Theatre illusion - Finis ton sandwich

publicité
TEXTE COMPLEMENTAIRE
Texte A - MARIVAUX, Les Acteurs de bonne foi, scènes 1 à 3 - 1757.
Merlin, valet de chambre et amant de Lisette, prépare en secret avec d’autres domestiques une courte pièce pour divertir ses maîtres.
Dans l’intrigue qu’il a ébauchée, il fait semblant d’aimer Colette, l’amante de Blaise.
Scène II – Lisette, Colette, Blaise, Merlin.
MERLIN. - Allons, mes enfants, je vous attendais ; montrez-moi un petit échantillon de votre savoir
faire, et tâchons de gagner notre argent le mieux que nous pourrons ; répétons.
LISETTE. - Ce que j'aime de ta comédie, c'est que nous nous la donnerons à nous-mêmes ; car je
pense que nous allons tenir de jolis propos.
MERLIN. - De très jolis propos ; car, dans le plan de ma pièce, vous ne sortez point de caractère, vous
autres ; toi, tu joues une maligne soubrette à qui l'on n'en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l'air
d'un nigaud pris sans vert1, et il en fait le rôle; une petite coquette de village et Colette, c'est la même
chose ; un joli homme et moi, c'est tout un. Un joli homme est inconstant, une coquette n'est pas
fidèle : Colette trahit Blaise, je néglige ta flamme. Blaise est un sot qui en pleure, tu es une diablesse qui
t'en mets en fureur; et voilà ma pièce. Oh ! je défie qu'on arrange mieux les choses.
BLAISE – Oui ; mais si ce que j'allons jouer allait être vrai ! Prenez garde, au moins ; il ne faut pas du
tout de bon ; car j'aime Colette, dame !
MERLIN. - À merveille ! Blaise. je te demande ce ton de nigaud-là dans la pièce.
LISETTE - Écoutez, Monsieur le joli homme, il a raison ; que ceci ne passe point la raillerie ; car je ne
suis pas endurante, je vous en avertis.
MERLIN. - Fort bien, Lisette ! Il y a un aigre-doux dans ce ton-là qu'il faut conserver.
COLETTE. - Allez, allez, Mademoiselle Lisette ; il n'y a rien à appriander2 pour vous; car vous êtes plus
jolie que moi ; Monsieur Merlin le sait bien.
MERLIN. - Courage, friponne ; vous y êtes, c'est dans ce goût-là qu'il faut jouer votre rôle. Allons,
commençons à répéter.
LISETTE - C'est à nous deux à commencer, je crois.
MERLIN. - Oui nous sommes la première scène ; asseyez-vous là, vous autres; et nous, débutons. Tu
es au fait, Lisette. (Colette et Blaise s'asseyent comme spectateurs d'une scène dont ils ne sont pas.) Tu
arrives sur le théâtre, et tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un peu, pour me laisse prendre ma
contenance.
Texte B - Antonin ARTAUD, Le Théâtre et son double - 1938.
Antonin Artaud, dramaturge et critique théâtral, explique dans cet essai ce que serait pour lui le théâtre idéal.
Le spectacle, ainsi composé, ainsi construit, s'étendra, par suppression de la scène, à la salle entière du
théâtre et, parti du sol, il gagnera les murailles sur de légères passerelles, enveloppera matériellement le
spectateur, le maintiendra dans un bain constant de lumière, d'images, de mouvements et de bruits. Le
décor sera constitué par les personnages eux-mêmes, grandis à la taille de mannequins gigantesques, par
des paysages de lumières mouvantes jouant sur des objets et des masques en perpétuel déplacement.
Et, de même qu'il n'y aura pas de place inoccupée dans l'espace, il n'y aura pas de répit, ni de place vide
dans l'esprit ou la sensibilité du spectateur. C'est-à-dire qu'entre la vie et le théâtre, on ne trouvera plus
de coupure nette, plus de solution de continuité.
Texte C – William SHAKESPEARE, Le Songe d'une nuit d'été, 1595.
