PHSN-TV avant. Initialement, j’étais farouchement opposé à l’idée, principalement parce que je ne voulais pas que les entreprises pharmaceutiques soient impliquées dans le contenu. » Mieux divertir vos patients Un réseau télévisuel privé pour les cliniques médicales Par Élizabeth Drouin QUE DIRIEZ-VOUS QU’ON installe des écrans télévisuels dans votre salle d’attente pour divertir vos patients? Certains médecins s’y opposeraient énergiquement, y voyant une autre forme d’intrusion ou de sollicitation publicitaire, tandis que d’autres seraient charmés à l’idée d’avoir une (ou plusieurs) télévision gratuitement. Car il faut bien le préciser, ce réseau privé de télévisions strictement pour les salles d’attente médicales est mis à votre disposition sans frais, mais son contenu comporte des publicités qui permettent à une firme ontarienne de rentabiliser ses activités et d’offrir aux médecins le système de façon gratuite. PHSN-TV, une entreprise dont le siège social est à Toronto, offre aux cliniques médicales du Canada anglais les services de son réseau télévisuel depuis 4 ans, la première télévision ayant été installée en janvier 2001. Présentement, 18 S A N T É I N C . M A R S 2 0 0 5 près de 370 écrans sont posés, principalement en Ontario. Des cliniques médicales de l’Alberta et la ColombieBritannique en ont aussi. Pourquoi vous parler de tout ça? Parce que l’entreprise débarque prochainement au Québec, dans vos salles d’attente. En effet, PHSN-TV et Zoom Média, une entreprise qui s’est fait connaître au Québec il y a plusieurs années par ses publicités dans les toilettes (notamment celles des cliniques médicales), ont conclu une entente pour la commercialisation de ce projet auprès des salles d’attente médicales du Québec. « C’est une innovation incroyable, nous dit le Dr Kenneth Melvin, cardiologue ontarien qui possède un écran dans sa clinique. Nous offrons à nos patients des magazines et journaux pour rendre le temps d’attente le plus agréable possible. Mais avec ce projet, c’est un pas de plus en Qu’en est-il, justement, de ce contenu? Puisque le réseau est privé, le contenu n’est pas régi par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), bien que les publicités qui y figurent le soient. Lors de l’installation de la télévision, on pose également un lecteur de DVD. Chaque mois, l’entreprise fait parvenir à ses clients un DVD avec un nouveau contenu, et le personnel n’a qu’à l’insérer et le laisser jouer durant les heures d’ouverture. Le programme, d’une durée de 90 minutes, contient 30 capsules de trois minutes; chaque capsule contient une publicité d’un maximum de 30 secondes. Les normes de télévision standard limitent les publicités à 12 minutes par heure de diffusion; ce programme privé en contient 10 minutes par heure. « Pour éviter de déranger le personnel médical, la réceptionniste et les patients qui lisent un magazine, par exemple, les capsules contiennent très peu de son et de grosses écritures », nous dit Ed Voltan, président de PHSN-TV. De plus, le contenu proposé aux patients varie entre capsules-santé et capsules-divertissement. Ainsi, durant la saison de la grippe, on présentera aux téléspectateurs une capsule sur le sujet, en expliquant les causes et les conséquences de la maladie, en plus de prévenir les patients qu’il est temps de recevoir un vaccin pour s’en prémunir. Par la suite, on pourrait proposer une recette en association avec le Food Network. Chaque écran est vu mensuellement par environ 3 600 patients. En fait, les cliniques n’employant pas un minimum de trois médecins ne se qualifient pas auprès de PHSN en raison du faible impact publicitaire. Car il faut bien le reconnaître : bien que tout le matériel soit offert gratuitement aux médecins (en plus de l’installation, l’entretien et le remplacement en cas de vol ou bris), les écrans et autres gadgets sont coûteux pour PHSN-TV. Éthique et argent Qui paye pour de la publicité? Principalement de grandes entreprises de consommation, notamment Ford, McDonald's et Unilever. Les publicités sont ainsi destinées aux patients, pas aux médecins. Les publicités pharmaceutiques sont donc absentes, à