L'architecture vernaculaire, un modèle pour l’architecture de demain ?
Une étude de cas islandaise.
Sandra COULLENOT
Doctorante à l’Université Jean Monnet, Saint-Étienne
ED 483, Sociologie et Anthropologie, Centre Max Weber, UMR 5283
19 Place des Cordeliers – 71000 Mâcon
06.87.35.81.62
Mots clés : Islande, architecture vernaculaire, paysage, archéologie, savoir-faire.
Nombre de mots : 4977.
Introduction
La maison en tourbe est une construction traditionnelle ancienne qui, en traversant les
différents Âges de l'histoire islandaise (  etc…), s'est adaptée aux interactions et aux
activités humaines. La genèse de ce bâtiment coïncide avec l’arrivée d'un nouveau peuple sur une
île a priori inhospitalière (les colons venus s'installer en Islande venaient principalement de
Norvège). À peine cette terre volcanique foulée par ces individus arrachés à leur foyer natal, leur
premier accomplissement fut la recherche symbolique de l'emplacement de leur habitat : dans la
   (Reykjavík). Les nouveaux insulaires construisirent donc des fermes avec les
matériaux qu’ils avaient à disposition : la tourbe, le bois flotté et parfois la pierre. Non inhérent à
l’île, ce type d’architecture s’imposa à de nombreuses structures : églises, dépendances agricoles
(étables, forges, stations de pêche, etc...), passages semi-enterrés et clôtures. Bien qu’il y ait
différentes formes d’habitat (du  au passage central1), la structure des maisons était globalement
faite de deux parties : un squelette en bois enveloppé par des murs en tourbe. Les blocs de tourbe
étaient extraits de tourbières qui sont "des écosystèmes humides caractérisés par une saturation
quasi permanente en eau (...). Du fait des conditions anoxiques qui en découlent, les végétaux ne se
décomposent que très lentement et partiellement. Ils s’accumulent ainsi sous forme de tourbe sur
des épaisseurs pouvant atteindre près de 10 m"2. Les murs étaient donc appareillés avec des blocs de
1 Hörður Ágústsson, “Inner construction of the Icelandic Turf House”, in 
 !" Stavanger 1982, pp. 173-185, résumé en
anglais page 185 ; Gudmundur Ólafsson & Höður Ágústsson, #  $% & 
#'()%*+, Ed. Sigrún Kristjánsdóttir, 35 pages.
2 Cubizolle et al., ,%-., Actes du colloque du château de
Goutelas 5-7 octobre 2005, textes rassemblés par Hervé Cubizolle, publication de l’Université de Saint-
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formes variées appelés , ou /-. Les aspects particuliers donnés aux blocs
composaient un habitat intimement intégré au paysage.
Ce mode de construction vernaculaire a perduré du ) (vers 871, date de la
colonisation3) jusqu’à la première moitié du XXe siècle quand il fut supplanté par le béton. En effet,
si ce type de bâtiment a perduré pendant près de douze siècles, la société moderne islandaise a
aspiré dans les années 1930 au confort et à l'hygiène promis par un système capitaliste déjà en place
dans l'Europe du premier quart du XXe siècle. Les blocs de tourbe ont donc été abandonnés jusqu'à
ce que les maigres vestiges qui en restent prennent le statut de patrimoine bâti.
L'objectif de ma thèse est de comprendre la place de la maison en tourbe dans le patrimoine
national islandais. Il est établi que ce bâti rural non pérenne fait partie de l’architecture %
mais il devient nécessaire d’aller plus loin et de se demander ce que cette appellation révèle.
Actuellement nous parlons surtout de * et la question qui se pose est quand cette
architecture est-elle devenue patrimoine et comment ce statut se maintient-il aujourd’hui?
L’analyse de mon objet est *0 et  puisqu’elle me conduit à me
focaliser sur des données collectées dès le XVIIe siècle et surtout sur des informations nouvelles
issues de mes recherches sur le terrain. Ce travail chronologique permettrait de trouver la
conversion de ce bâti en objet patrimonial et de montrer les idéologies des Islandais à différentes
époques. Hier, la maison en tourbe faisait parti du folklore islandais et aujourd’hui c’est un
patrimoine culturel.
