QUE DIRIEZ-VOUS QU’ON installe des écrans
télévisuels dans votre salle d’attente pour
divertir vos patients? Certains médecins
s’y opposeraient énergiquement, y
voyant une autre forme d’intrusion ou de
sollicitation publicitaire, tandis que
d’autres seraient charmés à l’idée d’avoir
une (ou plusieurs) télévision gratuite-
ment. Car il faut bien le préciser, ce
réseau privé de télévisions strictement
pour les salles d’attente médicales est
mis à votre disposition sans frais, mais
son contenu comporte des publicités qui
permettent à une firme ontarienne de
rentabiliser ses activités et d’offrir aux
médecins le système de façon gratuite.
PHSN-TV, une entreprise dont le siège
social est à Toronto, offre aux cliniques
médicales du Canada anglais les
services de son réseau télévisuel depuis
4 ans, la première télévision ayant été
installée en janvier 2001. Présentement,
près de 370 écrans sont posés, princi-
palement en Ontario. Des cliniques
médicales de l’Alberta et la Colombie-
Britannique en ont aussi.
Pourquoi vous parler de tout ça? Parce
que l’entreprise débarque prochaine-
ment au Québec, dans vos salles d’at-
tente. En effet, PHSN-TV et Zoom Média,
une entreprise qui s’est fait connaître au
Québec il y a plusieurs années par ses
publicités dans les toilettes (notamment
celles des cliniques médicales), ont con-
clu une entente pour la commercialisa-
tion de ce projet auprès des salles d’at-
tente médicales du Québec. « C’est une
innovation incroyable, nous dit le Dr
Kenneth Melvin, cardiologue ontarien
qui possède un écran dans sa clinique.
Nous offrons à nos patients des maga-
zines et journaux pour rendre le temps
d’attente le plus agréable possible. Mais
avec ce projet, c’est un pas de plus en
avant. Initialement, j’étais farouchement
opposé à l’idée, principalement parce
que je ne voulais pas que les entreprises
pharmaceutiques soient impliquées
dans le contenu. »
Qu’en est-il, justement, de ce contenu?
Puisque le réseau est privé, le contenu
n’est pas régi par le Conseil de la radio-
diffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC), bien que les pu-
blicités qui y figurent le soient. Lors de
l’installation de la télévision, on pose
également un lecteur de DVD. Chaque
mois, l’entreprise fait parvenir à ses
clients un DVD avec un nouveau con-
tenu, et le personnel n’a qu’à l’insérer et
le laisser jouer durant les heures d’ou-
verture. Le programme, d’une durée de
90 minutes, contient 30 capsules de
trois minutes; chaque capsule contient
une publicité d’un maximum de 30 se-
condes. Les normes de télévision stan-
dard limitent les publicités à 12 minutes
par heure de diffusion; ce programme
privé en contient 10 minutes par heure.
« Pour éviter de déranger le personnel
médical, la réceptionniste et les patients
qui lisent un magazine, par exemple, les
capsules contiennent très peu de son et
de grosses écritures », nous dit Ed
Voltan, président de PHSN-TV. De plus,
le contenu proposé aux patients varie
entre capsules-santé et capsules-diver-
tissement. Ainsi, durant la saison de la
grippe, on présentera aux téléspecta-
teurs une capsule sur le sujet, en expli-
quant les causes et les conséquences de
la maladie, en plus de prévenir les
patients qu’il est temps de recevoir un
vaccin pour s’en prémunir. Par la suite,
on pourrait proposer une recette en
association avec le Food Network.
Chaque écran est vu mensuellement par
environ 3 600 patients. En fait, les cli-
niques n’employant pas un minimum de
trois médecins ne se qualifient pas
auprès de PHSN en raison du faible
impact publicitaire. Car il faut bien le
reconnaître : bien que tout le matériel
soit offert gratuitement aux médecins (en
plus de l’installation, l’entretien et le rem-
placement en cas de vol ou bris), les
écrans et autres gadgets sont coûteux
pour PHSN-TV.
PHSN-TV
Mieux divertir vos patients
Un réseau télévisuel privé pour les cliniques médicales
Par Élizabeth Drouin
SANTÉ INC. MARS 2005
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Éthique et argent
« PROFESSIONAL HEALTH SERVICE NETWORK
(PHSN-TV) nous offre un auditoire cap-
tif, c’est la solution idéale pour notre
stratégie promotionnelle », proclame
Brian Roberts, président d’OBUS
FORME et annonceur publicitaire sur le
réseau PHSN-TV. «Les consommateurs
peuvent essayer notre produit dans la
salle d’attente de leur médecin ou de
leur chiropraticien en même temps qu’ils
regardent notre publicité sur PHSN. Si le
produit les intéresse, ils peuvent s’in-
former davantage en consultant les
dépliants également disponibles dans
l’aire d’attente », ajoute-t-il. Pour un
annonceur, que demander de mieux?
