Introduction
S’il fallait tenter de résumer brièvement par ses usages ce qu’est un ordinateur, le plus simple
serait sans doute de le désigner comme un « bidule-automatisé-à-tout-faire-ou-presque ». Cette
universalité avérée confère aux ordinateurs une part décisive dans le fonctionnement de bien
des systèmes, de la programmation d’un grille-pain à la simulation de mondes virtuels, en pas-
sant par le pesage du linge dans une machine à laver, la correction automatique de trajectoire
d’une automobile, l’estimation prévisionnelle d’un vote, le calcul d’un modèle météorologique,
ou le séquençage du génome, pour ne citer que ces exemples... Pour autant, ce phénomène dont
l’accélération a été remarquable au cours des cinquante dernières années, résulte d’une évolution
historique de longue haleine conjugant à la fois découvertes scientifiques, contraintes économiques
et développements technologiques, à la croisée de différentes branches des mathématiques et de la
physique. De ce point de vue, il est intéressant d’envisager l’histoire de l’informatique sous l’angle
d’une sorte de théorie de l’évolution des mécanismes de calcul : le développement de nouvelles
idées scientifiques conjuguées aux évolutions économiques marquant une époque donnée forment
un environnement favorisant ou contraignant l’émergence de nouvelles formes de machines.
Puisqu’il est question d’« automatisme », il est naturel de faire remonter a posteriori l’origine
de l’informatique aux premiers dispositifs permettant d’effectuer une tâche sans intervention
humaine. A cet égard, de nombreux mécanismes sont potentiellement en mesure de revendiquer le
statut d’ordinausore... Et c’est sans aucun doute d’abord du côté du décompte, du dénombrement,
et de la mesure que se font sentir la nécessité et la possibilité d’une mécanisation.
– La capacité de compter, et dès l’ère paléolitique, la nécessité de dénombrer (par exemple le
nombre de têtes d’un troupeau), donne naissance aux premières techniques de numération :
d’abord le système décimal issu, comme le signale avec humour [Tisserant03] de la pre-
mière calculatrice de poche connue (la main), le système binaire connu en Chine trois mille
ans avant J.C. (sous l’expression du Yin et du Yang) et dont on trouve trace sur les figures
magiques de l’empereur Fou-Hi, puis la numération positionnelle accompagnée du zéro,
développée en Inde environ trois cents ans avant J.C. et diffusée grâce à la traduction vers
820 après J.C. des ouvrages d’Al-Khuwarizmi, mathématicien de Bagdad. Parallèlement
aux progrés de la numération, la mise au point de bouliers (en Asie) et abaques (bassin
méditerranéen) facilitent et accélérent les calculs.
– La mesure précise du temps est par ailleurs l’un des premiers problèmes qui se soit prêté
à une tentative d’automatisation. L’utilisation du cadran solaire, en quelque sorte énorme
horloge naturelle, finira par céder la place à la conception d’horloges artificielles dont un
exemple remarquable est la clepsydre, inventée par Ctésibios au troisième siècle avant J.C. :
de l’eau s’écoule dans un réservoir contenant un flotteur qui pointe sur des graduations qui
correspondent aux heures de la journée et de la nuit ; un pointeau flottant, intercalé entre
le cylindre et la canalisation d’arrivée d’eau, assure la régularité du système de telle sorte
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