6• yyy ON Y ÉTAIT Région Ouest Novembre 2016 L’étranger dans l’Ancien Testament yyy JOCELYNE CATHELINEAU Dany Nocquet, doyen de la faculté de théologie de Montpellier, est venu en juin au Carae d’Exoudun présenter une réflexion sur les « xénophilies bibliques ». Jocelyne Cahelineau nous en livre ici les principaux éléments. Si on lit rapidement l’Ancien Testament, notre monde, marqué par les attentats barbares, la vengeance, la peur de l’autre et le repli communautaire, semble faire écho à certaines pages de la Bible (par exemple Josué) où Dieu, « en tant que dieu guerrier » chasse d’autres peuples devant Israël. C’est à une lecture plus approfondie d’autres aspects de l’Ancien Testament, plus animés par l’amour de l’autre, que nous a conviés Dany Nocquet. Le vivre ensemble Les cinq premiers livres de la Bible ont un aspect normatif : ils sont un recueil de grandes lois énonçant la volonté divine. Mais ils ne font pas qu’énumérer ce qui est bon pour Israël et constitue son identité, on y lit aussi une réflexion sur la relation aux L’autre comme l’étranger est reconnu tel celui qui participe à la fondation d’Israël et à son salut autres et un apprentissage du « vivre ensemble ». Premier exemple : la Philistie (actuelle bande de Gaza) est à l’époque habitée par un peuple non sémite d’origine mystérieuse, arrivé treize siècles avant Jésus-Christ. Devenus les mercenaires du pays qu’ils avaient d’abord attaqué, l’Égypte, les livres de Samuel racontent comment les Philistins, aux temps de Saül et David, menacent et attaquent désormais Israël pour agrandir leur territoire. En d’autres termes, ils sont les ennemis héréditaires du peuple élu. Et pourtant, que lisons-nous dans Genèse 20 ? Que les Philistins accueillent Abraham « en migrant et hôte » à Canaan. Dieu les qualifie comme Israël de « nation juste » et pour sceller leur accord, il guérit les femmes du peuple philistin de leur stérilité et leur donne droit à une descendance légitime aux côtés de celle d’Israël. À noter que Genèse 20 est un texte tardif, sans doute écrit après les pages sur Samuel, à un moment où la Dany Nocquet au Carae d’Exoudun, juin 2016 Le Deutéronome, chapitre 23, désigne Moab comme un haut lieu de l’ignominie. Les Moabites sont exclus du temple et maudits jusqu’à la dixième génération. Contre cette image de rejet, le livre de Ruth raconte l’histoire d’une femme étrangère exemplaire, un « Abraham au féminin », qui après avoir perdu son mari accompagne Naémie lors de son retour désespéré en Juda. Par son geste, comparable à celui d’Abram, elle quittant son pays pour s’unir à Booz, elle permet l’accomplissement de la loi du lévirat (donner une descendance à une famille sans héritier. Ce faisant, elle devient l’arrière-grand-mère du roi David et donne naissance à l’histoire « glorieuse » de la royauté. Là aussi, le livre de Ruth a été écrit tardivement pour justifier la contribution des étrangers à la constitution d’Israël. C’est moi l’Éternel ton Dieu, qui t’ai fait sortir de la servitude de l’Égypte… Ah là, au moins, c’est clair ! L’Égypte est la terre de l’oppression et les Égyptiens les méchants qui n’ont que mépris et méfiance pour les étrangers venus de l’Est. Eh bien non. Paradoxalement, Genèse 37-50 raconte la confiante connivence entre le pharaon et Joseph. Genèse 45 (où Pharaon dit à son conseiller israélite Joseph : Vous mangerez la graisse de mon pays) fait de l’Égypte une autre terre promise… pour la continuité et la pérennité d’Israël. Cette histoire fut écrite par les Israélites vivant en diaspora en Égypte à l’époque perse (539-333), elle témoigne d’une authentique xénophilie et vient nuancer l’image de l’Égypte véhiculée par la vieille tradition de la sortie d’Égypte. •7 la rupture que rapporte Jean 4, l’histoire de la Samaritaine. Genèse 34, au travers de l’amour entre Sichem et Dina : « Sichem avait parlé au cœur de Dina », est à lire telle une critique à l’égard de ceux qui s’opposent aux mariages inter-ethniques, comme en Esdras-Néhémie. Le Pentateuque ose, contrairement aux apparences, un dépassement territorial La terre promise se trouve en Madian, en Philistie, en Égypte… et en Israël. Dans ces histoires, l’autre n’est plus un étranger auquel il faut s’opposer, mais il est reconnu tel celui qui participe à la fondation d’Israël et à son salut dès ses origines. Ainsi ces histoires relativisent l’élection d’Israël : Dieu s’occupe également des autres peuples. Cette représentation est partagée par nombre d’universitaires israéliens et par Françoise Smyth dans son ouvrage « Les mythes illégitimes ». À travers des textes contrastés, l’Ancien Testament dit déjà l’accessibilité de Dieu à tous, préparant ainsi à l’universalité de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ces vieux récits sont à relire, car ils contiennent une étonnante actualité, qui invite dans ces périodes troublées à une autre vision du monde, et à reconsidérer ce que nous devons à l’autre, qu’il soit migrant, étranger, voisin… n Un dépassement territorial Dernier aspect à démystifier : celui de l’opposition traditionnelle entre Juifs et Samaritains. Des fouilles archéologiques récentes ont permis d’affirmer l’existence d’un temple de Yahvé, comparable à celui de Jérusalem, sur le mont Garizim (haut lieu samaritain) dès le Ve siècle avant Jésus-Christ. Samariens et Israéliens ont vécu en bonne intelligence longtemps avant 21 © Rodolphe Kowan © Serge Heckly Une cohabitation réussie cohabitation et la circulation entre les deux peuples étaient devenues chose courante. Genèse 20 et 26 corrigent ainsi l’image des Philistins, devenus coreligionnaires et bénéficiant ainsi de la promesse abrahamique. Deuxième exemple : Edom et/ou Madian, peuple voisin d’Israël, au sud de Juda, est le sujet d’un véritable rejet dans le psaume 60. Pourtant, à la lueur d’Exode 2 et 18, il est surprenant de lire combien fraternelles et accueillantes sont les relations entre Moïse et Jethro, son beau-père, entre Madian et Israël. Moïse épouse Séphora qui est une Madianite. Exode 18 évoque une forte empathie entre Moïse et son beau-père Jethro, fondateur du yavéhisme et premier sacrificateur. Et Jethro est celui qui donne une nouvelle impulsion à la gouvernance d’Israël pour son salut et son bien-être. Ces deux récits racontent qu’Israël n’aurait jamais été Israël sans l’apport et la bonté de ces peuples étrangers, pourtant ennemis d’autrefois. yyy ON Y ÉTAIT Région Ouest Novembre 2016 , c’est le nombre de paroisses de la région Ouest qui se sont engagées sur l’opération Exilés : l’accueil d’abord ! n