Mais pour vous, médecins, ce type de
service est-il avantageux?
« Le problème avec ce genre de pro-
grammation en circuit fermé qui diffuse
de la publicité, c’est justement que le dif-
fuseur profite d’une clientèle captive.
Une clientèle qui n’a pas demandé à se
faire imposer de la publicité et qui, en
plus, est malade, donc plus vulnérable.
D’un point de vue éthique, c’est dis-
cutable », pense Marie-Claude Prémont,
vice-doyenne aux études supérieures à
la Faculté de droit de l’Université McGill
et spécialiste en éthique de la santé.
Selon elle, l’implantation de ce type de
service dans la salle d’attente d’une cli-
nique médicale est aussi une façon
d’éviter le vrai problème : celui du temps
d’attente trop long.
Selon le code de déontologie des
médecins, « le médecin doit s'abstenir
d'accepter, à titre de médecin ou en uti-
lisant son titre de médecin, toute com-
mission, ristourne ou avantage matériel
mettant en péril son indépendance pro-
fessionnelle ». Le projet des télévisions
dans les cliniques médicales est entière-
ment conforme au code de déontologie,
puisque le médecin n’est pas rémunéré
et ne reçoit pas de ristournes pour l’ins-
tallation ou la « location » d’espace dans
sa clinique. Bien que les télévisions
soient offertes gratuitement, la clinique
médicale n’en est pas propriétaire.
Indépendance en danger?
« Si je n’ai pas de contrôle sur ce qui est
diffusé sur le poste de télévision qui est
installé dans ma clinique, j’ai quand
même une responsabilité. Tandis que si
j’installe moi-même un téléviseur
branché sur le câble, les gens savent
que la responsabilité du contenu est
prise par Radio-Canada ou TVA. Et les
patients ont quand même de quoi se
divertir! » nous indique Dr Jean Maziade,
directeur de l’unité de médecine fami-
liale Haute-Ville de Québec. Il se ques-
tionne : « Comment puis-je accepter que
n’importe quelle compagnie vienne faire
de la publicité dans mon milieu de tra-
vail? Qu’est-ce que mon patient va
MARS 2005 SANTÉ INC.
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Qui paye pour de la publicité?
Principalement de grandes entreprises
de consommation, notamment Ford,
McDonald's et Unilever. Les publicités
sont ainsi destinées aux patients, pas
aux médecins. Les publicités pharma-
ceutiques sont donc absentes, à l'excep-
tion des produits disponibles sans ordon-
nance comme Aspirin ou Tylenol, par
exemple. Inutile de rappeler qu'il est
interdit au Canada de promouvoir des
produits pharmaceutiques d'ordonnance
directement aux patients.
Le contenu est créé par les grandes
chaînes de télévision. Au Canada
anglais, le groupe est appuyé par
Canwest, Alliance Atlantis et autres,
offrant d'ailleurs aux téléspectateurs des
capsules provenant du Discovery
Channel, du National Geographic
Channel et de Global. La version québé-
coise du contenu sera conçue par une
chaîne télévisuelle locale. De plus, en
partenariat avec Rogers Media, les clin-
iques médicales qui utilisent les écrans
de PHSN-TV au Canada anglais
reçoivent gratuitement des magazines
grand public, tels que Maclean's. Un tel
partenariat sera-t-il repris au Québec,
avec Rogers Media? Très probable.
« Nous espérons mettre à la disposition
des médecins du Québec notre réseau
de télévisions - avec un contenu fran-
cophone - dans les prochains mois »,
nous indique Ed Voltan. Qu'en pensent
les médecins du Québec? Qu'en pense
le Collège des médecins? Est-ce con-
traire à votre code de déontologie? Qu'en
pensent les patients? Sarah-Catherine
Lacroix vous donne les réponses ci-
dessous dans
Éthique et argent
dans la
salle d'attente.
Éthique et argent
Où se trouve la limite entre la satisfaction des patients et l’éthique?
