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VOL. 47 / N°4 – DÉCEMBRE 2016
La Russie, entre peurs et dés
aux données américaines ou françaises. Mais cest avant tout la forte croissance
de ce coecient qui est signicative: les auteurs retracent depuis léclatement
de lURSS lapparition du chômage, dune classe dextrêmes pauvres, dune
«hyper ination», dun taux de suicides record et dune baisse – elle aussi
record – du coecient général de fertilité. Louvrage analyse la construction
dune classe dhyper-riches à linterface des mondes économiques et politiques
et souligne lémergence dune classe moyenne dénissable tout autant par son
niveau de revenu (autour de 1 000 dollars par mois et par personne) que par
son mode de vie et de consommation (habitant dune métropole, possède une
datcha, a la capacité dinvestir dans léducation de ses enfants). Tandis que les
inégalités territoriales économiques ou daccès aux infrastructures se traduisent
par divers phénomènes socio-économiques, louverture des frontières permet la
diusion de modèles étrangers, très présents dans les métropoles, quil sagisse
de modèles économiques ou religieux. Perçus par les autorités comme prosé-
lytes, ces modèles provoquent – sous couvert dun patriotisme économique
nécessaire – la formation «par eet miroir» dun appareil de résistance «made
in Russia»(p.71).
IV) Le quatrième chapitre entend fournir une synthèse du système politique
russe. Vladimir Poutine, en arrivant au pouvoir, souhaite répondre aux trau-
matismes des années 1990 (tentative de putsch, assaut du Parlement, velléités
autonomistes de certains «sujets») et prône la restauration dun État fort. Pour
ce faire, il instrumentalise lamalgame –très répandu aujourdhui en Russie –
entre dun côté: les ravages du capitalisme (privatisations et retrait progressif
de lÉtat de nombreux secteurs) et de lautre: la démocratie (assimilée au dictat
des minorités). Décrédibilisant les partis politiques dits libéraux (en les associant
principalement à la crise économique de 1998) tout en refusant un retour au
passé communiste, les dirigeants construisent la «voie médiane» (p. 86), au
service de lÉtat, qui constitue le terreau du poutinisme (réformes de décon-
centration du pouvoir; réémergence de lOrthodoxie comme facteur dunité;
assise du parti pro-présidentiel Russie Unie, complexication de laccès à larène
politique pour les «petits partis», exclusion sous diverses formes des oligarques
critiques). En réaction à la Révolution Orange en Ukraine en 2004, lÉtat russe
élabore un contre-modèle à lOccident, quil juge responsable des révolutions de
couleur. Synthèse eciente du passé impérial et soviétique, ce modèle érige en
leitmotiv le patriotisme et – fait notable – réhabilite la personnalité de Staline.
Opérant ainsi un «tournant conservateur»(p.100), Vladimir Poutine lors de
son troisième mandat sadresse aux « masses silencieuses» (p.99), explicite une