Les nouvelles données que je collecte sont diverses selon les dispositifs employés (fouilles,
restitutions physiques et virtuelles, expérimentations). Mes1 mettant en avant
ces architectures-sans-architectes sont principalement des conservateurs, des archéologues, des
architectes et des administrateurs (musées, UNESCO), des scientifiques (anthropologues, historiens
etc.), des artisans, des artistes et des étudiants. Leur diversité permet d’avoir des visions variées sur
le bâti islandais. Comment traitent-ils la question du vernaculaire ? Quels discours patrimonial
tiennent-ils ? Qu’en font-ils ? Il convient aussi de ne pas oublier les démarches des locaux
(agriculteurs, habitants, bénévoles) qui vivent de et avec ce patrimoine culturel et en assurent la
transmission. Chacun semble trouver sa place dans une institution publique ou privée. Néanmoins,
Étienne, 2007, page 46.
3 Orri Vésteinsson, Helgi Þorláksson et Árni Einarsson, '%23456178)#
9:;-, Bryndís Sverrisdóttir (éditrice), Minjasafn Reykjavíkur (Reykjavík City Muséum)
2005, 144 pages.
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lorsque les discours se rencontrent, comment ces différents acteurs définissent-ils leur patrimoine
bâti (en terme d’authenticité, d’immatérialité, d’émotion) ?
Patrimoine bâti islandais et architecture durable
À travers la thématique <   -, cette journée de rencontres
interdisciplinaires doctorales me permet d’aborder l’objet de ma thèse - une architecture
traditionnelle paradoxalement non pérenne - dans le temps présent : l’architecture vernaculaire en
tourbe, peut-elle être un modèle pour l’architecture de demain en Islande ?
Le mariage de l'architecture et de la notion d'écologie ou de développement durable est un
défi. Ce dernier fait maintenant parti des agendas politiques européens et semble solliciter de plus
en plus les initiatives pluridisciplinaires comme celles des sciences sociales. Dans cette perspective
très actuelle, pouvons-nous apprendre de l'architecture traditionnelle afin d'envisager un avenir bâti
respectueux de l'environnement?
Avec ses paysages grandioses, l’union de l’écologie et de l’architecture semble une évidence
en Islande. Mais qu’en est-il réellement ? Deux questions sont ainsi posées ici : quelle est la place
de l’architecture vernaculaire dans l’Islande d’aujourd’hui (en terme de traces archéologiques et de
vestiges et en terme d’immatérialité) ? Et quelle est la place du matériau tourbe dans l’architecture
islandaise contemporaine ?
Quelle est la place de l’architecture vernaculaire dans l’Islande d’aujourd’hui ?
● La place de l’architecture vernaculaire en terme de vestiges :
Les traces archéologiques. Les gens connaissent peu le métier d’archéologue et il faut
avouer qu’il n’est pas toujours facile de comprendre un chantier de fouilles les traces d’un
bâtiment en tourbe se révèlent assez abstraites4. Depuis les années 1990, un corpus de bâtiment a pu
être étof5 et leur préservation est une priorité. Par ailleurs, la diffusion et la vulgarisation
4 À ce sujet, voir =**)->>?@'(22A>, édité par Orri Vésteinsson (et
al.), Reykjavík : Fornleifastofnun Íslands, 2011, page 19.
5 Orri Vésteinsson, “Icelandic farmhouse excavations: field methods and sites choices”, in <
+B&CB,*+<Fornleifastofnun
Íslands, Reykjavík 2004, pp. 71-100.
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grandissante des résultats de fouilles et la polyvalence des différentes branches de l’archéologie et
de ses disciplines partenaires permettent aux visiteurs d’avoir une lecture plus claire des traces du
passé.
L’habitat en tourbe encore existant. Du fait de leur fragilité, les bâtiments parvenus
jusqu'à nous et qui datent essentiellement du XIXe siècle, nécessitent des restaurations régulières
faisant appel à des savoir-faire spécifiques. Les constructions encore visibles sont aujourd’hui
principalement prises en charge par la Collection des Bâtiments Historiques (DE" du Musée
National d’Islande. Dans un ouvrage assezrécent traitant de l’habitat rural en Europe,
l’anthropologue Henri Raulin mentionne entre autre le site de Bustarfell et celui de Arbær qu’il
qualifie comme "le seul vrai musée en plein air proche de la capitale"6. En réalité, toutes les
maisons en tourbe inscrites dans la Collection du Musée National d’Islande, soit 17 bâtiments7, sont
des bâtiments-musées qui endurent inévitablement les conditions du plein-air. Parmi ces bâtiments,
on compte aussi Keldur, Glaumbær, Litlibær, etc. Leur muséographie est celle des musées
folkloriques néanmoins leur présence est précieuse et ils sont très visités. Les campagnes de
restaurations menées sur cet ensemble sont supervisées par un architecte qui est en contact
permanent avec un réseau d’artisans garants du savoir-faire et présents dans chaque district.
