Les Acteurs de bonne foi de Marivaux (Fiche de lecture)

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2. ÉTUDE DES PERSONNAGES
Merlin : auteur, metteur en scène et acteur
Le nom de ce personnage, hérité du Moyen Âge, renvoie aux légendes et à la magie. Le pouvoir particulier dont il dispose
dans la pièce de Marivaux est celui du théâtre. C’est lui que Madame Amelin charge d’élaborer une comédie destinée
à corriger les mœurs trop rigoureuses de Madame Argante. Il en compose le canevas, distribue les rôles et donne les
indications de mise en scène. Il prend plaisir à jouer et à observer les réactions de Lisette et de Blaise. Le théâtre, pour lui,
semble être avant tout un divertissement.
Merlin est un valet intelligent, dont le vocabulaire est riche et témoigne d’une certaine culture. Il comprend que la fiction
théâtrale est une voie indirecte de révélation de la vérité des êtres. L’intrigue qu’il élabore doit mettre en évidence les
sentiments amoureux de Lisette et de Blaise, à travers la jalousie dont ils feront preuve. Merlin est habile et conscient de
ses qualités. Dans la scène première, il affirme même : « les génies comme le mien ne connaissent pas le médiocre ». Il
témoigne face à Éraste, son maitre, d’une plaisante assurance. Il est sûr d’être un auteur de génie et se présente comme
le maitre du jeu.
Il n’échappe toutefois pas entièrement à sa condition de valet. Il se soucie de l’argent et des questions matérielles, qui
sont au cœur des préoccupations traditionnelles du valet de comédie. Il attend les dix pistoles que Madame Amelin lui a
promises pour représenter sa pièce. Il fait d’ailleurs à Madame Argante la somme de ce que lui a couté la préparation du
spectacle pour recevoir d’elle le dédommagement nécessaire.
Lisette, Blaise et Colette : les acteurs
Colette, la fille du jardinier, se prête avec complaisance au jeu décidé par Merlin. Dans la scène 4, elle se livre avec lui à
un duo amoureux qui suscite la colère de Lisette et de Blaise. Elle semble avoir plaisir à tenir des discours de séduction à
Merlin et à jouer avec les sentiments de Blaise, à tel point qu’elle en vient même à traiter ce dernier de « sot » (scène 4)
et de « Nicodème » (c’est-à-dire de « nigaud », scène 5). Elle se laisse diriger par Merlin, dont elle respecte l’intelligence et
pour lequel elle éprouve peut-être des sentiments ambigus.
Blaise, fils du fermier de Madame Argante, n’est ni très intelligent ni très cultivé. C’est un personnage comique qui
est l’objet du mépris de tous les personnages. Merlin note par exemple son « ton de nigaud » (scène 2). Sa langue, plus
encore que celle de Colette, son amante, porte les marques de la paysannerie. Il peine également à comprendre la
différence entre la fiction proposée par la représentation et la réalité. Il craint que Colette ne le trahisse vraiment avec
Merlin. Il exprime sa jalousie avec naïveté et sans retenue. Il se met à pleurer, montrant ainsi sa faiblesse dans une
situation dont la subtilité lui échappe (scène 4). Il doit finalement demander à Colette un témoignage d’affection, pour
se rassurer, au moment du dénouement (scène 13).
Lisette, la suivante d’Angélique, maitrise mieux ses sentiments et son discours que Blaise. Elle se permet de traiter
Colette de « petite villageoise » (scène 3) car elle n’est pas une paysanne. Mais elle se laisse prendre au piège de Merlin,
l’homme qu’elle aime, et se montre vite jalouse à l’égard de Colette. Elle n’apprécie absolument pas le jeu de séduction
auquel se livrent Merlin et Colette. Elle voudrait même repousser son mariage pour faire payer à Merlin sa légèreté. Le
dénouement, qui laisse le dernier mot à Madame Argante, ne précise pas si, finalement, Lisette a accepté ou non de se
marier sans délai avec Merlin.
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Éraste et Angélique : les amants
Éraste est un jeune homme amoureux qui attend avec impatience de s’unir avec Angélique. Dans la scène première,
il s’en remet à l’habileté de Merlin pour satisfaire les exigences de Madame Amelin, qui lui donne sa richesse pour lui
permettre de se marier. Il éprouve une vraie reconnaissance à l’égard de cette généreuse tante. Il ne comprend pas
lorsque celle-ci lui demande d’épouser Araminte. Il reste fidèle à Angélique et défend la sincérité des sentiments dans le
mariage. Il ne se laisse pas séduire par l’argent d’Araminte, qui aurait pu lui permettre de faire un mariage d’intérêt. Il est
même désespéré, après que Madame Amelin lui a annoncé qu’elle renonçait à le marier avec Angélique. Il est un acteur
de bonne foi de la comédie imaginée par Madame Amelin.
Angélique est elle aussi une actrice de bonne foi. Elle ne comprend pas que Madame Amelin joue la comédie et la met à
l’épreuve. Elle est innocente et souffre lorsqu’elle apprend qu’elle doit renoncer à son mariage avec Éraste. Elle exprime
immédiatement sa tristesse et sa résignation. Au moment du dénouement, elle semble soulagée. Mais elle fait cette
remarque qui pourrait signaler la légère amertume qu’elle éprouve à avoir été piégée : « Il n’y a plus qu’à rire. » (scène 13)
Araminte
Araminte est une riche veuve qui éprouve des sentiments pour Éraste. Madame Amelin l’utilise pour jouer la comédie, et
pour piéger Angélique et Éraste. Sa fonction dramaturgique est de mettre en évidence la sincérité de l’amour entre les
jeunes gens. Il s’agit pour elle d’un rôle cruel, qui lui rappelle qu’elle n’est pas aimée et qu’elle a passé l’âge de l’être. Elle
ne parvient pas à acheter les sentiments d’Éraste. Le dénouement la laisse face à sa solitude.
Madame Argante et Madame Amelin
Madame Argante est la mère d’Angélique. Soucieuse des convenances et des principes moraux, elle n’apprécie pas le
divertissement. Elle représente la position très stricte de l’Église à l’égard du théâtre, condamné pour son immoralité.
Merlin a pour mission de la surprendre. Mais, attirée par le bruit des disputes, elle découvre qu’une représentation est
en train de se préparer. Elle a cette réaction sans appel : « la comédie chez une femme de mon âge, cela serait ridicule »
(scène 6). Elle n’hésite toutefois pas à revenir sur sa décision. La comédie de Madame Amelin la place face à sa faiblesse :
elle n’a pas les moyens de défendre ses principes face à une femme beaucoup plus riche qu’elle, qui offre à sa fille un
mariage inespéré. Entre Madame Amelin et elle se joue également une opposition entre Paris et la province. Ce sont ses
excès que la comédie de Madame Amelin corrige, en montrant qu’il est ridicule de refuser le divertissement théâtral.
Madame Amelin est un personnage opposé à celui de Madame Argante, à qui elle veut donner une leçon. Elle se montre
généreuse à l’égard d’Éraste, mais elle fait preuve d’un certain cynisme : elle défend le plaisir du théâtre au prix d’un jeu
cruel avec les sentiments d’Araminte, d’Angélique et d’Éraste. Elle va jusqu’au bout de sa comédie : c’est le notaire, et
non elle, qui y met fin.
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