Voici les dernières lignes d'une comédie où l'un des personnages, Puck, s'adresse directement aux spectateurs.
PUCK, aux spectateurs - Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout
sera réparé) que vous n'avez fait qu’un somme, pendant que ces visions vous apparaissaient. Ce thème
faible et vain, qui ne contient pas plus qu'un songe, gentils spectateurs, ne le condamnez pas ; nous
ferons mieux, si vous pardonnez. Oui, foi d'honnête Puck, si nous avons la chance imméritée
d'échapper aujourd'hui au sifflet du serpent, nous ferons mieux avant longtemps, ou tenez Puck pour
un menteur. Sur ce, bonsoir, vous tous. Battez des mains, si nous sommes amis, et Robin3 réparera ses
torts. (Sort Puck.)
1
. Un nigaud pris sans vert : pris au dépourvu.
. Appriander : forme populaire pour « appréhender
3
. Robin : un des personnages de la pièce
2
Texte D - Paul CLAUDEL, L'Échange, 1901.
Les personnages présents sont Marthe, une épouse qui est l’image de la soumission aux lois de la famille et de la religion, Lechy
Elbernon, une actrice émancipée qui représente la femme séduisante et son mari, Thomas Pollock Nageoire, un homme d’affaires
entreprenant et avisé, actif et sérieux. Le texte est écrit en verset (forme poétique).
LECHY ELBERNON - Moi je connais le monde. J'ai été partout. Je suis actrice, vous savez.
Je joue sur le théâtre.
Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c'est ?
MARTHE - Non.
LECHY ELBERNON - Il y a la scène et la salle.
Tout étant clos, les gens viennent là le soir et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres,
regardant.
MARTHE - Quoi ? Qu'est-ce qu'ils regardent puisque tout est fermé ?
LECHY ELBERNON - Ils regardent le rideau de la scène.
Et ce qu'il y a derrière quand il est levé.
Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
MARTHE - Mais puisque ce n'est pas vrai ! C'est comme les rêves que l'on fait quand on dort.
LECHY ELBERNON - C'est ainsi qu'ils viennent au théâtre la nuit.
THOMAS POLLOCK NAGEOIRE4 - Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore ? Qu'est-ce que
cela me fait ?
LECHY ELBERNON - Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée.
Et ils garnissent les murs comme des mouches jusqu'au plafond.
Et je vois ces centaines de visages blancs.
L'homme s'ennuie et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.
Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.
Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.
Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller.
Et je les regarde aussi et je sais qu'il y a là le caissier qui sait que demain
On vérifiera les livres, et la mère adultère dont l'enfant vient de tomber malade,
Et celui qui vient de voler pour la première fois et celui qui n’a rien fait de tout le jour.
Et ils regardent et écoutent comme s'ils dormaient.
MARTHE - L'œil est fait pour voir et l'oreille
Pour entendre la vérité.
LECHY ELBERNON - Qu'est-ce que la vérité ? Est-ce qu'elle n'a pas dix-sept enveloppes, comme les
oignons ?
Qui voit les choses comme elles sont ? L'œil certes, voit, l'oreille entend.
Mais l'esprit tout seul connaît. Et c'est pourquoi l'homme veut voir des yeux et connaître des oreilles
Ce qu'il porte dans son esprit, - l'en ayant fait sortir.
Et c'est ainsi que je me montre sur la scène.
MARTHE - Est-ce que vous n'êtes point honteuse ?
LECHY ELBERNON - Je n'ai point honte ! mais je me montre, et je suis toute à tous.
DISSERTATION
Victor Hugo écrit : « Le théâtre n'est pas le pays du réel : il y a des arbres de carton, des
palais de toile, un ciel de haillons, des diamants de verre, de l'or de clinquant, du fard sur la pêche,
du rouge sur la joue, un soleil qui sort de dessous terre. C'est le pays du vrai... ».
Vous discuterez cette affirmation en vous appuyant sur des exemples tirés des textes du
corpus ainsi que sur des œuvres que vous avez lues ou vues au théâtre.
4
. Homme d’affaires et amant de Lechy
Téléchargement