chapitre iv l`expérience française : une référence pour la

CHAPITRE IV
L’EXPÉRIENCE FRANÇAISE : UNE RÉFÉRENCE
POUR LA PRÉFABRICATION SOVIÉTIQUE
CHAPITRE IV
L’EXPÉRIENCE FRANÇAISE : UNE RÉFÉRENCE
POUR LA PRÉFABRICATION SOVIÉTIQUE
IV.1. Le cadre législatif de la Reconstruction en France, 1944-1956
La pénurie de logements dans la décennie qui suit la deuxième guerre mondiale
est un problème commun à la France et à l’URSS.
En France, les destructions provoquées par la guerre sont importantes. La crise du
logement s'explique également par la politique de l’habitat menée en France dans
l'entre-deux-guerres. Durant cette période, l'Etat n'encourage pas le secteur privé à
construire des logements neufs ou à rénover les immeubles existants et lui-même
n'intervient pas pour mettre en place une politique active. En 1918, le gouvernement
établit un moratoire des loyers qui sera maintenu jusqu'à la fin de la deuxième guerre
mondiale. Les revenus des loyers sont insuffisants et les immeubles ne sont pas
entretenus. La moyenne annuelle de construction stagne : 90.000 logements par an de
1920 à 19401. La Statistique Générale évalue à douze millions le nombre de logements
insalubres en 1939.2
La pénurie liée aux destructions de 1939-1945 est aggravée par le renouveau
démographique et l'exode rural. Au début des années 1950, le flux de populations
immigrées : 40.000 en moyenne par an jusqu'en 1954, 55.000 de 1955 à 1961, et
1 « Logement social 1950-1980 », Bulletin d'informations architecturales, supplément au N° 95, mai
1985, IFA.
2 Roger Quillot, Roger-Henri Guerrand, Cent ans d’habitat social en France. Une utopie réaliste, éd.
Albin Michel, Paris, 1989, page 110.
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984.000 pieds noirs en 1954,3 s'ajoute à la population en quête d’un logement.
Dans les années 1950, s’amorce un véritable engagement public et un décollage
des financements, comme en témoigne ce tableau :
1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958
Investissement
(en Mds Francs)
37 60 53 90 130 132
Logements
construits (milliers)
40 51,5 70,6 76,9 83,9 115 162 210 238 270 270
Source : « Loi du 21 juillet 1950 relative au développement des dépenses d’investissement pour
l’exercice 1950 », Journal Officiel, le 23 juillet 1950 ; « Loi N° 53-1324 du 31 décembre 1953 relative au
développement des crédits affectés aux dépenses du Ministères de Reconstructions et du Logement pour
exercice 1954 », Journal Officiel, le 5 janvier 1954 ; « Loi de finances pour 1957 (N° 56-1327 du 20
décembre 1956) », Journal Officiel, le 30 décembre 1956, page 12646.
3 J - P Rioux, La France de la Quatrième République, éd. du Seuil, Paris, 1980.
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Dès son installation en 1944, le Gouvernement Provisoire de la République
Française proclame sa volonté de diriger l'ensemble des travaux de déblaiement et de
reconstruction, et de surveiller l'utilisation des indemnités.4 L’Etat s’engage
financièrement dans la Reconstruction et met en place un certain nombre de mesures qui
réglementent : le droit d’accès au commandes publiques, la normalisation des surfaces
de logements, l’utilisation des projets types et des procédés de construction qui
« économisent les mains-d’œuvre ».
En novembre 1944, par décret du Gouvernement Provisoire, le Ministère de la
Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU), avec Raoul Dautry5 à sa tête, est créé. Le
programme de construction de logements réalisé par les services publics ou les
entreprises nationales est placé sous le contrôle technique de ce ministère.
L’Etat instaure le système des agréments aux architectes et aux entreprises pour
pouvoir accéder aux commandes publiques. Dès 1945, les entreprises de BTP désireuses
de travailler pour la Reconstruction doivent être agréées par le MRU qui, « maître des
critères de ses choix, - mêle économie et politique ».6 Pour être agréées, les entreprises
doivent être « politiquement insoupçonnables ou blanchies de toute accusation de
collaboration avec l'Allemagne ». Elles doivent, également, posséder un outillage et un
matériel suffisants.