l'exception des produits disponibles sans ordonnance comme Aspirin ou Tylenol, par exemple. Inutile de rappeler qu'il est interdit au Canada de promouvoir des produits pharmaceutiques d'ordonnance directement aux patients. Le contenu est créé par les grandes chaînes de télévision. Au Canada anglais, le groupe est appuyé par Canwest, Alliance Atlantis et autres, offrant d'ailleurs aux téléspectateurs des capsules provenant du Discovery Channel, du National Geographic Channel et de Global. La version québé- coise du contenu sera conçue par une chaîne télévisuelle locale. De plus, en partenariat avec Rogers Media, les cliniques médicales qui utilisent les écrans de PHSN-TV au Canada anglais reçoivent gratuitement des magazines grand public, tels que Maclean's. Un tel partenariat sera-t-il repris au Québec, avec Rogers Media? Très probable. « Nous espérons mettre à la disposition des médecins du Québec notre réseau de télévisions - avec un contenu francophone - dans les prochains mois », nous indique Ed Voltan. Qu'en pensent les médecins du Québec? Qu'en pense le Collège des médecins? Est-ce contraire à votre code de déontologie? Qu'en pensent les patients? Sarah-Catherine Lacroix vous donne les réponses cidessous dans Éthique et argent dans la salle d'attente. ⌧ l’aire d’attente », ajoute-t-il. Pour un annonceur, que demander de mieux? Mais pour vous, médecins, ce type de service est-il avantageux? « Le problème avec ce genre de programmation en circuit fermé qui diffuse de la publicité, c’est justement que le diffuseur profite d’une clientèle captive. Une clientèle qui n’a pas demandé à se faire imposer de la publicité et qui, en plus, est malade, donc plus vulnérable. D’un point de vue éthique, c’est discutable », pense Marie-Claude Prémont, vice-doyenne aux études supérieures à la Faculté de droit de l’Université McGill et spécialiste en éthique de la santé. Selon elle, l’implantation de ce type de service dans la salle d’attente d’une clinique médicale est aussi une façon d’éviter le vrai problème : celui du temps d’attente trop long. Selon le code de déontologie des médecins, « le médecin doit s'abstenir d'accepter, à titre de médecin ou en utilisant son titre de médecin, toute commission, ristourne ou avantage matériel mettant en péril son indépendance professionnelle ». Le projet des télévisions dans les cliniques médicales est entièrement conforme au code de déontologie, puisque le médecin n’est pas rémunéré et ne reçoit pas de ristournes pour l’installation ou la « location » d’espace dans sa clinique. Bien que les télévisions soient offertes gratuitement, la clinique médicale n’en est pas propriétaire. Éthique et argent Où se trouve la limite entre la satisfaction des patients et l’éthique? Par Sarah-Catherine Lacroix « PROFESSIONAL HEALTH SERVICE NETWORK (PHSN-TV) nous offre un auditoire captif, c’est la solution idéale pour notre stratégie promotionnelle », proclame Brian Roberts, président d’OBUS FORME et annonceur publicitaire sur le réseau PHSN-TV. «Les consommateurs peuvent essayer notre produit dans la salle d’attente de leur médecin ou de leur chiropraticien en même temps qu’ils regardent notre publicité sur PHSN. Si le produit les intéresse, ils peuvent s’informer davantage en consultant les dépliants également disponibles dans Indépendance en danger? « Si je n’ai pas de contrôle sur ce qui est diffusé sur le poste de télévision qui est installé dans ma clinique, j’ai quand même une responsabilité. Tandis que si j’installe moi-même un téléviseur branché sur le câble, les gens savent que la responsabilité du contenu est prise par Radio-Canada ou TVA. Et les patients ont quand même de quoi se divertir! » nous indique Dr Jean Maziade, directeur de l’unité de médecine familiale Haute-Ville de Québec. Il se questionne : « Comment puis-je accepter que n’importe quelle compagnie vienne faire de la publicité dans mon milieu de travail? Qu’est-ce que mon patient va 19 M A R S 2 0 0 5 S A N T É I N C . Éthique et argent penser de ça? Va-t-il croire que je cautionne tout ce que contient la programmation? Et si une publicité qui passe dans ma salle d’attente entre en