Région Ouest
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Si on lit rapidement l’Ancien
Testament, notre monde, marqué par
les attentats barbares, la vengeance,
la peur de l’autre et le repli commu-
nautaire, semble faire écho à certaines
pages de la Bible (par exemple Josué)
où Dieu, « en tant que dieu guerrier »
chasse d’autres peuples devant
Israël. C’est à une lecture plus appro-
fondie d’autres aspects de l’Ancien
Testament, plus animés par l’amour
de l’autre, que nous a conviés Dany
Nocquet.
Le vivre ensemble
Les cinq premiers livres de la Bible
ont un aspect normatif : ils sont un
recueil de grandes lois énonçant la
volonté divine. Mais ils ne font pas
qu’énumérer ce qui est bon pour
Israël et constitue son identité, on y lit
aussi une réflexion sur la relation aux
autres et un apprentissage du « vivre
ensemble ».
Premier exemple : la Philistie (actuelle
bande de Gaza) est à l’époque habi-
tée par un peuple non sémite d’origine
mystérieuse, arrivé treize siècles avant
Jésus-Christ. Devenus les merce-
naires du pays qu’ils avaient d’abord
attaqué, l’Égypte, les livres de Samuel
racontent comment les Philistins, aux
temps de Saül et David, menacent
et attaquent désormais Israël pour
agrandir leur territoire. En d’autres
termes, ils sont les ennemis héré-
ditaires du peuple élu. Et pourtant,
que lisons-nous dans Genèse 20 ?
Que les Philistins accueillent Abraham
« en migrant et hôte » à Canaan. Dieu
les qualifie comme Israël de « nation
juste » et pour sceller leur accord,
il guérit les femmes du peuple phi-
listin de leur stérilité et leur donne
droit à une descendance légitime
aux côtés de celle d’Israël. À noter
que Genèse 20 est un texte tardif,
sans doute écrit après les pages
sur Samuel, à un moment où la
Létranger dans l’Ancien Testament
yyy JOCELYNE CATHELINEAU
Dany Nocquet, doyen de la faculté de théologie de Montpellier, est
venu en juin au Carae d’Exoudun présenter une réflexion sur les
« xénophilies bibliques ». Jocelyne Cahelineau nous en livre ici les
principaux éléments.
L’autre comme
l’étranger
est reconnu
tel celui qui
participe à
la fondation
d’Israël et à son
salut
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yyy ON Y ÉTAIT
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21, c’est le nombre de
paroisses de la région Ouest qui se
sont engagées sur l’opération Exilés :
l’accueil d’abord ! n
cohabitation et la circulation entre les
deux peuples étaient devenues chose
courante. Genèse 20 et 26 corrigent
ainsi l’image des Philistins, devenus
coreligionnaires et bénéficiant ainsi de
la promesse abrahamique.
Deuxième exemple : Edom et/ou
Madian, peuple voisin d’Israël, au
sud de Juda, est le sujet d’un véritable
rejet dans le psaume 60. Pourtant, à la
lueur d’Exode 2 et 18, il est surprenant
de lire combien fraternelles et accueil-
lantes sont les relations entre Moïse et
Jethro, son beau-père, entre Madian
et Israël. Moïse épouse Séphora qui
est une Madianite. Exode 18 évoque
une forte empathie entre Moïse et
son beau-père Jethro, fondateur du
yavéhisme et premier sacrificateur. Et
Jethro est celui qui donne une nou-
velle impulsion à la gouvernance d’Is-
raël pour son salut et son bien-être.
Ces deux récits racontent qu’Israël
n’aurait jamais été Israël sans l’apport
et la bonté de ces peuples étrangers,
pourtant ennemis d’autrefois.
Une cohabitation réussie
Le Deutéronome, chapitre 23, désigne
Moab comme un haut lieu de l’igno-
minie. Les Moabites sont exclus du
temple et maudits jusqu’à la dixième
génération. Contre cette image de
rejet, le livre de Ruth raconte l’histoire
d’une femme étrangère exemplaire,
un « Abraham au féminin », qui après
avoir perdu son mari accompagne
Naémie lors de son retour désespéré
en Juda. Par son geste, comparable
à celui d’Abram, elle quittant son
pays pour s’unir à Booz, elle permet
l’accomplissement de la loi du lévi-
rat (donner une descendance à une
famille sans héritier. Ce faisant, elle
devient l’arrière-grand-mère du roi
David et donne naissance à l’histoire
« glorieuse » de la royauté. Là aussi,
le livre de Ruth a été écrit tardivement
pour justifier la contribution des étran-
gers à la constitution d’Israël.
C’est moi l’Éternel ton Dieu, qui t’ai
fait sortir de la servitude de l’Égypte…
Ah là, au moins, c’est clair ! L’Égypte
est la terre de l’oppression et les
Égyptiens les méchants qui n’ont
que mépris et méfiance pour les
étrangers venus de l’Est. Eh bien
non. Paradoxalement, Genèse 37-50
raconte la confiante connivence entre
le pharaon et Joseph. Genèse 45 (où
Pharaon dit à son conseiller israélite
Joseph : Vous mangerez la graisse
de mon pays) fait de l’Égypte une
autre terre promise… pour la conti-
nuité et la pérennité d’Israël. Cette his-
toire fut écrite par les Israélites vivant
en diaspora en Égypte à l’époque
perse (539-333), elle témoigne d’une
authentique xénophilie et vient nuan-
cer l’image de l’Égypte véhiculée par
la vieille tradition de la sortie d’Égypte.
Un dépassement territorial
Dernier aspect à démystifier : celui de
l’opposition traditionnelle entre Juifs
et Samaritains. Des fouilles archéolo-
giques récentes ont permis d’affirmer
l’existence d’un temple de Yahvé,
comparable à celui de Jérusalem, sur
le mont Garizim (haut lieu samaritain)
dès le Ve siècle avant Jésus-Christ.
Samariens et Israéliens ont vécu en
bonne intelligence longtemps avant
Létranger dans l’Ancien Testament
Dany Nocquet
au Carae
d’Exoudun, juin
2016
© Serge Heckly
la rupture que rapporte Jean 4, l’his-
toire de la Samaritaine. Genèse 34,
au travers de l’amour entre Sichem
et Dina : « Sichem avait parlé au
cœur de Dina », est à lire telle une
critique à l’égard de ceux qui s’op-
posent aux mariages inter-ethniques,
comme en Esdras-Néhémie.
Le Pentateuque ose, contrairement
aux apparences, un dépassement
territorial La terre promise se trouve
en Madian, en Philistie, en Égypte…
et en Israël. Dans ces histoires,
l’autre n’est plus un étranger auquel
il faut s’opposer, mais il est reconnu
tel celui qui participe à la fondation
d’Israël et à son salut dès ses ori-
gines. Ainsi ces histoires relativisent
l’élection d’Israël : Dieu s’occupe
également des autres peuples.
Cette représentation est partagée
par nombre d’universitaires israéliens
et par Françoise Smyth dans son
ouvrage « Les mythes illégitimes ».
À travers des textes contrastés, l’An-
cien Testament dit déjà l’accessibilité
de Dieu à tous, préparant ainsi à
l’universalité de la Bonne Nouvelle
de Jésus-Christ. Ces vieux récits
sont à relire, car ils contiennent une
étonnante actualité, qui invite dans
ces périodes troublées à une autre
vision du monde, et à reconsidérer
ce que nous devons à l’autre, qu’il
soit migrant, étranger, voisin… n
© Rodolphe Kowan
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