des pays résilients a certes souffert d’un ralentissement des exportations et
de l’investissement mais il a bénéficié en revanche d’une demande des ménages toujours vigoureuse
(Graphiques 7 et 8). Le paradoxe se corse lorsque l’on sait que ces pays résilients ont conduit des
politiques macroéconomiques assez parcimonieuses (budgets équilibrés en Australie et au Canada, taux
d’intérêt réels relativement élevés au Royaume-Uni). Somme toute, ces pays résilients n’ont pas été
anormalement activistes en matière de régulation conjoncturelle. En tout cas, pas davantage que les pays de
la zone euro.
Si la résilience du Canada, de l’Australie et du Royaume-Uni ne repose pas de manière
prédominante sur les politiques de stabilisation conjoncturelle, c’est donc que la différence de performance
avec la zone euro se situe davantage du côté des structures économiques. Les travaux en cours à l’OCDE
suggèrent que ces faiblesses structurelles concernent en particulier les marchés du travail et
l’intermédiation financière, dans le domaine du logement, par exemple.
Il ne s’agit pas, bien entendu, de nier les difficultés du réglage conjoncturel en Europe. En
matière budgétaire, il aurait été utile par exemple de provisionner en période de vaches grasses pour mieux
soutenir l’activité en période de vaches maigres. Mais les structures économiques de l’Europe ont
également montré leurs limites au cours de la période récente.
Le succès des uns et les problèmes des autres trouvent donc très largement leur origine dans des
réussites ou des défaillances domestiques, suscitées par des politiques publiques efficaces ou inadaptées.
La globalisation dans cette affaire ne constitue qu’un bouc émissaire commode qui permet de s’abandonner
au fatalisme et à l’inaction.
Et ce sont donc les ressorts internes de la réforme que les pays en difficulté doivent retrouver
pour faire peau neuve. C’est sans doute justement l’un des enseignements de l’expérience canadienne et
québécoise.