myélopathie cervicale secondaire à une ossification du ligament

Rachis, 1995, vol. 7, nO 5pp 241-248 FAIT CLINIQUE
MYÉLOPATHIE CERVICALE SECONDAIRE ÀUNE OSSIFICATION DU
LIGAMENT COMMUN VERTÉBRAL POSTÉRIEUR AU COURS DE
L'HYPEROSTOSE VERTÉBRALE ANKYLOSANTE
CERVICAL MYELOPATHY SECONDARY TO OSSIFICATION OF THE
POSTERIOR LONGITUDINAL LIGAMENT ASSOCIATED TO
VERTEBRAL HYPEROSTOSIS
S. BAKLOUTI*, Z. BOUDAOUARA**, N. HDIHI*, M.H. ELLEUCH*, H. BEN MANSOUR**, S. SELLAMI*
·Service de Rhumatologie CHU Sfax (Tunisie)
"Service de Neuro-Chirurgie CHU Sfax (Tunisie)
RÉSUMÉ SUMMARY
Les auteurs rapportent trois observations d'ossification
du ligament vertébral postérieur à l'étage cervical avec
compression médullaire associées à une hyperostose
vertébrale ankylosante. Le traitement chirurgical par
décompression postérieure n'a pas entrainé
d'amélioration clinique. Les rapports éventuels de
l'affection avec l'hyperostose, la pathogénie de
l'atteinte médullaire ainsi que les indications du
traitement chirurgical sont envisagés.
Mots clefs: Ligament commun vertébral postérieur - Myélopathie
cervicale - Ossification - Hyperostose vertébrale.
241
The authors report 3cases of ossification of the posterior
vertebral ligament in cervical spine with spinal cord
compression and coexistence of ankylosing hyperostosis.
Posterior cervical decompression by laminectomy has
been employed but no improvement was obtained.
The authors discuss the possible relationship between the
disease and ankylosing hyperostosis, pathogenesis of
spinal ccrd damage and indications for surgical
treatments.
Keys words :Posterior longitudinal ligament - Cervical myelopathy -
Ossification - Hyperostosis.
S. BAKLOUTl, Z. BOUDAOUARA, N. HDIJ!, M.H. ELLEUCH, H. BEN MANSQUR, S. SELLAMI
L'ossification du ligament vertébral commun postérieur
(LCVP) à l'étage cervical est une affection de nature incon-
nue, touchant particulièrement les populations asiatiques
notamment les Japonais,
Cette ossification, souvent asymptomatique, peut entraîner
un retrécissement du canal rachidien à l'origine d'une com-
pression médulaire.
Resnick (16,17) trouve que l'ossification du LCVP est obser-
vée chez 50% des malades atteints d'hyperostose vertébrale
ankylosante (HV A) et peut parfois constituer l'aspect pré-
dominant de la maladie.
Nous rapportons 3 observations de compression médullaire
cervicale par ossification du LCVP associée à une HVA
traitée chirurgicalement.
En se basant sur nos 3 observations et sur une revue de la
littérature, les rapports éventuels de l'affection avec l'HV A
seront envisagés.
Figure 1 : observation nOl
a : Rachis cervical de profil
*Ossification LCVP C2- C4
*Hyperostose antérieure
b : Tomographie sagittale.
la .••.
lb ••
242
OBSERVATION 1
Monsieur Hédi A ..., 63 ans, est hospitalisé en Décembre
1983 pour cervicalgies et lombosciatique SI bilatérale
associées à une lourdeur progressive des membres infé-
rieurs sans troubles sphinctériens évoluant depuis 4 ans.
A l'examen, il existe une quadriparésie spastique prédomi-
nant aux membres inférieurs sans troubles sensitifs. Les
reflexes ostéotendineux sont vifs aux 4 membres, il existe
un Hoffman aux membres supérieurs, il n'y a pas de signe
de Babinski. La mobilité du rachis cervical est très limitée.
Le bilan radiographique révèle au rachis cervical sur le cli-
ché de profil la présence d'une ossification épaisse à la face
postérieure des corps vertébraux C2, C3 et C4. Sur les
coupes tomographiques cette ossification paraît séparée du
corps vertébral de C2 et de C3 puis adhère au corps de C4
(figure 1). Par ailleurs, on observe une ostéophytose exubé-
rante antérieure caractéristique d'hyperostose vertèbrale
ankylosante. Cet aspect est également retrouvé en antéro-
latéral au niveau du rachis dorsal et lombaire.
La myélographie montre un arrêt incomplet en regard de
C4. La biologie de routine est sans particularité. Il n'y a pas
de diabète.
En Mars 1984, est réalisée une laminectomie C2 - C7.
A 3 ans de recul, l'état du malade est stationnaire.
MYÉLOPATHlE CERVICALE SECONDAIRE ÀUNE OSSIPICA TION DU LIGAMENT COMMUN VERTÉBRAL POSTÉRIEUR AU COURS DE L'HYPEROSTOSE VERTÉBRALE ANKYLOSANTE
2a'"
Figure 2 : observation n02
a : Rachis cervical de profi 1:
*Ossification du LCVP C2- CS
*Hyperostose antérieure
b : Tomographie sagittale.
