Luther et la Réforme – 1525-1555
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dont les ramifications influenceront les siècles suivants. L'Allemagne et l'Europe
de 1525-1555 ont la richesse des périodes de transition, elles sont encore porteu-
ses des valeurs du passé et déjà grosses d'idées et de mœurs futures. Elles voient
s'affirmer tout à la fois les individus et les nations dans un large glissement de
valeurs1 : alors que le sacerdoce accuse un déficit de considération, le prestige des
riches banquiers fait qu'ils jouissent d'une estime croissante et d'un pouvoir tel que
l'autorité impériale elle-même est tributaire d'eux2 : ils sont le porte-drapeau et le
témoin de la réussite de ce que nous appellerions de nos jours un « capitalisme
urbain », lequel s'impose depuis le siècle précédent, au sud du fait d'un commerce
dynamique avec l'Italie, au nord grâce à la vitalité de la Hanse, au détriment de la
petite noblesse et d'un véritable prolétariat rural.
Si la guerre des Paysans3 s'inscrit dans une suite de mouvements insurrection-
nels violents qui affectent en particulier l'Allemagne du Sud depuis la fin du
XVe siècle (Bundschuh, der arme Konrad, etc.), elle constitue moins la fin d'une
période qu'elle n'est une charnière, l'expression d'une mutation économique et
sociale profonde, mais aussi l'exigence d'une « juste autorité4 » que certains jugent
fondée en termes de théologie par Luther. Quand elle prend fin, il est manifeste
que rien ne peut plus être comme par le passé5. La guerre des Paysans met en
évidence l'obligation de penser autrement l'homme, la religion et la société. En ce
sens elle est porteuse des changements qui interviennent dans les décennies sui-
vantes6. Les Églises, romaines ou protestantes, sont confrontées à un impératif
d'adaptation.
Après le temps des débats fondamentaux, spectaculaires et passionnés, qui do-
minent partiellement ce premier quart du siècle7, s'amorce et s'impose désormais
celui de la concrétisation. La tempête décroît sans se calmer immédiatement, on
prépare non sans douleur la période de navigation au long cours. La phase de
survie passée, il faut organiser la vie car nul n'est sorti indemne de la houle. L'af-
frontement des thèses essentielles cède la place – sans disparaître – à des straté-
gies de consolidation et d'adaptation qui ne se limitent pas au domaine spirituel,
mais dans lesquelles la lutte pour le pouvoir entre princes – investis de fait par
Luther d'une autorité spirituelle en sus de leur puissance temporelle – tient une
place importante. L'ordre établi venant de Dieu et étant le fruit de sa volonté,
l'obligation d'obéissance qui incombe au sujet, toujours subordonné à Dieu, mais
Schneilin, op. cit., p. 63 sq.
1. Jean Delumeau et Thierry Wanegffelen, Naissance et affirmation de la Réforme, PUF, Paris, p. 13 sq.
2. Cf. e.a. Klaus Tenbrock, « Les circonstances qui conduisirent à l'élection de Charles [V] montraient dans quelle
situation se trouvait l'Empire. Son destin était entre les mains d'un banquier », Geschichte Deutschlands, Munich-
Paderborn, 1968, p. 95-96. Rappelons brièvement que, Maximilien Ier n'ayant pas réussi à imposer à temps la can-
didature de son petit-fils Charles, un rival non négligeable se présente en la personne de François Ier. Charles se
trouve alors dans l'obligation de mener une véritable campagne électorale que finance dans une large mesure le
banquier Jakob Fugger. L'élection n'est aussi acquise qu'au prix d'importantes concessions aux princes
(« Wahlkapitulation »).
3. Cf. e.a. Peter Blickle, Der Bauernkrieg. Die Revolution des Gemeinen Mannes, Beck'sche Reihe, Munich, 1998.
4. Sven Tode, « Conséquences et répercussions de la guerre des Paysans 1525-1555 » dans le présent ouvrage.
5. Gottfried Seebass, « L'évolution du protestantisme allemand » dans le présent ouvrage.
6. Ibid.
7. Cf., entre autres, en 1525, la violente réponse de Luther à Érasme, Du serf arbitre.