La Russie, entre peurs et défis, Jean Radvanyi et Marlène Laruelle

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Revue d'études comparatives Est-Ouest
47-4 | 2016
Révolutions conservatrices en Europe centrale et
orientale
La Russie, entre peurs et défis, Jean Radvanyi et
Marlène Laruelle (dir.)
Vladimir Pawlotsky
Éditeur
Éditions NecPlus
Édition électronique
URL : http://receo.revues.org/2976
ISSN : 2259-6100
Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2016
Pagination : 181-186
ISBN : 9782358761642
ISSN : 0338-0599
Référence électronique
Vladimir Pawlotsky, « La Russie, entre peurs et défis, Jean Radvanyi et Marlène Laruelle (dir.) », Revue
d'études comparatives Est-Ouest [En ligne], 47-4 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le
28 mars 2017. URL : http://receo.revues.org/2976
© NecPlus
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JEAN RADVANYI ET MARLÈNE LARUELLE (DIR.)
LA RUSSIE, ENTRE PEURS ET DÉFIS
Paris, Armand Colin, 2016, 236 p.
Revue par : Vladimir Pawlotsky
Doctorant contractuel (CRAG-CRPM) / Chargé de TD à l’Institut Français de
Géopolitique (Paris 8), [email protected]
La Russie entre peurs et déis, édité chez Armand Colin dans la collection
« Perspectives Géopolitiques », est le fruit d’une recherche menée conjointement par Jean Radvanyi et Marlène Laruelle.
Marlène Laruelle est spécialiste de la politique russe contemporaine. Elle
est enseignante-chercheuse à la George Washington University et directrice
associée de l’Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES)
de l’Eliott School of International Afairs. Elle s’intéresse aussi aux politiques
nationales des États d’Asie centrale grâce à une solide connaissance des terrains.
Jean Radvanyi est géographe, professeur des universités à l’Inalco. Il a produit
de nombreux ouvrages, au premier rang desquels Le Géant aux paradoxes en
1982 et Les États postsoviétiques en 2004, manuel incontournable qui fournit des
clés de lectures essentielles pour quiconque souhaite s’intéresser à l’aire/l’ère
postsoviétique.
Destiné aux spécialistes comme aux non-initiés, « l’essai » – si l’on se réfère
à la quatrième de couverture – dépeint la Russie sous l’angle de la démesure
de son territoire (I) et de son caractère multiethnique (II). Très composite, le
pays renferme des inégalités régionales croissantes (III) qui ont favorisé l’émergence d’un régime en quête de consensus politique mais dont les tendances
autoritaires ne laissent pas de place à l’alternance (IV). Malgré quelques tentatives de diversiication sectorielle, l’économie russe reste tributaire des revenus
liés à l’exportation des hydrocarbures favorisant une gestion très centralisée
(V). La guerre en Ukraine, présentée comme une énième conséquence désastreuse de l’incompréhension mutuelle entre la Russie et ses partenaires occidentaux, relance les débats véhiculant l’image d’un État « pontique », à cheval
entre l’Europe et l’Asie (VI). Révélant aux yeux de tous de nouveaux modes de
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combat (guerre hybride, cyber-guerre) et d’outils diplomatiques (sot power),
l’État russe – incarné par Vladimir Poutine – se présente en modèle alternatif à
l’Occident, aiche des valeurs conservatrices, se veut leader régional et partenaire incontournable dans les relations internationales et a fortiori dans la guerre
contre le terrorisme (VII).
I) Le premier chapitre décrit une Russie « malade de son espace » (p. 9),
qui soufre de « fragilités spatiales » (p. 23) favorisées par « la faiblesse des
réseaux de communication » (p. 25). L’inégalité des territoires est telle que les
dix régions les plus riches « concentrent plus de 55 % de la valeur du produit
régional total du pays » (p. 25). Cette situation est à replacer dans une perspective plus large de « colonialisme intérieur » (p. 23) qui par essence, n’a pas
permis l’émergence de dynamiques concurrentielles entre les centres urbains.