OBSERVATION 2
Monsieur Saadaoui S..., 41 ans, est hospitalisé en Octobre
1993 pour paresthésies et faiblesse des 4 membres d'aggra-
vation progressive et évoluant depuis 1986.
L'examen retrouve un syndrome tétrapyramidal avec marche
spastique, reflexes vifs et trépidation épileptoïde des pieds. Il
n'y a pas de troubles sensitifs superficiels ou profonds, ni de
troubles sphinctériens. Le testing musculaire montre un dis-
cret déficit des muscles intrinsèques des mains.
L'examen du rachis est normal.
L'étude radiographique montre à l'étage cervical une ossi-
fication du ligament vertébral postérieur s'étendant de
l'angle postéro-inférieur de C2 à l'angle postéro-supérieur
de CS. Cette ossification parait séparée des corps verté-
braux. Il existe par ailleurs, une ostéophytose exubérante
antérieure avec véritable pont CS - C6 (figure 2).
A l'étage dorso-lombaire, on retrouve une hyperostose ver-
tébrale ankylosante typique.
Le myéloscanner cervical montre que le LCVP est massive-
243
Figure 3: observation n02
Coupe tomodensitométrique passant par le corps de C3
Ossification du LCVP entraînant un retrécissement du canal rachidien.
S. BAKLOUTI, Z. BOUDAOUARA, N, HDIJI, M.H. ELLEUCH, H. BEN MANSOUR, S. SELLAMI
ment calcifié, épais, cette calcification est asymétrique et
responsable d'un refoulement important de la moelle en
particulier aux étages C3 - C4 , C4 - CS et CS - C6 (Figure
3),
Le bilan biologique de routine est normal.
Opéré par voie antérieure en Décembre 1993, il a été réali-
une corporectomie de C3 et C4 avec ablation du LCVP,
Ce geste, jugé insuffisant, a été complété 6 mois plus tard
par une laminectomie C2 - C7.
A 8 mois de recul après la 2ème intervention, l'état du
malade est stationnaire.
OBSERVATION 3
Monsieur Salah H ... , 78 ans, suivi en consultation pour
HV A est hospitalisé en Octobre 1994 pour une tétraparésie
d'installation brutale avec troubles sphinctériens à type de
rétention vésicale survenue à la suite d'une chute de sa hau-
teur avec traumatisme cervical.
Figure 4 : observation n03
Rachis cervical de profil:
*Ossification du LCVP à partir de C2
*Hyperostose antérieure.
244
SaÂ.
Figure S : observation n03
Coupe tomodensitométrique
a : passant par le corps de C2
b : passant par le corps de CS
Ossification asymetrique du LCVP entraînant une compression
médullaire. Sb ••.
L'examen retrouve un rachis cervical douloureux, complè-
tement raide, un déficit moteur à prédominance distale aux
membres supérieurs et à prédominance proximale aux
membres inférieurs. Il existe un niveau sensitif en D6. Les
réflexes ostéotendineux sont diminués au membre supérieur
gauche, les reflexes achilléens sont abolis. Il existe un signe
de Hoffman ainsi qu'un signe de Babinski du côté droit.
Le bilan biologique de routine est normal.
La radiographie du rachis cervical montre des signes
d'HV A avec coulée ostéophytique corporéale antérieure
sans image de fracture ni de luxation aux clichés dyna-
MYÉLOPATHIE CERVICALE SECONDAIRE À UNE OSSIFICATION DU LIGAMENT COMMUN VERTÉBRAL POSTÉRIEUR AU COURS DE L'HYPEROSTOSE VERTÉBRALE ANKYLOSANTE
mique. Il existe, par ailleurs, une ossification du LCVP
commençant au sommet de l'odontoïde et descendant le
long du mur postérieur des corps des vertèbres cervicales
(figure 4),
La myélographie, réalisée par voie sous occipitale, montre
une image d'arrêt incomplet en regard de C3 - C4 . Les
coupes tomodensitométriques confirment la présence d'une
ossification asymétrique du LCVP s'étendant de C2 jusqu'à
C7 entraînant un retrécisssement du canal rachidien et une
compression importante de ]a moelle cervicale (figure 5),
Une ]aminectomie C3 - C7 est réalisée en Novembre 1994.
A 4 mois de recul, l'état du patient est stationnaire.
COMMENTAIRES
Le LCVP s'étend de l'os cccipita] jusqu'au sacrum et tapis-
se la face postérieure des corps vertébraux et des disques
intervertébraux. L'ossification de ce ligament peut être à
l'origine d'une compression médullaire.
La première description remonte à 1838 par Key, suivie de
2 cas: Knaggs (1925) et Oppenheimer, (1942) (21).
Tsukimoto (1960) a relancé ]'interêt pour les affections
ossifiantes des ligaments rachidiens. Son premier cas est
celui d'un patient opéré pour une tétraparésie due à l'ossifi-
cation pluri étagée du LCVP occupant les 2/3 antérieurs du
canal rachidien (19).
