Les deux Lois
(Extrait de Israël et l'Humanité, de Elie Bénamozegh et Aimé Pallière, éd. E. Leroux, 719 et
suiv.)
LES DEUX LOIS
"Comment l'Israélite parvenait-il à concilier l'existence simultanée de deux Lois, l'une propre aux Gentils, l'autre
réservée aux Juifs, autrement dit de deux religions divines, de deux Eglises également légitimes ? La réponse se
trouve dans l'exode du discours que Dieu met dans la bouche de Moïse, à l'adresse de Pharaon : « Israël est mon
fils premier-né. » - Ce titre de premier-né que l'Eternel donne à son peuple, loin d'exclure les autres enfants du Père
céleste, les suppose au contraire formellement. Voilà donc le fond de la pensée israélite. L'humanité est conçue
comme une grande famille dont Dieu est le Père suprême ; et Israël, le premier-né parmi les peuples frères, est,
comme dans l'antique société orientale, le prêtre de cette famille, le dépositaire et l'administrateur des choses
sacrées, le médiateur entre le ciel et la terre. Ile se trouve investi des fonctions sacerdotales pour le service de tous.
A la lumière de cet enseignement, on comprend que le judaïsme soit double dans l'unité de sa doctrine, ce qui
constitue, nous l'avons dit, un fait absolument unique dans l'histoire. Il a deux lois, deux règles de discipline, deux
formes de religion en un mot : la loi laïque résumée dans les sept préceptes des fils de Noé et la loi mosaïque ou
sacerdotale, dont la Torah est le code ; la première destinée à tout le genre humain, la seconde réservée à Israël
seulement ; l'une ne contenant que les principes essentiels de religion et de morale qui s'accordent avec la raison et
la conscience universelles, l'autre répondant par ses dogmes, ses rites, ses préceptes hiérarchiques, aux besoins
mystiques de l'humanité, - double aspect nécessaire d'une même Loi éternelle.
Telle est la signification de l'élection que Dieu a faite d'Israël. Il a été choisi pour remplir l'office éminent de docteur,
de prédicateur, de prêtre des nations, que lui valurent sans doute les insignes mérites de ses patriarches, mais
certainement aussi sa prédisposition naturelle à accueillir la vérité religieuse, son génie foncièrement monothéiste,
comme le proclame aujourd'hui d'une voix unanime la critique indépendante, et surtout ce caractère ferme, tenace,
indomptable qui était nécessaire pour résister au monde païen, pour le vaincre et pour le convertir...
C'est un fait que ce petit peuple obscur, méprisé, détesté par les Gentils, qui ne possédait ni la science des Grecs, ni
la puissance des Romains, ni même le prestige d'une haute antiquité, puisqu'en face des vieilles nations d'Orient, il
ne s'attribue qu'une origine relativement récente, voie aujourd'hui sa religion, ses Ecritures, ses traditions, ses lieux
saints devenus l'objet de la vénération universelle. Bien plus, son nom même est disputé par des peuple de races
bien différents, qui professaient jadis des cultes très divers et qui tous, comme par miracle, se sont transformés,
dans une certaine mesure, sur le modèle qu'il avait tracé, chacun prétendant être le véritable Israël. Sémites et
Aryens, Orientaux et Occidentaux, barbares et civilisés, catholiques romains, protestants, mahométans, tous se sont
efforcés de reproduire, chacun à sa manière, le type biblique, et, sous l'extrême variété des formes, on peut
distinguer l'unité substantielle qui prédomine chez tous : la conviction d'être les héritiers légitimes du peuple élu...
Or, derrière le christianisme et l'islamisme, avec leurs grandeurs, mais aussi leurs imperfections, derrière Jésus et
Mahomet, c'est le judaïsme que nous retrouvons avec sa Loi sainte, son plan d'organisation de l'humanité, ses
espérances de rénovation et de fraternité universelles. Comme la face du monde aurait changé si, au lieu de
s'attacher presque exclusivement à la personne pourtant si problématique de Jésus, reconstruisant une mythologie
nouvelle sur les ruines des anciennes, le christianisme avait mieux saisi et mieux adapté les vérités de l'hébraïsme
dont le Nazaréen, bien loin de songer à fonder une Eglise rivale, avait sans doute désiré, en bon Juif, la propagation
! Si au lieu de rompre le lien naturel qui devait l'unir à Israël, il avait travaillé, de concert avec celui-ci, à la constitution
Copyright © Judaiques Cultures Page 2/3