Les Restitutions. La reconstruction expérimentale en archéologie est souvent considérée
comme un terrain miné. Les scientifiques qui font le choix de l’expérimentation le font souvent
avec précaution car les conséquences peuvent avoir un impact sur leur réputation et sur la crédibilité
de leurs recherches. Même si l’ethnoarchéologie et l’expérimentation ne sont pas choses nouvelles,
des archéologues notent qu’"il y a un grand manque d’expériences expérimentales dans la pratique
archéologique islandaise"8,jusqu’à récemment. Les quelques projets de restitutions existants partent
souvent d’une commémoration. C’est le cas de la reconstruction de la 1 de Stöng (daté
du XIIe siècle) dans la vallée de Þjórsá, commandée en 1974 pour célébrer les mille ans de la
colonisation de l’Islande. Nous pouvons mentionner deux autres projets de restitutions de maisons
en tourbe médiévales : la  *0 de Eiríksstađir et le  préservé au coeur de
Reykjavík (la 9:;-).
6 Henri Raulin, maison Paysanne d’Europe, Collection 0*, Ibis Press, 2009,
243 pages.
7 La Collection compte au total quarante bâtiments.
8 N. Trbojevic, D. E. Mooney et A. J. Bell, "A Firewood Experiment at Eiríksstađir : A Step Toward
Quantifying the Use of Firewood for Daily Household Needs in Viking Age Iceland", in <
+, 2012, page 31. Traduit de l’anglais par l’auteur.
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L’exemple probablement le plus abouti par rapport à la mobilisation interdisciplinaire qu’il a
suscité est la )E (*0) de Eiríksstađir dans la vallée de Haukadalur (Ouest
de l’ Islande). Cette réplique à l’échelle 1 d’une maison de l’   est située sur un
emplacement connu dans les 9 et dans la tradition orale. Ce lieu a une place particulière dans le
folklore islandais puisqu’il est associé à la figure d’Erik le Rouge. La )E a été construite
avec des méthodes et des matériaux traditionnels à approximativement cent mètres des vestiges de
la maison originale des fouilles furent menées en 1895, 1938 puis entre 1997 et 1999. La
réplique a ouvert ses portes au public en 2000 et a permis un dialogue fructueux entre les
archéologues du Musée National d’Islande, des archéologues d’institutions privées et les architectes
de l’agence Argos, auteurs des plans du projet. Il y eut beaucoup de discutions autour du nom donné
à cette reconstruction et le terme )E fut retenu, créant la transparence avec le visiteur : la
réplique n’est pas l’original mais bien une interprétation.
Dans les années 2000, une 1 fut fouillée aux numéros 14 et 18 de la rue
Ađalstræti, au coeur de la capitale. Quelques années plus tard, dans le but d’en préserver les
vestiges datés du IXe siècle, un bâtiment d’exposition fut construit au-dessus étant donné la fragilité
des murs (un stabilisateur est régulièrement projeté sur la tourbe). Ce lieu à pris le nom de
9:;- (littéralement l’;***". En tant que musée de la ville de
Reykjavík, ce lieu utilise des dispositifs muséographiques variés, à la fois classiques et innovants,
ajustés sur ou autour du bâtiment. Les vestiges sont en place centrale et on peut déambuler tout
autour en trouvant des outils virtuels proposant des hypothèses d’élévations grâce à des tables
interactives, des petits films animés etc. À travers les outils d’expérimentation digitale, les
scientifiques (re)construisent une mémoire de la vie passée de gens ordinaires dans leur maison.
Nous sommes donc loin des héros de 9. Ils suggèrent ainsi aux visiteurs que l’"archéologie est
en fait plus proche de la mémoire que de l’histoire"9.
● La place de l’architecture vernaculaire en terme de mémoire et de savoir-faire :
Le projet UNESCO. L’État islandais s’est engagé dans le long processus de l’inscription
de "la tradition des fermes en tourbe" sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Un texte a
été rédi à plusieurs mains en 2011 et le projet est porté par une délégation du ministère de la
9 Þóra Pétursdóttir, "Small Things Forgotten Now Included, or What Else Do Things Deserve?", in
+FD<, Volum 16 (3), 2012, pp. 577-603.
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