Vol. 29, n° 6, 2006 Tumeurs palpébrales à différenciation sébacée dans le cadre d’un syndrome de Muir-Torre
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octobre 2002. Le résultat parvenu en janvier 2004,
montra une mutation faux-sens sur le gène
MSH2
, mais
non classée en tant que délétère. L’analyse de l’instabi-
lité microsatellite sur les lésions tumorales palpébrales
n’était pas informative du fait des difficultés d’amplifi-
cation de l’ADN.
Une étude sur les tumeurs palpébrales par immuno-
histochimie avec utilisation d’anticorps anti-
MSH2
et
anti-
MLH1
fut alors effectuée. L’examen immunohisto-
chimique de la paupière supérieure droite confirma le
caractère sébacé avec l’utilisation d’un anticorps anti-
ACE qui se fixait d’une manière homogène sur la lésion.
Le marquage avec les anticorps anti-
MSH2
et anti-
MLH1
montra une fixation nucléaire intense (selon des critères
semi-quantitatifs) intéressant la quasi-totalité des noyaux
des cellules basales témoin de la présence de ces pro-
téines au sein des noyaux des cellules épithéliales
(fig. 6)
.
L’examen immunohistochimique du prélèvement de la
paupière gauche montrait un marquage cytoplasmique
intense par l’anticorps anti-ACE confirmant l’inflexion
sébacée. Il existait également un marquage nucléaire
intense avec les anticorps anti-
MSH2
et anti-
MLH1
au
sein des noyaux des cellules tumorales prédominant
dans la zone basale
(fig. 7)
.
Le généticien avait instauré dès la première consulta-
tion, en octobre 2002, un dépistage de carcinomatoses
digestives et dermatologiques pour le fils du patient. Le
patient était déjà suivi vis-à-vis de ses différentes néo-
plasies. Du fait de l’absence de mise en évidence de
mutation délétère, il ne fut pas proposé de dépistage
moléculaire pour les sœurs et frères du patient. L’évo-
lution de ce patient fut défavorable avec l’apparition,
en mars 2003, d’un carcinome de la narine. Le patient
décéda, en mars 2004, des suites de son cancer uro-
thélial.
DISCUSSION
L’association de tumeurs sébacées palpébrales à des
tumeurs coliques, rectales et urothéliales, nous a fait
évoquer chez ce patient, âgé de 47 ans, un syndrome
de Muir-Torre [1], malgré l’absence d’antécédent fami-
lial carcinologique.
Les tumeurs sébacées palpébrales [2, 3] représentent
de 0,2 à 1,2 % des tumeurs palpébrales en Occident,
et 28 % des tumeurs palpébrales en Extrême-Orient [3].
La localisation préférentielle est la paupière supérieure.
Elles surviennent habituellement chez la femme d’âge
moyen [2]. Ces lésions prennent souvent l’aspect trom-
peur de chalazion récidivant. Aussi, il faut biopsier tout
chalazion suspect survenant chez l’adulte senior. Il existe
également des formes révélées par une blépharite chro-
nique et diffuse, souvent très trompeuses. Chez ce pa-
tient, le caractère récidivant de la lésion palpébrale nous
a conduits à réaliser d’emblée une exérèse de la lésion
par résection palpébrale pentagonale et reconstruction
palpébrale par suture bord à bord. Histologiquement,
l’adénome sébacé est composé de lobules glandulaires
sébacés matures convergents vers un canal dilaté uni-
que. Ces tumeurs se développent à partir des glandes
de Meibomius, parfois à partir de Zeis [3]. Elles sont
contemporaines d’un cancer viscéral jusqu’à 23 % des
cas dans certaines séries [4]. Ils justifient donc la mise
en place d’un bilan de dépistage de carcinomatoses vis-
cérales digestives et gynécologiques.
Le carcinome malpighien palpébral [5] constituerait
en fréquence la deuxième tumeur palpébrale maligne
derrière le carcinome basocellulaire. Cette tumeur peut
survenir
de novo
ou sur des lésions précancéreuses. La
localisation préférentielle est la paupière supérieure.
La présentation clinique n’est pas spécifique avec des
aspects nodulaires, ulcérés, kystiques, papillomateux ou
kystiques. Cette tumeur a un potentiel d’infiltration et
de métastases à distance. Ainsi, dans notre cas, nous
avons complété l’exérèse de la lésion par une biopsie
du tarse sous-jacent qui s’est révélé infiltré. Histologi-
quement, il s’agit d’une prolifération de cellules squa-
meuses de l’épiderme. Dans cette observation, il s’y
associait des lobules avec une prolifération de cellules
à différentiations sébacées caractérisées par des vé-
sicules lipidiques intracytoplasmiques. L’immunohisto-
chimie aide à cette distinction par l’expression de l’ACE.
Le syndrome de Muir-Torre est une entité rare, asso-
ciant des cancers viscéraux à des tumeurs cutanées
(adénomes ou carcinomes sébacés, carcinomes basocel-
lulaire à différentiation sébacée, ou kérato-acanthomes)
[1]. Les carcinomatoses viscérales sont par ordre de fré-
quence le cancer colorectal, puis le cancer endométrial
et enfin le cancer urothélial [6].
La transmission de ce syndrome se fait selon le mode
autosomique dominant à pénétrance et expression va-
riable [7]. Le syndrome de Muir-Torre est apparenté à
la forme héréditaire non polyposique du cancer du cô-
lon (HNPCC pour
Hereditary Non Polyposis Colorectal
Cancer
), l’une des formes de prédisposition héréditaire
au cancer les plus répandues. Cette prédisposition fa-
miliale est attribuée à une mutation constitutionnelle
et donc transmissible, d’un des gènes du système de
réparation des défauts d’appariement de l’ADN (dits
gènes
MMR
pour mismatch repair). Actuellement,
39 mutations germinales ont été rapportées : 36 sont
localisées sur le gène
MSH2
(MutS homologue 2) et
3 sur le gène
MLH1
(MutL homologue 1) [8]. Le gène
MSH2
est porté par le bras court du chromosome 2, le
gène
MLH1
est porté sur le chromosome 3 [7]. Une mu-
tation est retrouvée dans 70 % des cas de syndrome de
Muir-Torre [9].
Les tumeurs des patients avec un syndrome de Muir-
Torre montrent une instabilité des séquences micro-
satellites secondaire à une mutation des gènes de
réparation des séquences anormales d’ADN [9]. Il est
donc intéressant de rechercher cette caractéristique gé-
nétique, dans les cas où aucune mutation délétère n’a
pu être mise en évidence.