La Russie, bien que politiquement décentralisée, s’organise parallèlement sur
une « hypercentralisation politique » (p. 26) qui sclérose le développement
régional, engendre des disparités classiques entre centre et périphérie mais aussi
des disparités interrégionales moins connues.
II) Le deuxième chapitre touche à la question de l’identité nationale russe
« sans équivalent dans l’espace européen » (p. 31). Construite sur le dialogue
conceptuel entre russe (russkij, ce qui touche à la langue, la culture ou l’ethnicité)
et russien (rossijskij, ce qui touche à l’État russe), l’identité nationale en Russie
est dépositaire de son passé impérial et soviétique – par essence multiethnique –
mais se nourrit aussi « des débats identitaires qui secouent l’Europe » (p. 32) :
accroissement démographique de certaines minorités ; politiques migratoires
trop laxistes selon les uns, nécessaires selon les autres ; montée récente et généralisée de la xénophobie, alimentée par les partis politiques. Face à l’importance
tant démographique que stratégique des « compatriotes de l’étranger » (minorités ethniques russes ou russophones présentes dans les ex-républiques soviétiques), les auteurs notent le glissement sémantique (de rossijskij vers russkij)
opéré par Vladimir Poutine lui permettant « de pratiquer concrètement des
politiques d’inluence » (p. 37) dans « l’étranger proche » russe.
III) Les auteurs dans ce troisième chapitre efectuent une typologie géographique (en quatre catégories) des inégalités économiques en reprenant les antagonismes classiques urbain/semi-rural/rural et centre/périphérie. Ils partent
du constat de l’accroissement depuis les années 1990 des inégalités à travers
le calcul du coeicient de Gini qui – nous dit-on – est comparable en Russie
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aux données américaines ou françaises. Mais c’est avant tout la forte croissance
de ce coeicient qui est signiicative : les auteurs retracent depuis l’éclatement
de l’URSS l’apparition du chômage, d’une classe d’extrêmes pauvres, d’une
« hyperinlation », d’un taux de suicides record et d’une baisse – elle aussi
record – du coeicient général de fertilité. L’ouvrage analyse la construction
d’une classe d’hyper-riches à l’interface des mondes économiques et politiques
et souligne l’émergence d’une classe moyenne déinissable tout autant par son
niveau de revenu (autour de 1 000 dollars par mois et par personne) que par
son mode de vie et de consommation (habitant d’une métropole, possède une
datcha, a la capacité d’investir dans l’éducation de ses enfants). Tandis que les
inégalités territoriales économiques ou d’accès aux infrastructures se traduisent
par divers phénomènes socio-économiques, l’ouverture des frontières permet la
difusion de modèles étrangers, très présents dans les métropoles, qu’il s’agisse
de modèles économiques ou religieux. Perçus par les autorités comme prosélytes, ces modèles provoquent – sous couvert d’un patriotisme économique
nécessaire – la formation « par efet miroir » d’un appareil de résistance « made
in Russia » (p.71).
IV) Le quatrième chapitre entend fournir une synthèse du système politique
russe. Vladimir Poutine, en arrivant au pouvoir, souhaite répondre aux traumatismes des années 1990 (tentative de putsch, assaut du Parlement, velléités
autonomistes de certains « sujets ») et prône la restauration d’un État fort. Pour
ce faire, il instrumentalise l’amalgame – très répandu aujourd’hui en Russie –
entre d’un côté : les ravages du capitalisme (privatisations et retrait progressif
de l’État de nombreux secteurs) et de l’autre : la démocratie (assimilée au dictat
des minorités). Décrédibilisant les partis politiques dits libéraux (en les associant
principalement à la crise économique de 1998) tout en refusant un retour au
passé communiste, les dirigeants construisent la « voie médiane » (p. 86), au
service de l’État, qui constitue le terreau du poutinisme (réformes de déconcentration du pouvoir ; réémergence de l’Orthodoxie comme facteur d’unité ;
assise du parti pro-présidentiel Russie Unie, complexiication de l’accès à l’arène
politique pour les « petits partis », exclusion sous diverses formes des oligarques
critiques). En réaction à la Révolution Orange en Ukraine en 2004, l’État russe
élabore un contre-modèle à l’Occident, qu’il juge responsable des révolutions de
couleur. Synthèse eiciente du passé impérial et soviétique, ce modèle érige en
leitmotiv le patriotisme et – fait notable – réhabilite la personnalité de Staline.