Les agréments aux architectes sont délivrés par une commission créée en 1946,
composée de huit membres, dont trois représentants du conseil de l'Ordre des architectes
et deux de l’administration du MRU.7 La commission attribue six types
4 L'Etat se présente comme l'administrateur du parc d'habitat. Le décret du 19 octobre 1945, institue le
droit de réquisition des logements inoccupés au bénéfice des familles sans abri. Il est cependant
difficilement applicable car les propriétaires ont le droit d'enrayer la procédure de réquisition. L'Etat est
conduit à organiser l'indemnisation des sinistrés de guerre. Le 5 octobre 1946 est adoptée la loi sur les
dommages de guerre :
Art. 1er. La République proclame l'égalité et la solidarité de tous les Français devant les
charges de la guerre.
Art. 2. Les dommages certains, matériels et directs causés aux biens immobiliers ou
mobiliers par les faits de guerre dans tous les départements français et dans les territoires
d'outre-mer ouvrent droit à réparation intégrale, à l'exception des personnes condamnées
pour collaboration, commerce avec l'ennemi, et condamnées à vie à l'indignité nationale
qui ne pourront donc bénéficier de cette loi.
« Sur les dommages de guerre », Journal Officiel, le 28 octobre 1946.
5 Raoul Dautry sera Ministre de 1944 à 1946.
6 Danièle Voldman, Histoire d'une politique : La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954,
thèse de doctorat d'Etat, Paris I, décembre 1994, page 385.
7 Idem.
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d’appréciations : « TF très favorable », qui permet d'exercer sur tout le territoire ; les
titulaires de la mention de « F1 bon architecte de talent » ont le droit de construire hors
de leur département. Les mentions « F2 bon architecte courant », « F3 architecte
passable », « FD favorable débutant », « FC favorable collaborateur » attachent leurs
bénéficiaires à leur seul département. Les refus d'agrément sont fondés sur les critères
suivants : motifs politiques, non appartenance à l'Ordre, défaut de compétence,
manquement à la déontologie professionnelle, défaillances morales. Le taux de non -
agrément est faible : moins de 15%.
Les grandes institutions financières, comme la Caisse des dépôts et
consignations qui jouent un rôle capital durant la Reconstruction, exercent une pression
considérable sur l'architecte. Comme l’écrit Georges Candilis dans ses mémoires :
La standardisation, établissant les conditions répétitives et schématiques
d'un système appliqué pour tous, et dont il fallait impérativement tenir
compte pour obtenir un permis de construire, était devenue la nouvelle
bible sacro-sainte de l'architecture.8
Dès 1947 le MRU lance des concours au titre de « chantiers expérimentaux »
dans le but d'améliorer les procédés de construction des bâtiments. Eugène Claudius-
Petit, qui devient le Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme en 1948,9 lance la
campagne d'industrialisation de la construction. En 1951, il ordonne « la constitution
d'une commission chargée d'apprécier les différents procédés constructifs susceptibles
de permettre la réalisation, dans la région parisienne, d'un programme de constructions
industrialisées ».10 (Parmi les membres de la commission se trouvent le gouverneur du
Crédit Foncier, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, le président
de la Fédération nationale des offices d'HLM.)
En 1951, un arrêté exige l’approbation par le MRU de tous les programmes, les
plans, les projets et les devis des logements financés par l’Etat.11
Dans les constructions qu'il finance, l'Etat tente d'intervenir et de donner ses
consignes dans le domaine de l'architecture. Dans une instruction concernant les
demandes de permis de construire et les projets d'HLM, datée du 17 décembre 1952,
8 Georges Candilis, Bâtir la vie, éd. Stock, Paris, 1977, page 159.
9 Eugène Claudius-Petit, Ministre de 1948 à 1953, puis en 1954.
10 Journal Officiel, 1951, page 11009.
11 Journal Officiel, 11 juillet 1951, page 6969.
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