Synthèse)Conférence)du)24)juin)2010)–)Bernard)Benattar))
à)la)CCI)de)Besançon)–)Contacter)Fact):)03)81)25)52)80)
Je me souviens d’une fabrique de chocolat où j’étais intervenu, qui était entrée dans un
processus de certification. Un jour un des artisans chocolatiers m’avait dit : « tu sais, on m’a
demandé d’indiquer les températures de cuisson, j’ai répondu n’importe quoi, parce que moi
je sens le parfum, je goute, j’observe la teinte et je regarde les nuages dans le ciel, pour
décider de la bonne cuisson, ça dépend de tellement de facteurs ! ». Les qualités
organoleptiques du produit proviennent des qualités sensorielles de l’opérateur, tenter de les
objectiver, c’est aussi le déposséder d’un plaisir d’appréciation qui engage le corps au travail
et participe grandement à sa propre qualité de vie !
La qualité de vie au travail se compare certainement à ce que nous sommes légitimes
d’attendre dans une époque et un contexte. Non pas gagner 18 000 Euros par mois pour la
plupart des salariés en France, mais « une bonne ambiance dans des locaux agréables, un
bon travail utile dont je puisse être fier, une bonne entente, la confiance réciproque, un chef
juste, liberté, reconnaissance, autonomie, souplesse», ont répondu les personnes
interrogées dans la rue. Rien de très couteux ici, mais des valeurs existentielles difficiles à
définir une fois pour toutes, dont la réalisation relève bien plus à mon sens, d’un
questionnement philosophique partagé que d’une mesure normative.
D’un autre coté, il est aujourd’hui fréquent de rappeler l’étymologie du mot travail,
tripalium
en latin, c’est-à-dire torture, pour signifier sans doute qu’il est obligation, contrainte,
domination, souffrance, à l’opposé du jeu, du loisir ou du plaisir.
Est-ce à dire qu’une
trop
bonne qualité de vie au travail risquerait de nous faire oublier que
c’est du travail, oublier les luttes politiques et syndicales, oublier la rigueur et la vigilance
nécessaires à la tâche, s’oublier soi-même ?
La qualité de vie
, il faudrait en ce sens aller la
chercher ailleurs, en famille, entre amis, à condition bien sûr de ne pas se laisser tuer à la
tâche.
Cela ne fait pas si longtemps que ça que le minimum dans le travail institué est de protéger
absolument
la vie. C’est un grand pas en héritage de la philosophie des lumières, un
tournant Kantien : « l’homme ne peut pas être employé comme un moyen, sans tenir compte
du fait qu’il est en même temps une fin en soi ». Il y a sans doute un bon nombre de lois du
travail qui découlent de ce tournant moral et qui imposent au minimum de ne pas sacrifier la
vie au nom de la production ou de l’œuvre.
Mais si chaque homme doit être est considéré comme une fin en soi, une volonté autonome,
c’est le travail qui devient un moyen : Il n’est plus seulement obligation subie mais nécessité
assumée, celle de gagner sa vie, de contribuer au vivre ensemble, au bien commun, à la
croissance de la société, à la civilisation. Il est médiation entre les hommes, les cultures, les
territoires, facteur indéniable de socialisation. Il favorise le dépassement de soi,
l’apprentissage de l’effort, l’inventivité, le développement des compétences.
Où commence l’utopie et où finit une juste revendication ?
J’ai un jour proposé sous forme de plaisanterie, à des banquiers d’imaginer un monde sans
banque et l’un d’entre eux en me regardant droit dans les yeux m’a répondu : « Bernard les
plaisanteries les plus courtes sont les meilleurs ! ». L’utopie n’a pas bonne presse
aujourd’hui, tant elle connote une chimère inconsistante ou un totalitarisme par où tout est
pensé d’avance. Pourtant je prendrais volontiers la défense de l’utopie en ce qui concerne le
travail, comme courage d’imaginer pour demain ou après demain et pour nos enfants, une
autre façon de travailler, pour qui, pour quoi, au nom de quoi. De quoi participent nos