Opérant ainsi un « tournant conservateur » (p.100), Vladimir Poutine lors de
son troisième mandat s’adresse aux « masses silencieuses » (p.99), explicite une
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idéologie reprenant les composantes du patriotisme russe et y mêle des éléments
moraux et spirituels. Cette idéologie atteint son apogée lors de l’annexion de
la Crimée en mars 2014 et provoque chez ses partenaires européens la mise en
application d’un ensemble de sanctions qui confortent l’exécutif russe dans ses
positions autant qu’elles nuisent à la santé économique du pays.
V) Si ce sont l’ouverture aux marchés étrangers, les privatisations, la constitution d’une oligarchie, la fuite des capitaux, l’hyperinlation et plus généralement
les crises qui caractérisent les années 1990, les années 2000 quant à elles sont
marquées par la réairmation de la souveraineté économique nationale jugée
indispensable à la préservation de la souveraineté politique du pays. L’économie
russe se veut aujourd’hui à la croisée de plusieurs dynamiques. D’abord, la
« modernisation » passe par l’ouverture de certains pans de l’économie russe
aux capitaux étrangers. Ensuite, le « redéploiement » de l’économie passe par
sa diversiication et donc la diminution de la part des hydrocarbures dans les
recettes de l’État. Enin le souverainisme économique s’oppose à « la perte de
segments stratégiques » (p.106) qui menace l’État au proit d’acteurs étrangers. Pour ce faire, Vladimir Poutine destitue une partie des oligarques, organise
la création « d’une série de holdings », véritables « champions nationaux »
(p. 122) à la tête desquels il nomme plusieurs de ses proches collaborateurs. Plus
connue sous le terme de « verticale du pouvoir » (p. 128), ce phénomène de
cooptation à des postes-clés par le chef de l’Etat favorise la remontée de l’information jusqu’à l’exécutif mais engendre aussi des phénomènes de corruption.
Si les entrepreneurs étrangers ont pu voir chez Vladimir Poutine un élément
stabilisateur, les sanctions économiques – à relativiser, nous dit-on – survenues
après l’annexion de la Crimée et la chute du rouble et du prix du baril de pétrole
sont autant de facteurs de rétractation de l’économie.
VI) Le sixième chapitre éclaire le lecteur sur les diférentes perceptions que
les dirigeants russes ont eues de leur territoire et notamment de la place que la
Fédération devait ou doit occuper dans son « étranger-proche ». Au lendemain
de l’éclatement de l’URSS, la Russie entend se repositionner dans sa zone historique d’inluence. Ses dirigeants construisent autour d’elle la Communauté des
États Indépendants (CEI) en 1991 et alimentent – sous couvert de défendre des
minorités russes – un certain nombre de « micro-conlits » pour contrecarrer
les velléités de certains États à rentrer dans l’OTAN. Dans la perception russe,
la Révolution Orange marque un tournant majeur : les crises résultent de l’intervention d’États ou « d’agences » étrangères et la Russie doit s’en prémunir.
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Les leviers qui s’ofrent à elle sont multiples : 1) la guerre économique et plus
généralement la guerre du gaz dont dépendent (dans des proportions diverses)
ses voisins ; 2) une ofre politico-économique plus avantageuse pour ses voisins
de la CEI ain qu’ils ne « succombent » pas aux tentations révolutionnaires
venues de l’étranger ; 3) la force militaire (avec la modernisation de l’armée à
partir de 2008) ; 4) le sot power (instruments et discours permettant d’atteindre
des objectifs de politique extérieure sans recourir à des moyens de coercition
ou de rétribution). Le tournant vers l’Asie proposé par l’exécutif russe en 2014
entend revitaliser l’Extrême-Orient et propulser la coopération sino-russe au
centre des relations internationales. Que ce soit en termes d’économie, de lutte
contre le terrorisme ou de politique au sein de l’Organisation de Coopération
de Shanghaï (OCS) et des BRICS (Brazil, Russia, India, China, South Africa), la
Russie cherche des alliés de circonstance pour donner corps au monde « multipolaire », narratif que ses dirigeants véhiculent dans la plupart de leurs interventions.