Terrayama (1964) (6)a introduit ]e terme d'ossification du
LCVP par opposition aux autres affections ostéo-construc-
trices du rachis: spondylarthrite ankylosante, hyperostose
vertébrale ankylosante et arthrose rachidienne.
L'étiologie de cette ossification est inconnue, elle prédomi-
ne dans les populations asiatiques notamment chez les
Japonais avec une prévalence de 3% (8). Dans les autres
populations elle est plus rare. La fréquence est prés de 10
fois supérieure à celle observée chez les caucasiens (II).
Le mécanisme de cette ossification est inconnue, elle com-
mence probablement au niveau des couches superficielles
du ligament en regard de la dure mère (15),puis s'étend vers
les couches profondes. Les zones non ossifiées donnent une
image radio-transparente entre les corps vertébraux et
l'ossification. Elle se fait par ostéoformation endochondrale
(15)pouvant aller jusqu'à la formation d'un os compact avec
deux corticales et une spongieuse comportant de la moelle
osseuse.
Resnick (16)à partir d'une étude radiologique du rachis cer-
vical chez 74 patients atteints d'HV A note la présence
d'une ossification du LCVP dans 50% des cas.
Arlet et Coll (3) rapportent 17 cas de myélopathie cervicale
avec sténose du canal rachidien secondaire à des proliféra-
tions osseuses développées à ]a face antérieure du cana]
cervical du type de celles décrites par Forestier et Rotes-
Quero] sur les faces antérieures et latérale de la colonne
vertébrale. Ils trouvent des images radiologiques différentes
de celles de nos observations et remarquent leur analogie
avec les images d'hyperostose ankylosante antérieure.
245
Bastin (5)rapporte quatre observations d'ossification du
LCVP, trois d'entre elles comportent une localisation cervi-
cale dont une associée à une HV A et compliquée d'une
compression médullaire.
La laminectomie n'a permis qu'une récupération fort par-
tielle (5).
L'ossification du LCVP survient dans 70 à 75% des cas au
rachis cervical de C2 à C7 mais prédomine entre C3 et C5
(17)]a longueur de l'ossification varie d'une à plusieurs ver-
tèbres et peut s'interrompre en regard des risques interver-
tébraux. L'épaisseur de l'ossification varie de 1 à 8 mm.(6)
Elle peut également sièger au rachis dors a] (15 à 20% des
cas) ou au rachis lombaire (10% des cas). ru
Cette affection touche ]e sujet de plus de 40 ans mais ]a fré-
quence augmente avec l'âge (10% aprés 60 ans chez les
Japonais). L'âge moyen de nos malades est de 60,5 ans. Il
existe une prédominance masculine. Nos 3 malades sont de
sexe masculin. L'ossification du LCVP est généralement
asymptomatique, mais parfois et comme c'est ]e cas dans
nos 3 observations, ]e mode de révélation est neurologique.
Dans ce cas, il s'agit d'une para ou tétraparésie spastique,
d'installation habituellement progressive. Les troubles
sphinctériens sont tardifs. Cependant dans 20% des cas, le
déficit révélateur peut s'être constitué de façon aigue sou-
vent aprés un traumatime minime (11)(cas de notre observa-
tion n° 3) les cervica]gies, les atteintes radiculaires avec
troubles sensitifs des membres sont fréquentes.
Les aspects anatomopatho]ogiques des lésions médullaires
ont fait l'objet de quelques publications notamment par les
auteurs Japonais (Tsukimoto (II) , Murakami (12».
Macroscopiquement, ]a moelle épinière est ondulée et ap]a-
tie. En microscopie optique ]a substance grise est le siège
d'infarctus avec nécrose. Les cordons postérieurs et ]até-
raux sont siège de démyé]inisation avec prolifération d'une
néovascu]arisation.
Dans ]e déterminisme de ]' atteinte médullaire intervient la
réduction du diamètre antéro-postérieur du canal rachidien.
D'aprés une étude de 74 patients, Nose (14)conclut qu'une
réduction de 30% du diamètre antéro-postérieur constitue
un seuil critique pour ]a survenue d'une atteinte médullaire.
Cependant dans certains cas, il est difficile d'invoquer ce
seul facteur; un mécanisme ischémique, comme ]e suggè-
rent les études anatomiques, intervient trés probablement et
expliquerait l'absence de paralle]isme entre l'étendue des
lésions osseuses et l'importance des lésions médullaires.
D'autres facteurs comme l'étroitesse canal aire congénitale,
les frictions entre ]a moelle et l'ossification lors des mouve-
ments du rachis cervical, les traumatismes peuvent égale-
ment intervenir.<21.5)
Le diagnostic d'ossification du LCVP repose sur la radio-
graphie du rachis de profil qui montre une opacité linéaire
se projetant ]e long du bord postérieur des corps vertébraux,
passant en pont derrière les disques intervertébraux, s'insè-
rant sur les corps vertébraux sauf parfois aux extrémités
elle reste libre.
La tomographie sagittale médiane du rachis est un examen
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