Par Sarah-Catherine Lacroix
penser de ça? Va-t-il croire que je cau-
tionne tout ce que contient la program-
mation? Et si une publicité qui passe
dans ma salle d’attente entre en conflit
avec les conseils donnés par les
médecins de mon établissement? »
Dr Maziade connaît bien les enjeux liés à
l’éthique dans le domaine de la santé. Il
est de ceux qui ont établi l’indice d’acti-
vité grippale diffusé à MétéoMédia.
« Lorsque le projet a été conçu, des con-
trats ont été signés entre le ministère de
la Santé et des Services sociaux et le dif-
fuseur. Il a été convenu qu’aucune pub-
licité ne devait apparaître à l’écran en
même temps que l’indice ; uniquement
l’indice, le logo du ministère et celui de
MétéoMédia. Mettre le logo ou l’image
d’un quelconque médicament contre la
grippe, ce serait donner l’impression aux
téléspectateurs que le ministère de la
Santé cautionne ce produit en particulier
et l’inciter par le fait même à se le pro-
curer plutôt qu’un autre », résume le
médecin.
Quand il est question de publicité et de
santé, le Dr Maziade incite à la pru-
dence. D’autant plus, selon lui, que ce
genre de réseau de diffusion très ciblé
ouvre la porte un peu plus grande aux
annonces produites par les compagnies
pharmaceutiques. Bien qu’interdite au
Canada, la publicité de médicaments
d’ordonnance destinée aux consomma-
teurs se retrouve de plus en plus souvent
sur nos ondes. « Grâce à quelques
entourloupettes agiles, les compagnies
pharmaceutiques diffusent leurs mes-
sages directement auprès de la popula-
tion. En produisant des annonces qui
parlent vaguement d’un problème médi-
cal et qui incite les téléspectateurs à
communiquer avec leur médecin s’ils
vivent une situation semblable, ces com-
pagnies réussissent à convaincre le
patient avant le professionnel de la
santé. On n’a qu’à penser aux annonces
de dysfonction érectile… »
Une expérience bonifiée
Les délais dans les salles d’attente, c’est
précisément sur ce point que s’articule le
concept des programmations télévi-
suelles en circuit fermé dans les
cliniques médicales : offrir une meilleure
expérience d’attente aux patients. Selon
la compagnie PatientDirect TV, concur-
rente de PHSN-TV, le patient moyen
attend environ 20 minutes dans la salle
d’attente du médecin. N’ayant rien à
faire pour s’occuper pendant ce temps, il
s’ennuie et sa frustration grandit. En
adoptant le concept, les médecins peu-
vent remédier au problème.
La Clinique de radiologie du West Island
est branchée depuis plus d’un an et
demi au service de PHSN-TV et Linda
Gauthier, la coordonnatrice médicale de
l’endroit, se dit très satisfaite. « Il y a
deux ans, lorsqu’on a rénové la clinique,
on pensait installer nous-mêmes des
téléviseurs dans la salle d’attente et y
proposer une programmation maison
pour divertir nos patients. Un représen-
tant de PHSN-TV s’est présenté à la cli-
nique et nous avons été enchantés du
concept. L’avantage principal est que
c’est gratuit : les appareils nous sont
fournis et nous n’avons pas un sou à
débourser. En plus, la compagnie offre
un très bon service. Lorsque la télévision
s’est brisée l’an dernier, un réparateur
est venu le lendemain pour la réparer. »
Mme Gauthier note également que les
patients s’intéressent, pour la plupart,
aux courts segments d’émissions dif-
fusés sur les téléviseurs et que jamais
elle n’a eu de commentaires négatifs au
sujet de la publicité. « La seule chose qui
arrive parfois, c’est que des parents nous
demandent si on a des émissions pour
enfants; ils pensent qu’on peut contrôler
ce qui est présenté. »
Réactions dans la salle d’attente
Et les principaux intéressés, les
patients, que pensent-ils de ce qu’on
leur diffuse? Selon une étude menée par
PHSN-TV en août 2003 dans dix cli-
niques ontariennes utilisant leur service,
ils seraient plus que satisfaits. Au
moment de remplir le questionnaire,
73 % d’entre eux qualifiaient leur
expérience de positive et 21 % étaient
neutres. Seulement 5 % des personnes
interrogées disaient avoir vécu une
expérience négative ou ne pas avoir
d’opinion. Quant aux critiques, elles
concernaient plus le volume de la télévi-
sion et le manque de tranquillité de la
salle d’attente que les annonces publi-
citaires dans la programmation. Reste
maintenant à voir si les annonceurs, les
médecins et le public québécois seront
aussi enthousiastes!
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