VII) Dans ce dernier chapitre, les auteurs s’intéressent aux racines idéologiques supposées du poutinisme. Ils identiient une galaxie d’auteurs et de référentiels « poutiniens » dont l’éclectisme empêche l’élaboration d’une doctrine
précise. L’emploi soutenu et récurrent par les autorités du terme « civilisation »
séduit de nombreux électeurs, forme une majorité nationale et autorise dans le
même temps, « par efet négatif », l’exclusion des mauvais éléments. Si idéologie
poutinienne il y a, elle est luctuante (en fonction de l’interlocuteur), évolutive
(en fonction du contexte) et fait l’objet d’une projection à l’étranger à travers le
renouveau du sot power. Ainsi l’État russe – incarné par V. Poutine – se présente
en modèle alternatif à l’Occident, aiche des valeurs conservatrices, se veut
leader régional et partenaire incontournable dans les relations internationales.
Du fait de leur qualité rédactionnelle et de leur connaissance précise du terrain, les auteurs rendent intelligibles les grandes dynamiques et courants politiques à l’œuvre en Russie. Grâce à de nombreux encadrés biographiques (dans
le corps du texte) et une chronologie (à la in de l’ouvrage), le lecteur bénéicie
d’un aperçu salutaire sur l’histoire des acteurs majeurs de la vie politique russe.
En déinitive, ce livre éclaire et permet aux non-initiés d’apprendre, à tous les
chercheurs et jeunes chercheurs de consolider leurs bases conceptuelles et statistiques. À travers un efort louable de vulgarisation, l’ouvrage permet une bonne
compréhension des enjeux nationaux et internationaux et désacralise les débats
– trop souvent passionnés – qui agitent les instances politiques et la communauté universitaire. Plus qu’un essai, ce manuel se présente en réalité comme
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une synthèse globale et pluridisciplinaire de la Russie postsoviétique. Le plan est
thématique, « à tiroirs » et, quoique rendant le propos particulièrement riche,
complique l’identiication d’un il rouge commun à toutes les parties, chacune
nécessitant par souci de clarté un retour aux années 1990 (excepté pour les deux
dernières parties). On regrette aussi les vraisemblables contraintes éditoriales à
l’origine de la faiblesse numérique des références et notes de bas de page (une
petite vingtaine en moyenne par chapitre), qui empêchent le lecteur d’accéder
aux sources et travaux mobilisés par les auteurs.
IOULIA SHUKAN
GÉNÉRATION MAÏDAN
VIVRE LA CRISE UKRAINIENNE
Paris, éditions de l’Aube, 2016, 195 p.
Revue par : Amandine Regamey
Maîtresse de conférences à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne
Ioulia Shukan aime l’odeur du feu de bois, cette odeur qui lotte sur le
Maïdan, la place centrale de Kiev, à l’automne 2013. Après la décision du président Ianoukovitch de mettre un terme au rapprochement avec l’Union européenne, des milliers de manifestants occupent le centre de Kiev : autour des
feux, les manifestations citoyennes s’installent durablement dans l’espace public.
Quelques mois plus tard, c’est une odeur des pneus brûlés qui domine : le mouvement a basculé dans la violence, on déplore 109 morts du côté des manifestants. Le 21 février 2014 le président Ianoukovitch fuit en Russie, le 16 mars, la
Crimée (préalablement occupée par des troupes qui se révèleront russes) vote
son rattachement à la Russie, et en avril 2014, l’Est de l’Ukraine bascule dans
la guerre.
Dans Génération Maïdan, Ioulia Shukan écrit la crise ukrainienne du côté
et à côté de ceux qui ont vécu les manifestations, les violences, la guerre et ses
conséquences. Tout en suivant le il de la chronologie, de l’automne 2013 au
RECEO
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