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Ce que la Rome pontificale pouvait se permettre, la France post-révolutionnaire
se l’interdisait. Madame de Staël ne fut donc admise à l’Institut de France qu’à
titre posthume, lorsqu’en 1850, l’Académie française la choisit pour sujet de son
concours d’éloquence – la seconde femme après la marquise de Sévigné à
bénéficier, de cette façon, d’un éloge académique. « L’ennui même de Madame de
Staël respire l’enthousiasme ; son génie c’est l’espérance », déclara dans sa
péroraison le lauréat du concours, Henri Baudrillart, économiste libéral
amoureux des belles-lettres, élu peu après à l’Académie des sciences morales et
politiques, et père du futur cardinal Baudrillart. Mais la gloire est fragile, et cette
même année 1850 eut lieu à l’Académie française une scène assez curieuse, que
Victor Hugo rapporte dans Choses vues. La séance portait sur la définition du
verbe accroître. Un académicien propose un exemple tiré de Madame de Staël :
« La misère accroît l’ignorance et l’ignorance la misère. » Trois objections
surgissent immédiatement, raconte Hugo : « 1° antithèse ; 2° écrivain
contemporain ; 3° chose dangereuse à dire. L’Académie a rejeté l’exemple. »
Le rayonnement intellectuel de Germaine de Staël allait bientôt entrer dans une
longue éclipse. Après la guerre de 1870 et avec la « crise allemande de la pensée
française » qui s’en suivit, bien des auteurs français n’ont plus parlé d’elle qu’avec
une sorte de gêne. Rejet de tout ce qui s’apparentait au romantisme ? Antipathie
pour celle qui se dressa contre Napoléon, le « professeur d’énergie » ? Misogynie
plus ou moins consciente ? Quoi qu’il en soit, pour les nationalistes, l’auteur de
De l’Allemagne ne méritait que trop de s’être prénommée Germaine, et pour les
marxistes, elle restait une baronne, fille d’un banquier richissime.
Aujourd’hui encore, Mme de Staël ne reçoit, dans les livres de littérature, qu’une
place exiguë. On salue qu’elle ait popularisé en France les auteurs allemands,
jusqu'alors méconnus de ce côté du Rhin, ouvrant ainsi la voie au romantisme
français. Plus récemment, on l’a récupérée parmi les pionnières du féminisme. De
fait, ses romans Delphine ou Corinne représentent des femmes victimes des
contraintes sociales et qui tentent de s’en libérer. Ajoutons ses Réflexions sur le
procès de la Reine, plaidoyer en faveur de Marie-Antoinette vue comme une
victime de la brutalité politique masculine, truchement pour s’adresser à toutes
les femmes soumises et pour dénoncer les misères de la condition féminine.
La postérité de Mme de Staël n’en demeure pas moins ardue : les royalistes l’ont
jugée trop libérale, les libéraux trop républicaine, les républicains trop féministe,
les féministes trop royaliste ; elle était trop allemande aux yeux des Français,
trop française aux yeux des Allemands ; trop classique pour les romantiques et
trop romantique pour les classiques ; quant aux bonapartistes, ils la trouvaient à
la fois trop aristocratique, trop cosmopolite, trop indépendante, trop libre en un
mot ; mais tout le monde s’est toujours accordé sur un point, c’est qu’elle était
vraiment trop bavarde.
Ses contemporains brocardaient sans indulgence cette raisonneuse originale et
soûlante, ornée de turbans bizarres et de chapeaux à fleurs, « une machine à
parler », disait même une de ses rivales. Lorsqu’elle rendit visite à Schiller, le
poète allemand s’inquiéta : « Si seulement elle comprend l’allemand, écrivit-il,