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Il leur sera beaucoup pardonné...
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Les Pêcheurs de perles - Nancy
Par Christophe Rizoud | jeu 05 Mai 2016 |
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« Le grand défaut de la musique de M. Bizet est de manquer de style ou plutôt de les avoir
tous », écrivait Emmanuel Chabrier, à propos des Pêcheurs de perles. C'est juger sévèrement
une œuvre de jeunesse, certes imprégnée d'influences diverses mais d'où saillit à maintes
reprises le génie du futur compositeur de Carmen. On sait qu’un certain nombre de libertés
furent prises avec la partition après la mort de Bizet pour la rendre plus efficace. A rebours de
l’usage, Nancy retourne à la version originale, ce qui, de fait, n'est pas rendre service à
l'ouvrage tant le duo du 3e acte ainsi rétabli (« O lumière sainte ») parait musicalement mièvre
et dramatiquement malvenu. N’aurait-il pas mieux valu enchaîner directement la scène «
sombres divinités » avec le finale, comme l’impose – à juste titre – la tradition ? Et si l’on veut
respecter la partition d'origine, pourquoi avoir remplacé la seconde partie du duo entre Nadir
et Zurga au premier acte (le fameux « au fond du temple saint ») par une reprise du motif de la
Déesse, conformément cette fois à une mauvaise habitude ? De tels choix n’aident pas à
surmonter les pièges tendus par l’œuvre et par son interprétation.
Dans le même article, daté du 12 octobre 1863, Emmanuel Chabrier louait l'originalité de
l'instrumentation, qui valut à l'époque aux Pêcheurs de perles d'être accusé de wagnérisme. En
ce soir de première, Rani Calderon semble moins préoccupé de couleurs orchestrales que de
régler les derniers détails d’une lecture en quête d’expression. Les représentations suivantes
devraient notamment aider à équilibrer le rapport entre voix et instruments. Malmenées par
une écriture capricieuse, voire sauvage tant le jeune Bizet lorgne sur Verdi dès qu'il s'agit de
chœurs, les forces chorales combinées de l'Opéra national de Lorraine et l'Opéra-Théatre de
Metz Métropole pourront, elles aussi, mettre à profit les prochaines représentations si elles
veulent gagner en nuances et en cohésion.
Pour ne rien arranger, Jean-François Lapointe
Lapointe, qui interprète le rôle de Zurga, souffre d’une
bronchite. Le baryton a cependant tenu à honorer son contrat. Un pupitre placé dans un coin
de scène signale qu'à tout moment Julien Véronèse, appelé le matin même à la rescousse,
pourra lui prêter sa voix. Son intervention ne sera pas nécessaire. Si ce choix, courageux,
assure la crédibilité théâtrale de la représentation, il n'est pas sans conséquence musicale. Seul
l'air « O Nadir, tendre ami » laisse deviner l'arête tranchante du chant, la franchise de la diction,
l’éclat mat du bronze, bref tout ce que l'on aurait pu avoir et que l'on n'a pas eu.
© Opéra national de Lorraine
Contraltino rossinien égaré dans l'opéra français qu'il interprète sans accent malgré ses
origines uruguayennes, Edgardo Rocha offre à Nadir une émission haute et un juste usage
de la voix mixte, indispensable pour ciseler la romance du premier acte. Mais, d'une puissance
moindre, le charme délicat du ténor se dissout dans les ensembles. Cette voix légère n'est pas
non plus la mieux assortie au soprano lyrique de Vannina Santoni
Santoni, Leila d’abord hésitante
dans les vocalises si belliniennes de « Ah, chante, chante encore ! » puis de plus en plus
épanouie au fur et à mesure qu’elle s’installe dans le rôle. Le deuxième acte révèle un chant
lumineux et toujours intelligible, avec quelques aigus filés du meilleur effet, tandis que le
troisième, plus dramatique, rappelle s’il en était besoin combien la jeune vestale demeure
vulnérable. Dans un rôle assez tendu pour une voix de basse, Jean Teitgen campe un
Nourabad que la présence inquiétante et la clarté de la prononciation tirent de l'obscurité
imposée par le livret.
Soit « Monde réel, brutal et dangereux » avec des scènes de foule dont on apprécie la fluidité,
soit « parenthèse imaginaires loin de la violence du monde » avec des images d’une beauté
épurée, la mise en scène d’Emmanuelle
Emmanuelle Bastet choisit de raconter l’histoire simplement à
l’aide de gestes et de lumières. Son propos ne bute qu’en fin de représentation sur les
faiblesses d’un dénouement dont Emmanuel Chabrier déjà raillait l’insignifiance : « Intitulez cet
ouvrage La pêche aux harengs ou Les pêcheurs d’huitres et l’intérêt n’y perdra rien, vu qu’il n’a
rien à perdre ». On n'était pas tendre à l'époque. Le public nancéen, moins intraitable, réserve
en fin de représentation un triomphe à l'ensemble des artistes.
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Compositeur
Bizet, Georges
Oeuvre
Les Pêcheurs de perles
Artistes
Calderon, Rani
Bastet, Emmanuelle
Santoni, Vannina
Rocha, Edgardo
Lapointe, Jean-François
Teitgen, Jean
Orchestre
Symphonique et lyrique de Nancy
Ville
Nancy
Saison
SAISON 2015/2016
Infos sur l'oeuvre
Opéra en trois actes
Livret de Michel Carré et Eugène Cormon
Créé au Théâtre-lyrique de Paris le 30 septembre 1863
Nouvelle production
DÉTAILS
Mise en scène
Emmanuelle Bastet
Scénographie et costumes
Tim Northam
Teinture et patine des costumes
Hélène Dutrou
Lumières
François Thouret
Leïla
Vannina Santoni
Nadir
Edgardo Rocha
Zurga
Jean-François Lapointe
Nourabad
Jean Teitgen
Chœur de l'Opéra national de Lorraine
Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz-Métropole
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction musicale
Rani Calderon
Opéra national de Lorraine, Nancy, mardi 3 mai 2016, 20h
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CHRISTOPHE RIZOUD
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