conflit avec les conseils donnés par les médecins de mon établissement? » Dr Maziade connaît bien les enjeux liés à l’éthique dans le domaine de la santé. Il est de ceux qui ont établi l’indice d’activité grippale diffusé à MétéoMédia. « Lorsque le projet a été conçu, des contrats ont été signés entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et le diffuseur. Il a été convenu qu’aucune publicité ne devait apparaître à l’écran en même temps que l’indice ; uniquement l’indice, le logo du ministère et celui de MétéoMédia. Mettre le logo ou l’image d’un quelconque médicament contre la grippe, ce serait donner l’impression aux téléspectateurs que le ministère de la Santé cautionne ce produit en particulier et l’inciter par le fait même à se le procurer plutôt qu’un autre », résume le médecin. Quand il est question de publicité et de santé, le Dr Maziade incite à la prudence. D’autant plus, selon lui, que ce genre de réseau de diffusion très ciblé ouvre la porte un peu plus grande aux annonces produites par les compagnies pharmaceutiques. Bien qu’interdite au Canada, la publicité de médicaments d’ordonnance destinée aux consommateurs se retrouve de plus en plus souvent sur nos ondes. « Grâce à quelques entourloupettes agiles, les compagnies pharmaceutiques diffusent leurs messages directement auprès de la population. En produisant des annonces qui parlent vaguement d’un problème médical et qui incite les téléspectateurs à communiquer avec leur médecin s’ils vivent une situation semblable, ces compagnies réussissent à convaincre le patient avant le professionnel de la santé. On n’a qu’à penser aux annonces de dysfonction érectile… » Une expérience bonifiée Les délais dans les salles d’attente, c’est précisément sur ce point que s’articule le concept des programmations télévisuelles en circuit fermé dans les 20 S A N T É I N C . M A R S 2 0 0 5 cliniques médicales : offrir une meilleure expérience d’attente aux patients. Selon la compagnie PatientDirect TV, concurrente de PHSN-TV, le patient moyen attend environ 20 minutes dans la salle d’attente du médecin. N’ayant rien à faire pour s’occuper pendant ce temps, il s’ennuie et sa frustration grandit. En adoptant le concept, les médecins peuvent remédier au problème. La Clinique de radiologie du West Island est branchée depuis plus d’un an et demi au service de PHSN-TV et Linda Gauthier, la coordonnatrice médicale de l’endroit, se dit très satisfaite. « Il y a deux ans, lorsqu’on a rénové la clinique, on pensait installer nous-mêmes des téléviseurs dans la salle d’attente et y proposer une programmation maison pour divertir nos patients. Un représentant de PHSN-TV s’est présenté à la clinique et nous avons été enchantés du concept. L’avantage principal est que c’est gratuit : les appareils nous sont fournis et nous n’avons pas un sou à débourser. En plus, la compagnie offre un très bon service. Lorsque la télévision s’est brisée l’an dernier, un réparateur est venu le lendemain pour la réparer. » Mme Gauthier note également que les patients s’intéressent, pour la plupart, aux courts segments d’émissions diffusés sur les téléviseurs et que jamais elle n’a eu de commentaires négatifs au sujet de la publicité. « La seule chose qui arrive parfois, c’est que des parents nous demandent si on a des émissions pour enfants; ils pensent qu’on peut contrôler ce qui est présenté. » Réactions dans la salle d’attente Et les principaux intéressés, les patients, que pensent-ils de ce qu’on leur diffuse? Selon une étude menée par PHSN-TV en août 2003 dans dix cliniques ontariennes utilisant leur service, ils seraient plus que satisfaits. Au moment de remplir le questionnaire, 73 % d’entre eux qualifiaient leur expérience de positive et 21 % étaient neutres. Seulement 5 % des personnes interrogées disaient avoir vécu une expérience négative ou ne pas avoir d’opinion. Quant aux critiques, elles concernaient plus le volume de la télévision et le manque de tranquillité de la salle d’attente que les annonces publicitaires dans la programmation. Reste maintenant à voir si les annonceurs, les médecins et le public québécois seront aussi enthousiastes! ⌧