prévisions et les plannings. Les résultats et produits d'une entreprise sont également une mine
de savoirs pour le nouvel arrivant. Et enfin, les événements vécus par l'organisation, positifs ou
négatifs, sont riches d'informations à exploiter. On peut envisager de classer, archiver, toutes ces
sources de savoirs, de façon nette et lisible. Mais ne s'agit-il pas d'un voeu pieu ? En effet, outre
l'investissement de temps que cela demande, toute information ne peut pas être formalisée.
Parfois même, un excès de formalisation donne l'illusion d'avoir géré les savoirs de l'entreprise,
alors qu'une très grande partie d'entre eux échappent à toute rationalisation. Comme l'affirme
Philippe Baumard, « l'organisation ne peut résumer sa volonté de gérer son apprentissage à une
gestion de la codification et de la dissémination de ses savoirs. Car elle risque, ce faisant, de
laisser s'évaporer le non-exprimé, celui d'un savoir "que l'on sait sans pouvoir l'exprimer", ou que
l'on sait sans vouloir l'exprimer. »(3).
L'existence de savoirs tacites, ou non exprimés, est en effet un enjeu majeur dans la
compréhension de la mémoire de l'entreprise. Dans ce but, Martine Girod adopte une approche
résolument basée sur les travaux des sciences cognitives (4). Pour tenir compte de la dimension
collective de l'organisation, elle combine une distinction des types de mémoire déclarative et
procédurale et des niveaux de traitement : individuels, collectifs non centralisés, collectifs
centralisés. Selon la psychologie cognitive, la mémoire déclarative contient des connaissances
sur les faits et les événements que l'on a conscience de posséder et que l'on peut donc
verbaliser. La mémoire procédurale est la mémoire du « comment faire » une activité physique
ou mentale. Elle est difficilement verbalisable, et parfois même inconsciente.
Dans une entreprise, la « mémoire déclarative individuelle » concerne les connaissances
techniques, scientifiques ou administratives de quelqu'un. Elles sont généralement tout à fait
explicites, et contenues soit dans le cerveau de l'individu, soit dans ses dossiers. Cela veut donc
dire que cette information n'est disponible aux autres qu'à condition de passer par son
propriétaire. Par exemple, une assistante de direction sait où elle a rangé tel dossier, ou quelles
ont été les étapes d'une décision prise par le patron. Il y a donc un risque d'oubli important avec
le départ de l'intéressée. Heureusement, une partie de cette mémoire déclarative individuelle est
mise en commun, sous forme de « mémoire déclarative collective non centralisée », lors de
l'interaction entre plusieurs personnes. Par exemple, lorsqu'un membre d'une unité va chercher
un dossier chez un autre, ou lors de discussions. Il existe des tentatives pour faciliter le
développement de ces mémoires collectives. Par exemple, en incitant les employés à expliciter la
nature du classement de leurs dossiers sur une feuille collée sur l'armoire.
Mais c'est rarement efficace. Tout comme la mémoire déclarative individuelle, la mémoire
déclarative collective non centralisée est fragile et dépend de la présence, des relations et des
affinités entre les travailleurs.
Pour cette raison, certains savoirs sont stockés dans des bases de données centralisées,
souvent informatisées, que M. Girod classe dans la « mémoire déclarative centralisée ». Mais les
individus assurent n'avoir pratiquement jamais recours à ces banques de données. Ils se
plaignent souvent de la trop grande difficulté à retrouver l'information qui les intéresse, ou du
manque d'explication sur certains aspects des dossiers. Ils préfèrent recourir aux interactions
entre individus, c'est-à-dire à l'information collective non centralisée.
La mémoire d'une organisation est aussi constituée de « savoir-comment », ou de connaissances
procédurales. La « mémoire procédurale individuelle » concerne les savoir-faire d'un individu. Par
exemple, l'artisan sait réaliser une pièce de bois sans être capable de décrire toutes les étapes
nécessaires, ni les ajustements précis de ses mouvements. Ce savoir-faire est essentiellement
implicite, et s'acquiert sur le tas. Il est le résultat de l'expérience de l'individu et est donc
fortement affecté par le départ des anciens.
Tout comme c'était le cas pour la mémoire déclarative, la mémoire procédurale d'un individu peut
être transmise à d'autres. Mais le mode de transmission est tout autre : il ne passe pas par la
verbalisation de consignes, mais par l'exemple, lors d'un travail accompli en commun. Le